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Lineas
Revue interdisciplinaire d'études hispaniques

| 2017 Partie III - Les récits de filiation : entre quête familiale et investigation historique

Julie Herbreteau

Une histoire de famille : Jordi Solé Tura conté par son fils Albert Solé dans le film Bucarest, la memoria perdida (2008)

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Dans son premier long métrage intitulé Bucarest, la memoria perdida (2008), Albert Solé retrace le parcours de son père Jordi Solé Tura, dont il évoque l’engagement politique au sein de la lutte communiste contre la Dictature franquiste et le rôle joué durant les années de Transition démocratique. Albert Solé livre son regard dans ce portrait cinématographique dont il assume également la narration, prêtant ainsi au film documentaire son caractère autobiographique. À travers le portrait de son père, c’est aussi une quête de ses origines qu’entame Albert Solé. Le récit de l’histoire familiale et celui des événements politiques se confondent, rendant compte de l’existence d’une frontière ténue entre la sphère privée et publique. Il s’agit donc de mettre en évidence la porosité de cette frontière qui nous invite à repenser le concept de famille.

En su primer largometraje Bucarest, la memoria perdida (2008), Albert Solé evoca el itinerario de su padre Jordi Solé Tura y saca a luz su compromiso político en la lucha comunista contra la Dictadura franquista y el papel que cumplió durante la Transición a la democracia. Albert Solé transmite su mirada en este retrato cinematográfico en el que también asume la narración, confiriéndole así a la película documental su carácter autobiográfico. A través del retrato de su padre, Albert Solé indaga también sus orígenes. El relato de la historia familiar y el de los acontecimientos políticos se confunden para dar cuenta de la existencia de una frontera ínfima entre la esfera privada y pública. Por lo tanto, se trata de poner en evidencia la porosidad de dicha frontera que nos invita a cuestionar el concepto de familia.

Texte intégral

  • 1 Jean-Luc Lioult, À l’enseigne du réel. Penser le docum...

  • 2 L’importance de la production cinématographique docume...

1Si les caractéristiques esthétiques, formelles et narratives du cinéma documentaire ont fait l’objet de nombreux travaux (François Niney, Guy Gauthier, Jean-Luc Lioult, Josep María Catalá, Josetxo Cerdán, notamment), la définition des spécificités de ce genre cinématographique ne constitue pas pour autant une tâche aisée, au regard de la richesse et de la diversité de sa production. Néanmoins, c’est certainement en ce que le film documentaire se distingue du film de fiction que ce genre cinématographique trouve ses caractéristiques inhérentes, à savoir sa façon d’appréhender et de représenter le réel, dans un récit filmique à visée didactique. Le film documentaire a pour objet un sujet réel, que le réalisateur cherche à faire connaître, découvrir ou redécouvrir à ses spectateurs, en convoquant différentes sources, comme des documents d’archives (photographiques ou filmiques, officiels ou privés), des témoignages ou des analyses de spécialistes. Cette approche du réel conditionne dès lors la nature du pacte qui unit le réalisateur et le spectateur. En effet, le film documentaire engage « l’assertion sérieuse consentie » de son spectateur, alors que le film de fiction présuppose au contraire sa « feintise ludique partagée »1. Mais la vitalité et la créativité du genre documentaire, dont rend compte la production espagnole2, invitent à reconsidérer certaines questions, en particulier celle de l’objectivité attendue du film documentaire. La place singulière qu’occupe le documentaire autobiographique en Espagne, soulignée par Efrén Cuevas Álvarez, invite, de fait, à approfondir cette réflexion :

  • 3 « Le cinéma autobiographique a trouvé lors des dernièr...

La mirada autobiográfica ha encontrado en las últimas décadas nuevas formas de encarnarse en el ámbito cinematográfico, más específicamente documental, revitalizando la creación audiovisual al tiempo que ofreciendo nuevas perspectivas a la práctica autobiográfica, tradicionalmente ligada al soporte escrito.3

  • 4 Disponible sur : <http://www.rtve.es/alacarta/videos/l...

  • 5 Emmanuel Larraz, « Autobiografía y ego-historia en el ...

  • 6 L’emploi des termes « récit » et « narration » répond ...

  • 7 Philippe Lejeune, Le pacte autobiographique, Paris : É...

  • 8 Si Bucarest, la memoria perdida s’attache à retracer l...

  • 9 Jim Lane, The Autobiographical Documentary in America,...

