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Les Cahiers de Didactique des Lettres
Revue de didactique des savoirs et des savoir-faire pour l'enseignement du français

Les œuvres plurielles de Martin Winckler

Vanessa Loubet-Poëtte

De la chronique à l’écriture chronique, étude du rapport au temps et à l’acte d’écriture dans Légendes1 de Martin Winckler

Article

Texte intégral

1L’ombre de Georges Perec plane sur l’œuvre de Martin Winckler ; « ce repère Perec », pour reprendre un fameux palindrome oulipien, émane d’emblée de son pseudonyme littéraire emprunté au personnage de W ou le souvenir d’enfance, de La Vie mode d’emploi et du Condottière2. Cet homonyme fictif prénommé Gaspard a un rapport tout particulier au temps, il est « aux prises avec le passé », parce qu’il doit l’affronter, mais aussi « en prise sur le passé », parce qu’il en a une conscience constante. La mort de l’artisan ciseleur et fabriquant de puzzles de La Vie mode d’emploi est annoncée au lecteur dès le début de ces Romans, ce qui suit consiste donc dans la reconstruction d’une vie déjà passée ; devenu lui-même la pièce d’un puzzle dans W ou le souvenir d’enfance, en quête d’une identité, il assemble les éléments d’un passé lacunaire. L’affiliation littéraire à Georges Perec, et plus précisément à Gaspard Winckler, met en lumière la question du rapport au temps et au passé, illustré par cette phrase de Raymond Aron : « L’homme n’a vraiment un passé que s’il a conscience d’en avoir un3. »

2La perspective d’une réflexion axée sur les œuvres plurielles de Martin Winckler invite à considérer largement cette hétérogénéité, dans les thèmes abordés (médecine, fiction, autobiographie, société), dans les formes choisies (essai, roman, polar, albums de jeunesse), mais aussi dans les médias utilisés (édition littéraire, presse, radio, internet). Notre propos porte ici sur le rapport au fragment, à l’épisode, sur ce qui finit par apparaître comme une constante, dans cette multiplicité, cette profusion, ce foisonnement de paroles, via le prisme de Légendes et la notion de « chronique ». Plusieurs raisons ont motivé le choix de cette œuvre pour observer ce lien du fragment au tout. Tout d’abord, la perspective autobiographique fait la part belle à l’histoire individuelle de celui qui signe l’œuvre de son pseudonyme, mais qui s’y désigne dans le même temps par son véritable nom, Marc Zaffran. Cette ambivalence entre réalité et fiction, entre la clairvoyance du présent et la confusion du souvenir, caractéristique de toute entreprise autobiographique4, autorise autant des analyses généalogiques ou onomastiques que des oublis, des creux, des vides ou des conjectures. L’important consiste dans le respect du projet initial, qui est de « rendre compte de la simultanéité, en [lui], des sentiments d’aujourd’hui et des émotions d’hier5 » et de rester centré sur l’expérience personnelle. De plus, Légendes couvre une période temporelle limitée et laisse l’auteur-narrateur-personnage aux portes de l’âge adulte, avant ses études de médecine. Temps de l’imaginaire et temps de la construction de soi, l’enfance et l’adolescence sont des âges privilégiés pour observer la manière dont se forge la conscience du temps (le temps passé des parents et des origines, le temps qui passe et le temps, incertain, à venir) mais aussi le rapport naissant à l’acte d’écriture. Précisons enfin l’intérêt du contexte de publication de cette œuvre, d’abord parue en feuilletons, sur le site de l’éditeur P.O.L., du 3 septembre 2001 au 22 février 2002. Cette contrainte éditoriale suppose une écriture quasi-quotidienne, voire dans l’urgence (pendant 172 jours, soit environ 6 mois), et une fragmentation. Mais l’œuvre ensuite rassemblée et publiée se donne comme un tout au lecteur d’aujourd’hui, laissant supposer un travail de réappropriation, une nouvelle contextualisation du projet initial.

3C’est ainsi que, grâce à une analyse principalement lexicale et énonciative, nous nous proposons d’observer comment, dans Légendes, le souvenir devient un événement par l’acte d’écriture (c’est-à-dire qu’il n’est plus réduit à l’état d’archives, qu’il continue de conserver toutefois du fait même de la publication) et comment alors la chronique se fait à la fois historique, diégétique, voire même peut-être « éthique ».

1. Perspective lexicologique : le terme « chronique »

4Ce premier point a pour objectif de fonder les réseaux de sens, d’isoler les sèmes signifiants du terme « chronique », afin de mieux en considérer l’usage dans l’écriture et dans le récit de Légendes. Cinq domaines principaux sont concernés : l’historiographie, la littérature, la société, le journalisme et la médecine.

1. 1. Domaine historiographique

5Hérité du grec khronika, qui està peu près équivalent d’« annales » et dont nous notons la valeur plurielle suggérant l’idée de fragment, le terme « chronique » est opposé à celui d’« histoire ». Ancienne manière d’écrire et d’analyser l’histoire, comme dans le cas de la « chronique médiévale » pratiquée par Jean Froissart, la chronique consiste dans la transcription de faits historiques remarquables, dans l’ordre de leur succession. Elle est massivement pratiquée jusqu’au réveil critique de la science historique aux alentours du xvie siècle. Sans entrer ici dans de plus amples précisions épistémologiques, quelque peu éloignées de notre propos qui concerne la littérature et la mise en fiction de l’exercice de la chronique, nous nous en tiendrons à cette piste de distinction, qui n’envisage pas toutes les subtilités de cette question : la chronique est écrite dans le temps présent, elle est contemporaine des événements et s’appuie sur des sources de première main, des récits ou des témoignages directs ; l’histoire est une restitution plus distanciée, elle convoque des sources de seconde main, les récits ou les témoignages devenant donc des documents. Cette dernière suppose peut-être pour cela une plus grande distance temporelle et/ou critique6.

1.2. Domaine littéraire

6Le modèle littéraire de la chronique repose sur la liaison intrinsèque entre le roman et l’Histoire, les deux étant subordonnés au récit, à la narration d’événements et les deux n’étant possibles qu’à condition d’une mise à distance et d’une prise de conscience de la matière représentée (dans l’exercice du roman) ou exploitée (dans l’étude historique). Parfois associé au roman historique, l’exercice de la chronique se développe au xixe siècle, au moment où émerge une conception plus individualiste de la société et de ce fait, de l’Histoire et du rapport au temps. C’est aussi grâce à l’essor de la presse et du texte journalistique que la chronique du xixe siècle permet de rendre compte d’une véritable confrontation au temps présent7. Citons de manière non exhaustive les exemples notoires de Stendhal avec Le Rouge et le Noir, Chronique du xixe siècle, La Chartreuse de Parme ou ses Chroniques Italiennes8 et de Prosper Mérimée et ses Chroniques du règne du roi Charles IX9. Au xxe siècle, outre les rédactions de sagas historiques comme La Chronique des Pasquier10 de Georges Duhamel, parue entre 1933 et 1945, il importe de mentionner l’entreprise de Jean Giono pour ses Chroniques romanesques11. Ce projet de diffusion périodique pour un éditeur américain répond au besoin d’argent de l’auteur, banni du circuit de l’édition française pour suspicion de collaboration. Construite progressivement au rythme d’un petit roman par an pendant une dizaine d’année, cette œuvre propose des récits variés, d’une grande liberté stylistique, ayant tous pour cadre commun le Sud, parmi lesquels on trouve Un roi sans divertissement, Les Âmes fortes ou encore Les Grands Chemins. L’hétérogénéité des mécanismes narratifs et énonciatifs sans cesse renouvelés invite le lecteur à découvrir, plus que la chronique de faits historiques, le processus même de l’écriture, comme en témoigne cette critique pour Le Magazine Littéraire :

L’aventure à laquelle il nous est demandé de participer est celle de l’écriture, énigmatique, problématique comme les personnages qui l’expriment. Porteur de l’allégresse de l’homme libre, Giono, désinvolte et profond, nous adresse en somme une suite intime d’autoportraits. Mireille Sacotte a raison, « narrateur et Artiste », il est partout, il se dédouble, se multiplie à l’infini. Ces Chroniques ce sont les siennes : celles d’une vie devenue matière romanesque12.

