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Lineas
Revue interdisciplinaire d'études hispaniques

13 | 2021 Enchantement et réenchantement des rapports entre humains et non-humains dans le monde hispanophone

Christelle Colin

O que arde (2019) d’Oliver Laxe : un certain regard sur la forêt galicienne

Article
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Théorisé en 2010 par les critiques José Manuel Sande, Martin Paley et Xurxo González, le novo cinema galego renvoie à une nouvelle génération de cinéastes se rejoignant par leur façon de voir et d’habiter le monde en s’interrogeant sur la relation entre l’homme et le paysage. Ce dernier constitue par exemple un élément primordial dans le cinéma de Lois Patiño ou Oliver Laxe. Le sujet de notre article concernera plus précisément O que arde (Viendra le feu) le dernier film d’Oliver Laxe réalisé en 2019 distingué par le Prix du Jury « Un certain regard » au Festival de Cannes. S’il s’agit d’une part d’une histoire crépusculaire sur une crise socio-écologique (la fin du monde rural et la destruction de la forêt par les incendies qui ravagent tous les ans cette région de l’Espagne), c’est aussi l’histoire du réalisateur qui se souvient de son enfance dans les montagnes des Ancares à travers des images empreintes d’un profond « réalisme intérieur ». Le film explore de manière subtile la complexité du personnage du pyromane pour faire (re)découvrir au spectateur le lien qui unit de manière intrinsèque l’homme galicien et la nature. Il opère par ce biais une neutralisation de la perte des dimensions sensibles et poétiques propres à une conception désenchantée du monde. Ainsi, entre fiction et documentaire ethnographique, le film livre au spectateur une fable écologique universelle tout en permettant un réenchantement de la relation au monde naturel.

Teorizado en 2010 por los críticos José Manuel Sande, Martín Paley y Xurxo González, el novo cinema galego hace referencia a una nueva generación de cineastas unidos por su forma de ver y habitar el mundo cuestionando la relación entre el hombre y el paisaje. Este constituye, por ejemplo, un elemento clave en el cine de Lois Patiño o de Oliver Laxe. El tema de nuestro artículo se referirá más específicamente a O que arde la última película de Oliver Laxe estrenada en 2019 y recompensada por el premio del jurado « Un Certain Regard » en el Festival de Cannes. Si se trata, por un lado, de una historia crepuscular sobre una crisis socioecológica (el fin del mundo rural y la destrucción del bosque por los incendios que asolan esta región de España cada año), también es la historia del director que recuerda su infancia en las montañas de los Ancares a través de imágenes imbuidas de un profundo «realismo interior». La película explora la complejidad del carácter del pirómano para que el espectador vuelva a descubrir el vínculo que une intrínsecamente al hombre gallego y la naturaleza. De esta manera, opera una neutralización de la pérdida de las dimensiones sensible y poética propias de una concepción desencantada del mundo. Así, entre la ficción y el documental etnográfico, la película propone al espectador una fábula ecológica universal y permite un reencantamiento de la relación con el mundo natural.

Texte intégral

« Il faut brûler l’excès de monde intérieur. Nous en avons trop. Nous vivons à l’intérieur de nous-mêmes au milieu d’une beauté que nous ne savons plus regarder ».

Oliver Laxe

«Nun entrar do home na paisaxe e da paisaxe no home creouse a vida eterna de Galiza».

Alfonso Castelao.

  • 1 Le film a aussi obtenu 5 autres prix : Premios Goya: M...

  • 2 Álex Bragaña, Xurxo González, Beli Martínez, Alberte P...

1Notre contribution à cette réflexion commune sur le réenchantement du monde portera sur le troisième long-métrage du cinéaste franco-espagnol Oliver Laxe, O que arde (Viendra le feu) distingué par le prix du jury « Un certain regard » au festival de Cannes en 20191. Dans ce film, Oliver Laxe fait le choix de combiner des séquences documentaires et de fiction pour raconter le quotidien de deux personnages, Amador et sa mère Benedicta, dans un monde rural galicien en voie de disparition. L’histoire débute quand Amador, condamné pour pyromanie, sort de prison et revient chez lui dans un hameau des montagnes de la province de Lugo où il reprend une vie solitaire jusqu’au jour où un nouvel incendie se déclare. Si le réalisateur insiste sur une représentation ambiguë du personnage du pyromane, il consacre par ailleurs la quasi-totalité du film à peindre le paysage de la Galice intérieure et à analyser les rapports ambivalents, soit harmonieux ou plus violents entre l’humain et la nature depuis une perspective contemplative, empreinte de poésie, de tendresse mais aussi de douleur. Ce film récent et représentatif du nouveau cinéma galicien2, théorisé en 2010 par les critiques José Manuel Sande, Martin Paley et Xurxo González, nous semble digne d’intérêt dans la mesure où il propose une réflexion sur la tension qui s’établit de manière constante dans le film entre désenchantement et réenchantement du monde. A partir de ce constat, il est intéressant d’essayer de comprendre la construction et les objectifs du discours cinématographique du réenchantement. Si le réenchantement est une perspective qui renverse le constat d’un monde naturel ou d’un rapport au monde naturel désenchantés (sur le mode du remplacement donc), comment le film participe-t-il à la formulation d’un nouveau regard réenchanté, d’une nouvelle interprétation du monde naturel et de la façon de l’habiter ? Ce ré-enchantement est-il d’ailleurs complètement nouveau, original ? En effet, l’étymologie du mot réenchantement ne nous indique-t-elle pas qu’il s’agit de re-venir ou de re-découvrir un rapport au monde enchanté pré-existant ? En d’autres termes, dans quelle mesure et jusqu’à quel point le cinéma d’Oliver Laxe procède-t-il à cette révélation ? Ou est-il au contraire le moyen de mettre au jour un réenchantement entendu comme une rupture en ce sens qu’il propose une nouvelle éthique sociale et écologique définie depuis le champ cinématographique ? Pour répondre à ces questions, nous proposons d’organiser notre réflexion en trois temps, en explorant le film à la lumière des théories du désenchantement et du réenchantement du monde, mais aussi grâce à une analyse esthétique du motif du paysage au cinéma. Partant du constat fait dans le film d’une crise écologique et sociale qui n’est pas nouvelle, dans un contexte et un espace galicien où la survivance du monde rural est depuis les années 80 problématique, nous explorerons la proposition d’Oliver Laxe de porter un autre regard sur ce monde rural afin d’en découvrir l’essence naturelle. Dans un troisième temps, nous aborderons le lien que le réalisateur définit et établit dans son discours entre esthétique cinématographique et écologie.

La révélation d’une crise socio-écologique galicienne : O que arde

2Si l’appel à contribution insiste sur les deux concepts clés d’enchantement et de réenchantement en proposant d’explorer « les relations fascinantes, enchantées et réenchantées entre humains et non-humains »3, il convient de revenir sur le concept de désenchantement qui semble se situer entre un état primordial d’enchantement de la nature et de réenchantement de cette dernière. Comment et quand se produisent le désenchantement puis le réenchantement ? Assiste-t-on véritablement à une succession chronologique ou ces interprétations et ces perceptions du monde sont-elles concomitantes et dépendantes de la perspective adoptée ? Quelles en sont les caractéristiques ?

  • 4 Jean-Marie Vincent, « Le désenchantement du monde : Ma...

  • 5 Jean-Louis Schlegel, « Le “réenchantement ” du monde e...

  • 6 Bruno Latour, Face à Gaïa. Huit conférences sur le Nou...

3Théorisé par Weber4 au début du XXe pour mettre en évidence la destruction d’une harmonie primordiale avec la nature, le désenchantement équivaudrait alors à rendre compte d’un monde dysharmonique où affleurent de nombreux déséquilibres. Selon le sociologue allemand, dans le monde moderne, la nature a cessé d’être une entité vivante et magique. Désormais dépourvue d’âme, elle est considérée comme un grand mécanisme qu’il faut étudier ou bien s’approprier5. La « profonde mutation de ce rapport au monde »6 telle que la définit Latour survient au début du XXe siècle et devient caractéristique de l’ère capitaliste et de ses effets. On assiste dès lors à un tournant « postnaturel » qui met en évidence la toute-puissance de l’époque anthropocène où l’homme devient la principale force de changement sur Terre.

