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Lineas
Revue interdisciplinaire d'études hispaniques

| 2017 Partie I - Des lignages matriciels

Bernadette Hidalgo Bachs

Pedro Salinas : la filiation anthropologique, culturelle et ontologique revendiquée comme lien solidaire, fécond et évolutif

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Prenant le contre-pied de certains mouvements de la Modernité qui veulent faire table rase du passé, Pedro Salinas revendique, lors de son auto-exil aux Etats-Unis (1936-1951), une filiation anthropologique, culturelle et ontologique dans une perspective évolutive, avec des formes, des modalités expressives et un enjeu bien différents dans les deux œuvres en question. Dans le recueil El Contemplado (1946), l’identité du locuteur, définie dans un rapport de filiation familiale et donc biologique, est cependant inséparable d’une appartenance à une chaîne de générations solidaires au-delà de la généalogie. La relation entre ascendants et descendants est réinterprétée poétiquement via la symbolique du regard, lequel devient agent de surexistence pour les êtres disparus et révélateur identitaire. D’un point de vue anthropologique, le problème de la « filiation inversée » est également posé dans l’essai Jorge Manrique o tradición y originalidad (1949), mais avec une finalité distincte. La définition juridique de la filiation y est aussi dépassée. En effet, il est question de la réception et de la transmission d’un héritage culturel, oral ou écrit, qui construit un lien intergénérationnel évolutif avec le passé, sans distinction de classes et de liens familiaux. L’impact social de cette filiation culturelle est mis en avant dans l’essai. Enracinée dans l’altérité et à l’origine d’une opération de multiplication de l’être, la problématique de la filiation culturelle est aussi énoncée comme inhérente à celle de l’ontologie. La conception d’une société solidaire favorisant l’intégration et la reconstruction inventive est alors privilégiée. Si Pedro Salinas aspire à une fraternité au-delà des liens du sang dans les deux œuvres, il va beaucoup plus loin dans l’essai car il suggère qu’une politique d’ouverture et de reconstruction de la société espagnole dans l’après-guerre, sans reniement de son riche héritage culturel, est souhaitable.

Against movements of modernity which want to forget the past, Pedro Salinas claimed repeatedly during his self-exile in the United States (1936-1951), an anthropological filiation, cultural and ontological in an evolutionary perspective, both in his essays in his poetic creation with very different forms, expressive modalities and scope. In El Contemplado (1946), the identity of the speaker, set in a family lineage, and consequently biological is inseparable from belonging to a chain of generations solidarity beyond genealogy. The relationship between ascendants and descendants is reinterpreted poetically through the symbolic glance which becomes superexistence agent for missing persons and revealing identity. From an anthropological point of view, the question of “reverse filiation” is also asked, but distinctly, in the essay Jorge Manrique o tradición y originalidad (1949). The legal definition of filiation is also exceeded because it is about receiving or transmitting an oral or written cultural heritage, regardless of class and family ties ; a scalable link to the past is built. The social impact of this cultural filiation is highlighted in the essay. Conceived as a process of multiplication of the being, the question of cultural lineage, based in otherness, is inherent to ontology. The design of a solidary, inclusive and inventive society is preferred. If Pedro Salinas wants a fraternal link beyond blood ties in both works, he goes much further in the essay because he suggests a political opening for the Spanish society of reconstruction in post-war, without denying a rich cultural heritage.

Texte intégral

  • 1 Antoine Compagnon, Les cinq paradoxes de la modernité,...

  • 2 Rappelons que Pedro Salinas a dirigé l’Université Inte...

  • 3 Pedro Salinas, Obras completas. I, Poesía, narrativa, ...

  • 4 Bernadette Hidalgo Bachs, « L’auto-exil de Pedro Salin...

  • 5 Pedro Salinas, O.C., I. Poesía, narrativa, teatro, op....

  • 6 Pedro Salinas, O.C., II. Ensayos completos, op. cit., ...

  • 7 Nous empruntons cette formulation au titre de l’articl...

1Marqué par les mouvements d’avant-gardes du début du xxe siècle (futurisme, dadaïsme, ultraïsme, créationnisme et surréalisme) qui signifient la radicalisation de « la lutte contre le conformisme et la convention, la croisade de la créativité contre le cliché »1, Pedro Salinas (1891-1951)2 se joint au groupe de poètes de la Génération de 27 dont la figure tutélaire est Luis de Góngora. En tant que poète, professeur et essayiste3, Salinas prend le contre-pied des expériences qui veulent faire table rase du passé en rejetant tout type de filiation. C’est lors de la dernière phase de son auto-exil aux États-Unis (1936-1951)4 que Pedro Salinas revendique le plus manifestement un lien intergénérationnel. Les deux œuvres les plus significatives à cet égard, El Contemplado5, recueil publié en 1946, et l’essai Jorge Manrique o tradición y originalidad6, paru en 1947, n’ont pas encore été exploitées sous cet angle. Étant donné que ces deux œuvres appartiennent à des genres littéraires très différents, que l’instance d’énonciation, les modalités d’expression, l’approche et leur enjeu sont distincts, nous choisissons de traiter les œuvres séparément par souci de clarté. Soulignons d’emblée que le recueil n’est pas focalisé sur la filiation culturelle, alors que c’est le cas de l’essai. Dans un premier temps, nous préciserons la nature de la filiation évoquée dans El Contemplado, son mode de transcription dans les poèmes, ainsi que la finalité de cette poétisation. Dans un second temps, nous nous centrerons sur l’essai, Jorge Manrique o tradición y originalidad. Cette étude sur la filiation en littérature, qui a sans aucun doute partie liée avec la filiation culturelle, sera introduite par une brève théorisation du concept de tradition utilisé par le critique. Nous examinerons ensuite de quelle manière est formulée la notion de filiation visant le legs culturel du passé. Nous nous demanderons si cette filiation culturelle est assumée comme la conservation littérale du passé ou comme « le passé vivant dans le présent »7, si l’on décèle dans la conception de la filiation du critique une dynamique de continuité et de transformation contribuant au dévoilement identitaire et ontologique. Nous nous interrogerons enfin sur le type de société que peut sous-tendre la notion de filiation telle que la revendique Pedro Salinas.

  • 8 Françoise Dekeuwer-Defossez, « Filiation, droit », Enc...

  • 9 Pour définir la notion de « filiation anthropologique ...

  • 10 Bernadette Hidalgo Bachs, Todo más claro, El Contempl...

  • 11 Pedro Salinas, O.C. I., op. cit., p. 602-603.

  • 12 Voir Françoise Dekeuwer-Defossez, « Filiation, droit ...

  • 13 Jean Chevalier et Alain Gheerbrant, Dictionnaire des ...

  • 14 Ibid., p. 803.