7Si la rédaction d’une chronique suppose le respect de la succession des événements, et donc l’inscription dans la typologique narrative, ce qui semble progressivement s’imposer dans ces chroniques littéraires plus modernes, c’est la mise en scène de ces événements, leur dramatisation, l’effet de réel et l’intérêt porté au destin individuel bien plus qu’au cours des choses, comme le souligne Pierre-Louis Rey à propos de La Chartreuse de Parme :

Les minuscules embrouilles d’une Principauté dont personne n’a cure faisaient la partie belle à Stendhal ; mais dès Waterloo, où se jouait le sort de l’Europe, nous nous inquiétions davantage des blessures qu’encourait Fabrice […] On comprend que la bataille ne méritait pas de focaliser le récit13.

8Passée par le filtre de la littérature, la chronique n’est plus strictement historique, elle devient diégétique, c’est-à-dire qu’elle se nourrit d’éléments plus variés que la simple succession des événements, comme par exemple la psychologie des personnages. L’insertion de et dans la fiction conduit à mieux distinguer les notions d’histoire et de diégèse, d’après les travaux de Gérard Genette.

9L’histoire racontée par un récit ou représentée par une pièce de théâtre est un enchaînement, ou parfois plus modestement une succession d’événements et/ou d’actions ; la diégèse, c’est l’univers où advient cette histoire14.

10Ce cadre spatio-temporel, cet univers de la fiction, ce monde recréé, avec tout ce que cela suppose de vaste et d’infini, inclut donc l’histoire. Or, dans le cas du projet autobiographique de Légendes, les faits peuvent être historiques, avérés, cautionnés comme nous le verrons par une source, mais le monde, l’univers dans lequel ils ont cours est, lui, recréé par le souvenir, l’imaginaire mais également le jeu et les codes de l’écriture fragmentée.

1.3. Domaine social

11Les expressions comme « défrayer la chronique », la « chronique galante » ou plus nouvellement la « chronique people » suggèrent la médisance, le fait de colporter des rumeurs. Dans la sphère familiale de l’ouvrage Légendes, il est possible de lier ce trait de sens du mot « chronique » au secret, qu’il soit dévoilé, avoué ou gardé, comme celui du premier mariage d’Ange, le père. Le chapitre « Livret de famille15 » en offre la révélation grâce à la découverte de la trace officielle et administrative et les chapitres suivants, « Secrets » et « Secrets, suite16 », proposent une réflexion sur le rapport particulier de la famille au secret. Toutefois, le narrateur se refuse à toute utilisation opportuniste du secret, pour confier que l’acte d’écriture est corrélatif d’une véritable expérience individuelle du secret, en liaison avec la fonction de confident, et par extension, plus tard, avec celle de soignant, transmise du père au fils :

Mieux vaut vous prévenir tout de suite, je n’écris pas pour révéler des secrets. […] Vous n’apprendrez donc pas grand-chose de croustillant dans ce chapitre, car ce n’est pas le contenu des secrets qui m’intéresse ici, mais le fait que, sans m’en rendre compte, j’ai navigué dedans pendant mon enfance et mon adolescence17.

1.4. Domaine journalistique

12La chronique à visée journalistique se caractérise par sa brièveté (en opposition à l’essai), son immédiateté (en réaction à un événement), sa précision (appartenant à un domaine spécifique et limité) et sa catégorisation (apparaissant dans une rubrique spécifique). Martin Winckler se prête volontiers à cet exercice, via différents médias : à la radio, lorsqu’il anime une chronique sur France Inter entre 2002 et 2003 ou sur Arte Radio entre 2004 et 200718 ; sur Internet, lorsqu’il publie régulièrement des billets sur son blog Cavalier des touches19 depuis 2009 ou lorsqu’il parle, face caméra, de littérature ou de médecine20. Dans Légendes, la chronique touche aussi ce domaine, lorsqu’il s’agit de rendre compte de l’expérience du (jeune) lecteur, selon un principe assez commun de la littérature autobiographique et en particulier du récit de l’enfance. L’écrivain témoigne d’abord de son statut de lecteur, comme avant lui l’ont fait d’autres romanciers, comme Jean-Jacques Rousseau, Jean-Paul Sartre, Nathalie Sarraute, Michel Leiris ou encore Annie Ernaux21 ; c’est à cette occasion que le texte autobiographique devient chronique au sens journalistique du terme. En même temps qu’il livre ses souvenirs, l’écrivain fait une critique des récits, notamment de science-fiction, des bandes dessinées, des comics qu’il a l’habitude de lire ou la joie de découvrir, mais aussi des films, des émissions de télévision ou de radio qui l’ont marqué. Nul doute qu’il y ait là en germe l’attitude active et critique de réception plus tard bien connue de Martin Winckler.

1.5. Domaine médical

13Il convient également de rendre compte de l’emploi comme adjectif du terme « chronique », dans le domaine professionnel premier de Marc Zaffran, c’est-à-dire la médecine. Qualifiant une maladie ou une douleur, il réfère à une durée indéterminée mais longue. Dans ce cas, l’événement (la maladie) ou l’anormal (ce qui par nature est ponctuel) s’installent dans le temps et c’est ainsi que, par un retournement contre-nature, ce qui est une altération devient un état stable. L’affection chronique nécessite de la part du patient une réhabilitation à la vie : il faut faire le deuil de la bonne santé, accepter que la maladie va durer, que la guérison ne sera pas l’objectif et devoir se reconstruire un avenir dans lequel la relation patient/soignant est également altérée. Cette acception du terme « chronique » a évidemment une place de choix dans la restitution autobiographique de Légendes, qui retrace le parcours d’un futur soignant.

14Au terme de cette analyse lexicologique et sémantique, nous repérons déjà plusieurs échos intéressants avec la posture de l’écrivain telle qu’elle se dessine dans Légendes. La polysémie manifeste du mot « chronique » est corrélative de l’hétérogénéité de l’ouvrage et de l’écriture.

2. Perspectives énonciative et littéraire : écrire la chronique, chronique de l’écriture

15Lisons plus attentivement, dans ce deuxième temps, le texte de Légendes et intéressons-nous à la structure de l’ouvrage, afin d’observer dans quelle mesure écrire s’impose comme un acte.

2.1. Prendre conscience du temps, le temps de la chronique

16Le titre à lui seul, Légendes, interroge le rapport au temps. La légende, c’est d’abord, d’après l’adjectif verbal latin legenda, « les choses qui doivent être lues », une réalité plurielle, un mélange d’éléments historiques et imaginaires, qui peut inclure le « mythe » (muthos), lui purement fictif, comme l’illustre cette comparaison :

Le mythe débouche dans l’Histoire par l’intermédiaire de la légende, un peu comme le fleuve débouche dans la mer par l’intermédiaire de son estuaire22.

17Mais la légende, c’est aussi l’inscription précisant l’origine, le titre, l’auteur d’une image. Le récit autobiographique est une manière de « légender sa vie », d’annoter les images de l’enfance et de l’adolescence, exactement de la même manière que la mère de Marc Zaffran légende les albums de photos familiaux. À ceci près que la plupart des images dont il est question, et notamment toutes celles qui appartiennent au domaine intime, font défaut au lecteur. Tout l’intérêt de la chronique réside alors dans l’utilisation de l’écriture pour recréer ces moments, ces objets, ces instants, pour révéler ces images, à la manière des bains successifs d’un tirage argentique.

