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Les Cahiers de Didactique des Lettres
Revue de didactique des savoirs et des savoir-faire pour l'enseignement du français

Retour de premières expériences

Céline Druon-Petitet

Retour d’expérience sur l’étude du Petit Prince d’Antoine de Saint-Exupéry
Comment les élèves de 6e appréhendent-ils et utilisent-ils l’image, quand elle est illustration, en cours de français ?

Article

Texte intégral

1Dès la prime enfance, l’image accompagne le quotidien des enfants. Qu’il s’agisse d’illustrations, d’animations, de photos, l’image est partout et l’enfant en est très friand. Mais qu’a-t-il compris de l’image ? Comment l’analyse-t-il ? Comment s’en sert-il ? Autant de questions à creuser à l’entrée des élèves en sixième. Évidemment, les professeurs des écoles ont effectué en primaire des travaux avec/sur l’image, mais le caractère disparate des élèves qui arrivent au collège ne permet pas au professeur de se positionner sur des prérequis et des préacquis stables et partagés par toute la classe. Certains élèves ont une approche qu’on pourrait qualifier de « raisonnable » de l’image. Ils sont aptes à prendre du recul et à critiquer l’image. D’autres ont une approche plus consumériste de celle-ci. Ils les « gobent » et ne les remettent jamais réellement en question. Nous n’entrerons pas dans une étude sociologique de ces différentes catégories d’élèves, mais il nous a semblé que l’origine sociale ou l’éducation donnée aux enfants n’étaient pas forcément un critère déterminant pour une approche « raisonnable » de l’image. Les déterminismes de l’éducation mis de côté, les individus ne réagissent pas tous de la même façon face à l’image. Nous pourrons dire, sans trop nous tromper, que nous ne sommes pas égaux face à l’intérêt que nous portons à l’image et à l’impact qu’elle peut avoir sur nous. Nous pouvons également affirmer, de manière empirique, qu’elle suscite globalement, certes à un degré plus ou moins élevé, l’intérêt de chacun. Ce dernier point n’étant pas du tout négligeable pour un professeur… En effet, lors de la première séance d’histoire des arts avec une classe de sixième, nous avons pu remarquer, malgré de nombreux doutes, que l’étude de l’image avait intéressé tous les élèves de la classe. Tous, y compris ceux qui ne participent jamais, qui sont présents physiquement mais parfaitement absents du cours mentalement. Nous avons pratiqué l’exercice quelques fois avec toujours autant de succès. L’étude en œuvre intégrale du Petit Prince de Saint-Exupéry s’annonçait donc sous les meilleurs auspices. Après un rappel contextuel, nous évoquerons les différentes activités pratiquées autour de l’image lors de cette séquence pour enfin en tirer quelques conclusions.

1. Le Petit Prince d’Antoine de Saint-Exupéry

2Il ne semble pas opportun de commencer une année de sixième par une étude d’œuvre intégrale. Il est nécessaire et important de juger, d’apprécier le niveau des élèves et leur intérêt pour le français, la lecture et toutes les composantes de la matière. Nous avions donc commencé l’année sur une séquence généraliste sur la poésie. Peu d’études d’images dans ce contexte sauf en fin de séquence avec l’étude d’une image très poétique : Le poète Papillon de Raymond Peynet1. Malgré un fort scepticisme sur l’intérêt que les élèves porteraient à ce nouvel exercice, ce fut une vraie réussite et tout le monde a participé tout en apprenant quelques termes nécessaires à l’observation et au commentaire d’une image. Termes que les élèves ont réutilisés pour les études d’images de la séquence qui a suivi.

3La seconde séquence avait pour objet d’étude le conte traditionnel européen. Là, les illustrations fleurissent et les élèves ont beaucoup d’images en tête ainsi que bon nombre d’idées préconçues sur le conte. L’étude d’image nous a permis, dans ce cadre, d’appréhender l’image comme le moyen pour créer chez le lecteur des attentes de lecture, fondées sur des hypothèses suscitées elles-mêmes par l’image. La profusion des images pour les contes traditionnels nous a permis également de comparer les illustrations pour un même conte. Ainsi, les élèves ont-ils pu se rendre compte des différentes manières d’interpréter un conte, ou des volontés des illustrateurs de privilégier tel ou tel aspect du récit. L’étude d’image dans cette séquence s’est aussi faite au travers d’exercices d’illustrations de leurs propres écrits, et des écrits de leurs camarades. C’est dans ce contexte que nous avons ensuite abordé notre séquence sur l’étude du Petit Prince d’Antoine de Saint-Exupéry en œuvre intégrale. L’image y tient une place prépondérante d’autant qu’elle est le fruit du travail de l’auteur. Nous ne sommes donc pas face à une interprétation d’un texte par un illustrateur, mais bien d’une image comme complément du texte ou de l’image ayant la même valeur interprétative que le texte. L’image devient ici presque un mot ou une phrase qui viendrait préciser l’imaginaire de l’auteur.  Nous verrons à présent comment nous avons utilisé l’image dans l’étude de ce texte.