2La lecture de l’œuvre poétique de Pedro Salinas révèle que c’est dans El Contemplado, recueil composé entre 1943 et 1944, que Pedro Salinas poétise le plus longuement sa filiation biologique8 et anthropologique9. Lors d’un séjour à Porto Rico, le poète professeur prend ses distances avec une société américaine au rythme effréné et obsédée par l’appât du gain. Il fuit de cette façon l’altérité hostile d’un monde urbain mécanisé dans lequel prédomine un anonymat teinté d’absurdité10. Ainsi la Variation XIV11 d’El Contemplado, intitulée « Salvación por la luz », est-elle le fruit d’une contemplation jouissive face à la mer. La paix intérieure engendrée par l’attitude contemplative est à l’origine d’une prise de conscience de sa relation à la filiation par le locuteur, celle-ci unissant le sujet à ses géniteurs, et surtout les descendants à leurs ascendants. Le locuteur en question est un sujet lyrique qui parle à la première personne du singulier ; il adopte le positionnement qui est celui de la voix d’un homme parmi les hommes. Dans la première séquence de cette composition, le lien de parenté est clairement notifié, ce dont témoignent les vers suivants : « Siento a mis padres, siento que su empeño / de no cegar jamás, / es lo que bautizaron con mi nombre. / Soy yo ». Référence est faite à la fois à la filiation biologique et à la filiation sociale puisqu’est évoqué le lien juridique de filiation construit à partir d’un fait biologique et ce dernier est complété par le fait que les parents reconnaissent l’enfant comme le leur, lui donnent un nom et sont responsables de lui12. Par conséquent, la filiation charnelle, naturelle est convoquée dans ces vers. Le choix du mot « padres » rend compte d’une absence de dissymétrie entre les sexes. Si la répétition du verbe sentir à la première personne du singulier oriente vers un ressenti qui implique tout le corps et l’esprit, c’est sur le regard qu’est focalisée l’expression de la filiation : « Y ahora no ven, pero les quedo / para salvar su sombra de la sombra. / Que por mis ojos, suyos, miren ellos ; / y todos mis hermanos anteriores, / sepultos por los siglos, / ciegos de muerte : la vista les devuelvo ». La récurrence du champ lexical de la vue rend compte d’une prédominance accordée à la perception visuelle, et la forte charge symbolique de l’œil ou du regard13 accroît l’intensité de la relation instaurée entre celui qui regarde et ceux auxquels il prête son regard. « Instrument des ordres intérieurs »14, le regard est érigé en symbole relationnel puisqu’en assumant le lien de filiation biologique, le locuteur se sent rattaché à ses géniteurs via le regard. Un mode de transmission interactif se met en place et le lien de filiation fait naître une mission chez le locuteur : celle de rendre la vue non seulement à ses parents mais aussi à tous ceux qui l’ont précédé. Si le regard symbolise l’acte mémoriel qui relie le présent au passé et le passé au présent, il inscrit également l’échange dans la réalité de l’existence. En choisissant l’œil comme organe chargé de soi et de l’autre, le scripteur fait signe vers un au-delà des sens. Ainsi la valeur présentielle duelle, incarnée par le regard, accroît-elle la charge émotionnelle étant donné que la présence de l’autre est aussi ressentie physiquement. Portant les ascendants dans son regard, celui qui est en vie est sollicité pour octroyer une sorte de surexistence aux êtres disparus. Face à la mer, la reconnaissance de la filiation implique un échange fécond entre les défunts et le locuteur : « Los que ya no te ven sueñan en verte / desde sus soterrados soñaderos / […]. Este afán de mirar es más que mío. / Callado empuje, se le siente, ajeno, / subir desde tinieblas seculares. / Viene a asomarse a estos / ojos con los que te miro. ¡Qué sinfín / de muertos que te vieron / me piden la mirada, para verte! ». Le regard est investi comme agent de co-présence quasiment fusionnelle afin de permettre aux disparus de rester en contact avec le réel. Toute discontinuité est écartée dans la relation transgénérationnelle qui remonte aux temps les plus anciens, comme l’indique l’expression « desde tinieblas seculares ». Le choix du verbe bautizar concède un caractère sacré à la mission confiée au locuteur, lequel se sent investi d’une responsabilité, ce qui renvoie évidemment à la notion de filiation anthropologique. L’emploi hyperbolique de todos, dans « todos mis hermanos anteriores », pourrait bien signifier un élargissement de la filiation au-delà des liens généalogiques. La filiation biologique tend à devenir une filiation symbolique. Chez Pedro Salinas le substantif « hermanos » évoque non seulement un lien fraternel avec ses ancêtres mais aussi avec tous les hommes en général. C’est au sein de la famille humaine disparue que les descendants d'un même couple de parents, réel ou symbolique, acquièrent le statut de frères.

  • 15 Il convient de signaler que la séquence citée ci-dess...

  • 16 Pedro Salinas, O. C. I, op. cit., p. 607. Dans le pro...

  • 17 Hommage à Jean Pouillon, L’Homme, n° 143, juil. Sept ...

3Une relation fraternelle est donc évoquée avec une foule d’hommes qui ne sont plus de ce monde. Il convient de signaler que la séquence citée ci-dessus fait écho à la notion de fraternité universelle chère à Miguel de Unamuno15, reconnu comme maître par Pedro Salinas16. Dans la Variation XIV, le descendant se tourne donc vers ses ascendants pour leur permettre d’obtenir une forme d’existence. Pour définir ce type de filiation, nous retiendrons l’expression « filiation inversée » de Jean Pouillon17 puisque le mode de transmission est opéré des descendants vers les ascendants. Il est donc question d’un discours poétique sur la filiation qui englobe également un processus qui se différencie de celui qui est communément admis juridiquement. La filiation perçue dans un sens ascendant ne s’oppose pas avec celle perçue dans un sens descendant, les deux étant complémentaires et interactives.

  • 18 La parenté avec la pensée de Miguel de Unamuno est ic...

  • 19 Pedro Salinas, O. C. I, op. cit., p. 601.

  • 20 On ne peut pas ne pas penser à Miguel de Unamuno dans...

  • 21 Cette composition n’est pas sans rappeler celle de Mi...

  • 22 Jean Chevalier et Alain Gheerbrant, op. cit., p. 804.

4Un héritage sempiternel est transmis au fil des générations ; ce qui est encore formulé dans : « En mis ojos, los últimos / arde intacto el afán de los primeros, / herencia inagotable, afán sin término ». Toutefois, dans ces vers, un nouvel élément se fait jour : la répétition du mot afán, la synonymie entre inagotable et sin término, ainsi que le parallélisme de construction, renvoient de manière insistante à la tension désirante qui anime les hommes depuis l’aube des temps, et qui doit perdurer à travers les générations à venir18. Le désir est reconnu comme le moteur de l’existence de tous les hommes. Une telle expérience désirante et unitive nous rend héritiers d’un vécu antérieur, non seulement de celui de nos aïeux mais aussi de celui de tous les hommes défunts depuis des temps immémoriaux. Étant donné que tous voient à travers le regard du sujet poétique, celui-ci est assimilable à un réceptacle transmetteur de vie pour ceux qui sont morts : « ¡En este hoy mío, cuánto ayer se vive! / Ya somos todos unos en mis ojos, / poblados de antiquísimos regresos ». Traversant et dépassant la notion de généalogie (mot pris au sens de « dénombrement, liste des membres d’une famille établissant une filiation », selon le dictionnaire Larousse), le lien qui était initialement filial s’étend à l’humanité toute entière et devient expérience de mémoire, de partage, d’unité et de dévoilement identitaire depuis une triple perspective temporelle : « Ahora, aquí, frente a ti, todo arrobado, / aprendo lo que soy : soy un momento / de esa larga mirada que te ojea, / desde ayer, desde hoy, desde mañana, / paralela del tiempo ». Cette appartenance à une chaîne d’humanité s’inscrit dans un temps qui comprend non seulement le passé et le présent mais aussi le futur. Par conséquent, un lien dynamique est instauré entre le passé, le présent et le futur. L’annonce de cette expérience est faite dans la Variation XIII d’El Contemplado : « ¡Qué antigua es esta mirada, / en mi presente mirando! »19. La certitude d’un lien étroit entre les hommes au fil du temps y est encore affirmée20. Le regard est habité par le regard d’autres hommes, c’est la preuve de l’unité scellée entre les hommes du passé, du présent et du futur : « Posado en mí está ahora ; va de paso. / Cuando de mí se vuelve, allá en mis hijos / –la rama temblorosa que le tiendo– /hará posada. Y en sus ojos, míos, / ya nunca aquí, seguiré viéndote ». C’est la progéniture du sujet parlant, notifiée par le mot « hijos », qui sera la garante de la réception et de la transmission intergénérationnelle. Si la filiation est assumée, la pérennité d’une réciprocité féconde est assurée pour l’avenir grâce à cette pratique communicationnelle entre les générations. Une paix sans pareille est alors l’héritage de ce mode de convergence entre les hommes : « ¡Qué paz, así! Saber que son los hombres, / un mirar que te mira ». Ainsi, dans ce vécu unitif, le sujet poétique accède à son identité d’homme parmi les hommes. On l’a compris, il est ici question d’une conception continue et continuée du temps et de la revendication de l’appartenance du sujet lyrique à l’humanité passée, présente et future. De cette manière, l’homme, être fini, peut accéder à la condition d’être infini, comme le traduisent les deux qualificatifs (inagotable et sin término). D’un horizon de l’être contingent, présent, pouvant englober le passé, l’être est engagé vers un horizon temporel en dehors du champ de l’immanence. Cette conception d’une parentalité élargie, via la symbolique du regard21, est totalement en adéquation avec la valeur qui lui est accordée dans la symbolique : « Le regard apparaît comme le symbole et l’instrument d’une révélation »22. Selon Pedro Salinas, un phénomène d’interaction intergénérationnelle remonte le temps et la connaissance de soi, inhérente à l’altérité, est induite dans la relation aux êtres disparus.

  • 23 Selon le Dictionnaire juridique : ordonnance n°2005-7...

  • 24 Pedro Salinas, O.C. II, op. cit., p. 511-653.