2Récompensé par le Goya du meilleur film documentaire en 2009, Bucarest, la memoria perdida4 d’Albert Solé constitue d’ailleurs selon Emmanuel Larraz le premier exemple de documentaire autobiographique dans la production espagnole5. Si le cinéma documentaire offre un autre mode d’expression au récit6 autobiographique, il n’en conserve pas moins ses caractéristiques inhérentes mises en évidence par Philippe Lejeune, à savoir l’identité du réalisateur (auteur), du narrateur et du protagoniste7. En effet, dans Bucarest, la memoria perdida la narration est assumée par la voix-off d’Albert Solé qui s’exprime à la première personne du singulier et que l’on retrouve également devant la caméra, en qualité de protagoniste8, dans différentes séquences. Le caractère autobiographique du film est corroboré par son sujet, puisqu’Albert Solé y retrace le parcours politique et personnel de son père, Jordi Solé Tura, dont il évoque l’engagement au sein de la lutte communiste contre le franquisme, en Espagne comme en exil, la participation à la rédaction de la Constitution espagnole de 1978, ou les fonctions de député puis de ministre de la Culture sous la présidence du gouvernement socialiste de Felipe González. Les liens filiaux, de paternité, qui existent entre Jordi Solé Tura et son fils Albert Solé influencent la teneur du récit, dont le caractère biographique (le portrait du père) et autobiographique (l’évocation à la première personne de l’enfance et de la jeunesse d’Albert Solé), tendent à se confondre. En ce sens, pour Efrén Cuevas Álvarez, Bucarest, la memoria perdida constitue, au sein du documentaire autobiographique, un exemple de « portrait familial », selon la typologie proposée par Jim Lane9 :

  • 10 « Cette proposition typologique vient souligner le fa...

Esta propuesta tipológica viene a subrayar el hecho de que muchos cineastas abordan proyectos cinematográficos cuyo tema principal es su familia, bien sea para hacer un retrato de esos seres queridos, bien para buscar respuesta a preguntas identitarias que remiten a la cuestión del origen, a su historia familiar.10

  • 11 Jordi Solé Tura a été arrêté et retenu prisonnier plu...

  • 12 Jordi Solé Tura, Una historia optimista: memorias, Ma...

  • 13 Enric Company, « La memoria perdida de Solé Tura », E...

  • 14 Hannah Hatzmann, art. cit., p. 152.

  • 15 Robert McKee, El guión: sustancia, estructura, estilo...

  • 16 « Les souvenirs de mon père s’évanouissent, et avec e...

3C’est ce double objectif que la réalisation du premier long-métrage documentaire d’Albert Solé en 2008 se proposait de satisfaire. Ce projet n’était pas étranger, loin s’en faut, au fait que Jordi Solé Tura souffrait alors de la maladie d’Alzheimer à un stade avancé. Ce diagnostic est d’ailleurs établi de façon significative dans la première séquence du film, dont le montage alterne des images d’archives évoquant l’action politique passée de Jordi Solé Tura (ses discours prononcés à la tribune de l’assemblée des députés ou sa prise de fonctions en tant que ministre de la Culture, par exemple) et des scènes contemporaines du tournage, filmées à l’hôpital (le passage d’un scanner cérébral, l’entretien avec un médecin). Le fait que la mémoire défaillante de Jordi Solé Tura ne rende plus possible l’expression de ses souvenirs constitue en ce sens le point d’ancrage du récit cinématographique, porté par la voix de son fils Albert qui en assume la narration. Celui-ci tente pourtant à plusieurs reprises et face à la caméra de stimuler la mémoire de son père, en lui présentant et en entonnant les paroles de l’Internationale par exemple, ou encore en lui lisant une lettre qu’il avait reçue de son père lorsque ce dernier était en prison11. Mais ces souvenirs évocateurs des engagements et des combats menés par Jordi Solé Tura par le passé se sont évanouis. Il apparaît ainsi qu’en 2008, au moment du tournage, celui que l’on a coutume de désigner comme l’un des « pères de la Constitution » n’est plus en mesure de raconter son parcours. Cette narration autobiographique devenue impossible en 2008 en raison de la maladie, existe pourtant. En effet, Jordi Solé Tura publia en 1999 ses mémoires politiques intitulées Una historia optimista : memorias12, où sont évoqués nombre d’événements historiques, politiques et familiaux également abordés dans le film Bucarest, la memoria perdida. On comprend dès lors que la démarche d’Albert Solé ne peut répondre à la seule volonté de retracer l’itinéraire politique de son père. La maladie de Jordi Solé Tura, rendue publique par la réalisation du film13, et le processus de dépersonnalisation qui en résulte, constituent en ce sens pour Hannah Hatzmann14 l’« incident déclencheur »15 du travail de recherche entrepris par Albert Solé, qui cherche, à travers le portrait de son père, à reconstruire sa propre histoire : « Los recuerdos de mi padre se desvanecen, y con ellos, las respuestas a tantas incógnitas sobre los orígenes, los suyos y los míos »16.

  • 17 Pour Rebeca Pardo, « Albert Solé […] sabe conjugar a ...

4Au-delà du portrait individuel de Jordi Solé Tura, Bucarest, la memoria perdida reconstruit par conséquent le récit de son histoire personnelle et familiale marquée, voire déterminée, par les engagements politiques et leurs conséquences dans le contexte de la lutte contre la Dictature franquiste et met en évidence la porosité de la frontière qui sépare l’action politique et la sphère privée17. Nous nous demanderons dès lors si l’histoire familiale de Jordi Solé Tura peut se penser en dehors de son appartenance à une famille politique et des engagements qui en ont résulté, et dans quelle mesure le récit cinématographique fait lui-même écho à cette interrogation.

5L’évocation immédiate – dès la première séquence du film – des pans méconnus de l’histoire familiale d’Albert Solé invite le spectateur à assimiler sa démarche documentaire à une quête de réponses, afin de pallier les souvenirs défaillants de son père, d’une part, et de lever les mystères induits par sa naissance en exil, d’autre part :

  • 18 « Un des mots de mon enfance est clandestinité. Enfan...