  • 7 Cet arbre australien importé sur le sol galicien marqu...

  • 8 Pour Gilles Deleuze et Félix Guattari, « haptique est ...

  • 9 Mi vecino Totoro (1988), Hayao Miyazaki.

4Or, c’est bien l’image et le constat du désenchantement qui ouvre le film d’Oliver Laxe avec une séquence matrice magistrale sur la destruction des forêts galiciennes. Le film commence en effet par une scène nocturne dans une forêt d’eucalyptus baignée dans la brume. L’entrée est frontale et la bande son est exacerbée pour percevoir tous les bruits propres à cet espace naturel (bruits d’animaux, craquements des arbres). Puis, les sons deviennent pour certains inquiétants, voire surnaturels. Le craquement des branches s’apparente à une sorte de lamentation qui fonctionne sur le mode de la prolepse pour nous avertir d’un danger imminent. Finalement, la menace sonore s’estompe au moment où la caméra laisse l’intérieur du bois pour observer ce dernier depuis le ciel. Les grands eucalyptus bercés par le vent transmettent alors une sensation de calme et d’équilibre. La première perception de cette forêt est d’abord celle d’un espace autonome, vivant que le spectateur n’a pas l’habitude de voir la nuit, ni depuis cette perspective. Mais, cette première représentation est immédiatement rompue sur le plan sonore, par le crissement du bois, puis sur le plan visuel, par les arbres qui tombent successivement au sol, tel un château de cartes, comme s’ils étaient balayés par la main d’un géant. La scène est filmée de telle manière qu’elle ne permet pas d’identifier immédiatement la cause de la chute des arbres. En effet, le cadrage ne laisse alors voir que leurs cimes. De cette manière, cette séquence est empreinte d’une aura surnaturelle. En même temps qu’elle dit la destruction de la nature, elle personnifie jusqu’au dernier souffle cette forêt galicienne comme si les arbres s’évanouissaient. Le film se centre alors sur le processus de destruction mécanique de la forêt par les bulldozers qui poussent violemment les eucalyptus7 en pleine nuit comme pour les surprendre dans leur sommeil. De fait, les plans d’ensemble sur les grosses machines au travail mettent en évidence une série de ruptures. Le tempo est d’abord altéré. A la tranquillité de la nuit et de l’espace naturel succèdent la vitesse et le bruit assourdissant des machines qui brisent les rangs des arbres et, dans une parfaite symétrie, engagent une course effrénée, en pente, vers la droite du champ. Le futur n’est que destruction. L’exploitation intensive des forêts d’eucalyptus, une espèce étrangère et envahissante, s’oppose à l’image de la forêt autochtone presque inexistante à ce moment du film. Les défrichements supposent dès lors un désenchantement du monde naturel, les arbres n’étant plus considérés que comme des réservoirs à bois, comme de la matière destinée à produire des objets. Malgré une échelle de plans plus courte qui devrait permettre de mieux apprécier les détails et notamment les hommes aux commandes des machines, celles-ci semblent agir seules, de manière automatique, écrasant tout sur leur passage et illuminant la nuit avec leurs grands phares éblouissants. La saturation sonore se double alors d’une saturation visuelle avec cette forte luminosité. Le monde est déshumanisé et automatisé, sans présence humaine apparente, malgré un plan en perspective subjective, depuis la machine qui observe le bon déroulement du travail mécanique. Le bruit assourdissant laisse peu à peu la place à un bourdonnement désagréable, une distorsion sonore qui accompagne un détachement de la réalité. Un plan rapproché et un ralenti isolent la masse mécanique qui baisse la pelle et éteint ses phares face un grand chêne centenaire filmé grâce à un panoramique vertical très lent. La rupture du tempo filmique permet ainsi de découvrir l’arbre qui a stoppé l’avancée des machines. Ce mouvement de caméra favorise un rapprochement du spectateur à l’objet filmé, à savoir la nature autochtone, appréhendée dans sa totalité à travers le seul motif de ce grand chêne. De plus, au regard s’associe le toucher pour s’intéresser à la texture des écorces. La caméra caresse le tronc de l’arbre mettant ainsi en évidence le caractère haptique8 de l’image. La séquence liminaire conclut, grâce à un retour au silence, sur la permanence et la force de la forêt incarnée par cet arbre isolé à la forme atypique qui nous projette dans un paysage magique. L’isolement de ce plan fonctionne comme un réenchantement immédiat de la nature grâce à un filmage esthétisé. La référence intericonique au cinéma japonais9 de Hayao Miyasaki, dans lequel on retrouve l’arbre-forêt magique que Totoro fait pousser en une nuit pour stopper la barbarie des humains, permet de rappeler la relation de dépendance mutuelle qu’entretiennent ces derniers avec les arbres. Ce motif traverse l’œuvre d’Oliver Laxe et introduit un discours ambivalent et complexe : le bois est à la base d’une activité économique déterminante pour la région et pour cela, il faut détruire les eucalyptus mais il existe aussi un profond respect des essences autochtones. Dans ce combat, et malgré cette première vision tragique qui explore les conséquences de l’industrie du bois sur les paysages galiciens, ce ne sont pas les machines qui ont le dernier mot. Le désenchantement semble donc éphémère et les racines, le lien à la terre symbolisé par les vieux arbres, semblent bien résistantes.

  • 10 La mélodie répétitive de Vivaldi sert à affirmer le m...

5Finalement, c’est sans doute la musique extradiégétique qui accompagne le panoramique vertical du chêne à la fin de scène filmée qui traduit le mieux cette tension entre deux forces, naturelle et mécanique. Le mouvement symphonique avec l’addagio Nisi dominus (Cum dederit) d'Antonio Vivaldi introduit une véritable symphonie naturelle. L’union de l’image critique qui s’appuie sur une symbolique forte (destruction d’un monde naturel) et la musique10 permet ici une élévation qui sacralise l’objet filmé (la nature) et du même coup l’acte de filmer. La même musique réapparaîtra à d’autres moments importants du film pour accompagner la perception des paysages galiciens depuis la perspective du personnage principal, Amador. A la fois solennelle et inquiétante, la pièce musicale religieuse de Vivaldi transmet avec précision les conséquences de cette hécatombe. Son tempo est lent comme celui de l’image pour représenter la fragilité de la nature et la triste fin de ces arbres et définir d’emblée le ton du film. Il se dégage une immense souffrance que l’on retrouvera ensuite dans la description et la construction du personnage d’Amador.

  • 11 « Amador, tu as du feu ? » (traduction de l’auteur)

6La manifestation du désenchantement se poursuit en effet tout au long du film de manière ponctuelle, notamment dans la partie centrale consacrée à l’histoire de fiction d’Amador et de Benedicta. La séquence matrice est ainsi suivie d’une séquence qui nous présente Amador à sa sortie de prison, tout d’abord de manière très distanciée, grâce à une série de plans en plongée sur un dossier judiciaire qui circule d’une main à l’autre sans que l’on puisse identifier le visage du personnel administratif qui, malgré la peine purgée par Amador (deux ans de prison), rappelle à nouveau le motif de sa condamnation, comme si d’emblée le personnage stigmatisé était moralement condamné à perpétuité. Oliver Laxe s’intéresse donc à la perception du personnage du pyromane depuis les normes sociales mais aussi aux processus administratifs déshumanisés. Ce secteur se situe dès lors dans le prolongement des activités économiques de l’industrie représentées par les machines dans la séquence précédente. Le monde moderne, industriel ou administratif est donc défini d’emblée par opposition au monde rural qui va être décrit dans la partie centrale du film. La voix délicate du ténor du Cum dedirit qui accompagne les premiers plans sur le personnage nous permettant de découvrir Amador dans le bus, de retour vers son village, renforce la fragilité du personnage condamné par le regard de la société et des institutions. La stigmatisation d’Amador est manifeste à son retour au village où les habitants du hameau le regardent avec méfiance ou se moquent de lui avec un ironique «Amador, tes lume»11 ? A partir de là, les tentatives d’approche et d’inclusion de cet autre sont rapidement annulées soit par le personnage lui-même qui dans toute la première moitié du film montre ses difficultés de réintégration à la société, soit par la rumeur collective qui à la fin du film consacre le désenchantement circulaire dans lequel s’inscrit l’œuvre. Alors qu’un autre incendie s’est déclaré et ravage le hameau et les alentours, tous les regards accusateurs se tournent vers Amador qui subit alors une violence verbale et physique extrême de la part de son voisin Inazio. Il devient en effet le coupable idéal pour cette société qui refuse de voir les causes profondes de l’incendie.