18Dans l’écriture elle-même, de nombreux procédés linguistiques et stylistiques témoignent d’une navigation très libre entre ce qui relève du discours et ce qui relève du récit, entre ce qui est dit et ce qui est raconté, comme l’usage d’énoncés performatifs ou l’utilisation de ruptures, qu’elles soient syntaxiques avec l’usage des parenthèses ou organisationnelles avec l’irruption de chapitres intitulés « Interludes ». La distorsion énonciative entre la première et la troisième personne du singulier s’avère à cet égard remarquable, en tant qu’elle autorise une démultiplication simultanée des instances émettrices du message. On en trouve des exemples notables dans les premiers chapitres intégrant la section « Fables », qui compilent les grands événements de la légende familiale. Dans le premier, « Enfance23 », sont relatés quelques épisodes de la très petite enfance (« sa mère l’allaite24 ») et il est compréhensible qu’ils s’inscrivent bien plus dans la légende familiale, ayant été maintes fois racontés par les adultes, que dans la mémoire seule du (très jeune) narrateur. Ce jeu, au sens mécanique du terme, entre le souvenir de l’événement vécu et la redite de l’histoire racontée est propice à des effets divers. On perçoit ainsi de l’ironie dans l’anecdote des « Mimosas25 », agissant grâce à la mise à distance temporelle et énonciative. La scène est relatée simultanément du point de vue du très jeune enfant innocent qui ne reconnaît pas un pot de fleurs déplacé, de la mère qui aime à raconter cette gaffe et du narrateur qui cristallise, par son récit, cet instant dans le présent de l’écriture.

19Dans un vase posé sur (un meuble ? un énorme poste de radio ? je persiste à voir un poste de télévision, mais mes parents n’avaient pas la télévision à Alger), il y a du mimosa en plastique. Ses fleurs sont très jaunes. Un jour, l’enfant entre dans le salon où la mère reçoit (ses sœurs ? ses amis ?). Par la fenêtre ouverte, il voit du mimosa dans un pot, sur le balcon. Il s’extasie : « Oh, comme elles sont belles ces fleurs, maman, on dirait les mêmes que… » Il se tourne vers le pot qui est vide. À son étonnement et à la réalisation que le mimosa du balcon n’est autre que celui du pot répond le rire tonitruant de sa mère. Le même rire avec lequel elle racontera plus tard l’histoire en concluant : « Il était vexé26 ! »

20Dans le chapitre « Illustrés27 », ce sont trois paragraphes, et finalement trois temps différents, autour d’une même activité, la lecture de bandes dessinées, qui produisent un effet de distance propice à une réflexion presque philosophique.

[…] le père, qui rentre de son travail, rapporte Bibi Fricotin ou les Pieds Nickelés. Il a acheté deux exemplaires du même magazine. Un pour chacun de ses deux garçons. […]

Plus tard, à l’adolescence, alors que le père lui demandera ce qu’il trouve dans les bandes dessinées, le fils répondra : « Tu n’en as jamais lu toi ? » […]

Aujourd’hui, s’il offre des illustrés à ses enfants, s’il est ému en les voyant découvrir ceux qu’il lisait à leur âge, c’est parce que, longtemps après avoir représenté les aventures trépidantes de personnages extraordinaires, les illustrés représentent une part d’enfance que l’on a envie de transmettre28.

21L’utilisation de la troisième personne et de temps verbaux ancrés dans le discours (présent, passé composé, futur simple) inscrivent les trois époques différentes de la vie (enfance, adolescence, âge adulte) dans une forme d’atemporalité, ce qui accentue l’idée centrale du chapitre, à savoir la transmission père/fils. C’est grâce à l’écriture que le clivage des époques et des générations est prodigieusement gommé pour délivrer une sorte de vérité générale, qui n’a pas besoin d’être affirmée par un je actualisé.

22La « jubilation de (se) raconter une histoire29 », est rendue possible par ce dédoublement énonciatif, comme dans cet extrait du troisième chapitre de la section, « Dje’ha » :

Mais il […] raconte [les histoires] aussi dans son bureau quand son fils vient le voir, après que le dernier patient a passé la porte et avant qu’il ne parte en visite sur les routes du Gâtinais. Le garçon s’assied sur le canapé qui sert de lit d’examen, son père lève les yeux du journal qu’il est en train de lire, la conversation s’engage sur des petits riens, et au détour d’une phrase, Ange sort un mouchoir de sa poche, ôte ses lunettes et, pendant qu’il les essuie, demande, sourire en coin : « Je t’ai déjà raconté l’histoire de l’homme qui était allergique à sa femme ? » et le visage de son fils s’illumine déjà, emporté par l’anticipation du plaisir… Comment s’étonner alors que le garçon aime, lui aussi, raconter des histoires30 ?

23La cristallisation d’époques différentes par l’acte d’écriture est ici vertigineuse, puisque l’on peut lire dans ces lignes à la fois l’anticipation du plaisir de l’enfant qui attend une histoire plus ou moins connue, qu’il sait par habitude savoureuse, la distance du narrateur adulte qui décrit la scène et le visage radieux de l’enfant de l’extérieur et l’ancrage au présent de l’activité même d’écriture.

24À l’exception d’un quatrième chapitre, « Histoires de pères31 », qui consiste en une transcription extradiégétique de deux histoires que le père, Ange, et la mère, Nelly, aiment raconter, tous les autres chapitres de la section « Fables » sont écrits à la première personne. Ils relatent des épisodes désormais devenus des souvenirs intériorisés, à l’âge où la mémoire se fait plus clairvoyante et plus conséquente, à l’âge de raison où il est possible de se créer ses propres souvenirs et de les inscrire dans sa propre légende et non plus de les emprunter à la légende familiale. Fait particulièrement frappant, le basculement entre ces deux stades de la construction de soi est métaphoriquement décrit avec précision dans le chapitre explicitement nommé « Zone de transit32 ». Un souvenir plus important que les autres va marquer cette transition vers un état de conscience plus efficient de son propre passé :

Ce genre d’histoire33 fait partie du folklore familial, des souvenirs plutôt gais d’une époque plutôt triste. Il y en a bien d’autres, qui me reviennent mais que je n’ai aucun plaisir à évoquer, et qui s’effacent devant un souvenir, tout à fait personnel et, à mes yeux, bien plus signifiant34

25À six ans et demi, le jeune Marc a pour la première fois « la responsabilité de [son] cadet », ses parents devant s’absenter une soirée :

Pour faire face à l’épreuve, je reste éveillé. Et, pour rester éveillé, je lis. C’est mon plus ancien souvenir de lecture. Qu’est-ce que je lis ? Je ne sais pas35.

26Ce que la légende familiale retient le plus et ce qui est avoué au retour des parents, c’est que l’enfant a brûlé son pull en voulant tamiser la lumière de sa lampe pour ne pas réveiller son frère. Mais ce que l’acte d’écriture de cet épisode met en lumière, c’est à quel point cet événement est fondateur :

La fiction protège de l’affliction. Temporairement, du moins. De là à dire que cette nuit d’angoisse a changé ma vie, il n’y a qu’un pas, et je m’empresse de le franchir d’autant plus allègrement que je n’y avais jamais pensé avant de le raconter. Même si ce n’est pas vrai, quel bonheur de pouvoir se dire, aujourd’hui, que ce soir-là, pour la première fois, la fiction est venue à mon secours36.

27Successivement dans ce récit, les termes « peur » et « angoisse » sont employés : la « peur », dans la première partie de l’extrait, est d’abord celle de l’enfant, sa réaction instinctive par rapport à l’événement vécu, à un fragment d’expérience ; l’« angoisse », dans la seconde partie, correspond plutôt à ce moment de la prise de conscience de l’événement par l’acte d’écriture. Elle suppose, par son sens plus philosophique et existentiel, de considérer l’épisode rétrospectivement, à la lumière d’une vie vécue, d’un tout, comme l’illustre cette mention : « Comme à de nombreuses autres reprises au cours de ma jeune vie, mon angoisse me fait provoquer une catastrophe37. »

28Progressivement les légendes ne sont plus celles qu’on lui raconte, mais celles qu’il peut raconter, soit pour les avoir vécues plus consciemment et pour les avoir explicitées par l’entreprise autobiographique, comme dans le cas évoqué du pull brûlé, soit pour les avoir lui-même inventées, comme à l’occasion d’un devoir scolaire vers l’âge de 10 ans, épisode transcrit dans le chapitre « Monsieur Berthier ».