2. L’étude de l’image dans Le Petit Prince d’Antoine de Saint-Exupéry

4Les élèves ont abordé cette œuvre sans savoir qu’ils la travailleraient en classe, et ce,  afin de ménager un « petit » effet de surprise pour la première séance  – qui n’a été un plaisir que pour le professeur, et encore a-t-il vite été déçu. L’illustration de la première de couverture de l’édition Folio du Petit Prince2 a été projetée au tableau sans autre préparation. L’objectif était de surprendre les élèves, voire de leur faire plaisir, et de commenter cette image afin d’en tirer des hypothèses de lecture que l’étude confirmerait ou non. Cela permettait également de parler de l’illustrateur et auteur de ce texte. Cette première de couverture a été choisie car c’est la plus connue tout en étant la plus simple. Elle permet en outre d’établir des hypothèses de lecture.

5Première déconvenue : la moitié de la classe avait déjà étudié ce texte en classe de CM2. Tout le monde s’est retrouvé très déçu : les élèves de « refaire » quelque chose déjà vu l’année précédente et le professeur qui, au lieu de susciter un enthousiasme délirant, se voit reléguée au rang de radoteur… Il restait tout de même une moitié de classe à réjouir. Mais la morosité est une attaque perfide, fulgurante et surtout d’une extrême contagion dans une classe. Il faut reconnaître que la participation n’a pas été aussi enthousiaste que pour les précédentes lectures d’images et les hypothèses de lecture plutôt mollassonnes de la part des élèves qui n’avaient pas lu le livre.

6Les séances suivantes n’ont pas porté l’accent de la même manière sur l’illustration. Concentrant l’étude sur la compréhension approfondie du texte, nous avons quelque peu « délaissé » les illustrations du Petit Prince. Et sans doute la stratégie a-t-elle fonctionné : « Laissez le charme agir » dit la publicité, les élèves ont d’eux-mêmes eu recours aux images pour affiner leur compréhension du texte. Ainsi lors de séances de lectures analytiques, les élèves ont débattu à partir de l’image sur l’activité d’un personnage. Ce fut le cas pour le chapitre sur le Buveur, les élèves ont questionné l’image pour comprendre ce personnage énigmatique. « Est-ce qu’il bouge ? » ; « Comment se fournit-il en bouteilles ? » ; «Mais tu vois bien que sur l’image, il est assis. Il est immobile. » ; «  Mais c’est impossible, on ne peut pas rester toute la journée immobile. » ; « Peut-être mais sur le dessin c’est comme ça ». En leur faisant remarquer que personne n’avait nié la vraisemblance de l’utilisation d’une « migration d’oiseaux sauvages » par le Petit Prince pour commencer son voyage, ils ont beaucoup ri.

7Les illustrations du Petit Prince leur ont permis de comprendre la vertu symbolique des personnages décrits. L’illustration « simpliste » d’un personnage seul sur  une planète et par là même, l’invraisemblance d’une telle situation montrée par l’image, nous a offert la possibilité de mieux comprendre le symbole et la notion de stéréotype. Sans l’image, nous aurions pu tout aussi bien imaginer que la planète en question était plus grande, qu’il y avait d’autres choses sur cette planète, etc. et ce, malgré ce qui est écrit explicitement. Le personnage aurait ainsi perdu de son caractère particulier. En précisant le texte pour les élèves, l’image leur a rendu possible une interprétation plus fine et plus précise du chapitre.

8Voyant que l’illustration prenait corps de manière insidieuse pour les élèves, l’attention a été de nouveau portée sur l’image avec un exercice de commentaire d’image à faire à la maison. Il s’agissait de l’image suivante :

Image1

9Les élèves devaient la décrire, en utilisant s’ils y pensaient le vocabulaire dédié (appris en début d’année), et exprimer ce qu’ils en comprenaient, si elle suscitait une émotion particulière, un sentiment ou toute autre sensation qui aurait un intérêt.