Una de las palabras de mi infancia es clandestinidad. De pequeño siempre creí que era francés. Un día, a los seis años, me explicaron que en realidad yo era húngaro. A partir de entonces, mi héroe fue Kubala y empecé a coleccionar sellos de la Magyar Posta. Creo que durante un par de años me sentí realmente húngaro. Un día mis padres me volvieron a cambiar el guión. Tenía nueve años. La verdad, me dijeron, es que no había nacido en Hungría. Empezaba a desconfiar de ese nuevo giro en mi historia. Me estaban volviendo loco. ¿Dónde había nacido yo realmente? ¿Por qué tanto misterio?18

  • 19 « La ville de non-souvenir ». Voix-off d’Albert Solé.

  • 20 Jordi Solé Tura, op. cit., p. 162-163.

6Les interrogations formulées par la voix-off d’Albert Solé invitent le spectateur à suivre l’enquête qui s’amorce pour répondre à ses questions restées sans réponse. Sur les traces de l’histoire de son père, le réalisateur-protagoniste parcourt alors les différents lieux où Jordi Solé Tura vécut et travailla – Mollet del Vallés, son village natal, Paris, la ville de son premier exil, ou Barcelone, où il s’établit à son retour d’exil. Sa quête des origines conduit également Albert Solé en Roumanie, à Bucarest, « la ciudad de no recuerdo »19, qu’il visite avec sa mère. Le mystère qui entoure sa propre naissance ne sera levé qu’en reconstruisant au préalable l’histoire de ses parents. Anny Bruset, la première épouse de Jordi Solé Tura et la mère d’Albert, est la fille de Lola Puig, qui fut l’un des membres fondateurs du PSUC (Partido Socialista Unificado de Catalunya)20. Sa famille s’était installée en France après la Retirada. C’est en 1960, à Dives-sur-mer en Normandie, qu’Anny et Jordi se rencontrèrent, à l’occasion d’un cours d’été organisé par le PSUC. Jordi Solé Tura avait rejoint la France quelques mois plus tôt, en février, pour ce qui serait son premier exil. Dans ses mémoires publiées en 1999, il évoque sa rencontre avec Anny :

  • 21 « Très vite je me suis senti attiré par [...] Anny, e...

Muy pronto me sentí atraído por […] Anny, y no tardé en enamorarme de ella. Al cabo de unos meses el enamoramiento era mutuo y un buen día le regalé un disco con la Novena sinfonía de Beethoven, le propuse seriamente que nos casásemos.21

  • 22 Témoignage d’Anny Bruset.

  • 23 Jordi Solé Tura, op. cit., p. 168.

  • 24 « Un 3 avril, sous un faux nom, je suis né dans cet h...

  • 25 Témoignage d’Anny Bruset.

  • 26 Voix-off d’Albert Solé.

7Face à la caméra d’Albert, Anny Bruset s’exprime à son tour sur leur rencontre, et se remémore la façon dont Jordi Solé Tura se déclara à elle : « On va faire la Révolution ensemble et on va faire des petits révolutionnaires »22. Au-delà de l’anecdote, les mots choisis révèlent le fait que le projet familial de Jordi Solé Tura ne pouvait se concevoir en dehors de l’engagement politique, ce que le récit cinématographique de leur histoire commune permet ensuite de vérifier. En 1961, le couple s’installa à Bucarest, où se trouvait le siège de la Radio España Indepediente – La Pirenaica –, afin que Jordi y assurât, à la demande du PCE (Partido Comunista de España) et du PSUC, des programmes en catalan sous le faux nom de Jorge Fabra23. Et c’est à Bucarest, quelques mois plus tard, en avril 1962, que naquit le fils du couple, Albert : « Un 3 de abril, bajo nombre falso, nací en este hospital de Bucarest. Bueno, nací o no nací, aún no lo tengo muy claro, porque el partido había tomado otra decisión importante respecto a mí »24. La naissance d’Albert révèle en effet à quel point la politique de résistance à la Dictature franquiste organisée par le PCE et le PSUC, et menée depuis l’exil, exigeait la plus grande précaution. Comme l’explique Anny Bruset dans le film, il était possible que l’on ait reconnu la voix de Jordi à la radio, et la déclaration de la naissance de son fils à Bucarest aurait pu permettre de localiser le siège de la Radio Pirenaica : « Le parti décide que tu ne peux pas naître officiellement à Bucarest »25. C’est un membre du Comité central du PSUC qui fut alors chargé de rédiger un document officiel attestant de la naissance d’Albert à Budapest, en Hongrie. L’évocation de la naissance du réalisateur met en lumière le fait que son histoire personnelle ait été immédiatement marquée par le sceau de la clandestinité. C’est toute la vie familiale qui se trouvait alors affectée par les conséquences de l’action politique de Jordi Solé Tura. L’engagement familial se manifeste encore dans le film à travers les interventions des proches de Jordi Solé Tura. Ainsi, à l’instar du témoignage – sans nul doute l’un des plus éclairants du film – d’Anny Bruset, le réalisateur-protagoniste sollicite également le concours d’autres membres de sa famille, invités à compléter le portrait de son père : Montse Tura (la sœur de Jordi), Lola Puig (la grand-mère maternelle d’Albert) et Teresa Eulalia Calzada (la seconde épouse de Jordi). L’engagement politique de ces trois femmes est tout aussi patent, puisque Montse Tura est membre du PSC (Partit dels Socialistes de Catalunya), et Lola Puig et Teresa Eulalia Calzada ont toutes deux milité au sein du PSUC. L’histoire familiale de Jordi Solé Tura est donc celle d’une famille engagée, où la frontière entre l’action politique et la vie personnelle est pour le moins ténue, comme le souligne Albert Solé dans le film. Évoquant le rôle joué par son père dans la rédaction de la Constitution espagnole de 1978, Albert ne manque d’ailleurs pas de filer la métaphore familiale. Si Jordi Solé Tura est souvent désigné comme l’un des « pères de la Constitution », Albert présente quant à lui le texte fondateur comme sa « nouvelle sœur »26, une image que l’on retrouve d’ailleurs dans une tribune publiée le 6 décembre 2008 dans le journal El País, à l’occasion du trentième anniversaire de la célébration du référendum ayant donné lieu à la ratification du texte :