C’est lui aussi, je crois (à moins que ça ne soit Mme Andrau ? mais leur aura, dans mon souvenir, est la même) qui, pour la première fois, me fait écrire une fiction. Un jour, il nous demande de raconter une après-midi chez notre grand-mère. Évidemment, je suis bien en peine de le faire : ma grand-mère Céleste est morte et repose en Algérie ; ma grand-mère Henriette, quand elle ne passe pas quelques semaine chez la tante Zizou ou chez nous dans la chambre du jardin, vit à Paris […]. En un mot comme en cent : je ne passe jamais l’après-midi chez ma grand-mère.

Alors j’invente.

Je m’invente une grand-mère toute habillée de noir, que je ne nomme pas, et dont je dis qu’elle est très gentille.

Je ne sais pas quelle note je reçois, ni quels commentaires M. Berthier met dans sa marge, mais ce souvenir n’est ni triste, ni gênant. Il contient au contraire un je-ne-sais-quoi de grisant : j’ai inventé une histoire, et, en l’écrivant, je l’ai fait passer pour vraie, ça me paraît tout naturel, personne ne m’en fait le reproche, je me sens bien38.

29Nous citons un large extrait du chapitre afin de mettre en avant l’enchaînement de plusieurs paragraphes, véritablement mimétique de la mise en œuvre d’un processus, par étapes. On entrevoit ici de quelle manière l’activité d’écrivain est en marche, la fictionnalisation l’emportant petit à petit sur l’histoire, dans un mouvement de plongée dans la littérature déjà évoqué dans la première partie de notre travail, à l’occasion de l’examen lexicologique du terme « chronique ».

30La prise de conscience du temps dans Légendes ne repose pas uniquement sur l’expérience psychologique et individuelle de l’histoire personnelle, elle émane également de la trame historique reconstituée, comme dans une véritable chronique, suivant le cours de l’Histoire. Il faut d’emblée remarquer que seuls les événements les plus mémorables font l’objet d’une mention ; il ne s’agit pas d’appuyer, de valider une chronologie qui se voudrait officielle ou collective, mais d’associer des faits marquants de l’Histoire à une intimité, à une focalisation interne. À l’époque de la jeune enfance, l’histoire familiale importe bien plus que l’Histoire, ce qui rend légitime le fait que l’assassinat de John Fitzgerald Kennedy soit d’abord mentionné par l’évocation intime d’une émotion, ressentie face à la grande tristesse de la mère dans le chapitre « Chambre d’enfant » :

Un matin, je me réveille brusquement. C’est dimanche, on aurait dû me laisser dormir, mais la porte est grande ouverte et dans la lumière se découpe une silhouette abattue. Assise au bord de mon lit, ma mère me regarde. Au moment où je me redresse, elle tend la main vers moi, me caresse la tête, et dit gravement : « Tu sais, hier, le président Kennedy a été assassiné. »

Je ne sais pas qui est le président Kennedy. Ma mère m’explique que c’est, que c’était un grand homme, et je comprends qu’il devait l’être, pour qu’elle vienne confier ce lourd chagrin à un enfant de mon âge. Dix ans plus tard, pendant mon année dans le Minnesota, j’entendrai beaucoup d’adultes me confier de manière détachée que tous les Américains de leur génération savent exactement ce qu’il faisaient, où ils étaient, et quel épisode de leur vie s’est brusquement interrompu quand ils ont appris la nouvelle. Et moi, je saurai exactement quel chagrin cache ce détachement apparent39.

31De même, pour ce qui concerne les événements de mai 68, auxquels quatre chapitres successifs font allusion de manière plus ou moins directe, l’Histoire reste en arrière-plan de la transcription d’épisodes intimes : l’introspection et la méditation rendues possibles par l’oisiveté au lycée déserté, dans le chapitre « Dieu, la mort et moi »40 ; l’amitié avec Opher, rencontré lors de cette année qualifiée de « fraternelle » dans le chapitre « Cinérama et littérature41 » ; le traumatisme profond suite à l’accident de Claudie dans le chapitre « L’accident42 » ; la fierté et le partage lors de la bar-mitzvah dans le chapitre « Sur la teba43 ». L’explication est simple : ces événements politiques et sociaux de mai 1968 ne préoccupent ni l’enfant de 13 ans ni ses parents ; dans le souvenir, ils valent finalement peu à côté des sentiments forts partagés avec les siens.

32Un événement ultérieur semble avoir plus d’importance dans la mémoire du narrateur :

C’est dans cette salle que nous nous réunissons tous, garçons et filles, au petit matin du 21 juillet 1969. Le ciel est clair et la pleine lune nous semble plus brillante qu’elle ne l’a jamais été. Nous sommes excités et fatigués de n’avoir pas dormi, nous frissonnons dans nos couvertures, et nos regards vont sans arrêt de la lune, dans l’encadrement de la porte-fenêtre, au téléviseur sur l’écran duquel Neil Armstrong fait ses premiers pas dans la poussière blanche44.

33Cet extrait est issu du chapitre « L’épopée d’Ashby » qui relate le premier voyage linguistique en Angleterre. L’écriture du souvenir permet de mettre en scène le regard cadré, de manière à retarder la mention explicite de l’événement, que le lecteur averti aura toutefois pu associer à la date. À la manière d’un montage de plusieurs plans successifs, comme dans un film ou une bande dessinée, on perçoit un redoublement du cadre et du point de vue, symbolique de la multiplicité des sources possibles pour transcrire l’événement ; c’est ainsi que l’on peut partager simultanément l’émerveillement de l’enfant qui observe le ciel (souvenir intime et individuel), de l’enfant qui regarde les images de la télévision (souvenir partagé par des millions de téléspectateurs), de l’adulte qui se souvient (souvenir retrouvé par l’acte d’écriture) et de l’écrivain complice du lecteur (souvenir créé par l’expérience de lecture).

34Deux autres faits historiques majeurs, plus douloureux, intègrent la chronologie de Légendes. La guerre d’Algérie est épisodiquement évoquée, perçue par les yeux du jeune enfant, elle est inhérente à la mythologie familiale et paternelle et sera plus largement un sujet central de Plumes d’Ange. Plus proche du lecteur et de l’acte d’écriture, les attentats du 11 septembre sont convoqués par l’intermédiaire d’un simple titre sur une page blanche, « New York, 11 septembre 200145 », qui fait, pour la seule fois, coïncider la date d’écriture et le biographique, à la manière du journal intime. Notons que ce chapitre est le seul dont le titre est aussi précis, d’autres titres évoquent des périodes, comme « Le voyage d’hiver » ou « Le bac46 », mais aucun avec une telle précision. Ce « vide » dans la rédaction, symptomatique du choc traumatique, interroge l’exercice de la chronique à deux égards : parce que l’actualité fait irruption, interrompt l’écriture, l’Histoire interrompt la fiction, comme une chronique journalistique dans la presse qui ne pourrait avoir lieu face à un événement d’une telle importance ; parce que la contemporanéité de l’acte d’écriture rend difficile, voire impossible, la mise en mots, comme le traitement dans les médias, abondamment nourri d’images redondantes, l’a prouvé47.

35La matière chronologique de la chronique est donc présente dans Légendes, mais l’œuvre suppose une opération de subjectivisation de l’Histoire, puisque seuls les événements rattachés à un souvenir personnel et intime nous font accéder au souvenir de l’événement lui-même.

2.2. L’espace de la chronique

36Fragments reconstitués en un tout, celui de l’ouvrage-livre, le texte de Légendes a nécessité pour sa publication une construction, une ré-appropriation du texte déjà écrit, qui a pris la forme d’un classement, derrière lequel point à nouveau l’influence de Georges Perec.

