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Les Cahiers de Didactique des Lettres
Revue de didactique des savoirs et des savoir-faire pour l'enseignement du français

La place de l'image dans l'enseignement de la littérature

Cécile Rochelois

En guise de préface

Article

Texte intégral

1Pourquoi choisir le thème de l’image pour inaugurer les journées de réflexion didactique organisées par l’Université de Pau et des Pays de l’Adour, alors que le travail du professeur de lettres porte avant tout sur les textes ? L’image, fixe ou mobile, est divertissante. Les professeurs de français le savent : l’apparition d’un tableau, d’une photographie, d’un dessin, la projection d’une séquence filmique dans la classe reçoivent en général un accueil chaleureux. Voici l’occasion de rompre la routine de l’explication de texte, de poser les stylos, de se  placer en position de spectateur et d’apprécier ce que l’on nous donne à voir. Face à l’image, les élèves se sentent souvent en terrain conquis : la publicité, les dessins animés, les films, les bandes dessinées, ils connaissent. On fait l’économie de cet inévitable effort de lecture que sollicite un texte, littéraire ou non, pour être déchiffré et interprété. Le message est compris immédiatement et il n’est donc pas besoin d’expliquer, ni de chercher ce que l’on a voulu nous dire, ni comment… Le recours à l’image en cours de français comme alternative légère, comme facilité ? Les contributions réunies dans ce premier numéro des Cahiers de Didactique des Lettres prouvent, s’il en était besoin, que la place de l’image en cours de français ne se limite pas à cela.

2L’image ne s’invite pas en intruse dans le cours de français. Les échanges entre l’image et le texte sont permanents, complexes, inévitables. Des lettrines ornées des manuscrits aux calligrammes d’Apollinaire, les lettres et les phrases se font image. Certaines illustrations n’ont rien de facultatif. Le Petit Prince d’Antoine de Saint Exupéry serait une œuvre incomplète sans les aquarelles de l’auteur. Comme l’explique Céline Druon-Petitet, ce sont elles qui ont accompagné et porté la lecture de ses élèves de 6e. Et lire, n’est-ce pas mettre des images sur des mots ? L’idée mise en œuvre par Céline Desclaux nous le rappelle de manière opportune. Comprendre le réalisme, lire Flaubert, rien de plus simple : il suffit de dessiner la casquette de Charbovary ! Nul doute que ce passage par le dessin, exercice à la fois original et juste, marquera durablement l’esprit de ses premiers élèves.

3Les illustrations et les adaptations d’œuvres littéraires dialoguent avec le texte, en donnent une lecture orientée, parfois à l’opposé de ce que s’est imaginé l’élève lecteur. Comme le note l’article de Bérengère Moricheau-Airaud, le premier contact avec un livre passe le plus souvent par une image, celle de la première de couverture, dont le choix n’est jamais ni innocent, ni arbitraire. La part de l’implicite est fondamental dans le discours de l’image, comme il l’est dans les textes littéraires. L’étude d’un mythe gagne en profondeur lorsque textes et images se croisent à travers les genres et les âges, par le jeu des réécritures. Aux côtés des héros antiques ou médiévaux, qui continuent à inspirer les auteurs de bandes dessinées comme les réalisateurs, on retiendra l’illustre Calamity Jane. Épistolière sensible, mémorable héroïne d’un album de Goscinny et Morris, de nombreux films et de chansons : ses multiples visages ne peuvent manquer de séduire des élèves de collège ou lycée, tentés de reconstituer le puzzle dont les pièces sont livrées par Julie Gallego.