  • 27 « Peut-être est-ce parce que j’ai senti dans ma propr...

Quizá porque viví en propia piel su difícil alumbramiento, quizá porque la he visto crecer y madurar con serenidad y orgullo, es por lo que siento un cariño muy especial por mi hermana la Constitución, con la que comparto padre desde hace 30 años. El día que aprobaron la Consti yo era apenas un adolescente. Respiré aliviado porque pensé poder recuperar un poquito del padre que la democracia me había arrebatado. Me sentí muy orgulloso de mi flamante e ilustre hermana, aunque enseguida entendí que la iba a tener que compartir con casi 40 millones de individuos más. Sin embargo, la he seguido viviendo como algo muy propio, un hecho histórico omnipresente en la pequeña historia de mi familia.27

8Albert Solé rappelle ici que l’empreinte de l’engagement et de l’action politiques est telle que l’histoire familiale peut difficilement se conter sans s’inscrire dans un récit historique plus large, celui de la lutte contre la Dictature franquiste et de la Transition démocratique espagnole. Inversement, les actes politiques de Jordi Solé Tura sont perçus et présentés à travers le regard de son fils, et s’intègrent pleinement dans la narration familiale. Une telle imbrication des sphères publique et privée invite finalement le spectateur à repenser le concept de famille, auquel il conviendra de donner une acception large. En effet, il serait ici réducteur de caractériser la famille par la seule existence de liens filiaux entre les personnes qui en font partie. Il convient au contraire de souligner le sentiment d’appartenance comme trait constitutif de la famille, et de nous intéresser par conséquent à la famille politique et à la façon dont son histoire est relatée dans le film Bucarest, la memoria perdida.

  • 28 « Ton père » (nous traduisons). Témoignage de Santiag...

9Albert Solé interroge dans le film de nombreux hommes et femmes politiques, appartenant à la même génération que son père : Jorge Semprún (1923-2011), Santiago Carrillo (1915-2012), Miguel Núñez (1920-2010), Manuel Fraga Iribarne (1922-2012) ou Victoria Pujolar (née en 1921). Tous évoquent leurs expériences communes et leurs souvenirs partagés avec Jordi Solé Tura. Chacun de ces témoignages apparaît comme une réponse apportée aux questions posées par le fils de Jordi Solé Tura – « tu padre »28  –, conférant ainsi à leurs propos le ton intime d’une conversation privée, d’une confidence, comme le souligne Hannah Hatzmann :

  • 29 « L’auteur profite de son rôle comme personnage pour ...

El autor se aprovecha de su papel como personaje para obtener respuestas de sus interlocutores que un historiador no hubiese obtenido. Los entrevistados se dirigen a él en calidad de hijo de un camarada o compañero ausente, y no como periodista o chroniqueur.29

  • 30 Le second long-métrage d’Albert Solé, sorti en 2010 e...

  • 31 Jordi Solé Tura, op. cit., p. 109 et suivantes.

  • 32 Ibid.

  • 33 « en rompant les normes du parti ». Voix-off d’Albert...

  • 34 Voix-off d’Albert Solé.

  • 35 « Quelque chose de très grave était en train de se pr...

  • 36 Jorge Semprún évoque ces événements dans son livre Au...

  • 37 « Lors d’un acte public, Carrillo et la Pasionaria av...

  • 38 Témoignage de Jorge Semprún.

  • 39 Témoignage de Santiago Carrillo.

  • 40 Débat télévisé « Documental con debate. Bucarest, la ...

  • 41 « Quand il est expulsé, Claudín n’a plus de maison, d...

  • 42 Témoignage de Jorge Semprún.