  • 12 « Je ne comprends pas ce qu’il dit ».

7L’harmonie centrale, sur laquelle nous reviendrons dans une deuxième partie, semble donc bien fragile et éphémère lorsque dans ce monde rural et cette nature s’immiscent les traces de la vie moderne. Ainsi la relation d’amitié qui naît entre Amador et la jeune vétérinaire semble vouée à l’échec car même si l’amour des animaux les unissent, ce sont bien deux mondes différents qui se rencontrent sans forcément se comprendre comme le suggère la réplique d’Amador dans la séquence où ils écoutent Susana de Cohen dans la voiture. Amador fait alors état de son incompréhension linguistique («non entendo lo que di»12). Mais pour lui, l’incompréhension va au-delà de cet obstacle de la langue. En effet, elle se situe plus dans une opposition constante, depuis sa perception du monde, entre le microcosme dans lequel il évolue (le village et la nature) et ce qui vient d’ailleurs (la musique étrangère, les touristes, les camions) mettant en évidence une perspective endogène et centripète de l’identité galicienne.

  • 13 « S’ils font souffrir, c’est parce qu’ils souffrent ».

  • 14 Wenceslao Fernández Flórez, El Bosque Animado, Madrid...

8La troisième partie du film scelle la perspective du désenchantement avec l’incendie qui ravage la nature avec une violence inouïe. La construction circulaire du film permet de comprendre que les incendies représentés dans la dernière partie du film sont en partie causés par la culture intensive des eucalyptus. Plus encore, le tournage au cœur de l’incendie (il s’agit d’un véritable moment de cinéma-direct) et la perspective documentaire permettent de rendre compte de la souffrance associée à ce problème écologique. Tant les causes que les conséquences en sont expliquées par les personnages eux-mêmes dans la partie centrale du film. Ainsi Amador explique à Benedicta que les eucalyptus ont de longues racines qui parcourent des kilomètres et empêchent les autres plantes de pousser. Ce à quoi Benedicta répond «si causan sufrimiento, es que ellos sufren»13. Dans cette dernière réplique, l’arbre invasif identifié par Amador comme la cause centrale de l’épuisement des sols est défini par Benedicta depuis une perspective respectueuse où la référence à la nature et notamment à l’arbre, est encore humanisée. L’arbre est doué de sentiments. La perspective est bien celle d’une nature enchantée, animée, dans la plus pure tradition du bois souffrant de El bosque animado14 (1943) de Wenceslao Fernandez Flórez où les animaux et les plantes possèdent une âme et une pensée anthropomorphique.

9Le feu consacre la destruction finale de la nature qu’il consume et provoque souffrance morale et physique. Les séquences sur l’incendie sont insoutenables, violentes. Le réalisateur filme au cœur de l’incendie avec une équipe de tournage formée pour l’occasion pour s’intéresser à la fois au travail et au dévouement des pompiers et autres volontaires présents sur l’incendie mais aussi au cœur du problème écologique. C’est ainsi que le réalisateur s’attarde sur les habitants qui essaient de protéger leurs biens en humidifiant les alentours de leurs maisons. Certains refusent de quitter leur demeure. A ce sujet, la tension est extrême lorsqu’un volontaire cherche dans les maisons des habitants récalcitrants qui se seraient barricadés pour ne pas être évacués. Il découvre alors dans une maison fermée quelques chèvres occupant la cuisine de la demeure. La progression du pompier dans la maison de cet habitant nous permet d’imaginer sa vie quotidienne à travers ses quelques biens, des vieilles photos, et une description de l’habitat : une vieille demeure rudimentaire qui synthétise une représentation de la ruralité galicienne qui se construit autour de l’idée d’abandon. La vieille photo à moitié dévorée par les chèvres représente une grande famille. Le choc entre le passé de ce monde rural et le présent est immense. La séquence constitue une sorte de révélation en rappelant de manière implicite les conséquences d’un autre phénomène, en amont, celui de l’immigration et de l’exode rural qui provoquent la désertification des campagnes, elle-même responsable de nombreux incendies.

10L’image la plus insoutenable de cette fin de film est sans doute celle du cheval désorienté qui sort du paysage calciné et des cendres encore chaudes à l’image de Benedicta qui traverse un peu avant ce même paysage squelettique. L’animal affaibli et désorienté présente de nombreuses blessures causées par le feu. Le spectacle des conséquences de l’incendie est brutal, violent, éreintant comme le travail des pompiers qui s’acharnent pour protéger le monde vivant. L’apparition du cheval suggère que la forêt abrite une flore et une faune, pas toujours visibles, qui ne peuvent échapper aux flammes. La violence est extensive et l’incendie menace la totalité du monde vivant mise au jour grâce aux plans d’ensemble sur le paysage dévasté.

11La désolation est extrême ici dans cette fin de film car il ne reste rien de cet écosystème et la bande-son, encore une fois, contribue à exacerber la tension dramatique. La musique essentiellement composée de sons de trompettes constitue un signal sonore qui contribue, avec l’image ralentie, à extraire le spectateur de la réalité. La bande son fonctionne comme une allusion chrétienne pour établir un lien entre nature et spiritualité, en rappelant le texte de l’Apocalypse où les trompettes annonçaient une série de désastres écologiques. Le film d’un bout à l’autre raconte la destruction d’un monde naturel et saisit tant la désolation que la souffrance provoquée par les incendies. Le film dresse bien le bilan d’une crise socio-écologique aux multiples caractéristiques et conséquences : de l’exode rural à l’exploitation des ressources naturelles, cette profonde mutation du rapport de l’humain au monde naturel révèle aussi l’abandon caractéristique de ce monde rural.

Filmer la nature galicienne : la relation au monde primordial et naturel

  • 15 La perspective proposée est ici celle d’une mythifica...

  • 16 TVG, la chaîne publique autonome naît en 1985. Elle c...