5En effet, dans la dernière variation d’El Contemplado, via la poétisation de la filiation, la voix poématique prend conscience de son identité. Dans les vers « Siento a mis padres, siento que su empeño / de no cegar jamás, / es lo que bautizaron con mi nombre. / Soy yo », le locuteur se présente d’abord lui-même comme héritier de ses géniteurs, et la forme verbale « Soy yo », en position initiale dans le vers, met l’accent sur une marque identitaire ontologique. Ensuite, dans le prêt du regard aux ancêtres, afin que ceux-ci perçoivent aussi le réel sensible, c’est l’expérience d’un plus d’être qui est alors formulée : « Al cederséla gano : / soy mucho más cuando me quiero menos ». La générosité intergénérationnelle occasionne une auto-reconnaissance satisfaisante. Enfin, l’identité du sujet est établie en relation avec l’espace-temps contemplé : « Ahora, aquí, frente a ti, todo arrobado, / aprendo lo que soy : soy un momento / de esa larga mirada que te ojea, / desde ayer, desde hoy, desde mañana, / paralela del tiempo ». En s’incluant dans cette chaîne humaine soudée par le regard, le sujet parlant s’affirme comme être dans le temps, mais dans un temps éphémère (« soy un momento ») et il assume sa condition d’être mortel. La revendication du lien de parenté avec l’humanité entière, via le regard, signifie que le poète a le pouvoir de porter toute l’humanité et d’être visionnaire. C’est la conception orphique du poète qui est ici suggérée. La poétique du regard mise en œuvre traduit un lien très fort entre les hommes dans un sens ascendant et descendant, mais celui-ci contribue implicitement au dévoilement identitaire du sujet lyrique. La poétisation de la filiation dans El Contemplado dépasse donc la stricte définition juridique qui désigne la filiation comme « le rapport de famille qui lie un individu à une ou plusieurs personnes dont il est issu »23. Si les compositions poétiques traduisent un rapport à la filiation positif, nous nous demandons maintenant comment sont formulés les arguments du critique sur la filiation, et ce qu’ils veulent démontrer dans Jorge Manrique o tradición y originalidad24.

  • 25 Ibid., p 581.

6Dans le genre poétique, c’est sur la filiation biologique, anthropologique et symbolique que Pedro Salinas met l’accent, alors que dans son essai, Jorge Manrique o tradición y originalidad, c’est sur la filiation culturelle qu’il insiste. Nous n’hésitons pas à assimiler « tradition « et « culture » puisque Pedro Salinas écrit : « Aquí sí que se impone la correlación cultura tradición »25. Le locuteur se positionne en tant que critique littéraire et non en tant que sujet lyrique. Dans le travail critique en question, la littérature fait explicitement l’objet de la problématique de la tradition, à laquelle est corrélée celle de la filiation, ce qui n’est pas du tout le cas dans El Contemplado ; il va sans dire que l’ordonnancement discursif de l’essai n’a rien à voir avec celui des poèmes. Nous n’avons pas pour objectif de théoriser sur l’intertextualité ou l’hypertextualité, mais de cerner ce que Pedro Salinas entend par filiation culturelle en utilisant le concept de « tradition » que nous commencerons par définir.

  • 26 Ibid., p. 375-395.

  • 27 David Berliner, « Anthropologie et transmission », Te...

7Dans ses essais ou dans ses conférences, Pedro Salinas s’insurge contre certains mouvements de l’Avant-Garde26 qui font fi de l’apport du passé et renient toute filiation culturelle. Il revendique au contraire l’apport fécond de la culture des générations précédentes. Jorge Manrique o tradición y originalidad est l’ouvrage critique est le plus représentatif à cet égard. Précisons que pour des raisons bien distinctes du recueil, cet essai s’inscrit aussi dans une perspective anthropologique puisque « la question de la permanence et de la transmission culturelle sont au cœur de l’anthropologie » selon David Berliner27. Notre objectif n’est pas de calibrer des pratiques intertextuelles mais de montrer les tenants et aboutissants de la filiation culturelle telle que la conçoit Pedro Salinas. Pour ce dernier, la notion de tradition est essentielle, il nous semble nécessaire d’insister sur cette notion et de préciser le sens que lui accorde l’essayiste. C’est dans cette perspective que nous proposons tout d’abord des bases théoriques afin de nourrir la réflexion et d’éviter de faire des amalgames infondés.

  • 28 Miguel de Unamuno, O.C. VIII, En torno al casticismo,...

  • 29 Javier Marcos Arevalo, « La tradición, el patrimonio ...

8Le premier sens du mot « tradition » donné par la RAE est éclairant : « Transmisión de noticias, composiciones literarias, doctrinas, ritos, costumbres, etc., conservada en un pueblo por transmisión de padres a hijos ». La notion de filiation est notifiée et elle implique celle de filiation culturelle intergénérationnelle. Si l’on prend en compte la formulation de Miguel de Unamuno, « Tradición, de tradere, equivale a “entrega”, es lo que pasa de uno a otro, trans, un concepto hermano de los de transmisión, traslado, traspaso. Pero lo que pasa queda, porque hay algo que sirve de sustento al perpetuo flujo de las cosas »28, on notera que la notion de filiation en lien avec la tradition n’est pas définie d’emblée comme limitée à la filiation familiale. Selon Javier Marcos Arevallo, l’étymologie du mot tradition nous informe qu’il s’agit d’un héritage reliant le passé et le présent et que la tradition implique une transmission : « tradición » en grec signifie « recepción » de « algo recibido por herencia de los padres y antepasados » ou « conocimiento del pasado » ; en latin, traditio renvoie à « dar o entregar » ; « enseñanza » et « relato o narración histórica transmitida por la memoria »29. La tradition est par conséquent un mode de filiation qui n’est pas forcément en corrélation avec la filiation biologique ou sociale. Étant donné l’importance de l’inscription de ce type de filiation dans le temps, il nous paraît important d’apporter l’éclairage d’anthropologues pour enrichir les approches de la théorie de la littérature et pour apporter des formulations qui n’enferment pas la notion de tradition dans celle de l’intertextualité déjà fort étudiée.

9Dans la définition donnée par l’anthropologue Gérard Lenclud, la dimension temporelle de la tradition apparaît clairement :

  • 30 Gérard Lenclud, « La tradition n’est plus ce qu’elle ...

La notion de tradition renvoie d’abord à l’idée d’une position et d’un mouvement dans le temps. La tradition serait un fait de permanence du passé dans le présent, une survivance à l’œuvre, le legs encore vivant d’une époque pourtant globalement révolue. Soit quelque chose d’ancien, supposé être conservé au moins relativement inchangé et qui, pour certaines raisons et selon certaines modalités, ferait l’objet d’un transfert dans un contexte neuf. La tradition serait de l’ancien persistant dans du nouveau. […] L’expérience du passé se fait dans le présent ; au lieu d’une coupure entre passé et présent, le passé est regardé comme sans cesse réincorporé dans le présent […] tradition et changement ne sont pas foncièrement antinomiques et il convient de ne pas opposer passé et présent, statique et dynamique, continuité et discontinuité.30

10Gérard Lenclud pose donc de façon très pertinente le problème du lien entre tradition et changement. En soulignant combien la tradition continue à vivre dans le présent et suscite des changements, un autre anthropologue, Javier Marcos Arévalo abonde dans ce sens :

Frente a la restrictiva y tradicional noción de tradición, convencionalmente figurada como estática, inalterable y pretérita, algunos antropólogos han sugerido la necesidad de proceder a la resemantización de sus significados en el contexto más comprensivo que supone la teoría del cambio cultural. De manera que la tradición sería ahora algo así como el resultado de un proceso evolutivo inacabado con dos polos dialécticamente vinculados : la continuidad recreada y el cambio. La idea de tradición remite al pasado pero también a un presente vivo. Lo que del pasado queda en el presente eso es la tradición. La tradición sería, entonces, la permanencia del pasado vivo en el presente.31

  • 32 « Les cours du collège de France », 2006-2016 : 6 cou...

  • 33 Charles Baudelaire, Constantin Guys : le peintre de l...

  • 34 Javier Pérez Bazo, La Vanguardia en España, Paris : T...

  • 35 Pedro Aullón de Haro, « Teoría general de la Vanguard...

11Si la tradition est un legs du passé, il n’en reste pas moins qu’elle ne doit pas rester cantonnée dans le passé ; il convient de ne pas l’envisager uniquement sous son aspect statique et révolu. En tant qu’héritage du passé la littérature, orale ou écrite, est engagée dans une dialectique entre passé et présent. En fait, cette opposition dynamique des opposés est gage d’évolution pour les anthropologues et les théoriciens de la littérature. On sait que la définition de la modernité est en jeu dans la projection du passé dans le présent et le futur comme l’a bien montré Antoine Compagnon32 en étudiant l’ambigüité de Baudelaire face à la modernité. En effet, dans l’essai de Baudelaire sur le peintre Constantin Guys33 l’éphémère et le contingent y côtoient la permanence et l’éternel. Javier Bazo, dans l’introduction de son ouvrage La vanguardia en España34 rappelle l’existence de tensions ambivalentes dans la modernité ; Pedro Aullón de Haro revient longuement sur ce sujet dans le chapitre intitulé « Teoría general de la Vanguardia »35.