37La première forme de classement concerne les « preuves » collectées pour la transcription autobiographique. Mais « classement » ne signifie pas essentiellement « ordre » ; si l’on peut lire dans Légendes le souci constant du classement des livres, des lettres, des photos, des cassettes, le risque de perdre ou de mélanger les documents n’est pas écarté, bien au contraire. Plusieurs chapitres traitent d’ailleurs de cet aléa, qui corrompt également l’écoute des archives audio recueillant la voix d’Ange préalable à la rédaction de Plumes d’Ange48. Si le classement matériel fait l’objet d’un soin tout particulier, largement décrit, ce n’est pas tant pour en vanter l’efficacité que pour en signaler l’importance, comme dans les chapitres « L’ouverture dans la muraille49 », pour attester des fictions lues ou écrites, ou « Les diapos50 », pour partager les astuces de rangement des photographies. Il s’agit là plutôt d’une attitude de collectionneur que d’archiviste, collectionneur des traces de son propre passé, pouvant témoigner que ce puzzle est encore en devenir, une pièce pouvant toujours être déplacée, donnée ou remplacée.

38Cette « manie » taxinomique s’avère moins compulsive et systématique que celle de Georges Perec, mais elle est un enjeu crucial pour l’acte d’écriture lui-même, et pour Légendes plus particulièrement. Cet extrait du « Préambule » avertit ainsi le lecteur :

Quand j’ai entrepris d’organiser mes fictions, je les ai d’abord classées par « genre » (films, livres, bandes dessinées, disques et pièces radiophoniques, programmes de télévision, histoires réinventées, histoires écrites). Mais je voulais signifier aussi la manière dont ces genres avaient agi (agissent encore) sur moi, dont j’agis sur eux. Après de nombreux tâtonnements, j’ai fini par donner à mes catégories des titres qui ont le mérite d’être polysémiques […]. La liste, à elle seule, ne constituait pas un ordre. D’abord, certaines de mes fictions pouvaient appartenir à plusieurs catégories. Ensuite, même si je ne voulais pas m’en tenir à la chronologie (« les fictions sont intemporelles », écrivais-je à la fin d’une première version de ce texte-ci), je ne pouvais pas l’ignorer complètement. […] Dans l’espace infini où je vagabonde, je me repère dans le lieu (flou), la date (approximative), le genre (arbitraire)51.

39Les repères sont imparfaits, mais ils sont tout de même des curseurs valables pour l’écriture et la lecture, et ce sont au final quinze catégories génériques ou thématiques qui permettent de classifier les nombreux chapitres. Nous nous prêtons ici à une autre forme d’organisation de ces catégories, par pertinence, en mentionnant le nombre de chapitres concernés, classement qui aurait pu apparaître en annexe pour entrer dans différemment dans l’ouvrage :

40Fables : 42

41Sens : 36

42Voix : 34

43Traces : 31

44Pages : 26

45Corps : 22

46Reflets : 16

47Lieux : 15

48Clichés : 13

49Songes : 13

50Toiles : 12

51Bras : 10

52Cases : 8

53Quêtes et pertes : 6

54Chambres : 2

55Le très grand nombre de chapitres intégrant la section « Fables » n’est pas sans confirmer l’idée que l’écriture de l’histoire personnelle repose sur une relecture de la fable familiale. Il est difficile de dégager des sèmes communs de l’hétérogénéité des entrées proposées, preuve que la reprise des épisodes pour le livre obéit à un projet plus romanesque que biographique.

56Une autre manière de catégoriser le texte est de l’inscrire dans le lieu. Succède au préambule un chapitre dont le titre ne doit pas méprendre : certes, « Chronologie » constitue un abrégé biographique des différentes étapes de la vie, mais compose surtout une « topographie », puisque chaque période est définie par le lieu de vie et non par l’âge ou les classes scolaires. Presque tous les chapitres débutent par la mention d’un ou deux lieux entre parenthèses, apparaissant avant même la date, qui peut être approximative, alors que les lieux sont toujours précis : Pithiviers, ville de la maison familiale et de la plus grande partie de la jeunesse, Londres, Bloomington ou encore Tourmens (lieu de l’imaginaire, de la liberté diégétique52). Ces différents lieux forment une sorte de cartographie intime, mais objective pour le lecteur, et rendent compte des faits en même temps que du lieu du souvenir et/ou de l’écrit, du lieu imaginaire et/ou du vécu, de la même manière que le marquage historique reposait d’abord sur une perception intime des événements.

57Si le classement importe, il ne repose pas, comme chez Georges Perec, sur un désir d’épuisement du monde, sur la volonté de combler le vide de la mémoire par l’accumulation, comme il est précisé dans Penser/Classer :

entre l’exhaustif et l’inachevé, l’énumération me semble ainsi être, avant toute pensée (et avant tout classement), la marque même de ce besoin de nommer et de réunir sans lequel le monde (« la vie ») resterait pour nous sans repères53

58Chez Martin Winckler, il semble que le renvoi, plus que l’inventaire, soit associé avant tout à un désir de transmission, plutôt que de reconstruction.

2.3. L’objet de la chronique

59La chronique est un texte spécifique, différent d’un texte fleuve ou d’un récit libre pour lequel la narration des événements va engendrer une continuité. Son objet ponctuel la détermine et la délimite, tout en fragmentant l’acte d’écriture. Il est intéressant de noter que dans Légendes, l’« objet » est tout aussi intellectuel que matériel et que presque toujours, c’est un objet réel, une chose concrète qui enclenche le processus de mémorisation puis de narration. Si la convocation de la mémoire passait par la sensation et par le corps chez Marcel Proust ou par le rêve et l’inconscient chez les surréalistes à la suite des travaux de Sigmund Freud, elle est conforme chez Martin Winckler aux expériences oulipiennes de recensement et d’attachement au tangible et au physique54. Cette collecte d’objets est assez caractéristique de la mutation culturelle du xxe siècle, participant à la constitution de ce qu’on peut appeler la « culture populaire » ; Légendes peut aussi apparaître comme une somme de chroniques culturelles, rendant compte de la production littéraire, cinématographique, télévisuelle ou musicale d’une époque, d’une tranche d’âge, d’une catégorie sociale. La chronique a donc une double fonction : elle sert le travail de reconstitution de la mémoire individuelle et intime et elle devient également collective et populaire.

60La publication en feuilletons a un effet supplémentaire : le fragment publié devient lui aussi un « objet », d’autant plus qu’il profite, pour sa première édition, de l’immédiateté du média numérique. Le texte exerce une prise sur le passé, qu’il convoque pour alimenter la narration, mais aussi sur le présent, qui peut subir des rectifications, des ajouts, en fonction des réactions des internautes. On en veut pour preuves ces appels au lecteur, plus fréquents l’œuvre avançant, parce que le dialogue s’est progressivement mis en place. Quand le souvenir est imparfait ou allusif, quand il manque au narrateur une précision sur un objet médiatique (le nom d’une bande dessinée ou d’un acteur), la reprise des fragments pour la publication intégrale permet d’intégrer des éléments postérieurs. La chronique, et par extension l’écriture de soi, est donc pleinement ancrée dans le champ culturel et collectif, plutôt que restreinte au champ intime et domestique. Citons ces exemples :

Je n’arrivais pas à me replonger dans [l’année passée en Amérique]. Je n’arrivais pas non plus à comprendre d’où venaient ces difficultés. Je n’avais pourtant pas eu d’hésitation à remonter beaucoup plus loin ; je m’étais même amusé à explorer un passé ancien plus ambigu, plus sujet à caution, en énonçant ce dont je croyais me souvenir et en recevant, au fil de la publication sur le site de POL, des messages d’inconnus ou d’amis corrigeant mes erreurs, répondant à mes questions implicites, précisant mes approximations55.

Je me suis souvent demandé d’où venait ce nom56, que je ne parvenais à rapporter à aucune influence consciente. Jusqu’à hier soir, 28 novembre 2001, deux heures après avoir rédigé le paragraphe qui précède (je vous jure que c’est vrai !)57.

Brusquement, j’abandonne le clavier er je me lève, pour sortir d’une de mes étagères un porte-document à chemises transparentes où je conserve beaucoup de vestiges de l’Amérique et de mes premières années de fac […].