12Pourtant, au-delà de ce constat d’un monde profondément désenchanté par l’invasion technique, mécanique et le profit, Oliver Laxe consacre la plus grande partie de son film, entre le prologue et l’épilogue, à une fiction dont l’objectif est aussi de peindre une Galice idyllique15, bucolique où règne une harmonie profonde entre l’humain et la nature. En effet, la partie centrale du film narre l’histoire fictionnelle d’Amador et de Benedicta, leur vie quotidienne au rythme des saisons dans le petit hameau des Ancares. L’histoire est filmée avec une caméra super 16 mm, de petite taille et avec un viseur à « l’œil distant » qui invite l’opérateur à la tenir à bout de bras et au plus près des gens ou des choses. De cette manière le réalisateur insiste, avec une proximité remarquable, sur des moments quotidiens comme la préparation du petit déjeuner sur la vieille cuisinière, mais aussi sur la simplicité et le peu de confort de l’habitat ou encore sur les liens qui existent entre ces humains et les animaux de la ferme ou le territoire sur lequel ils vivent. En privilégiant cette thématique, Oliver Laxe s’inscrit dans le courant du nouveau cinéma galicien qui explore ce lien avec la nature comme trait définitoire d’une idiosyncrasie propre, tout en proposant qu’il existe, malgré tout, une continuité entre le monde humain et le monde naturel. Mais, au-delà de cette revendication esthétique très contemporaine, O que arde n’est pas sans rappeler le film Siempre Xonxa sorti en 1989. Le premier long-métrage de Chano Pineiro, l’une des premières fictions en galicien, traitait l’histoire de Xonxa, Birutas et Pancho entre 1947 et 1986. La structure du film en quatre parties s’articulait autour du temps cyclique des saisons et narrait l’évolution des trois personnages de l’enfance à la vieillesse dans un petit hameau des montagnes d’Ourense. Le film parle déjà d’un monde rural hors du temps qui se consume. Birutas et Pancho doivent émigrer en Amérique pour subvenir aux besoins de la famille. L’analyse de la situation socioéconomique de la Galice des années cinquante et soixante, du phénomène de l’émigration et de ses conséquences psychologiques mais aussi de l’isolement des personnages qui restent vivre dans ce petit hameau fait osciller l’histoire entre réalisme social et ethnographique et le réalisme magique symbolisé par le personnage de Caladinho, inventeur de machines farfelues. Le film synthétise les grandes idées du discours identitaire galicien de l’époque basé sur la représentation de la société rurale, des traditions et des croyances comme base de l’authenticité galicienne, renforcée par une histoire tournée en galicien. Le film s’articulait déjà autour d’une tension entre un désenchantement provoqué par le déracinement et la crise identitaire due à l’émigration et plus tard par l’abandon du monde rural dans les années 80 et malgré tout, la persistance d’un monde naturel enchanté. A partir de ce film, une des thématiques récurrentes du cinéma galicien sera la représentation de ce lien privilégié et salvateur avec la nature très étroitement associé à la veine ethnographique travaillée dans des fictions, des documentaires ou des reportages pour la télévision galicienne. Il fallait alors construire une représentation de la Galice selon une perspective essentialiste fondée sur le paysage, les traditions et le caractère galicien pour consolider le statut d’autonomie de la Galice et poser les fondements de la télévision régionale16.

  • 17 Oliver Laxe, in : Oscar Belategui, Oliver Laxe incend...

  • 18 La lareira (cuisine à bois) constitue le contrepoint ...

13Si O que arde reprend quelque peu certains arguments et motifs de Siempre Xonxa, il dépasse largement cette influence pour privilégier avant tout la perspective contemplative du réalisateur qui revient dans son village maternel pour filmer cette histoire. L’intention est donc d’abord personnelle de faire revivre le rêve enfoui de l’enfant, de revenir à une harmonie primordiale, aux origines essentielles, au monde magique de l’enfance. Ainsi, le regard porté sur la nature est d’abord un regard intime empreint d’une nostalgie qui s’inscrit dans une longue tradition littéraire et cinématographique en faisant écho aux motifs du Beatus Ille ou de l’Arcadie. Mais il s’agit aussi d’un double retour et d’un décentrement progressif du soi créateur vers l’autre-personnage lorsqu’ à la perspective du réalisateur se superpose la perspective subjective d’Amador qui revient chez lui après deux ans d’absence. Le va-et-vient entre le réalisme « intérieur », celui du paysage perçu tantôt à travers le regard du cinéaste ou du personnage, et le regard costumbriste qui scrute et transcrit la routine rurale, structure ainsi cette deuxième partie du film. Ce double regard a pour objectif de dresser un portrait moral de la Galice intérieure comme l’explique le cinéaste qui met en évidence l’importance de ces valeurs dans la construction de ses personnages : « yo he retratado valores rurales que se están perdiendo, he filmado a dos seres que siguen resistiendo […] Mi cine intenta reflejar esos valores de aceptación y humildad »17. A ce titre, les séquences « familiales » proches en apparence de l'image brute, mais profondément stylisées où apparaissent les deux personnages principaux en train de déjeuner autour de la vieille cuisinière à bois18 sans échanger un mot ou Benedicta seule en train de nettoyer le tamis de la farine, s’inscrivent dans une veine réaliste grâce au regard pudique du réalisateur exempt de toute domination. Ce dernier exemple constitue une scène de genre qui suggère le calme et la tranquillité des travaux domestiques dans l’atmosphère paisible d’un coin de la pièce éclairée par la clarté délicate qui provient de la petite fenêtre. Ce plan fixe consacre le portrait de Benedicta en saisissant son individualité. Le plan moyen permet de rompre la distance et de capter les détails de l’espace dans lequel évolue le personnage. En spatialisant le portrait, Oliver Laxe conjugue l’intériorité du sujet (la fragilité et l’humilité de cette vieille dame juste avant son pressentiment) avec l’intérieur de la cuisine. Il saisit une réalité « intérieure » du vécu grâce à un entretien silencieux avec son personnage et une durée étendue du plan nous permettant de découvrir Benedicta et de la définir en tant que personne.

14Le paysage humain n’est pas le seul motif qui vertèbre cette partie. En effet, de nombreux plans sont consacrés au paysage naturel. Celui-ci se décline de différentes manières. Dans un premier temps, il s’agit de plans de grand ensemble depuis la perspective du réalisateur filmant les paysages seuls ou Amador évoluant dans ces grands espaces. Ces grands plans d’ensemble du paysage changeant selon les saisons, parfois filmés par une caméra en mouvement permettent d’aborder la notion de territoire dans la mesure où ils rendent compte de son immensité mais aussi de son orographie. Ils servent aussi à contextualiser les modes de vie propres à cette région par exemple lorsque l’on filme le retour d’Amador au village pour insister sur l’isolement et la distance du hameau par rapport à la petite ville. Ils insistent sur une forme d’habitat disséminé propre à cette région de l’Espagne qui facilite l’immersion dans le milieu naturel. A d’autres moments, la caméra fixe permet d’apprécier une extraction du paysage du flux temporel filmique opérant une superposition entre technique filmique, photographique ou picturale. Il s’agit aussi à ce moment-là de capturer en plus de l’immensité spatiale l’empreinte temporelle du paysage et de la ruralité (par exemple lorsque l’on filme le paysage à l’aube ou dans le brouillard) dans une opposition constante au temps mécanique de la modernité du prologue.

  • 19 « Elle t’a reconnu, cette maudite vache »

15D’autre part, grâce à une échelle de plans un peu plus courte, le réalisateur s’intéresse à l’équilibre ou à la fusion harmonieuse entre l’humain et la nature. Les plans d’ensemble montrent ainsi Amador et Benedicta au travail menant leurs trois vaches dans les prés. Il s’agit de leur occupation principale qui rythme leur quotidien mais aussi la bande image. Est mise en évidence la relation étroite entre l’humain et l’animal qui se base sur un équilibre que l’on perçoit dans la représentation. Toutefois, si l’homme fait preuve d’une autorité sur son bétail, il s’agit d’une autorité bienveillante qui reconnaît l’existence d’une intelligence animale comme le montre la réplique de Benedicta à propos de la Parda. La vache reconnaît Amador après deux ans d’absence. Le « conoceche a condenada »19 de Benedicta met en évidence le lien étroit qui s’instaure entre les animaux et les humains dans ce monde de solitude. Les vaches ou les chèvres dans une autre séquence, deviennent une compagnie précieuse dans ce village isolé. Le réalisateur va plus loin pour transcrire ce regard différent sur les animaux en explorant leur vie intérieure. Dans la séquence où la vétérinaire et Amador ramènent la vache blessée sur une camionnette, le spectateur se surprend à observer à la fin de la séquence, après une série de gros plans sur la vache et son regard, la perspective subjective de l’animal qui regarde défiler le paysage galicien. Le regard porté sur ou par les animaux permet d’instaurer un équilibre où les humains et les animaux sont traités sur un pied d’égalité car les humains font partie du règne animal.

  • 20 Pascal Galvani, « Retrouver la Terre intérieure. Une ...