  • 36 Pedro Salinas, O.C. III, Epistolario, op. cit., p. 1064.

12Une fois définie la notion de tradition, examinons ce que Pedro Salinas met en valeur dans son essai intitulé Jorge Manrique o tradición y originalidad. De quelle manière est formulée l’absence de rupture entre hier et aujourd’hui quant à la transmission du patrimoine culturel, ainsi que l’absorption féconde inhérente à la continuité entre passé et présent ? Quel est le processus constitutif de cette filiation culturelle et dans quelle mesure peut-on parler d’évolution ? Nous nous demanderons aussi quel est le devenir de cet héritage culturel, et comment sont mis en avant les aspects positifs et incontournables de cette présence du passé dans le présent dans cet ouvrage, défini par son auteur comme « una defensa de la fatalidad de la tradición, y sus beneficios »36. Pedro Salinas insiste énormément sur la composante temporelle de ce type de filiation, aussi avons-nous choisi quelques exemples révélateurs de cette force tenace de survie qu’est la filiation littéraire.

  • 37 Pedro Salinas, O.C. I, op. cit., p. 581.

  • 38 Pedro Salinas, O.C. I, op. cit., p. 576.

13La tradition s’inscrit dans un temps sans limites, elle est considérée comme éternelle : « Cada obra de arte es una explotación más de lo humano eterno »37, et la volonté de se rallier aux voix qui se sont déjà fait entendre au cours d’innombrables années est explicitée dans la phrase « juntarse al eterno grupo de los que hablaron »38. Un lien de filiation culturelle, séculaire et impérissable s’instaure donc entre les hommes de tous les temps selon Pedro Salinas.

14Aucune rupture avec les voix du passé n’est envisagée puisque ce sont la continuité, la transmission et la pérennisation de ces voix qui sont affirmées. Pedro Salinas manifeste son adhésion à la notion de filiation culturelle en insistant aussi sur la filiation anthropologique. Le mot suelo représente bien plus que la simple superficie de la terre :

Podemos afirmarnos orgullosamente en nuestro presente, con la misma certidumbre con que se ahíncan los pies en el suelo. Pero conviene no olvidar que ese trozo de superficie que pisamos es la apariencia última de capas y capas terrenas, obra de millones de años : nuestro piso existe, por ellas y sobre ellas ; y aunque las oculta a la mirada, las contiene a todas, a todas las supone. La pradera suave, deliciosa, superficial, donde se reclina nuestra fatiga, no es más que el estado presente de la tradición geológica. La tierra poco a poco, ha ido haciendo la Tierra… se vive sobre profundidades, las de la tradición.39

15Il est ici question du sol comme expression géologique du temps immémorial. Si Pedro Salinas appelle l’homme à se souvenir de cette filiation tellurique ancestrale, c’est pour amener le lecteur à partager son point de vue sur les aspects positifs de la filiation culturelle qui se perd dans la nuit des temps.

  • 40 Ibid., p. 576.

  • 41 Ibid., p. 585.

16La tradition ou filiation culturelle assumée est un facteur déterminant pour la création étant donné qu’elle n’est pas la simple copie ou reproduction de l’ancien. Si « la tradición es la habitación natural del poeta »40, Pedro Salinas s’inscrit en faux contre une approche réductrice du legs culturel : « Es superficial simpleza la que pinta a la tradición como una fuerza retrógrada, invitadora a una mímesis de lo pasado »41. En effet, la tradition est comprise comme un ancrage culturel qui sert de catalyseur à la production d’une œuvre originale. Par conséquent, cette filiation culturelle porte en elle les germes du changement, une valeur dynamique étant conférée à cette filiation transmise de génération en génération. Une des constantes de l’œuvre critique de Pedro Salinas est la valorisation de la tradition comme horizon fondateur de créativité :

Aparece así como el deber de todo artista el intentar ganarse la conciencia de la tradición en toda su plenitud, el avisar el horizonte más amplio para la ventura del espíritu creador… Y una vez enfrentados con la visión plena de la tradición viene el otro deber del escritor, el último ; elegir en ella el milagroso cálculo de sus fuerzas, la corriente que mejor le lleve a la obra deseada.42

  • 43 Ibid.

17Cette filiation culturelle stimule la capacité créatrice de l’homme et augmente son potentiel artistique ; elle est source de recréation et de réactualisation du passé. Le passé absorbé et transformé devient alors présent projeté vers le futur, et ce dernier sera pour les générations à venir un matériau pour les hommes ou les créateurs futurs : « Éste es el instante decisivo en que la tradición completa su dominio sobre lo temporal apoderándose de la última dimensión del tiempo, el futuro, la obra que empieza a escribirse. Ha llegado a su rango supremo : ser la rectora del futuro »43. Les propos de Max Bense tant sur le lien entre tradition et histoire que sur le rôle positif de la tradition sont très éclairants et rejoignent ceux de Pedro Salinas :

  • 44 In : Paul Zumthor, Essai de poétique médiévale, Paris...

la tradition constitue un espace ayant ses dimensions propres, dans lesquelles s’inscrivent et par rapport auxquelles se mesurent les « œuvres » et les textes, de la même manière que l’expérience individuelle s’inscrit dans l’histoire. La tradition concerne l’avenir plus que le passé dont, historiquement, elle provient. Elle projette ce passé sur l’avenir, et fonctionne en prospective.44

18Pour Pedro Salinas, la filiation culturelle est à l’origine d’un entrelacs temporel toujours renouvelé au cours de l’histoire. Elle pousse vers l’avant au lieu de retenir l’homme dans le passé :

Y entonces se cumple el ciclo grandioso de la tradición : la nueva gran obra, la criatura de lo que fue antes proyecto futuro, es ya hecho, presente ; y apenas lo ha sido, ingresa en el pasado, vuelve al seno de la tradición, de donde recibió su impulso de vivir ; la cual no la recogerá como tierra sepulcral, sino como onda, que la lanza de nuevo hacia los que vengan, a vivir hacia adelante.45

  • 46 Jean Davallon, « Le patrimoine, une filiation inversé...

  • 47 Pedro Salinas, O.C. II, op. cit., p. 581.

19Défendue comme un processus toujours en marche, toujours à renouveler, ne s’épuisant jamais, la tradition est douée d’un potentiel vital que le temps ne peut arrêter. La filiation qui se construit au fil du temps s’explique par ses possibilités de réutilisation et de reconstruction. La tradition littéraire est héritage qui peut être transformé. En empruntant une formulation à Jean Davallon, nous pouvons dire que le critique espagnol veut aussi nous faire comprendre que « passé et présent se superposent dans le présent de telle sorte que ce dernier en vient en quelque sorte à former un pli. Or ce plissement du présent trouve son fondement dans une rupture temporelle et résulte d’une construction depuis le présent de la filiation qui nous rend héritiers de ces choses du passé »46. Grâce aux choix effectués par celui qui crée, passé, présent et futur ne s’opposent pas mais interagissent : « Sus componentes son cronológicamente pasados, pero el horizonte que con ellos se erige resulta todo presente »47. La dialectique entre passé et présent détermine par conséquent la valeur présente et future de la nouvelle création.

20Lorsque le lien de filiation est accepté, la tradition vit à travers le texte et le texte tient sa vie présente et future de la tradition. Toutefois, l’écriture est et demeure un acte fort d’individuation car des phénomènes de recréation, de transformation et de mutation se font jour en fonction du contexte socio-historique et émotionnel :

  • 48 Ibid., p. 589.

Como, además, esa materia verbal del poema es inseparable de su contexto, el poema va cargado, en sus palabras, de asociaciones y referencias a estados psicológicos, emocionales, secularmente experimentados por legiones de seres. Pero una misteriosa ley organizadora de todo esto, tan común, una genial inventiva de ordenación, toca, como una varita mágica, los vocablos, las frases ordinarias, y el todo que ellos forman, el poema, aparece como novedad virginal e intacta, como nueva, nunca vista realidad.48

21Il n’est donc pas question d’une filiation subie mais d’une filiation qui entraîne la coopération de celui qui choisit d’en hériter. Les circonstances spatio-temporelles conditionnent également la réception et de la création d’une œuvre. C’est à partir de l’acquis que peut germer l’œuvre originale ; celle-ci apporte alors le changement par son caractère inédit. Javier Marcos Arévalo, dans son article « La tradición, patrimonio, identidad », souligne combien une société, qui reconnaît et assume sa filiation avec le passé, porte en elle la capacité de changer :

  • 49 Javier Marcos Arévalo, « La tradición, el patrimonio ...