10La consigne était la suivante : « Décrivez l’image page 77, commentez-la et donnez votre impression en 5 lignes minimum. » Voici quelques productions d’élèves, l’orthographe est corrigée, mais la syntaxe laissée telle qu’ils l’ont formulée :

11- Guillaume : « On voit le Petit Prince dans un désert avec un serpent et sûrement sa planète (l’étoile qui clignote). Il y a du jaune, du bleu, et du vert. J’ai envie de voir la suite (j’ai lu le livre mais je trouve que ça donne envie). Ça m’exprime des émotions négatives (accident, mort, blessures). »

12- Manon : « C’est une aquarelle de Saint-Exupéry. Au premier plan on observe le Petit Prince qui semble parler avec un serpent. Au deuxième plan, on voit une étoile qui scintille et au troisième plan des dunes et un ciel de crépuscule. Le jaune est une couleur dominante. Je trouve cette image belle et surnaturelle. »

13- Corentin : « Sur cette image, je vois un paysage désertique où se trouve debout le Petit Prince avec un serpent de couleur jaune. Cette image, je la trouve triste car le Petit Prince est quasiment seul au milieu du désert. »

14- Alexandre : « Sur l’image p. 77 on voit : au premier plan le serpent et le Petit Prince parler sur le sable du désert. Le serpent lui dit qu’il a du venin et qu’il peut tuer un homme. Au deuxième plan, on voit les ombres des montagnes et au troisième plan on voit la planète du Petit Prince. L’image est belle et les couleurs sont (… ?). Ça me donne envie de connaître la suite. »

15- Pauline : « L’image paraît triste. Il y a une étoile qui scintille dans le ciel. Il y a un serpent. On dirait celui que l’auteur a dessiné au début du livre. Le serpent et le Petit Prince ont l’air tristes et seuls. Ils sont dans le désert. »

16- Lisa : « Au premier plan se trouvent le Petit Prince et une étoile représentant sa planète. Au second plan se trouvent le serpent et des dunes de sable. Au troisième plan se trouve le ciel d’un bleu assez sombre. Les couleurs du dessin sont plutôt froides sauf le jaune composant une bonne partie du dessin. Je trouve le dessin plutôt triste et je trouve aussi qu’il manque de couleurs. »

17- Tiphaine : «  Au premier plan on a le Petit Prince et un serpent. Au deuxième plan on a le Petit Prince sur une planète. Au troisième plan nous avons le ciel avec des étoiles filantes. On a une phrase “tu es une drôle de bête, lui dit-il enfin, mince comme un doigt.“ Je trouve cette image belle et suspens et un peu triste. »

18- Alex : « Sur la page 77, je vois le Petit Prince avec le serpent à côté une étoile qui brille, un caillou et je dis que le Petit Prince lui pose des questions en le regardant et le serpent lui répond en zigzagant. »

19Ces productions hétérogènes nous montrent que le vocabulaire de la description d’image est utilisé de manière spontanée sans qu’il soit explicitement demandé dans la consigne. Plus d’une moitié de la classe l’a utilisé, indépendamment du niveau des élèves en classe. La description est dans l’ensemble juste, sauf lorsque l’élève projette le texte ou son propre imaginaire dans l’image qu’il observe. La difficulté, semble-t-il, n’est pas dans la description mais bien dans la tentative de donner un commentaire ou une impression. Les élèves détaillent peu cette partie de l’exercice, qui est en effet la plus difficile. Ils acceptent de décrire, mais livrent assez peu facilement leurs émotions, ce que l’étude d’image pourrait permettre. Autre hypothèse, ils ne ressentent rien face à l’image, ce qui est envisageable. C’est finalement la production la plus mauvaise d’un point de vue orthographique et syntaxique qui a formulé le mot qu’attendait le professeur : « suspens ». Mais c’est là aussi une interprétation toute subjective et l’on ne pouvait attendre objectivement cela des élèves.

20La séquence sur Le Petit Prince s’est terminée par une séance d’illustration réalisée par les élèves. La consigne était la suivante : « Illustrez le voyage du Petit Prince. » C’était la dernière séance avant les vacances. Les élèves pouvaient consulter leur livre. En fond sonore, Le Petit Prince lu par Bernard Giraudeau3. Ce fut un instant de grâce. Évidemment, en amont, j’avais quelques réserves sur la lecture effectuée par Giraudeau qui aurait pu susciter quelques rires. De même, le manque d’entrain à la veille des vacances pour se replonger dans le voyage du Petit Prince aurait pu faire tourner la séance au massacre et à l’indiscipline. Là encore, rien d’attendu : tous n’ont pas apprécié le sujet, mais ils s’y sont mis finalement de bon cœur, se replongeant dans leur livre pour ne pas oublier une planète, s’inspirant des aquarelles d’Antoine de Saint-Exupéry pour réaliser leurs dessins, se montrant leurs réalisations qui suscitaient presque toujours des commentaires enthousiastes. Seul un élève a refusé de participer, mais il est en grande difficulté. Son attitude était néanmoins surprenante puisqu’il avait montré de l’intérêt et un vrai potentiel dans le dessin, cette activité avait été pensée aussi pour lui. Mais là encore, la réalité ne correspond pas forcément à ce que l’on avait imaginé.