16Finalement, d’autres plans d’ensemble permettent de décrire les conséquences du climat et la force de la nature. Il s’agit de plans descriptifs pour le spectateur mais qui mettent en évidence la place et la petitesse de l’humain dans ce paysage naturel. Celui-ci est humble et fragile face à la force de cette nature. L’attitude d’Amador ou de Benedicta est significative à ce sujet. Ainsi, peu après son retour de prison, Amador est incapable de dormir alors que la pluie tombe avec force sur le toit en ardoise. Un autre jour, alors que Benedicta rentre à pied après une course effectuée plus loin au village, elle traverse l’immensité de la forêt et du sous-bois et doit se réfugier dans le creux d’un tronc d’arbre pour échapper à la pluie battante. La relation est charnelle, materno-filiale et inclusive : la nature accueille l’humain en son sein. Ce bois et cette nature que Benedicta à ses quatre-vingt-trois ans parcourt de maintes fois tout au long du film renvoie à un espace familier, accueillant, une seconde demeure. Or, à l’instar de Galvani « dire qu’elle est notre maison (oikos), c’est bien dire qu’elle est notre ‘intérieur’. Notre être même. […] Nous sommes, et nous devenons nous-mêmes à travers les formes de la Terre, de ses paysages, de ses climats, de ses saisons, de ses plantes, de ses animaux »20. Le film s’attache à démontrer ici que la cohabitation entre l’humain et la nature est possible, que l’humain fait partie et appartient à la nature et que celle-ci est un élément essentiel de l'ontogenèse. Pour les personnages ruraux, la terre est une mère protectrice et nourricière, comme Benedicta l’est pour son fils qu’elle accueille tout naturellement à sa sortie de prison.

  • 21 « Ils ont sans doute le cancer ».

  • 22 « Ce sont les camions qui viennent d’ailleurs qui son...

  • 23 Lorsqu’Amador répond à la jeune vétérinaire qui lui d...

  • 24 L’espace délimité dans lequel évoluent les personnage...

  • 25 « Remplir tout ça de touristes, tu crois que c’est bi...

17S’il l’on s’intéresse ici aux conséquences d’un climat humide qui fait pousser la végétation sans limite, en été, les personnages principaux constatent dans une scène où ils partagent un maigre repas dans une prairie, le mauvais état de quelques chênes. La référence à la maladie humaine («tendrán o cancro»21) dans ce cadre idyllique où les arbres malades restent toujours hors-champ contribue à les considérer comme une entité-corps, qui prélude la fin du film et rappelle la menace constante de cette destruction progressive de l’environnement qu’Amador, toujours en interprète des maux de la nature, associe à l’entrée de camions « que vienen de fora, que están infectados»22. La dialectique du dehors et du dedans constitue un élément essentiel dans cette deuxième partie. Elle structure de fait le fondement et les contradictions de l’identité du Galicien souvent obligé d’émigrer, de vivre fora 23, alors que ceux qui restent ont tendance à se protéger du monde extérieur. Or, n’est-ce pas le sens dans le film de toutes ces portes improvisées au moyen de vieux sommiers, installées à la limite d’un champ ou même au milieu de la forêt comme pour délimiter un territoire24 à protéger, fermé symboliquement à tout élément provenant de l’extérieur ? Finalement, cette perception de la nature en tant que territoire à protéger correspond à une attitude ou aptitude innée chez les habitants de ce petit village galicien, du moins pour les générations plus anciennes. La nouvelle génération (celle d’Inazio qui rénove une vieille maison pour la transformer en gîte rural) se situe plus à la croisée du respect de la nature et d’une activité économique qui montre l’adaptation du monde rural à un nouveau contexte et qui permettra du même coup de faire découvrir cette nature enchantée aux touristes. Cette attitude n’est pas sans rappeler le discours officiel de la Xunta et de Turgalicia (d’ailleurs explicitement cité par Inazio qui rappelle à Benedicta le slogan « Galicia calidade ») qui composent tous les ans des campagnes de publicité vendant une Galice magique aux touristes. Pourtant, l’incendie final qui ravage la maison rénovée d’Inazio semble condamner cette approche du monde rural, perçue comme une autre forme de profit, comme une dénaturalisation, de la même façon que l’exprimait Amador qui ne participera d’ailleurs jamais aux travaux de rénovation. Sa réplique «chear todo esto de turistas, crees que é bo ? »25 constitue cette fois une interprétation de l’espace naturel comme réservoir à touristes. L’accès à la connaissance et au respect d’une nature enchantée est donc le fait de quelques personnages qui savent l’interpréter et veulent la protéger. L’image harmonique de l’humain au contact de la nature est révélatrice d’une perspective de l’enchantement mais aussi de résistance face à de multiples exemples d’exploitation du milieu.

18La peinture de cette nature enchantée réalisée dans la deuxième partie du film intervient après le constat du désenchantement brutal dans le prologue, mais il n’existe pas pour autant une succession significative du processus de désenchantement /enchantement. Au contraire, les deux perspectives sont concomitantes, cohabitent tantôt, dialoguent ou s’affrontent. La nature enchantée n’a pas totalement disparu. C’est un état primordial dont l’existence et la persistance, par moments précaire, sont révélées au spectateur. Cette partie centrale ne correspond peut-être pas tant à un ré-enchantement mais bien à l’épiphanie de traces, de réminiscences d’une nature enchantée et d’une authenticité encore bien présente. Il n’y a donc pas substitution d’une nature primordiale par la mise en scène de l’anthropocène. Au contraire, dès le prologue, c’est la résistance du monde naturel qui est signifiée à travers le symbole de l’arbre profondément enraciné. Si la théorie explique qu’avec le capitalisme, nous sommes face à un processus de redéfinition de l’humain et du non-humain dont on comprend les enjeux dans le prologue et l’épilogue du film, la partie centrale de O que arde révèle une attitude respectueuse au monde naturel bien ancrée dans le territoire galicien lorsque celle-ci émane des personnages les plus attachés à la terre. La représentation et la fonction du paysage sont éclairantes à ce sujet. Ainsi, des plans d’ensemble privilégiant l’équilibre entre l’humain et son habitat ou entre l’humain et la nature plus sauvage permettent de décrire la vie quotidienne. Mais la récurrence de cette échelle de plans traduit plus encore une fusion harmonique entre l’humain et la nature, depuis une perspective quelque peu lyrique, idéalisée mais aussi fortement influencée par un discours identitaire galicien fondé sur l’originalité de son paysage, qui se construit depuis la fin du XIXe en littérature.

Réenchanter le cinéma pour habiter le monde : vers une écopoétique cinématographique

  • 26 Corinne Maury, Habiter le monde. Eloge du poétique da...

  • 27 Le septième art, depuis les origines, possède un lien...

19Dès lors, si le texte filmique se situe plus dans la perspective de la révélation d’une nature enchantée, peut-on conclure que la perspective du réenchantement est totalement absente ? Nous sommes ici plutôt face à un déplacement du processus de réenchantement avec le travail d’un « cinéaste-poète [qui] ne doit pas pour autant être considéré comme un “rédempteur” et guide conduisant le spectateur sur les traces d’un paradis-monde perdu mais davantage comme un “facilitateur” permettant une re-vision ou ré-vision de la réalité » 26. Pour ce faire, c’est bien le cinéma 27 qui semble bénéficier d’une opération de réenchantement. Dans O que arde, Oliver Laxe mène une réflexion sur le médium cinématographique et propose de penser l’image filmique comme une image poétique qui dépasse la représentation et l’observation pour traduire la présence au monde du cinéaste. Le film propose au-delà de l’observation-représentation une réflexion métacinématographique permettant de redéfinir le cinéma comme une expérience totale et sensible pour amener le spectateur vers une éthique écologique.

  • 28 José Moure, « L’appel de la forêt chez quelques cinéa...

  • 29 Ibid, p. 181.

  • 30 Ibid, p.182.

  • 31 Robert Harrison, Forêts, essai sur l’imaginaire occid...

  • 32 Óscar de Ávila, «Especial: el mundo sonoro de "O que ...

  • 33 Ibid.