En relisant la liste, je vois apparaître des visages oubliés, je me remémore ceux que j’ai revus depuis 1972, je me demande ce que sont devenus les autres… et je me prends à rêver que, malgré les inévitables coquilles, erreurs, fautes de frappe et surcharge qui m’empêchent d’en relire certains, un lecteur, une lectrice de ce livre, en lisant ici le nom de mes camarades […], reconnaîtra l’un deux (se reconnaîtra parmi eux et lui rappellera (ou se souviendra) du signe de la main que j’ai voulu lui faire, il y a trente ans, avec l’une de mes cent trente et une cartes postales du Minnesota58

61On souligne l’importance de l’aveu de vérité, gage du respect du pacte autobiographique, mais on remarque surtout l’irruption du temps présent, qui invite le lecteur à percevoir l’écrivain à sa table, dans une situation de communication directe, comme si le narrateur éprouvait parfois le besoin de dire « Je suis en train d’écrire, tu es en train de me lire ». Écrire est un acte, il se manifeste comme tel et est affirmé comme tel. Mais, dans la perspective de notre entrée dans l’œuvre par l’intermédiaire de la « chronique », et plus particulièrement du dernier sème de ce terme explicité dans la première partie, il convient également d’observer le passage de cet acte à un état plus permanent, à un devenir.

3. Perspective ontologique : écrire est une condition

62Comment l’expérience autobiographique et la contrainte de l’écriture fragmentée révèlent un état particulier et s’inscrivent dans une continuité ? Comment Légendes retrace le parcours d’un écrivain et parvient à instaurer une figure d’un homme de l’écrit ?

3.1. De l’homme à l’œuvre, « être écrivant »

63Il est délicat d’entrer dans les méandres du processus psychologique très complexe (et très intime) qui conduit un enfant ou un adolescent à écrire, ou un médecin à devenir écrivain, d’autant plus que Martin Winckler se désigne plus volontiers comme un « écrivant », et qu’en tant que tel, pour paraphraser Roland Barthes, il ne supporterait pas que l’on psychanalyse son écriture59. Si ces considérations dépassent notre propos, il est toutefois intéressant de s’arrêter sur le choix de ce terme et sur sa revendication, évoquée de la sorte dans Légendes : « Quand je raconte “mon prof de français de première”, je dis en général : “c’est la première personne qui m’a reconnu écrivant60” ». La distinction commune entre « écrivant » et « écrivain » veut que le premier exerce un métier, accomplit une tâche, à la manière d’un artisan, alors que le second est un artiste, exerce un art. Martin Winckler adhère à cette différenciation, en la nourrissant d’une forte charge culturelle et sociale ; il refuse même le terme d’écrivain car :

il est pétri de connotations culturelles aussi anciennes – et chargées – qu’un portrait de Louis XIV. Les écrivains ne font pas partie du commun des mortels. Autrement dit, ce qui me gêne, dans le mot « écrivain », c’est toute sa charge d’élitisme, et le rapport de classe61.

64La définition proposée par Roland Barthes repose sur une analyse lexicale opportune, pour distinguer l’écrivain, dans sa qualité de substantif, pour sa fonction, qui lui permet d’accéder à un statut, des écrivants, qui « sont des hommes transitifs ; ils posent une fin (témoigner, expliquer, enseigner) dont la parole n'est qu'un moyen ; pour eux, la parole supporte un faire, elle ne le constitue pas62. » L’acte de l’écrivain, lui, s’inscrit dans son objet même, qui finit par l’absorber et lui octroyer une condition. Et Martin Winckler de trancher ainsi :

depuis quelques années, je dis que je suis écrivant. J’aime ce mot parce qu’il est descriptif, sonne bizarre et n’a pas de statut.

Autant dire qu’il a mauvais genre. Et ça me convient très bien63.

65Ce choix n’est peut-être pas si inopiné qu’il n’y paraît à la lumière de notre analyse du rapport au temps. Le terme « écrivant » peut appartenir à plusieurs catégories grammaticales. Il peut être participe présent, porteur d’une valeur aspectuelle inaccomplie et non sécante, c’est-à-dire que le procès qu’il désigne est envisagé de l’intérieur, sans perception de ses limites initiales et finales. En tant que substantif, comme dans la définition de Roland Barthes, il n’est pas, dans son emploi, si éloigné d’« écrivain ». Comme dans la citation de Martin Winckler, il admet une fonction attribut et éventuellement un emploi adjectival que la mention « il est descriptif » met en évidence. Dans ce cas, il a plutôt une valeur non-classifiante, c’est-à-dire qu’il réfère à une qualité d’abord appréciée par le locuteur, de manière subjective. Soulignons également qu’« écrivant » semble supporte plus volontiers la flexion du genre (« écrivante ») qu’« écrivain » (« écrivaine »), proscrit par l’Académie Française64. Enfin, l’emploi comme gérondif, « en écrivant », revêt une importance toute particulière pour Martin Winckler sur laquelle il convient de s’arrêter.

3.2. De l’homme à l’homme : « en écrivant »

66Rappelons que le gérondif est un mode non-personnel du verbe, non marqué par une valeur temporelle, mais par une valeur circonstancielle de simultanéité, de coïncidence. À l’instar du titre de l’ouvrage de Julien Gracq En lisant en écrivant65 qui propose une réflexion sur le statut de l’écrivain, à la fois émetteur et récepteur du texte, Martin Winckler rédige en 2000 En soignant, en écrivant66, et affirme la co-référentialité des deux procès qui se rapportent à la même instance : celui qui écrit, c’est celui qui soigne et réciproquement, celui qui soigne, c’est celui qui écrit. Dans cette simultanéité, l’acte d’écrire et l’acte de soigner s’éclairent mutuellement, y compris dans leur rapport au temps. Écrire est d’abord à envisager comme un acte, un acte performatif, qui réalise une action par le fait même de son énonciation, ce qui confère d’ailleurs parfois une lourde charge à celui qui assume cet acte, comme en témoigne l’anecdote relatée dans le chapitre « Certificat » :

je me dis que ce monde-ci est un drôle de monde, dans lequel il faut qu’un médecin affirme la mort par écrit.

Tout médecin que j’étais, j’avais bien du mal à affirmer, et d’abord à admettre la mort brutale, imprévisible et injustifiable de cet homme.

Parce que j’avais peur d’écrire pour lui le mot FIN67.

67Dans la perspective autobiographique et chronique, nous avons vu comment l’écriture du souvenir permet de l’actualiser dans le présent de l’écriture de la chronique. La contrainte du fragment, la forme de la chronique et l’interpénétration du discours dans le récit empêchent de cristalliser le souvenir dans un état de constatation, dans un narratif distancié. Mais cet acte n’est-il que ponctuel ? Par comparaison, comme invite à le faire le titre cité, l’acte de soigner inscrit la relation patient/soignant à la fois dans la ponctualité (au moment de l’auscultation, de la visite, du diagnostic, qui sont des temps extrêmement ritualisés) et dans la durée (par la confiance instaurée avec le « médecin traitant » par exemple). Martin Winckler développe dans En soignant en écrivant une opposition entre deux formes de médecine : l’une, « réduite » à l’acte, technique, efficiente et fortement socialisée, qui vise à nier cette durée et qui conduit à l’objectivation de la relation entre le patient et le soignant ; l’autre, plus mythique, philosophique, existentielle, qui envisage pleinement le paramètre de cette durée et qui finit par s’éloigner de l’acte pour toucher à l’être. Dans Légendes, ouvrage lui-même en liaison avec Plumes d’Ange, on perçoit à quel point il importe de mettre sans cesse en résonance le fragment par rapport au tout, dans un continuum, de la même manière que le nécessite la quantité des épisodes composant les saisons des séries. C’est à cette condition que l’acte ponctuel d’écrire est garant d’une trace ; tout comme le dossier ou l’ordonnance rédigés par le médecin assurent la pérennité du vécu du patient et de sa relation avec le soignant, l’écriture quotidienne permet à l’écrivant d’ancrer son être dans la continuité de son propre devenir. Vecteurs du rapport à l’autre et du rapport à soi, l’écriture et le soin se chargent ainsi d’une forte charge romanesque, puisqu’ils aident à l’affirmation de l’être, qualité résumée dans cette formule « J’écris pour ne pas oublier qui je suis68. »

68Roland Barthes définit les écrivants comme des « hommes transitifs », on mesure à quel point cette disposition à la transmission, à la circulation de la parole, est primordiale dans l’entreprise autobiographique de Légendes et plus généralement dans la démarche littéraire de Martin Winckler69. C’est par la même relation à l’autre que le couple soignant/patient et le couple écrivant/lecteur se définissent, par cette même relation qui peut devenir réciproque : le soignant peut devenir patient (processus décrit dans La Maladie de Sachs70), l’écrivant est d’abord lecteur des légendes qui le construisent (« j’ai grandi dans la fiction71 ») avant de construire ses propres légendes.