10Ces interventions revêtent en ce sens un caractère inédit et précieux, à double titre. En effet, si l’évocation de l’état de santé de Jordi Solé Tura, dont les souvenirs étaient anéantis par la maladie d’Alzheimer, laisse entrevoir la volonté d’Albert Solé de préserver une mémoire devenue fragile, il en va de même avec les témoignages de ces hommes et femme âgés, qui apparaissent comme les derniers représentants de cette génération d’acteurs politiques. Par leur témoignage, ceux qui ont lutté contre la Dictature franquiste rappellent à quel point cet engagement était risqué et supposait de nombreux sacrifices. L’exil, expérience commune à Jorge Semprún, Santiago Carrillo, Victoria Pujolar et Jordi Solé Tura, en est un exemple, mais il faut ajouter l’emprisonnement et la torture. L’exemple de Miguel Núñez30, qui passa dix-sept ans en prison et garda de nombreuses séquelles de la torture, est emblématique. Le récit de leur expérience propre rend compte d’un dévouement total à la cause défendue et au parti qui déterminait la façon de mener à bien cette lutte. Il apparaît très tôt dans le film que les instances dirigeantes du PCE – représentées par Dolores Ibárruri et Santiago Carrillo – s’efforçaient de préserver l’unisson en taisant les opinions et analyses discordantes. Albert Solé rappelle ainsi les premières actions de mobilisation organisées par son père en Catalogne à la demande du PCE-PSUC, la Jornada de Reconciliación Nacional (Journée de Réconciliation Nationale, 1958) et la Huelga Nacional Pacífica (Grève Nationale Pacifique, 1959). Jordi Solé Tura a lui-même constaté et commenté dans ses mémoires l’échec de ces deux initiatives, dont le PCE avait pourtant dressé un bilan très encourageant31. Il y explique de quelle manière il fut invité à modifier son analyse du résultat de la Journée de Réconciliation Nationale dans les conclusions qu’il devait présenter lors de la réunion du Comité central du parti, organisée en 1958 en République Démocratique d’Allemagne32. L’engagement au sein du parti supposait une adhésion totale qui n’admettait pas de dissonance. Toute prise de distance avec la ligne établie par le parti devenait inconvenante, comme l’illustre l’histoire familiale de Jordi Solé Tura. En effet, lorsqu’Anny Bruset prit la décision de quitter Bucarest avec son jeune fils Albert pour rejoindre Paris en 1963, « rompiendo las normas del partido »33, et que Jordi Solé Tura exprima le souhait d’y rejoindre sa famille au plus vite, la sanction fut immédiate : « Algunos camaradas nos dieron la espalada »34. Cet exemple démontre qu’une telle initiative, motivée par un intérêt d’ordre privé et familial, n’était pas recevable au sein d’un parti où l’adhésion était synonyme d’appartenance inconditionnelle. La voix-off d’Albert Solé déclare pourtant que cette « incartade » n’était rien en comparaison de la fracture qui s’annonçait : « Algo muy grave se estaba cociendo en la dirección del PCE, la foto de familia se había roto »35. Albert Solé fait alors allusion au Congrès de Prague qui eut lieu en 1964, au cours duquel les désaccords qui existaient entre Santiago Carrillo et Dolores Ibárruri, d’une part, et Fernando Claudín et Jorge Semprún – dénonçant la désuétude et l’inefficacité des modes d’action choisis par le parti et considérant l’opportunité de construire l’eurocommunisme – d’autre part, aboutirent à l’exclusion du parti de ces deux derniers36 : « Carrillo y Pasionaria habían atacado en un acto público a dos compañeros históricos, dos de los intelectuales de más prestigio de la dirección, Jorge Semprún y Fernando Claudín »37. Cette « rupture »38 est commentée dans le film par Santiago Carrillo, pour qui Fernando Claudín était « comme un frère »39 et dont les propos, en off, contrastent avec les photographies personnelles qui apparaissent à l’écran et sur lesquelles on peut voir Fernando Claudín et Santiago Carrillo entourés de leurs familles respectives dans un décor qui évoque les vacances. Le décalage suscité au montage par la superposition de la bande-son présentant le témoignage de Santiago Carrillo et les photographies immortalisant l’amitié passée des deux hommes vient illustrer la métaphore de la photographie de famille déchirée. Les conséquences de l’éviction de Fernando Claudín ont par ailleurs été commentées par sa fille, Carmen Claudín qui, dans un entretien avec la journaliste Mara Torres, rappelle que les moyens de subsistance octroyés à sa famille émanaient jusqu’alors tous du parti40. Jorge Semprún abonde en ce sens dans le film : « Claudín, cuando es expulsado se queda sin casa, sin papeles, sin ingresos, sin nada, nada, de la noche a la mañana es un no-ser, no existe »41. L’exemple de Fernando Claudín met de nouveau en évidence le fait que cette appartenance au parti – à la famille politique – devait être inconditionnelle. Jorge Semprún précise quant à lui que le fait d’entreprendre « une réflexion autonome » de la ligne du parti conduisait immanquablement à la rupture ou à l’expulsion du PCE42. Jordi Solé Tura ne céda pas à l’injonction d’une appartenance inconditionnelle et fut lui-même expulsé du parti quelques mois plus tard, après avoir quitté Paris pour rejoindre Barcelone, contre l’avis du PCE :

  • 43 « Je sortis de cette réunion en sachant que je serais...