20Le cinéma d'Oliver Laxe s’attache en effet à retranscrire une réalité sensible où tous les sens sont mis à contribution. A la forme classique du récit avec l’histoire de Benedicta et Amador, le réalisateur associe un travail sur les perceptions sensitives en trouvant notamment une complicité dans la musique et le silence des personnages pour renforcer son discours. De cette manière, la photographie de Mauro Herce insiste sur les détails de la matière, les écorces des arbres, la palette chromatique des paysages auxquels s’ajoutent les sons présents dans le paysage, notamment dans la forêt. Ainsi, le concept de forêt sonore est mis en œuvre dès le début du film pour faire apparaître entre l’image et le spectateur une dimension sensible, non visible, capable de restituer une réalité totale mais toutefois difficile à interpréter par le spectateur profane. Selon José Moure, « la forêt serait le lieu du trop-plein, d’un excès de visible que l’objectif de la caméra aurait du mal à domestiquer » 28 mais « elle met aussi l’ouïe à l’épreuve, proposant à l’écoute une texture sonore riche 29 […]. Se manifeste ainsi la présence continue d’un monde sonore qui se donne à percevoir comme la doublure invisible et sensible de l’image » 30. La retranscription documentaire est totale et se fonde sur une expérience hypersensible qui invite le spectateur à changer sa perception habituelle, à contempler mais aussi écouter et toucher. O que arde oscille alors entre une pseudo documentarité sur le monde rural galicien et d’une pseudo fiction qui met en scène Amador et Benedicta, la limite entre les deux genres étant dans ce cas très poreuse pour s’inscrire dans le genre du cinéma contemplatif qui travaille une association permanente entre les plans, le rythme du montage et le son, agencés de telle manière qu’ils permettent l’immersion sensorielle du spectateur. Celle-ci débouche alors sur la révélation que la nature à travers le motif de la forêt « se présente comme un lieu où les perceptions se confondent, révèlent certaines dimensions cachées du temps et de la conscience » 31. Avec ce type de cinéma, le spectateur dont tous les sens sont constamment sollicités est absorbé dans une ambiance sonore qui tente de reproduire les sons de la nature et qui devient aussi importante que la dimension visuelle. Oliver Laxe explique de cette manière l’importance du son dans ce film : «Era un objetivo que el espectador pudiese estar cercano y sentir… casi tocar el sonido… como por ejemplo la lluvia golpeando sobre la ventana en mitad de la noche, el sonido de un huevo friéndose sobre la plancha de la cocina de leña de la casa de Benedicta y Amador»32. Plus encore, le réalisateur parle d’un réalisme sonore du lieu, de l’habitat comme objectif essentiel «para poder representar una construcción sonora basada, (…), en la verdad, en lo creíble, construida en base a los cuatro elementos de la naturaleza: tierra, agua, aire, fuego»33. Au-delà de l’effet documentaire, le son est associé à un réalisme élémentaire permettant de rééduquer l’ouïe du spectateur, de proposer une pédagogie de la nature sonore.

  • 34 Lois Patiño, in : Nahuel Anxo Lioi Cáceres , La(s) te...

21Cette immersion totale est par ailleurs doublée d’une hybridité du plan cinématographique perceptible dans les plans des paysages noyés dans le brouillard qui rappellent sans aucun doute la peinture romantique et le regard d’un réalisateur marcheur solitaire tout en favorisant l’introspection du spectateur ou du personnage principal. Ces plans sont aussi tributaires d’une influence photographique. A ce titre, le langage cinématographique du film est celui de la photographie. Les longues scènes, sans dialogue ou marquées par un travail de composition picturale constituent de véritables pauses narratives qui s’arrêtent sur des moments de vie intime mais aussi documentaire, une forme de cinéma-vérité selon une double perspective, de l’intérieur et de l’extérieur, qui implique que le cinéaste s’engage dans une recherche esthétique (au moment du tournage comme à celui du montage) et provoque une confrontation obligatoire du spectateur à l’image. Cette redéfinition de l’image filmique et de son appréhension sont largement favorisées par un tempo lent qui incite à la contemplation du monde donné à voir. Les réalisateurs du Novo cine galego font du tempo et du regard deux caractéristiques essentielles de leur cinéma comme l’explique Lois Patino en 2012 : «la espera es fundamental para que te alcance el instante revelador. El paisaje está integrado por muchos detalles que forman un todo, si la mirada es fugaz y vas saltando de un punto a otro no eres capaz de detenerte a ver esa globalidad»34. Grâce à cette attente, le film opère surtout une neutralisation de la perte des dimensions sensibles de l’existence propre à une conception désenchantée du monde. En réenchantant le cinéma, en le poétisant grâce aux images et aux sons, vecteurs de symbolisme naturaliste et de lyrisme, le cinéma réenchante le monde.

  • 35 Oscar Belategui, Oliver Laxe incendia Galicia, dispon...

22En effet, le réenchantement de la forme cinématographique et la réflexion esthétique nous semblent être un moyen de questionner une manière d’habiter le monde. Le texte glisse ainsi progressivement de la pratique esthétique vers une théorie écologique. Ainsi, le lien sensoriel et émotionnel créé avec le paysage ou encore la révélation que l’authenticité réside sans doute dans une vie simple et respectueuse de l'environnement, semblent constituer la base de cette éthique écologique. C’est aussi la connaissance du milieu qui en constitue les fondements. Le film fait l’apologie de la connaissance et de l’interprétation de l'écosystème de la forêt et nous invite à porter un regard différent sur le monde naturel. En documentant la vie de ce village retiré de Galice, Oliver Laxe explique le besoin de retrouver une vérité enfouie qui se trouve à l’intérieur de lui, à l’intérieur des terres, dans l’héritage immatériel transmis par les ancêtres. Selon le cinéaste, il est nécessaire de se reconnecter a posteriori à un savoir ancestral grâce à une opération de post-mémoire immatérielle : «un cineasta tiene que conectarse con su esencia : filmar en los prados donde han trabajado generaciones de mis antepasados tiene consecuencias, se nota en la pantalla. Porque todo lo que está detrás de la cámara se acaba notando»35.

23Mais, pour comprendre cette éthique écologique et le processus de réenchantement, il convient d’analyser la tension qui existe entre une conception désenchantée du monde et un réenchantement en portant une attention particulière à la construction de la relation entre l’humain et le paysage dans le film et plus précisément dans l’épilogue. Le film livre en effet un message ambigu dans la mesure où cette dernière partie documentaire condamne le feu qui ravage les paysages galiciens mais en révèle aussi la beauté saisissante. D’une part, la caméra au cœur de l’incendie met en évidence, le travail des pompiers, les dangers du feu et son pouvoir destructeur. Oliver Laxe explique ainsi que :

  • 36 Frédéric Strauss, « Oliver Laxe (“Viendra le feu”) : ...

Toutes les scènes du grand incendie ont été tournées avec une caméra Super 16 et sans aucune manipulation de l’image. C’était très risqué à tous points de vue. On ne savait pas si les objectifs allaient fondre, si la pellicule serait voilée. Un film de ce genre n’avait jamais été fait. Ce n’est pas un mérite en soi, mais il faut le souligner. On a réussi à surmonter les difficultés. En affrontant cette question éthique : est-ce qu’on fait notre film et on filme les flammes, ou bien est-ce qu’on aide les pompiers à éteindre ce qu’on veut filmer ?36

24D’autre part, même si le feu et le filmage du feu sont associés à la souffrance, il y a dans cette captation une profonde fascination qui sert aussi le défi de réenchanter le cinéma en saisissant des images uniques, d’une beauté implacable de cet incendie :

  • 37 Ibid.