Si la tradición es la herencia colectiva, el legado del pasado, lo es también debido a su renovación en el presente. La tradición, de hecho, actualiza y renueva el pasado desde el presente. La tradición, para mantenerse vigente, y no quedarse en un conjunto de anacrónicas antiguallas o costumbres fósiles y obsoletas, se modifica al compás de la sociedad, pues representa la continuidad cultural. De aquí, justamente, su versátil capacidad de cambio y de adaptación cultural. La tradición, para ser funcional, está en constante renovación, y se crea, recrea, inventa y destruye cada día. Porque la tradición contiene en sí misma los gérmenes de la estabilidad y del cambio. Y el cambio, en términos de adaptación sociocultural, es consustancial a toda sociedad ; continuamente se crean nuevas formas de expresión cultural.49

  • 50 Nous empruntons cette expression à Jean Davallon, op....

22Par conséquent, au lieu d’être opposé à toute évolution, cet héritage culturel peut être admis comme « une condition du changement »50. Sa capacité à être modulé et adapté aux réalités socioculturelles du moment garantit sa survie. Ainsi un processus de transformation de la création est-il assuré au cours de l’histoire, avec comme effet collatéral une nouvelle configuration culturelle de la société.

  • 51 Pedro Salinas, O.C. II., op. cit., p. 584.

  • 52 Ibid.

  • 53 Ibid., p. 581.

  • 54 Ibid., p. 581-582.

  • 55 Paul Zumthor, Essai de poétique médiévale, op. cit., ...

23Ce potentiel évolutif de la tradition, que chaque individu peut faire sien, implique l’exercice de la liberté et de la responsabilité du récepteur, comme cela est exposé dans le sous-chapitre de l’essai sur Manrique : La obligación de elegir y sus modos51. Il revient à l’artiste d’opérer librement des choix dans la richesse féconde du patrimoine culturel pour affirmer sa puissance créatrice : « La grandeza de un artista se mide por su grado de capacidad para asimilar la mayor parte posible de esa totalidad de la tradición, por su vitalidad combinatoria »52. Lorsque le créateur applique un traitement spécifique à son héritage culturel, c’est alors qu’il fait usage de sa liberté. La filiation acceptée n’engendre pas un calque du contenu retenu, mais elle permet au contraire au créateur d’y poser son empreinte personnelle. En tirant parti des sources et en s’en démarquant, l’artiste fait l’expérience du pouvoir libérateur de la tradition ; le titre du sous-chapitre : La tradición liberadora53 est significatif à cet égard. Actes de liberté, les choix effectués parmi un héritage culturel universel sont envisagés comme un potentiel énorme pour la création : « De nada sirve una libertad que no tiene para ejercerse más que el vacío […] El artista que logre señorear la tradición será más libre al tener más carreras por donde aventurar sus pasos »54. Considérée par Paul Zumthor comme un « lieu de confluence et de transmutation globale des éléments d’une culture »55, la tradition ne contribue pas à circonscrire ou à restreindre la liberté créatrice mais plutôt à l’accroître.

24La filiation culturelle comprise de cette manière génère un processus évolutif, étant donné qu’elle ne conduit pas à une stricte reproduction mimétique d’une œuvre du passé. Elle peut même provoquer un changement puisqu’en s’appropriant ce matériau culturel, le poète se libère du même pour créer autre chose en prenant conscience de son pouvoir créateur. Il accède également à une meilleure compréhension de la nature humaine dans toute sa diversité :

  • 56 Pedro Salinas, O.C. II., op. cit., p. 581-582.

Cada gran obra de arte es una explotación más hecha en el territorio de lo humano eterno, poco a poco surcado por caminos que corren en direcciones distintas y aun opuestas y que sin embargo anhelan el mismo imposible : dar con la realidad entera de la vida. […] El explorador, el artista de hoy se halla con más caminos abiertos que nunca : son los trazados por sus antecesores.56

  • 57 Gérard Lenclud, op. cit., p. 118.

25En intégrant la tradition, toute œuvre participe de la soif de connaissance de tout ce qui compose la vie de l’être humain. L’artiste contemporain, redevable de ceux qui l’ont précédé, dispose d’un legs amplifié au fil des siècles afin de modeler sa création. On est alors en droit de qualifier cette filiation d’« inversée » puisque selon Gérard Lenclud, « Ce n’est pas le passé qui produit le présent mais le présent qui façonne son passé »57. Ce rapport aux auteurs du passé instaure en effet une relation qui remonte le temps.

26Pour élaborer sa voix personnelle, le poète puise dans un héritage culturel et opère des choix dans un matériau pluriel, porteur de la diversité des expériences humaines :

  • 58 Pedro Salinas, O.C. II., op. cit., p. 577.

Asimismo, la tradición, el conjunto de sus obras, se ofrece como una serie de objetivaciones de la experiencia humana, y en su repertorio el poeta elige las que más desde adentro le llaman, y las emplea a su talante, fiando el triunfo o el fracaso de su obra que emprende al acierto de su motivo combinatorio y al grado de su potencia integradora.58

27La fécondité et la richesse de la tradition sont ici rappelées ; la survie des œuvres du passé ainsi que celle de l’œuvre créée aujourd’hui dépend de la capacité du scripteur à absorber et à transformer. Une subtile interdépendance se trame entre les ascendants et les descendants dans ce cas.

  • 59 Gérard Lenclud, op. cit., p. 118.

  • 60 Pedro Salinas, O.C. II., op. cit., p. 581.

28Dans cette interaction fertile entre les générations, c’est également le problème de l’identité qui est posé. Gérard Lenclud explique bien le lien existant entre passé et présent quant à la recherche d’identité : « La tradition comme mémoire dans laquelle l’homme puise, construit l’identité et fait évoluer le contenu de cette identité et cherche dans le passé une réponse à la question de l’identité formulée dans ce passé »59. Pour Pedro Salinas, la tradition, terreau de mémoire, porte en elle un processus d’ouverture à ce qui est autre en permettant au sujet de se trouver lui-même. Si le poète opère à partir d’un vécu qui lui est propre, la découverte d’un patrimoine culturel différent accroît son domaine d’expérience et de connaissance. La réutilisation de faits culturels signifie l’accès à l’altérité tout en se construisant soi-même dans une autre réalisation de soi amplifiée et enrichie par le vécu transmis par l’autre : « La tradición es la enorme reserva de materiales con los que el hombre puede rodearse de horizontes »60. Tout homme peut s’approprier ce legs très enrichissant et parvenir à être lui-même en découvrant d’autres manières d’être au monde :

  • 61 Ibid.

Conforme, pues, el espíritu del hombre ensancha su posesión de los grandes contenidos tradicionales, va creándose más ámbito donde moverse, se ve rodeado de más posibilidades de ser el mismo y serlo de distintas maneras. Así que se impone la correlación cultura y tradición. La tradición, que solo puede ser poseída por actos de cultura, no nos trae más conocimiento, no nos enseña más o menos cosas. El hombre inmerso en la tradición no sabe más ; es más, porque ella, al multiplicarle las posibilidades de ser, le multiplica su potencia de ser.61

29Marqueur identitaire, l’héritage culturel assumé véhicule donc une expérience ontologique pour le créateur. Amplificateur d’être, ce type de filiation se trouve au confluent de l’expérience collective et individuelle.

30Si l’acceptation de la tradition favorise la quête ontologique du créateur en lui laissant entrevoir des horizons insoupçonnés, elle est également ouverture sur une participation sociale très éclectique. Recueillant l’ensemble des textes oraux ou écrits, hérités à travers le temps, les acteurs de la transmission de la tradition évoluent au cours de l’histoire, et ils sont représentatifs de la diversité sociale existante :

  • 62 Ibid., p. 377.

El trato y la convivencia con unos buenos tipos de campesinos castellanos, andaluces, de cualquier región de España, nos imponen la creencia en una tradición de analfabetos correlativa de la gran tradición culta, nodriza espiritual de millones y millones de seres, y que opera por mecanismo puramente hereditario.62

  • 63 Ibid., p. 379.

  • 64 Miguel de Unamuno, Obras completas, VIII, En torno al...

  • 65 Ibid.

  • 66 Ibid., p. 577-581.