Salí de la reunión sabiendo, pues, que sería expulsado del partido inmediatamente, y así fue. Me disgustó mucho que aquella experiencia de ocho años de militancia clandestina terminase de una manera tan triste, pero en aquel momento me sentí libre, como si me hubiesen quitado un enorme peso de encima, y estaba convencido de que nunca más volvería a meterme en una experiencia como aquélla.43

11De retour à Barcelone, Jordi Solé Tura donna des cours de droit à l’Université. La rupture avec le PCE n’impliquait pas pour autant la fin de tout engagement. Il poursuivit son combat politique en fondant quelques années plus tard, en 1970, Bandera Roja, avant de rejoindre le PSUC, puis le PSC. De ces années de militantisme, que reste-t-il finalement ? Les objectifs poursuivis furent-ils satisfaits ? Ces questions ne peuvent admettre qu’une réponse nuancée, comme le fait Albert Solé en évoquant par exemple le sentiment ambivalent créé par la nouvelle de la mort du général Franco en 1975, où la joie contenue laissait place à l’angoisse de l’échec de la résistance communiste contre la Dictature franquiste. Quel est alors l’héritage de cette lutte ? Juan Andrade analyse l’évolution du PCE durant les années de Transition à la démocratie, et souligne le paradoxe suivant :

  • 44 « Comment est-il possible que le PCE ait été au début...

Cómo fue posible que el PCE fuera a comienzos de la transición el partido más activo y vigoroso en la lucha contra la dictadura y, sin embargo, terminara el proceso roto en pedazos y con unos resultados mínimos en las elecciones de 1982.44

  • 45 « Tant de sacrifices valaient-ils la peine pour un pr...

12C’est bien l’impression d’un bilan mitigé qui demeure à la fin du film et qui s’exprime sous la forme d’une interrogation : « ¿Valió la pena tanto sacrificio por un proyecto que se acabó desmigajando? »45. Bien qu’aucune réponse ne soit apportée à cette question, le film Bucarest, la memoria perdida ne renie rien des combats menés, et il s’évertue bien au contraire à saluer l’action politique de Jordi Solé Tura et à défendre son héritage. Porté par la voix de son fils Albert, le film en assure d’ailleurs la transmission et suggère, dans sa séquence finale où Jordi et sa petite-fille évoluent dans un labyrinthe, la pérennité de cette mémoire familiale livrée en héritage à la plus jeune génération.

  • 46 Javier Ocaña, « El laberinto de la mente », El País, ...

13Le film Bucarest, la memoria perdida, réalisé en 2008 par Albert Solé, livre un récit très personnel du parcours de Jordi Solé Tura. Porté par son fils, ce portrait restitue dans une narration à la première personne du singulier le point de vue d’un enfant dont la vie, depuis l’instant même de sa naissance en exil, est marquée par la clandestinité. Le film met ainsi en évidence le fait que toute la vie familiale ait été affectée par les conséquences des engagements politiques de Jordi Solé Tura au sein de la lutte communiste contre la Dictature franquiste. Le récit corrélé de leur histoire familiale et des événements politiques qui l’ont parcourue, influencée, voire déterminée, rend compte de la façon dont l’itinéraire personnel de Jordi Solé Tura, et de surcroît celui de sa famille, ont résulté de son militantisme au sein du PCE-PSUC. Ainsi, le récit de l’histoire familiale entrepris par Albert Solé, qui réalise avec Bucarest, la memoria perdida un exercice relevant de « l’exorcisme personnel »46 selon le journaliste Javier Ocaña, ne s’entend et ne prend sens qu’en l’inscrivant dans celui plus tourmenté de la famille politique. Les motivations d’Albert Solé sont bien sûr à mettre en relation avec la maladie d’Alzheimer dont souffrait son père. Sa démarche répond en ce sens à une volonté de préserver et sauvegarder la mémoire individuelle de Jordi Solé Tura affectée par la maladie, et opère dans le même temps un exercice de récupération conjointe de l’histoire et de la mémoire collective familiale et politique.

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Notes

1 Jean-Luc Lioult, À l’enseigne du réel. Penser le documentaire, Aix-en-Provence : Publications de l’Université de Provence, 2004, p. 34.

2 L’importance de la production cinématographique documentaire est confirmée au regard des chiffres publiés pour l’année 2015 par l’ICAA (Instituto de Cine y Artes Audiovisuales) dans l’Annuaire du Cinéma espagnol, qui recense cent vingt-sept longs-métrages de fiction et cent quatre documentaires. Chiffres disponibles sur : <http://www.mecd.gob.es/dms/microsites/cultura/catalogodecine/2015/indices/IndLargos2015Prov/IndLargos2015Prov.pdf> (consulté le 23 septembre 2016)

3 « Le cinéma autobiographique a trouvé lors des dernières décennies de nouvelles façons de s’incarner au cinéma, dans le cinéma documentaire plus spécifiquement, revitalisant la création audiovisuelle et offrant dans le même temps de nouvelles perspectives à la pratique autobiographique, traditionnellement reliée à l’écrit » (nous traduisons). Efrén Cuevas Álvarez, « El cine autobiográfico en España: una panorámica », RILCE. Revista de Filología Hispánica, Vol. 28, no 1, 2012, p. 106.

4 Disponible sur : <http://www.rtve.es/alacarta/videos/los-documentales-de-culturales/bucarest-memoria-perdida/489821/> (consulté le 22 décembre 2016)

5 Emmanuel Larraz, « Autobiografía y ego-historia en el cine de Agnès Varda », in : Gloria Camarero Gómez (coord.), Vidas de cine: el biopic como género cinematográfico, T & B Editores, 2011, p. 94.