Personne ne peut nier que le feu est d’une beauté scandaleuse. Nous avons choisi de tourner les scènes d’incendie le soir et dans la nuit, ce qui rend leur beauté encore plus intense. Mais à aucun moment on ne justifie les incendies. La responsabilité du cinéaste, c’est de montrer la complexité du monde, ses paradoxes. La beauté est toujours paradoxale.37

25La tension s’exerce par ailleurs grâce au travail sur l'ambiguïté des personnages d’Amador et de Benedicta. L’imminence du danger de l’incendie est préparée tout au long du film comme une conséquence directe d’une modernité qui altère une conception essentialiste du milieu naturel mais surtout de l’abandon progressif du milieu rural comme l’explique le réalisateur :

Hay una cultura del fuego. Los pueblos se han vaciado y el territorio se ha convertido en una jungla porque llueve mucho y después se seca por el cambio climático. En Galicia se destinan 170 millones a la extinción del fuego y cero a prevención. ¿Sabes los contratos que hay? Es una industria. El fuego también es una herramienta de venganza política. La piromanía solo es culpable del 3% de los incendios.38

26Cette analyse soulève des problèmes endémiques et un contexte écologique plus large (changement climatique), l’art cinématographique s’efforçant de les rendre tangibles. Mais lorsqu’Amador et Benedicta identifient les chênes malades ou la souffrance des eucalyptus, lorsqu’Amador part en ville et prend conscience de sa profonde solitude, pour ne revenir que quand un nouvel incendie s’est déclaré alors que Benedicta observe le paysage depuis la colline, le cinéaste laisse la porte ouverte à de multiples interprétations. Qui est finalement le pyromane (on apprend que Benedicta souffre de cauchemars et de mauvaises pensées) ? Le feu a-t-il été provoqué ? Et quoi qu’il en soit n’a-t-il pas, malgré toute la souffrance qu’il provoque, un pouvoir purificateur ? Le Cum dederit final, associé au moment inchoatif du feu, sanctionne bien à nouveau cette souffrance extrême, la culpabilité et l’abandon de l’humain. Le paradis naturel n’est plus mais la fin est bien ambiguë. Le feu a emporté le gîte rural rénové par Inazio, or Amador ne voyait pas d’intérêt à cette activité et la considérait même comme une menace. Le feu lui aussi est ambigu : à la fois source de destruction et de purification d’un milieu envahi par tant de formes de l’altérité. Il est d’une beauté naturelle, fascinante comme le montrent les gros plans au ralenti à la fin du film captant les étincelles qui parsèment le champ de l’image ou le dernier plan en contre-plongée sur le soleil brûlant que l’on devine derrière la fumée de l’incendie et un hélicoptère prêt à lâcher de l’eau sur le sol encore incandescent. La perspective est subjective et l’observateur de cette scène invite le spectateur à prendre sa place, depuis son point d’écoute et son point de vue dans ce paysage dévasté. Mais qui observe ? Un homme (un pompier, un habitant des lieux), un animal qui sort de ce paysage désolant ou tout simplement la terre une dernière fois personnifiée ? Ne s’agit-il pas du regard tellurique sur l’activité de l’humain, bouclant ainsi le cycle d’une nature animée, qui dans un dernier cri agonique supplie l’humain de la sauver ? La force symbolique de ce dernier plan filmé en contre-plongée est exacerbée par le texte filmique sous-jacent qui l’inspire : Days of heaven (1978) de Terrence Malick. Non seulement Laxe et Malick s’intéressent tous deux au filmage d’un incendie pour comprendre le rapport de l’humain à la terre mais ils en poétisent aussi la représentation grâce à ce plan sur le soleil caché par un voile de fumée.

  • 39 Mickaël Löwy, Pour une éthique écosocialiste, 2001, d...

  • 40 Ce néologisme est entré dans la R.A.G. en 2018.

27Dans O que arde, la relation sensible et charnelle entre l’environnement-nature et l’humain ne se fait pas au détriment de la conscience plus globale des problèmes inhérents à cet espace. Nous sommes ici face à une synthèse parfaite et une véritable réflexion écologique empreintes de l’influence des récentes approches écosocialistes définies par Löwy. Le film prône en effet un respect de l’environnement dépassant les structures économiques et sociales capitalistes et permettant l’établissement d’un nouveau paradigme fondé sur le besoin de vivre dans un environnement naturel non dégradé par l’activité humaine. Mais surtout, son discours est en phase avec une « éthique radicale (…) qui se propose d’aller à la racine du mal »39. Le prologue sur la mort annoncée des eucalyptus met en évidence la brutalité du monde mécanique sur le monde naturel comme nous l’avons analysé plus haut mais constitue aussi un écho à la «deseucaliptuzación» 40 amorcée par le gouvernement galicien en 2018. Le film est donc contemporain de cette révolution écologique qui consiste à inverser la tendance en remplaçant les plantations d’eucalyptus par des plantations d’arbres autochtones comme le chêne ou le châtaigner mais aussi à repenser des paysages ignifuges. En réenchantant la forêt galicienne, c’est-à-dire en la réimaginant ou récréant telle qu’elle était à l’origine, et en l’imposant par sa présence à l’image, le film prétend redéfinir un monde et une multitude d’ancrages où les habitants seraient solidaires de leur habitacle et d’un habitat naturel, autochtone.

28En conclusion, O que arde travaille de manière magistrale le constat d’un monde désenchanté et la construction de la nature comme espace enchanté soumis à une temporalité absolue dans lequel certains humains ont bien trouvé leur place. En alternant contemplation et émotion avec la tragédie naturaliste, le film provoque un envoûtement chez le spectateur. Les images et le son restent gravés dans l’esprit. Cette trace sensible met au jour la mémoire innée et ancestrale du spectateur, quelque peu mythifiée, en même temps qu’elle permet de transmettre une série de valeurs humanistes et écologiques. Le regard du cinéaste oscille entre une perspective égocentrique, celle du souvenir de l’enfance et de son espace primordial, et la perspective allocentrique en prenant une position critique sur l’état de notre rapport au vivant en Galice et ailleurs. Oliver Laxe souligne la continuité entre l’humain et la nature en plaçant l’arbre, symbole de ce lien, au centre de cette relation. Malgré la rupture causée par la civilisation industrielle et moderne, il est impossible de couper les ponts avec les origines. C’est aussi la relation entre le créateur et son milieu qui est ici engagée sans que ne soit laissée de côté une réflexion esthétique qui va vers un réenchantement du medium cinématographique en extrayant toutes les substances de l’image filmique. Même s’il s’engage plusieurs fois sur la voie de la réminiscence du discours officiel (le discours identitaire essentialiste, la promotion touristique de la Xunta ou la promotion de la nouvelle politique de deseucaliptuzación), les nombreuses nuances apportées dans le film laissent entrevoir chez ce réalisateur la définition d’un cinéma de la rupture, un cinéma entre révolte et mélancolie. O que arde permet ainsi de repenser le cinéma galicien, l’identité galicienne et la définition de tous nos rapports au monde depuis la perspective d’une nouvelle génération de poètes-cinéastes qui nous invite à une re-vision poétique du réel.

Christelle Colin est agrégée d’espagnol et maître de conférences à l’Université de Pau et des Pays de l’Adour. Spécialiste du cinéma espagnol récent, elle s’intéresse plus particulièrement aux cinémas périphériques, au concept de cinéma poétique et au cinéma féminin, notamment à l’œuvre de la réalisatrice aragonaise Paula Ortiz.

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Vincent Jean-Marie, « Le désenchantement du monde : Max Weber et Walter Benjamin », Revue européenne des sciences sociales, nº101, 1995, pp. 95-106.

Notes

1 Le film a aussi obtenu 5 autres prix : Premios Goya: Mejor fotografía y actriz revelación, 2019 ; Festival de Mar del Plata: meilleur film et scénario, 4 nominations 2019; Premios Feroz: 5 nominations, 2019; Premios Forqué: Meilleur film 2019; Premios Gaudí: Meilleur film européen et photographie, 2019.

2 Álex Bragaña, Xurxo González, Beli Martínez, Alberte Pagán et Bárbara Primo, blog disponible sur : http://novocinemagalego.info/o-proxecto/ (consulté le 20 avril 2021).

3 Disponible en ligne sur https://revues.univ-pau.fr/lineas/3462 ( consulté le 2 mars 2021).

4 Jean-Marie Vincent, « Le désenchantement du monde : Max Weber et Walter Benjamin », in : Revue européenne des sciences sociales, nº101, 1995, p. 95-106.