3. Bilan critique

21Avec cette séquence, les élèves ont travaillé l’illustration de plusieurs manières:

22pour s’aider dans leur compréhension du texte.

23pour développer un imaginaire en adéquation avec celui de l’auteur.

24pour réaliser leurs propres illustrations du Petit Prince.

25Ces travaux sur l’image sont une manière de leur faire prendre conscience qu’elle n’est pas anodine. C’est un support qui fait entrer une forte part de subjectivité. C’est le saisissement d’un instant T que l’ « on » choisit et que l’ « on » représente comme « on » le souhaite ; « on » figurant l’illustrateur, l’auteur ou encore l’élève.

26Amorcée initialement d’une manière plutôt décevante, cette séquence sur Le Petit Prince, axée sur l’étude du texte et l’impact de l’image sur la lecture, s’est finalement achevée avec certains des objectifs atteints pour l’ensemble de la classe. Premier objectif : la lecture intégrale. Seuls deux élèves n’ont pas réalisé la lecture sur une classe de vingt-trois élèves. Et la présence importante d’images dans le livre n’y est sans doute pas pour rien. Le fait que le livre soit illustré a sans aucun doute rassuré les lecteurs les plus récalcitrants. Ils ont approfondi leur compréhension du texte par rapport à ce qu’ils avaient pu voir en CM2. Ceux qui ont découvert le texte ont semblé l’apprécier. Enfin, le travail sur les images s’est avéré efficace puisque les élèves les ont consultées d’eux-mêmes pour affiner leur compréhension du texte, sans indication directive du professeur. Les termes de la description d’image étudiés en début d’année ont été globalement bien réutilisés. Cependant les élèves restent frileux quand il s’agit d’exprimer leurs propres émotions face à l’image. Il faut passer outre une certaine timidité et une crainte du ridicule. Il faut aussi être apte à analyser et retranscrire ce que l’on ressent. Malgré ce bémol, il semblerait que les élèves ne soient pas restés parfaitement indifférents au Petit Prince et à ses illustrations, si l’on en croit l’intérêt et l’application qu’ils ont mis dans la dernière séance d’illustration.

27Si la séquence était à refaire, il faudrait commencer par savoir quels sont les élèves qui ont déjà lu l’œuvre intégrale au programme et si cette lecture date ou non. Le texte étant de toute façon assez connu, il ne faudrait pas partir sur une projection d’image mais sur une lecture de l’œuvre par le professeur ou par celles enregistrées par de grands comédiens Bernard Giraudeau ou Gérard Philippe4 et n’introduire l’image qu’après une ou deux séances introductives. Que l’œil de l’élève s’habitue aux aquarelles d’Antoine de Saint-Exupéry pour pouvoir ensuite les utiliser correctement et sans préjugés.  L’image extrêmement connue du Petit Prince apporte finalement peu de choses dans le cadre d’une séquence introductive. En revanche, ces illustrations trouvent leur place d’elles-mêmes dans l’esprit des élèves qui se familiarisent avec elles au fur et à mesure qu’ils lisent le texte en classe ou à la maison. Leur douce puissance agit progressivement.

Notes

1  Illustration tirée de l’ouvrage de 6e Fleurs  d’encre, Hachette Livre, 2009, p. 173.

2  Le Petit Prince, Antoine de Saint-Exupéry, édition Folio Junior, Gallimard Jeunesse, 2007.

3  Le Petit Prince lu par Bernard Giraudeau, Écoutez lire, Gallimard jeunesse.

4  Le Petit Prince d’Antoine de Saint-Exupéry interprété par Gérard Philippe et Georges Poujouly, Disques Festival édition, 2002.

Pour citer ce document

Céline Druon-Petitet, «Retour d’expérience sur l’étude du Petit Prince d’Antoine de Saint-Exupéry», Les Cahiers de Didactique des Lettres [En ligne], Numéro en texte intégral, La place de l'image dans l'enseignement de la littérature, Retour de premières expériences, mis à jour le : 30/01/2017, URL : https://revues.univ-pau.fr:443/ca/index.php?id=241.

Quelques mots à propos de :  Céline Druon-Petitet

Contractuelle admissible au Collège Felix Pécaut de Salies de Béarn
Étudiante en Master 2 Enseignement
Département des Lettres Modernes et Classiques
Université de Pau et des Pays de l’Adour