31Dans ce processus héréditaire, toutes les classes sociales sont prises en considération et tous les niveaux de culture sont valorisés. Une parenté spirituelle et intellectuelle est forgée au fil du temps ; elle intègre toutes les composantes de la société, et surtout les gens simples qui ne figureront pas dans les livres d’histoire : « seres de esos sin historia… los de Miguel de Unamuno »63. On ne peut pas ne pas comprendre que Pedro Salinas se réfère ici à la « intrahistoria »64, le célèbre concept unamunien, Une tradition analphabète perdure car il s’agit d’une transmission orale héréditaire, fondée sur la mémorisation : « el contenido de la tradición iletrada se lo dejan los padres a los hijos […] Se las dejan los mayores a sus descendientes, no se las dan porque no es suya. La forma esencial de la tradición está, pues, en ese ir dejándosela unos a otros, tipo de actividad inevitablemente hereditaria »65. La mise en valeur de l’expérience culturelle héritée sans distinction de condition ni d’origine est au cœur de la pensée du critique. Ce type de filiation est ouvert à tous les acteurs possibles étant donné que la tradition populaire et la tradition savante sont prises en compte66. La tradition peut être alors considérée le fondement de la filiation culturelle et joue un rôle fondamental car tout homme peut ainsi s’enrichir des expériences d’autrui et nouer un lien filial avec ses prédécesseurs. En rentrant dans ce processus successoral, l’homme se voit offert la possibilité de « trasvivirse » (néologisme que l’on peut traduire par « vivre au-delà de soi-même »), comme celui-ci le soutient dans son essai intitulé La poesía de Rubén Darío :

  • 67 Ibid., p. 723.

Vivimos con las ideas de todos los siglos, con sentimientos de miles de años, con criaturas de toda la tierra, tan pronto como la cultura sea un valor vital, una realidad con la que se nos ha ido haciendo la vida, paso a paso, y ahora ya está entretejida, asimilada, inseparable, con los demás hilos de la existencia. Ese es el sentido humano de la cultura ; no un saber, un acopiar conocimientos sobre conocimientos, sino una multiplicación de nuestras vidas, casi siempre modestas y de radio corto, por un fabuloso número de experiencias ajenas, fijadas en el cuadro, la música o el lenguaje. El hombre se aproxima más a su totalidad porque sin dejar de vivir en su limitado ser individual, convive con generaciones y generaciones de humanos, y cada una ofrece vidas en que trasvivirse.67

32Dans ce passage, Pedro Salinas insiste sur l’apport essentiel que représente tout héritage transmis. La tradition est un élément vital, faisant partie intégrante de notre existence. Ce mode de transmission intergénérationnel est compris comme un potentiel amplificateur du vécu personnel qui permet de repousser les limites spatio-temporelles de chacun, quel qu’il soit.

33Enfin, facteur de continuité, cette filiation culturelle permet de retrouver des repères dans une société marquée par l’absence de sens, la médiocrité et le changement vide de sens. C’est ce qui est expliqué, non sans humour, dans le sous-chapitre La tradición como criterio :

  • 68 Ibid., p. 583.

Muy raro es pararse a pensar en el porqué del cambio y el para qué del cambio. La mudanza por serlo está santificada y el hombre contemporáneo se ha inventado un nomadismo espiritual y moral superior al de los beduinos del desierto. Mudar de trajes, de casa, de moral se tiene por seña indudable de vitalidad. La tradición en su extraño operar bivalente –alzar a permanencia lo que pasa en el tiempo y es digno de ser detenido, y a la vez tener siempre abierto a la censura del tiempo lo que se admitió como permanente– no se deja guiar más que por una norma selectiva : lo mejor. Su sueño es el sueño de lo mejor, entregándonos lo mejor de lo que hicieron los mejores.68

34Certes remis en question au fil du temps, le patrimoine culturel est transmis via une tradition garante de la permanence de l’excellence. Il sert de référence pour calibrer l’évolution des sociétés puisque la tradition varie selon les générations. Transmission et réinvention interagissent pour poursuivre la constitution d’un legs identitaire qui se transmet socialement, comme l’explique Javier Marcos Arévalo. Celui-ci précise les composantes de cet héritage et son mode de transmission :

  • 69 Javier Marcos Arévalo, op. cit., p. 229-230.

Se considera ahora el valor simbólico, es decir la capacidad de representatividad, de los distintos referentes y elementos patrimoniales, el patrimonio como expresión de la identidad, y ésta como asunción de la tradición y una continuidad generacional particular, la herencia cultural. De manera que el patrimonio remite a una realidad icónica (expresión material), simbólica (más allá de la cosificación y la objetualidad) y colectiva (expresión no particular, sino de la experiencia grupal) ; porque el patrimonio cultural de una sociedad está constituido por el conjunto de bienes materiales, sociales e ideacionales (tangibles e intangibles) que se transmiten de una generación a otra e identifican a los individuos en relación contrastiva con otras realidades sociales. Los bienes culturales forman parte de la identidad y son expresión relevante de la cultura de un grupo humano. El patrimonio, lo que cada grupo humano selecciona de su tradición, se expresa en la identidad.69

35En soulignant l’impact de la conservation évolutive du patrimoine culturel sur l’identité d’une société, Javier Marcos Arévalo détaille en quelque sorte les propos de Pedro Salinas. Si patrimoine culturel peut être admis comme primordial pour identifier une société, il oriente également l’homme en société vers une meilleure connaissance de lui-même en lui proposant une orientation cohérente de sa vie, placée sous le signe de l’ouverture et non de la fermeture : 

  • 70 Pedro Salinas, O.C. II, op. cit., p. 581-582.

Conforme el espíritu del hombre ensancha su posesión de los grandes contenidos tradicionales, va creándose más ámbito donde moverse, se ve rodeado de más posibilidades de ser él mismo y de serlo por distintas maneras. […] saber por dónde anduvieron los demás le enseña a uno a saber por dónde se anda.70

  • 71 Pedro Salinas, O.C. III, op. cit., p. 1300.

  • 72 Ibid., p. 1436-1437.

  • 73 Ibid., p. 1337.

  • 74 Pedro Salinas, O. C. II, op. cit., p. 583-584.

  • 75 Pedro Salinas, O.C. II, op. cit., p. 583.

  • 76 À titre d’exemple, on peut lire « El viento y la guer...

  • 77 Pedro Salinas, O.C. III, op. cit., p. 1044.

  • 78 Bernadette Hidalgo Bachs, « L’auto-exil de Pedro Sali...

36Même si Pedro Salinas a toujours été féru de littérature espagnole, on est tenté d’attribuer une telle valorisation de la tradition à son statut d’auto-exilé outre Atlantique, et à la nécessité de « hacer sentir lo español »71. À la fin de sa vie, il exprime combien l’Espagne reste plus que jamais son pays : « Materialmente estoy hace ya muchos años fuera de España : pero lo mejor de uno –esperanza, aspiración, futuro– sigue centrado en España, imantado hacia ella »72. Ainsi, loin de l’Espagne, il reconnaît combien ce qui constitue son identité lui manque : « es triste vivir fuera del ámbito natural de todo escritor : la tierra de su nación y su lengua »73. Cependant, bien que Pedro Salinas affirme son attachement à la culture qui a forgé sa manière d’être au monde, il reste toujours ouvert à ce qui constitue la culture de l’autre74. Signalons enfin que dans l’essai, les substantifs tradición, artista sont précédés d’un article défini, ce qui oriente le lecteur vers une approche générale du phénomène. De toute évidence, il n’est pas question d’une perspective exclusivement espagnole. Dans une époque troublée, il semble essentiel à l’essayiste de proposer au lecteur une modalité identitaire qui le rattache à ses ascendants en le projetant dans un espace-temps ouvert qui fait sens et l’enrichit. Le lien intergénérationnel, créé dans et par la transmission, ainsi que par la reconstruction d’un bien culturel commun, est défini comme un principe de convergence fécond des différences, comme l’expriment ces propos : « El milagro de la tradición es atenuar las discordancias y conservar las diferencias. Su signo es el de la concordia »75. Cette assertion pourrait bien être l’expression du souhait profond de voir se réconcilier ceux qui s’opposent en se reconnaissant un héritage commun. Nombre de ses prises de position font de Pedro Salinas un pacifiste : à maintes reprises, il s’insurge contre la guerre, les affrontements et il privilégie le dialogue pour régler les conflits76. Il est toujours extrêmement préoccupé par ce qui se passe en Espagne et en Europe lors de la Guerre. Bien des passages en témoignent dans sa correspondance dont nous citons une lettre significative, écrite le 3 décembre 1944, après la libération de la France : « Es imposible, absolutamente imposible, que el espíritu francés tan prodigiosamente asimilativo, no saque de la tragedia de estos años un sentido nuevo de la vida. Eso es lo que se necesita. Eso es lo que no vamos a saber sacar los españoles de nuestro drama »77. Dans ces quelques lignes l’inquiétude et le pessimisme du scripteur sur l’avenir de la société espagnole sont palpables. Les propos tenus par Pedro Salinas sur la filiation culturelle, conçue comme un processus de transmission et de reconstruction pourraient bien être interprétés comme le besoin de rappeler qu’il existe un processus de continuité constitutif d’une identité à la fois collective et individuelle. Le mode de relation entre les générations et les classes sociales que génère la tradition peut donc contribuer à souder les hommes. À la recherche d’identité et de sens, ce républicain opposé à toute forme de totalitarisme78 se fait le défenseur d’une fraternité qui dépasse la généalogie, telle qu’elle a été définie plus haut.