5 Jean-Louis Schlegel, « Le “réenchantement ” du monde et la quête du sens de la vie dans les nouveaux mouvements religieux », in : Ysé Tardan-Masquelier (dir.), Les spiritualités au carrefour du monde moderne, Paris : Centurion, 1994, p. 85-101.

6 Bruno Latour, Face à Gaïa. Huit conférences sur le Nouveau Régime Climatique, Paris : La Découverte, séries : « Les Empêcheurs de penser en rond », 2015, p. 24.

7 Cet arbre australien importé sur le sol galicien marque depuis des nombreuses décennies la configuration du paysage et de l’économie galicienne. Les paysages galiciens sont couverts de cette culture intensive destinée à l’industrie de la cellulose. Le cycle de production de l’eucalyptus est rapide dans la mesure où l’arbre pousse vite et n’a pas besoin d’entretien.

8 Pour Gilles Deleuze et Félix Guattari, « haptique est un meilleur mot pour tactile puisqu’il n’oppose pas deux organes de sens, mais laisse supposer que l’œil peut lui-même avoir cette fonction qui n’est pas optique ». Gilles Deleuze et Félix Guattari , Mille plateaux, Paris : Editions de Minuit, 1980, p.614.

9 Mi vecino Totoro (1988), Hayao Miyazaki.

10 La mélodie répétitive de Vivaldi sert à affirmer le montage (raccord de plans) et lie la nature et l’humain. Elle apparaît en effet à deux moments clés où Amador retrouve le paysage galicien et son passé.

11 « Amador, tu as du feu ? » (traduction de l’auteur)

12 « Je ne comprends pas ce qu’il dit ».

13 « S’ils font souffrir, c’est parce qu’ils souffrent ».

14 Wenceslao Fernández Flórez, El Bosque Animado, Madrid: Espasa Calpe, 1990.

15 La perspective proposée est ici celle d’une mythification du monde rural. En effet, la vision du monde rural galicien qui est donnée est à la fois une construction filmique et sociale fortement empreinte d’une nostalgie pour un monde disparu (qui est aussi celui de l’enfance du réalisateur) ou en voie de disparition (celui de la Galice rurale).

16 TVG, la chaîne publique autonome naît en 1985. Elle constitue alors un instrument précieux pour la construction de l’identité galicienne dans cette jeune communauté autonome.

17 Oliver Laxe, in : Oscar Belategui, Oliver Laxe incendia Galicia, art.cit., disponible en ligne sur : https://www.elcorreo.com/butaca/cine/oliver-laxe-incendia-20190924175632-ntrc.html (consulté le 20 avril 2021).

18 La lareira (cuisine à bois) constitue le contrepoint de l’autre feu (l’incendie). Chaud et réconfortant, cet endroit constitue un refuge et un repère pour Amador.

19 « Elle t’a reconnu, cette maudite vache »

20 Pascal Galvani, « Retrouver la Terre intérieure. Une démarche d’écoformation en dialogue avec les cultures amérindiennes », in Gaston Pineau, Dominique Cottereau, Anne Moneyron (dir.), Habiter la terre. Écoformation terrestre pour une conscience planétaire, Paris : L’Harmattan, 2005, p.65.

21 « Ils ont sans doute le cancer ».

22 « Ce sont les camions qui viennent d’ailleurs qui sont infectés ».

23 Lorsqu’Amador répond à la jeune vétérinaire qui lui dit qu’elle ne l’a jamais vu au village, il explique qu’il était ailleurs (fora), ce à quoi la vétérinaire répond « ¿emigraste ? ». Amador répond alors brièvement que oui. L’expérience indicible de la prison est en quelque sorte au même niveau que l’expérience de l’émigration. Dans les deux cas, le sujet se situe en dehors du territoire familier et réduit du hameau et de la nature, les deux expériences constituant un traumatisme de l’éloignement et du détachement, responsable d’une crise identitaire. Fora en galicien renvoie du même coup à l’étymologie latine du mot « forêt » en français qui vient de foris : en dehors. La dialectique intérieur/extérieur s’exerce donc aussi de manière complexe dans cet espace naturel.

24 L’espace délimité dans lequel évoluent les personnages est aussi façonné par la pluie qui constitue un son-territoire associé à une identité paysagère.

25 « Remplir tout ça de touristes, tu crois que c’est bien ? ».

26 Corinne Maury, Habiter le monde. Eloge du poétique dans le cinéma du réel, Yellow Now, Crisnée, 2011, p.12.

27 Le septième art, depuis les origines, possède un lien intrinsèque avec la magie et donc une capacité à produire de l’enchantement. En 1956, Edgar Morin parle dans Le cinéma ou l’homme Imaginaire de la capacité du cinéma à produire de l’imaginaire. Edgar Morin, Le cinéma ou l’homme imaginaire, Essai d’anthropologie, Collection Arguments, 1978.

28 José Moure, « L’appel de la forêt chez quelques cinéastes contemporains : une expérience sensible », in : Jean Mottet, (dir.) La forêt sonore de l’esthétique à l’écologie, Champ Vallon, 2017, p. 179.

29 Ibid, p. 181.

30 Ibid, p.182.

31 Robert Harrison, Forêts, essai sur l’imaginaire occidental, Paris : Flammarion, 1992, p.11.

32 Óscar de Ávila, «Especial: el mundo sonoro de "O que arde", una película de Oliver Laxe», Disponible sur https://labobinasonora.net/2020/04/19/especial-el-mundo-sonoro-de-o-que-arde-una-pelicula-de-oliver-laxe/ (consulté le 2 mai 2021).

33 Ibid.

34 Lois Patiño, in : Nahuel Anxo Lioi Cáceres , La(s) tendencia(s) cinematográfica(s) del Novo Cinema Galego, Trabajo fin de Grado, Universidad politécnica de Valencia, 2020, p.44. Disponible sur https://riunet.upv.es/bitstream/handle/10251/138854/Lioi%20%20La%28s%29%20tendencia%28s%29%20cinematogr%c3%a1fica%28s%29%20del%20Novo%20Cinema%20Galego.pdf?sequence=1&isAllowed=y (consulté le 2 mai 2021).

35 Oscar Belategui, Oliver Laxe incendia Galicia, disponible sur : https://www.elcorreo.com/butaca/cine/oliver-laxe-incendia-20190924175632-ntrc.html (consulté le 20 avril 2021).

36 Frédéric Strauss, « Oliver Laxe (“Viendra le feu”) : “Le cinéma est capable de faire comprendre la douleur des incendies” », Télérama, 04/09/2019, disponible sur : https://www.telerama.fr/cinema/oliver-laxe-viendra-le-feu-le-cinema-est-capable-de-faire comprendre-la-douleur-des-incendies,n6401587.php (consulté le 2 mai 2021).

37 Ibid.

38 Oscar Belategui, Oliver Laxe incendia Galicia, art.cit., disponible sur https://www.elcorreo.com/butaca/cine/oliver-laxe-incendia-20190924175632-ntrc.html (consulté le 20 avril 2021).

39 Mickaël Löwy, Pour une éthique écosocialiste, 2001, disponible sur : http://www.europe-solidaire.org/spip.php?article2340 (consulté le 2 mai 2021).

40 Ce néologisme est entré dans la R.A.G. en 2018.

Pour citer ce document

Christelle Colin, «O que arde (2019) d’Oliver Laxe : un certain regard sur la forêt galicienne», Lineas [En ligne], Numéros en texte intégral /, Enchantement et réenchantement des rapports entre humains et non-humains dans le monde hispanophone, mis à jour le : 22/07/2021, URL : https://revues.univ-pau.fr:443/lineas/index.php?id=3503.

Quelques mots à propos de :  Christelle  Colin

Christelle Colin est agrégée d’espagnol et maître de conférences à l’Université de Pau et des Pays de l’Adour. Spécialiste du cinéma espagnol récent, elle s’intéresse plus particulièrement aux cinémas périphériques, au concept de cinéma poétique et au cinéma féminin, notamment à l’œuvre de la réalisatrice aragonaise Paula Ortiz.