6 L’emploi des termes « récit » et « narration » répond aux acceptions proposées par Gérard Genette. Gérard Genette, Figures III, Paris : Éditions du Seuil, 1972, p. 71 et suivantes.

7 Philippe Lejeune, Le pacte autobiographique, Paris : Éditions du Seuil, 1975.

8 Si Bucarest, la memoria perdida s’attache à retracer le parcours de Jordi Solé Tura, il n’en demeure pas moins qu’Albert Solé puisse être considéré, au même titre que son père, comme un protagoniste du film. En effet, au-delà de la narration à la première personne du singulier de son histoire familiale, Albert Solé se met véritablement en scène dans différentes séquences du film. Il en est ainsi, notamment, dans les séquences consacrées à son séjour à Paris, qui constitue l’une des étapes de son enquête. Cette double instance d’Albert Solé au niveau intradiégétique est commentée par Hannah Hatzmann, qui distingue le « yo-narrador » (« le je-narrateur ») du « yo-personaje » (« yo-personnage »). Hannah Hatzmann, « Bucarest, la memoria perdida (Albert Solé, 2008): cuento de un mundo al revés », in : Manuel Palacio, Antonija Cuvalo (coords.), Las imágenes del cambio : medios audiovisuales en las transiciones a la democracia, Madrid : Biblioteca Nueva, 2013, p. 149-164, p. 156.

9 Jim Lane, The Autobiographical Documentary in America, Madison : University of Wisconsin Press, 2002, p. 95-119, cité par Efrén Cuevas Álvarez, art. cit., p. 116.

10 « Cette proposition typologique vient souligner le fait que nombre de cinéastes entreprennent des projets cinématographiques dont le thème principal est la famille, soit pour faire un portrait de ces êtres aimés, soit pour chercher une réponse à des interrogations identitaires qui renvoient à la question de l’origine, à leur histoire familiale » (nous traduisons). Ibid.

11 Jordi Solé Tura a été arrêté et retenu prisonnier plusieurs mois à la prison Modelo de Barcelone en 1969, suite à la déclaration de l’état d’exception par le général Franco (Decreto-ley 1/1969, de 24 de enero, por el que se declara el estado de excepción en todo el territorio nacional).

12 Jordi Solé Tura, Una historia optimista: memorias, Madrid : Aguilar, 1999.

13 Enric Company, « La memoria perdida de Solé Tura », El País, 23 décembre 2007.

14 Hannah Hatzmann, art. cit., p. 152.

15 Robert McKee, El guión: sustancia, estructura, estilo y principios de las escritura de guiones, Barcelona : Alba, 2002, cité par Hannah Hatzmann, Ibid.

16 « Les souvenirs de mon père s’évanouissent, et avec eux, les réponses à tant d’inconnues sur les origines, les siennes et les miennes » (nous traduisons). Voix-off d’Albert Solé.

17 Pour Rebeca Pardo, « Albert Solé […] sabe conjugar a la perfección lo político con lo privado, la intimidad con la dimensión pública de la vida de su padre en Bucarest, la memoria perdida » (« Albert Solé [...] sait conjuguer à la perfection le politique et le privé, l’intimité et la dimension publique de la vie de son père dans Bucarest, la memoria perdida »). Rebeca Pardo, « Documentales autorreferenciales con Alzhéimer (O cómo la enfermedad del olvido impulsa la recuperación de la memoria y la historia) », in : Actas Congreso Internacional Hispanic Cinemas : En Transición. Cambios históricos, políticos y culturales en el cine y la televisión, TECMERIN, Getafe, 7-9 de noviembre de 2012, p. 939.

18 « Un des mots de mon enfance est clandestinité. Enfant, j’ai toujours cru que j’étais français. Un jour, à l’âge de six ans, on m’a expliqué qu’en réalité j’étais hongrois. Dès lors, Kubala est devenu mon héros et j’ai commencé à collectionner des timbres de la Magyar Posta. Je pense que durant quelques années je me suis réellement senti hongrois. Un jour, mes parents ont à nouveau modifié le scénario. J’avais neuf ans. La vérité, m’ont-ils dit, c’est que je n’étais pas né en Hongrie. Je commençais à douter de ce nouveau changement dans mon histoire. Ils me rendaient fou. Où étais-je réellement né ? Pourquoi tant de mystère ? » (nous traduisons). Voix-off d’Albert Solé.

19 « La ville de non-souvenir ». Voix-off d’Albert Solé.

20 Jordi Solé Tura, op. cit., p. 162-163.

21 « Très vite je me suis senti attiré par [...] Anny, et je n’ai pas tardé à tomber amoureux d’elle. Au bout de quelques mois, l’amour était réciproque et un beau jour je lui ai offert un disque de la Neuvième Symphonie de Beethoven, je lui ai sérieusement proposé que l’on se marie » (nous traduisons). Ibid., p. 163.