37Si, via la poétisation du regard, Pedro Salinas réinterprète, dans El Contemplado, la relation positive aux ascendants et aux descendants pour tout un chacun, il montre dans son essai Jorge Manrique o tradición y originalidad qu’il existe dans le phénomène de la filiation culturelle une interaction intergénérationnelle féconde qui s’enrichit au fil du temps et peut être un facteur d’union entre les hommes vivant en société. Dans le langage poétique, ce sont les filiations biologique, anthropologique et ontologique qui sont privilégiées, alors que dans l’essai la priorité est donnée à la filiation culturelle. En réaction contre la perte de sens de l’existence humaine, il propose un réinvestissement positif de la temporalité et des relations intergénérationnelles car elles sont porteuses d’un supplément d’être et d’une identité partagée. Ainsi la filiation culturelle assumée fait-elle de tout sujet un héritier du passé, un acteur inventif du présent et un constructeur d’avenir. Représentative d’une dialectique entre l’individu et la collectivité, entre présent et passé, cette filiation évolutive doit être préservée. Il n’y a pas de création ex nihilo ; le passage à la modernité, lieu et temps d’expression propre à chaque artiste, se fait sans rupture avec la tradition telle que la conçoit Pedro Salinas. On perçoit également combien le critique outrepasse le cadre de la littérature pour faire signe vers la conception de l’homme comme être de relation qui existe avec ceux qui le précèdent, et il leur survivra dans ses descendants, biologiques ou non. Dans les deux œuvres, Pedro Salinas s’emploie à formuler de manière très différente son adhésion à la construction d’un lien interdépendant créatif entre les générations. La tradition, au confluent entre transmission et reconstruction, concerne autant l’avenir que le passé dont elle provient historiquement. Si l’on peut retenir l’expression « filiation inversée » pour l’essai et la composition poétique, il n’en reste pas moins que leur champ d’application diffère nettement. Nous tenons aussi à souligner que la filiation perçue dans un sens ascendant n’est pas du tout contradictoire avec celle perçue dans un sens descendant. Un processus de filiation évolutif est décrit : si une continuité est instaurée entre nous et un ailleurs, dont vient cette tradition, celle-ci est à l’origine d’innovations, de recréation ou de changement. Fruit d’un libre choix, l’utilisation et l’absorption de faits culturels signifient l’accès à l’altérité, et, la construction de soi se fait grâce à l’apport de l’autre. Un processus de transfert d’être est mis en œuvre pour repousser les frontières de l’être au monde de chaque sujet. En redonnant du sens à l’expérience vitale, la filiation assumée permet de résoudre la question de l’identité, laquelle se crée à partir d’un héritage. Elle fomente à la fois le sens de l’appartenance à une culture et l’ouverture aux autres. Foyer d’irradiation d’une ontologie, cette notion de filiation se veut inclusive. La tradition, mémoire culturelle dans laquelle puise l’homme, est source de dévoilement identitaire et non de repli identitaire. Ce mode de filiation renvoie à la conception de l’homme comme mémoire vivante et créatrice. L’adhésion à la transmission intergénérationnelle se transmue en quête de liens féconds dans une société fraternelle et ouverte. Partager un héritage commun et donc une identité commune apparaît comme une des clés pour que les hommes d’un même pays se retrouvent et vivent ensemble le plus pacifiquement possible. Ce qui est facteur de cohésion pour la société et ce qui offre une vision créatrice de l’homme sont mis en avant dans des temps troublés à la recherche de repères. Enfin, nous observons que la teneur des propos et des vers cités est en résonance avec nombre de lettres dans lesquelles Pedro Salinas, profondément républicain, donne son point de vue sur la situation socio-politique internationale, et sur la société espagnole de l’après-guerre. La nécessité d’une politique d’assimilation, de reconstruction apaisée, fondée sur la reconnaissance d’une filiation intergénérationnelle non biologique, y est également revendiquée.

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Notes

1 Antoine Compagnon, Les cinq paradoxes de la modernité, Paris : Seuil, 1990, p. 80-81.

2 Rappelons que Pedro Salinas a dirigé l’Université Internationale d’été à Santander, sous le gouvernement de Manuel Azaña. En 1939, il a fait partie de la délégation des écrivains espagnols républicains au Pen Club International et, en 1949, il a travaillé à l’UNESCO.

3 Pedro Salinas, Obras completas. I, Poesía, narrativa, teatro ; II, Ensayos completes ; III, Epistolario, Madrid : Cátedra, 2007.

4 Bernadette Hidalgo Bachs, « L’auto-exil de Pedro Salinas », Les Langues Néo-Latines, juin 2015, n° 373, p. 89-105.

5 Pedro Salinas, O.C., I. Poesía, narrativa, teatro, op. cit., p. 565-605.

6 Pedro Salinas, O.C., II. Ensayos completos, op. cit., p. 511-653. Dans l’essai La poesía de Rubén Darío (1949), Pedro Salinas réaffirmera son adhésion à la notion de filiation culturelle, O.C. II, op. cit., p. 721-722.

7 Nous empruntons cette formulation au titre de l’article de Javier Marcos Arévalo, « La tradición, el pasado vivo en el presente », in : Tradición. Cien respuestas a una pregunta, Salamanca : Centro de Cultura Tradicional de la Diputación de Salamanca e Instituto de Investigaciones Antropológicas de Castilla y León. Gráficas Lope, 2001.

8 Françoise Dekeuwer-Defossez, « Filiation, droit », Encyclopédie Universalis : « L’établissement de la filiation est traditionnellement liée à l’union des parents […] Ce lien entre mariage et filiation résulte à l’origine de l’incertitude sur la paternité biologique ». Françoise Dekeuweer-Defossez, « FILIATION, droit ». In : Universalis éducation [en ligne]. Encyclopædia Universalis Disponible sur : <http://www.universalis-edu.com/encyclopedie/filiation-droit/> (consulté le 10 janvier 2017).

9 Pour définir la notion de « filiation anthropologique », nous retenons la définition de Christian Ghasarian dans Introduction à l’étude de la parenté, Paris : Editions du Seuil, coll. Points. Essais, 1996. Il s’agit du « principe gouvernant la transmission de la parenté » qui définit son statut social. Ce type de filiation détermine l’identité d’un individu dans une société, en définissant de qui il hérite et ses obligations morales.

10 Bernadette Hidalgo Bachs, Todo más claro, El Contemplado et Confianza de Pedro Salinas : une écriture poétique entre contemplation et engagement, Bruxelles: Peter Lang, 2012, p. 31-57.

11 Pedro Salinas, O.C. I., op. cit., p. 602-603.

12 Voir Françoise Dekeuwer-Defossez, « Filiation, droit », Encyclopédie Universalis.

13 Jean Chevalier et Alain Gheerbrant, Dictionnaire des symboles : mythes, rêves, coutumes, gestes, formes, figures, couleurs, nombres, Paris : Laffont, 1982, p. 686-689 et 803-804.

14 Ibid., p. 803.

15 Il convient de signaler que la séquence citée ci-dessus fait écho à la notion de fraternité universelle chère à Miguel de Unamuno, le maître de Pedro Salinas. À titre d’exemple, nous rappelons cette expression de Meditaciones : « la hermandad que nos une a otros hermanos ». Le contenu de ces vers de Pedro Salinas convoque d’autres propos de Miguel de Unamuno : « Atamos el ayer al mañana con eslabones de ansia, y no es el ahora, en rigor, otra cosa que el esfuerzo del antes por hacerse después ; no es el presente, sino el empeño del pasado por hacerse porvenir » (Miguel de Unamuno, Del sentimiento trágico de la vida, Obras selectas, Madrid : Espasa, Col. Austral, 1998, p. 195). La philosophie du personnalisme, sur laquelle est centré l’article suivant, est commune aux deux auteurs : Bernadette Hidalgo Bachs, « Miguel de Unamuno, Pedro Salinas, une filiation créatrice », Actes du colloque de l’EHESS, sous la direction de Frédéric Gugelot, Cécile Vanderpelen, et Jean-Philippe Warren, COnTEXTES. Revue de sociologie de la littérature, no 12, septembre 2012, disponible sur : <http://contextes.revues.org/5532> (consulté le 10 novembre 2016).