69Au terme de cette étude, une dernière piste encore inexplorée demeure, celle de la référence mythologique, qui éclaire peut-être encore la notion de « chronique » d’une autre lumière. Cronos, assimilé à Saturne dans la mythologie romaine, est un des Titans, « le plus terrible des enfants » d’après la Théogonie d’Hésiode, fils d’Ouranos et de Gaïa. Il tue son père et avale ses enfants et aspire par la cruauté de ses actes à la négation de toute continuité temporelle, sans ascendance ni descendance. La mort qu’il répand pour les générations antérieure et postérieure l’inscrit dans le seul instant présent, le synchronique. Habituellement représenté sous les traits d’un vieil homme, Chronos, lui, est la représentation allégorique du temps que l’on peut compter, s’approprier, maîtriser. Au contraire de son homonyme, il est un dieu cosmogonique, qui engendre toutes choses, force de vie et de transmission72. La confusion parfois opérée entre ces deux créatures, n’est pas sans gager de la richesse sémantique de l’homonymie et révèle l’irrépressible tension entre l’être et le devenir (ou l’avoir été). Considérée doublement en tant que texte et en tant qu’acte d’écriture, la chronique autorise le lecteur à accéder au processus de rédaction, à la composition du texte et en même temps qu’à la constitution progressive du rapport au temps. Par les fragments d’écrits, il suit l’évolution du rapport au temps au fil des âges.

70Les légendes du narrateur, qu’elles soient historiques, autobiographiques ou fictives, affleurent toutes ensemble dans le tout recomposé, dans un « mouvement brownien73 », incessant et aléatoire ; l’acte de rédaction leur donne un sens, qui s’avère beaucoup plus important qu’un ordre. La fictionnalisation des souvenirs ne vient pas d’un étayage narratif, qui passerait par des digressions, des ajouts ou une glose, mais bien de la fragmentation puisque ce sont finalement les blancs, les non-dits et les manques qui laissent cours à l’imagination, de l’auteur et du lecteur, et qui recréent ainsi aussi imparfaitement qu’intimement les différents objets culturels partagés par une même génération. Terminons avec cette citation de Jacques Prévert qui signale un miracle semblable, ce miracle d’un « immédiat d’autrefois », d’un fragment, d’un instantané inscrit dans la pérennité de la mémoire et de l’histoire, rendu possible par l’art de la photographie d’Israël Bidermanas, dit Izis :

 La caméra d’Izis, c’est une boîte magique. Dès qu’il l’ouvre, cette boîte, surgissent êtres et choses qui se développent, s’épanouissent comme des fleurs de la bimbeloterie japonaise jetées dans un verre d’eau et instantanément deviennent êtres et choses d’un immédiat d’autrefois. Très vite, plus tard, couchés sur le papier, ils semblent dormir, une fois le livre fermé. Mais le lecteur ouvre le livre et les réveille et les fait aller et venir, vivre à sa guise, et, même s’il ne les a jamais vus, les reconnaît74.

71Il est en de même des Légendes de Martin Winckler.

Bibliographie

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Notes

1  Martin Winckler, Légendes, Paris, Gallimard, « Folio », 2003 [P.O.L., 2002].

2  Georges Perec, W ou le Souvenir d'enfance, Paris, Denoël, 1975 ; La Vie mode d’emploi, Paris, Hachette, 1978 ; Le Condottière, Paris, éditions du Seuil, 2012.

3  Raymond Aron, Dimensions de la conscience historique, Paris, Plon, 1964, p. 5.

4  Cf. par exemple les travaux de Philippe Lejeune, L'Autobiographie en France, Paris, Armand Colin, coll. « U2 », 1971 ; Le Pacte autobiographique, Paris, éditions du Seuil, 1975.

5  Martin Winckler, op. cit., p. 16.

6  Pour plus d’éléments sur cette opposition, nous renvoyons à cet article de Bernard Guenée : « Histoires, annales, chroniques. Essai sur les genres historiques au Moyen Âge », Annales. Économies, Sociétés, Civilisations, 28e année, n° 4, 1973. p. 997-1016. En ligne : DOI : 10.3406/ahess.1973.293399 ; URL : </web/revues/home/prescript/article/ahess_0395-2649_1973_num_28_4_293399> (consulté le 10 septembre 2014). On peut aussi se référer à Charles-Olivier Carbonell, « Pour une histoire de l’historiographie ». En ligne : URL : <http://www.culturahistorica.es/carbonell/historiographie.pdf> (consulté le 10 septembre 2014).

7  Cf. les travaux de Georg Lukàcs, Le Roman historique, Paris, Payot & Rivages, 2000 [1937].

8  Stendhal, Le Rouge et le Noir, Chronique du xixe siècle, Paris, Levasseur, 1830 ; La Chartreuse de Parme, Paris, Ambroise Dupont, 1839 ; Chroniques italiennes, Paris, Michel Lévy Frères, 1855.

9  Prosper Mérimée, Chronique du règne de Charles IX, Paris, Charpentier, 1842.

10  Georges Duhamel, Chronique des Pasquier, Paris, Mercure de France, 1933-1945.

11  Jean Giono, Chroniques romanesques, Paris, Gallimard, 1962.

12 En ligne : URL : <http://www.magazine-litteraire.com/critique/fiction/chroniques-romanesques-jean-giono-28-12-2010-35827> (consulté le 10 septembre 2014).

13  Pierre-Louis Rey, Le Roman, Paris, Hachette, 1992, p. 22.

14  Gérard Genette, Palimpsestes, Paris, éditions du Seuil, 1982, p. 341-342.

15  Op. cit., p. 341-343.

16  Ibid., p. 344-346 et p. 347-350. Remarquons que même si la mention « à suivre… » clôt ces deux chapitres, il n’y aura pas de chapitre conclusif, intitulé « Secrets, fin », comme il peut arriver pour d’autres thèmes plusieurs fois déclinés. Ce domaine reste amplement à explorer, comme c’est le cas dans Plumes d’Ange, deuxième opus du projet autobiographique de Martin Winckler.

17  Ibid., p. 344-345.

18  Notons que là aussi, comme pour Légendes, ces interventions fragmentées donnent lieu à des publications. Liste des chroniques pour France Inter disponible en ligne : URL : <http://martinwinckler.com/spip.php?article25> (consulté le 10 septembre 2014). Liste des chroniques pour Arte Radio disponible en ligne : URL : <http://martinwinckler.com/spip.php?rubrique22> (consulté le 10 septembre 2014).

19  URL : <http://wincklersblog.blogspot.fr> (consulté le 10 septembre 2014).

20  URL : <http://martinwinckler.com/spip.php?rubrique46> (consulté le 10 septembre 2014).

21  Jean-Jacques Rousseau, Les Confessions, 1762 ; Michel Leiris, L’Âge d’homme, Paris, Gallimard, 1939 ; Jean-Paul Sartre, Les Mots, Paris, Gallimard, 1964 ; Annie Ernaux, La Place, Paris, Gallimard, 1983 ; Nathalie Sarraute, Enfance, Paris, Gallimard, 1983.