22 Témoignage d’Anny Bruset.

23 Jordi Solé Tura, op. cit., p. 168.

24 « Un 3 avril, sous un faux nom, je suis né dans cet hôpital de Bucarest. Bon, je suis né ou je ne suis pas né, ce n’est encore pas très clair pour moi, parce que le parti avait pris une autre décision importante à mon sujet ». Voix-off d’Albert Solé.

25 Témoignage d’Anny Bruset.

26 Voix-off d’Albert Solé.

27 « Peut-être est-ce parce que j’ai senti dans ma propre chair sa naissance difficile, et parce que je l’ai vue grandir et mûrir avec sérénité et fierté, que je ressens une affection très particulière pour ma sœur la Constitution, avec laquelle je partage le même père depuis 30 ans. Le jour où la Consti a été approuvée, j’étais à peine adolescent. J’étais soulagé à l’idée de penser que j’allais récupérer un peu du père que la démocratie m’avait arraché. Je me suis senti très fier de ma brillante et illustre sœur, même si j’ai immédiatement compris que j’allais devoir la partager avec presque quarante millions d’individus. Cependant, elle a continué de représenter quelque chose de très personnel pour moi, un fait historique omniprésent dans la petite histoire de ma famille » (nous traduisons). Albert Solé, « Respetad a mi hermana », El País, 6 décembre 2008.

28 « Ton père » (nous traduisons). Témoignage de Santiago Carrillo.

29 « L’auteur profite de son rôle comme personnage pour obtenir des réponses de ses interlocuteurs qu’un historien n’aurait pas obtenues. Les personnes interrogées s’adressent à lui en sa qualité de fils d’un camarade ou compagnon absent, et non de journaliste ou de chroniqueur. » (nous traduisons). Hannah Hatzmann, art. cit., p. 156.

30 Le second long-métrage d’Albert Solé, sorti en 2010 et intitulé Al final de la escapada, est d’ailleurs consacré au parcours de Miguel Núñez.

31 Jordi Solé Tura, op. cit., p. 109 et suivantes.

32 Ibid.

33 « en rompant les normes du parti ». Voix-off d’Albert Solé.

34 Voix-off d’Albert Solé.

35 « Quelque chose de très grave était en train de se préparer à la direction du PCE, la photo de famille était déchirée. » (nous traduisons). Ibid.

36 Jorge Semprún évoque ces événements dans son livre Autobiografía de Federico Sánchez. Jorge Semprún, Autobiografía de Federico Sánchez, Barcelona : Planeta, 1977.

37 « Lors d’un acte public, Carrillo et la Pasionaria avaient attaqué deux camarades historiques, deux des intellectuels les plus prestigieux de la direction, Jorge Semprún et Fernando Claudín. » (nous traduisons). Voix-off d’Albert Solé.

38 Témoignage de Jorge Semprún.

39 Témoignage de Santiago Carrillo.

40 Débat télévisé « Documental con debate. Bucarest, la memoria perdida y Radio Pirenaica », diffusé le 24 avril 2009 par RTVE.

41 « Quand il est expulsé, Claudín n’a plus de maison, de papiers, de revenus, rien de rien, du jour au lendemain il n’existe plus » (nous traduisons). Témoignage de Jorge Semprún.

42 Témoignage de Jorge Semprún.

43 « Je sortis de cette réunion en sachant que je serais expulsé du parti immédiatement, et il en fut ainsi. Je regrette le fait que cette expérience de huit années de militantisme clandestin se termine si tristement, mais à ce moment je me sentis libre, comme si l’on me libérait d’un énorme poids, et j’étais convaincu que jamais plus je ne participerais à une expérience comme celle-là » (nous traduisons). Jordi Solé Tura, op. cit., p. 213.

44 « Comment est-il possible que le PCE ait été au début de la Transition le parti le plus actif et le plus vigoureux dans la lutte contre la Dictature et qu’il apparaisse cependant brisé en morceaux à la fin du processus, pour obtenir de très faibles résultats aux élections de 1982 ? » (nous traduisons). Juan Andrade, El PCE y el PSOE en (la) Transición, Madrid : Siglo xxi, 2015, p. 15.

45 « Tant de sacrifices valaient-ils la peine pour un projet qui finit par tomber en miettes ? » (nous traduisons). Voix-off d’Albert Solé.

46 Javier Ocaña, « El laberinto de la mente », El País, 15 février 2008.

Pour citer ce document

Julie Herbreteau, «Une histoire de famille : Jordi Solé Tura conté par son fils Albert Solé dans le film Bucarest, la memoria perdida (2008)», Lineas [En ligne], Numéros en texte intégral /, Filiation, imaginaires et sociétés, Partie III - Les récits de filiation : entre quête familiale et investigation historique, mis à jour le : 09/12/2017, URL : https://revues.univ-pau.fr:443/lineas/index.php?id=2077.

Quelques mots à propos de :  Julie  Herbreteau

Université de Nantes, Centre de recherche sur les identités nationales et l’interculturalité (CRINI - EA 1162)

Docteur en Études hispaniques, ses recherches portent sur les relations qu’entretiennent l’histoire et le cinéma. Ses travaux ont pour objet les représentations cinématographiques de la Guerre Civile espagnole et ses conséquences et interrogent la façon dont le cinéma appréhende la question de la mémoire individuelle et collective du conflit.

julie-herbreteau@hotmail.com