4Un tableau, une photographie, une planche de bande dessinée ou un film peuvent déclencher en classe un débat, susciter chez un élève de nouvelles interrogations, qui trouveront naturellement leur prolongement dans la lecture. La parole se libère après la projection d’un grand classique des cours de français comme Douze hommes en colère de Sydney Lumet : la réalisation, simple et efficace, autant que les dialogues eux-mêmes inspirés d’une pièce de théâtre, conduisent irrésistiblement à des échanges d’arguments, à des prises de conscience souvent passionnées. Les élèves sont alors mûrs pour aborder de grands textes argumentatifs et narratifs sur la justice ou la peine de mort. L’image a le pouvoir de stimuler l’écriture, comme le montrent les activités mises en place dans sa classe de 2nde par Virginie Larrère : même lorsque l’œuvre filmique est au cœur des préoccupations, lorsque le professeur de lettres décide d’apprendre à ses élèves à regarder un film pour lui-même, dans le cadre du dispositif « Lycéens et apprentis au cinéma », le retour à l’écrit s’impose, pour mieux dire et apprécier cette expérience. L’écriture reste aussi au cœur d’un projet comme celui que Stéphanie Meylan a proposé à sa classe de 1ère STMG. Écrire un scénario, un synopsis, un pitch, un script, un dialogue de film, passer de l’un à l’autre : autant d’exercices qui s’avèreront d’autant plus formateurs que les contraintes sont particulièrement fortes.

5L’image est enfin le support idéal pour montrer aux élèves que l’analyse critique de ce qui leur paraît évident n’est pas toujours inutile, que le sens et les intentions d’une image à première vue limpide se cachent souvent derrière des procédés formels. Que l’image enfin n’existe pas indépendamment des codes culturels. Le dépaysement que les élèves connaissent lorsqu’ils lisent une pièce de Racine n’est pas si éloigné de celui qu’ils ressentent face aux enluminures médiévales. Pourquoi ces gestes, ces choix de couleur et de composition, dont la différence avec nos habitudes iconographiques saute aux yeux ? Sans remonter si loin dans le temps, le témoignage de Stéphanie Meylan prouve que le genre du western mérite aussi quelques mises au point. Pour que les élèves prennent conscience de l’idéologie sous-jacente au genre, quel meilleur moyen que de leur faire construire leur propre western ?

6Avant cette journée, certains étudiants de master enseignement s’étaient inquiétés de la réaction de leurs « publics » (élèves, parents, tuteurs, collègues) s’ils consacraient du temps à l’analyse de l’image. Il est vrai que ce type de travail, en particulier lorsqu’il s’agit d’étudier une séquence, ou pire, une œuvre filmique intégrale, demande du temps, de l’énergie et des compétences multiples. Même si la place de l’image dans le cours de français est pleinement reconnue par les programmes, comme l’a montré Vanessa Loubet-Poëtte en ce qui concerne le cinéma au lycée, l’histoire des arts visuels n’occupe qu’une place secondaire dans la formation des étudiants de lettres qui préparent les concours d’enseignement. Y a-t-il lieu de le regretter ? L’ambitieuse priorité de notre formation en master MEEF est de permettre aux futurs professeurs de lettres de s’approprier notre patrimoine littéraire, de l’Antiquité à nos jours, pour être capable de le faire découvrir sous son meilleur jour aux élèves et de leur transmettre la passion des textes.  Néanmoins, l’acquisition, dans le cadre de la formation initiale ou continue, de compétences spécifiques pour analyser des supports iconographiques, est un atout indéniable. Une étude de l’image fixe ou mobile exigeante sur les plans intellectuel et culturel offre au professeur de lettres l’occasion d’exercer pleinement sa mission : donner aux élèves les clés pour comprendre les enjeux de la société dans laquelle ils vivent, pour mieux apprécier les œuvres d’art, pour être capable à leur tour de faire parler les images et de manier la langue en toute conscience. Gageons que les ressources, les idées d’activités et les retours d’expérience présentés dans ce numéro des Cahiers de didactique des lettres donneront envie aux étudiants de s’engager dans cette voie et leur apporteront des repères pour accompagner leurs premiers pas.

Pour citer ce document

Cécile Rochelois, «En guise de préface», Les Cahiers de Didactique des Lettres [En ligne], Numéro en texte intégral, La place de l'image dans l'enseignement de la littérature, mis à jour le : 31/01/2017, URL : https://revues.univ-pau.fr:443/ca/index.php?id=272.