22  Dictionnaire culturel de la mythologie gréco-latine, sous la dir. de René Martin, Paris, Nathan, 1992, p. 260.

23  Op. cit., p. 26-29.

24  Ibid., p. 27.

25  Ibid., p. 28-29.

26  Ibid.

27  Ibid., p. 48-49.

28  Ibid.

29  Ibid., p. 58.

30  Ibid., p. 57-58.

31  Ibid. p. 61-63.

32  Ibid., p. 80-83.

33  Pour être revenu de l’école une fois de plus sali et trempé, le frère est puni par la mère à « sécher » au soleil, tel un épouvantail.

34  Ibid., p. 81.

35  Ibid., p. 82.

36  Ibid., p. 83.

37  Ibid., p. 82.

38  Ibid., p. 145-146.

39  Ibid., p. 110.

40  Ibid., p. 265-267. Voici les premières phrases de ce chapitre : « Elle est bizarre, l’année 1968. Ma classe de quatrième s’est terminée en queue de poisson : pendant plusieurs semaines, au mois de mai, le lycée a été désert. Alors que la plupart des élèves s’abstiennent d’assister à des cours que les profs n’assurent pas, mes parents tiennent à ce que j’aille au lycée. » Ce vide est propice à la réflexion, à un âge où la conscience de la mort, de soi et des siens, est plus affirmée. Si le chapitre amorce une réflexion sur la religion, encore une fois, c’est la fiction qui apparaît pour l’adolescent comme le meilleur réconfort, puisque « Dieu se tait. [Ses] compagnons de fiction, eux, ne restent pas silencieux. »

41  Ibid., p. 268-270.

42  Ibid., p. 271-272. Face au choc de l’événement, la mémoire fait défaut : « En avril ou mai 1968 (je ne suis pas sûr de la date, et mes incertitudes au sujet de tout l’événement me font même douter de l’année), Claudie est victime d’un accident de voiture. […] Ce qui me frappe aujourd’hui, c’est le blanc, le vide qu’il y a dans ma mémoire autour de cet accident. »

43  Ibid., p. 273-277.

44  Ibid., p. 314.

45  Ibid., p. 41.

46  Ibid., p. 92-94 et p. 406-408.

47  D’autres choix artistiques révèlent une incapacité similaire à s’exprimer à la suite de cette journée. On pense notamment à la saisissante couverture d’Art Spiegelman pour The New Yorker, le 24 septembre 2001, dessinant les silhouettes des tours sur un fond noir. En ligne : URL : <http://www.newyorker.com/news/news-desk/cover-story-ten-years-since-black-on-black> (consulté le 30 septembre 2014). Les cinéastes Claude Lelouch et Alejandro Gonzáles Iñárritu proposent eux une interprétation muette et/ou vide d’images des événements dans le film collectif 11'09"01 – September 11, France, 2002.

48  Citons cet extrait du début de l’œuvre qui explique la mise en œuvre du projet d’écriture : « Depuis plusieurs semaines, sentant approcher le moment où je devrais me mettre à écrire ce livre, j’ai eu envie de réentendre sa voix.

49  Ibid., p. 351-352.

50  Ibid., p. 433-436.

51  Ibid., p. 15-16.

52  Pour mieux mesurer toute la puissance évocatrice de ce repère d’une géographie mentale intime, on renvoie à l’article « Tourmens, la ville de tous mes romans », paru sur le blog Cavalier des touches, 12 novembre 2009. En ligne : URL :<http://wincklersblog.blogspot.fr/2009/11/tourmens-la-ville-de-tous-mes-romans.html> (consulté le 10 septembre 2014).

53  Georges Perec, « Les joies ineffables de l’énumération », Penser/Classer, Paris, Hachette, 1985, p. 167.

54  C’est grâce aux objets finement observés, photographies, textes, lieux, que la mémoire est activée chez Georges Perec, dans une démarche analytique, visant un travail de reconstitution et d’enquête. Cf. par exemple, Espèces d’espaces, Paris, Galilée, 1974 ; Tentative d’épuisement d’un lieu parisien, Paris, Christian Bourgeois, 1982.

55  Op. cit., p. 416.

56  Ibid., p. 370. Il s’agit du nom d’un personnage féminin que l’adolescent crée dans une de ses nouvelles de science-fiction, « d’une femme. De LA femme [qui] se nomme Rhyna. »

57  Ibid.

58  Ibid., p. 438-440.

59  Roland Barthes qualifie l’écrivant en précisant que « son projet de communication est naïf :il n’admet pas que son message se retourne et se ferme sur lui-même, et qu’on puisse y lire, d’une façon diacritique, autre chose que ce qu’il veut dire : quel écrivant supporterait que l’on psychanalyse son écriture ? Il considère que sa parole met fin à une ambiguïté du monde, institue une explication irréversible (même s’il l’admet provisoire), ou une information incontestable (même s’il se veut modeste enseignant). » Roland Barthes, « Écrivains et écrivants », Essais critiques, Paris, éditions du Seuil, 1964, p. 151-152.

60  Ibid., p. 363. Notons la coïncidence de l’emploi de ce terme avec le « diagnostic » opéré par le professionnel, le professeur de littérature, qui file la comparaison entre le domaine littéraire et le domaine médical dont il est question dans la suite de notre article.

61  « Le métier d’écrivant, un feuilleton inédit (1) : Quatrième. Accueil. Précision. Lectures, 1/2 », article du blog Cavalier des Touches, 18 décembre 2013. En ligne : URL : < Le métier d'écrivant, un feuilleton inédit (1) : Quatrième. Accueil. Précision. Lectures, 1/2> (consulté le 10 septembre 2014). On pourra consulter les autres articles de cette section.

62  Roland Barthes, op. cit.

63  « Le métier d’écrivant, un feuilleton inédit (1) : Quatrième. Accueil. Précision. Lectures, 1/2 », article du blog Cavalier des Touches, 18 décembre 2013. En ligne : URL : < Le métier d'écrivant, un feuilleton inédit (1) : Quatrième. Accueil. Précision. Lectures, 1/2> (consulté le 10 septembre 2014).

64  Cf. les fiches respectives de ces deux termes de la version numérique du Trésor de la Langue Française. En ligne : « écrivain » : URL : <http://www.cnrtl.fr/definition/écrivain ; « écrivant » : URL : <http://www.cnrtl.fr/definition/écrivant> (consulté le 10 septembre 2014).

65  Julien Gracq, En lisant en écrivant, Paris, José Corti, 1980.

66  Martin Winckler, En soignant en écrivant, Montpellier, Indigène édition, 2000.

67  Roland Barthes, op. cit., p. 89.

68  Martin Winckler, op. cit., p. 9.

69  On trouve plusieurs réflexions à ce sujet dans le chapitre « Témoin à gage », En soignant, en écrivant, op. cit., p. 161-173.

70  Martin Winckler, La Maladie de Sachs, P.O.L., Paris, 1998.

71  Martin Winckler, Légendes, op. cit., p. 14.

72  Pour plus de précisions, on se réfère à Michèle Simondon, « Le temps, ”père de toutes choses”, Chronos – Kronos », Annales de Bretagne et des pays de l'Ouest, Tome 83, n° 2, 1976, p. 223-232. En ligne : DOI : 10.3406/abpo.1976.2806 ; URL : </web/revues/home/prescript/article/abpo_0399-0826_1976_num_83_2_2806> (consulté le 10 septembre 2014).

73  Op. cit., p. 16.

74  Jacques Prévert, « Grand bal du printemps », Œuvres complètes I, Paris, La Pléiade, p. 652-653, [La Guilde du Livre, 1951].

Pour citer ce document

Vanessa Loubet-Poëtte, «De la chronique à l’écriture chronique, étude du rapport au temps et à l’acte d’écriture dans Légendes1 de Martin Winckler», Les Cahiers de Didactique des Lettres [En ligne], Varia, Les œuvres plurielles de Martin Winckler, mis à jour le : 23/12/2014, URL : https://revues.univ-pau.fr:443/ca/index.php?id=308.

Quelques mots à propos de :  Vanessa Loubet-Poëtte