16 Pedro Salinas, O. C. I, op. cit., p. 607. Dans le prologue de Todo más claro, on lit : « dos grandes maestros de todos : Miguel de Unamuno y Antonio Machado.

17 Hommage à Jean Pouillon, L’Homme, n° 143, juil. Sept 1997 ; et Jean Davallon, « Le patrimoine, une “filiation inversée” ? », Espaces Temps, 2000, Vol. 74, n° 1, p. 1 : « Le patrimoine est habituellement assimilé à une mémoire “muséifiée”. Or, si on interroge ce que l’on appelle transmission du patrimoine, ce dernier apparaît instaurer un rapport au passé (ou à l’ailleurs) tout à fait original. S’appuyant sur l’histoire (ou l’ethnologie), il est reconstruction d’un lien avec un monde disparu, depuis le présent, à partir d’un objet “trouvé”. La valeur que nous reconnaissons à cet objet nous rend débiteurs de ceux qui l’ont produit. Loin d’être continuité mémorielle, le patrimoine ouvre donc une “filiation inversée”, une filiation qui est culturelle et non plus sociale ou biologique. »

18 La parenté avec la pensée de Miguel de Unamuno est ici décelable de nouveau. En effet, le philosophe écrit : « Y es la humanidad como una moza henchida de anhelos, hambrienta de vida, y sedienta de amor ». Miguel de Unamuno, Del sentimiento trágico de la vida, op. cit.., p. 195. 

19 Pedro Salinas, O. C. I, op. cit., p. 601.

20 On ne peut pas ne pas penser à Miguel de Unamuno dans « Cuando sea viejo », (OC, IV, Madrid, Biblioteca Castro, 1999, p. 17) « El alma que aquí dejo / un día para mí se irá al abismo ; / no sentiré mis cantos ; / recogeréis vosotros su sentido ».

21 Cette composition n’est pas sans rappeler celle de Miguel de Unamuno : « Veré por ti », « No, nadie se conoce hasta que no le toca / la luz de un alma hermana que de lo eterno llega / y el fondo le ilumina ; / tus íntimos sentires florecen en mi boca, / tu vista está en mis ojos ; mira por mí, mi ciega, / mira por mí y camina ». Miguel de Unamuno, OC, IV, Madrid, Biblioteca Castro, 1999, p. 220.

22 Jean Chevalier et Alain Gheerbrant, op. cit., p. 804.

23 Selon le Dictionnaire juridique : ordonnance n°2005-759 du 4 juillet 2005.

24 Pedro Salinas, O.C. II, op. cit., p. 511-653.

25 Ibid., p 581.

26 Ibid., p. 375-395.

27 David Berliner, « Anthropologie et transmission », Terrain, Septembre 2010, p. 4.

28 Miguel de Unamuno, O.C. VIII, En torno al casticismo, Biblioteca Castro, Madrid, 2007, p. 79.

29 Javier Marcos Arevalo, « La tradición, el patrimonio y la identidad », Revista de estudios extremeños, Vol. 60, No 3, 2004, p. 926.

30 Gérard Lenclud, « La tradition n’est plus ce qu’elle était », Revue Terrain, n° 9, 1987, p. 110-123.

31 Javier Marcos Arévalo, art cit., p. 927.

32 « Les cours du collège de France », 2006-2016 : 6 cours d'Antoine Compagnon au Collège de France (6/6) : Baudelaire moderne et antimoderne par Antoine Compagnon. Disponible sur : <www.franceculture.fr/emissions/les-cours-du-college-de-france/2006-2016-6-cours-dantoine-compagnon-au-college-de-france-4> (consulté le 10 janvier 2017).

33 Charles Baudelaire, Constantin Guys : le peintre de la vie moderne (1863), Genève : Ed.la Palatine, 1943.

34 Javier Pérez Bazo, La Vanguardia en España, Paris : Toulouse, CRIC § OPHRYS, 1998.

35 Pedro Aullón de Haro, « Teoría general de la Vanguardia », La Vanguardia en España, Paris : Toulouse, CRIC § OPHRYS, 1998, p. 31-52.

36 Pedro Salinas, O.C. III, Epistolario, op. cit., p. 1064.

37 Pedro Salinas, O.C. I, op. cit., p. 581.

38 Pedro Salinas, O.C. I, op. cit., p. 576.

39 Ibid., p. 577.

40 Ibid., p. 576.

41 Ibid., p. 585.

42 Pedro Salinas, O.C. I, op. cit., p. 372.

43 Ibid.

44 In : Paul Zumthor, Essai de poétique médiévale, Paris : Seuil, Points. Essais, 1972, p. 103.

45 Pedro Salinas, O.C. II, op. cit., p. 585.

46 Jean Davallon, « Le patrimoine, une filiation inversée », Espaces temps, Année 2000, vol. 74, n° 1, p. 11.

47 Pedro Salinas, O.C. II, op. cit., p. 581.

48 Ibid., p. 589.

49 Javier Marcos Arévalo, « La tradición, el patrimonio y la identidad », Revista de estudios extremeños, vol. 60, n° 3, 2004, p. 926.

50 Nous empruntons cette expression à Jean Davallon, op. cit., p. 7.

51 Pedro Salinas, O.C. II., op. cit., p. 584.

52 Ibid.

53 Ibid., p. 581.

54 Ibid., p. 581-582.

55 Paul Zumthor, Essai de poétique médiévale, op. cit., p. 36.

56 Pedro Salinas, O.C. II., op. cit., p. 581-582.

57 Gérard Lenclud, op. cit., p. 118.

58 Pedro Salinas, O.C. II., op. cit., p. 577.

59 Gérard Lenclud, op. cit., p. 118.

60 Pedro Salinas, O.C. II., op. cit., p. 581.

61 Ibid.

62 Ibid., p. 377.

63 Ibid., p. 379.

64 Miguel de Unamuno, Obras completas, VIII, En torno al casticismo, Madrid : Fundación José Antonio de Castro, 2007, p. 86.

65 Ibid.

66 Ibid., p. 577-581.

67 Ibid., p. 723.

68 Ibid., p. 583.

69 Javier Marcos Arévalo, op. cit., p. 229-230.

70 Pedro Salinas, O.C. II, op. cit., p. 581-582.

71 Pedro Salinas, O.C. III, op. cit., p. 1300.

72 Ibid., p. 1436-1437.

73 Ibid., p. 1337.

74 Pedro Salinas, O. C. II, op. cit., p. 583-584.

75 Pedro Salinas, O.C. II, op. cit., p. 583.

76 À titre d’exemple, on peut lire « El viento y la guerra », « Cero », Pedro Salinas, O.C. I, op. cit., p. 667-679. Pedro Salinas, O.C. III, op. cit., p. 1377, 1383, 1406, 1408.

77 Pedro Salinas, O.C. III, op. cit., p. 1044.

78 Bernadette Hidalgo Bachs, « L’auto-exil de Pedro Salinas », Les Langues Néo-Latines, juin 2015, no 373, p. 89-91.

Pour citer ce document

Bernadette Hidalgo Bachs, «Pedro Salinas : la filiation anthropologique, culturelle et ontologique revendiquée comme lien solidaire, fécond et évolutif», Lineas [En ligne], Numéros en texte intégral /, Filiation, imaginaires et sociétés, Partie I - Des lignages matriciels, mis à jour le : 09/12/2017, URL : https://revues.univ-pau.fr:443/lineas/index.php?id=2104.

Quelques mots à propos de :  Bernadette  Hidalgo Bachs

Bernadette Hidalgo Bachs, Maître de Conférences HDR à l’Université Clermont Auvergne, membre du CELIS (Centre de recherche sur les littératures et la sociopoétique de Clermont II) et du PIAL (Poésie ibérique et d’Amérique Latine de Paris IV Sorbonne) est spécialiste de la poésie de Pedro Salinas. Elle a aussi écrit sur d’autres poètes : Miguel de Unamuno, Gerardo Diego, Miguel Hernández, Antonio Colinas et Andrés Sanchez Robayna. Ses thèmes de recherche sont : création poétique, poésie et philosophie, engagement et contemplation, sacré et mystique, intertextualité et stylistique.

 

Bernadette Hidalgo Bachs - Maitre de Conférences HDR

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