XVIe siècle
Agrégation Lettres 2018
N° 17, automne 2017

Raphaël Cappellen

L’Énigme en prophétie, entre dualité auctoriale et pluralité interprétative (Gargantua, LVIII)

  • 1 B. Pascal, Pensées, opuscules et lettres, éd. P. Selli...

Qu’on ne dise pas que je n’ai rien dit de nouveau : la disposition des matières est nouvelle. Quand on joue à la paume, c’est une même balle dont joue l’un et l’autre, mais l’un la place mieux. J’aimerais autant qu’on me dît que je me suis servi des mots anciens. Et comme si les mêmes pensées ne formaient pas un autre corps de discours par une disposition différente, aussi bien que les mêmes mots forment d’autres pensées par leur différente disposition1.

  • 2 Voir B. Roy, « Rabelais, grand connaisseur de devinett...

  • 3 Rabelais, Quart Livre, « Épitre à Odet de Chastillon »...

  • 4 Quoique le lien entre les Fanfreluches antidotées et l...

1Le goût de l’énigme se manifeste diversement dans Gargantua. La présence en grand nombre de devinettes en est un des signes les plus évidents2 : pour preuve, entre autres, la forme prise par le titre du chapitre xl, longue réponse à l’interrogation « Pourquoy les Moynes sont refuyz du monde, et pourquoy les ungs ont le nez plus grand que les aultres ». L’écriture énigmatique sous toutes ses formes n’est bien entendu pas propre à Gargantua mais se retrouve à proportions égales dans l’ensemble des « mythologies Pantagruelicques3 », qui relèvent de bien des manières d’une poétique de l’énigme. Pour s’en tenir à Gargantua, il a souvent été relevé qu’après un prologue tout occupé à interroger la méthode herméneutique et l’acte interprétatif, la narration s’ouvrait et se refermait sur deux poèmes apparentés au genre de l’énigme4. Ces deux textes sont présentés comme des découvertes archéologiques, d’un très ancien livre pour le premier, d’une lame de bronze pour le second, double figuration de la passion des humanistes pour l’archéologie et l’épigraphie antique.

  • 5 Souvenons-nous, en passant, que le jeune Gargantua éta...

2Alors que les Fanfreluches antidotées restent incomprises – et peut-être volontairement incompréhensibles – dans leur globalité, même si des bribes de signification sont entrevues ici ou là, l’autre énigme, trouvée aux fondements de l’abbaye de Thélème, est dûment et aisément interprétée selon deux perspectives différentes par Gargantua et frère Jean. L’absence de signification de l’une a cédé la place à la dualité interprétative de l’autre. Cette évolution lisible aux deux seuils du roman pourrait être une manière d’indiquer que la fiction aura accompli un trajet conduisant du non-sens au sens, de l’incompréhension manifeste à l’appréhension partielle et progressive de la signification par l’entremise du dialogue. Qu’aura-t-on appris au moment de refermer le livre ? Peut-être à savoir rester assis le cul entre deux interprétations5, entre Gargantua et frère Jean, et à s’y trouver bien, en bon pantagruéliste.

3Avant de revenir sur ce que peut signifier un tel mot de la fin en forme d’énigme résolue de manière polysémique et de mise en fiction de la lecture, enjeux qui ont souvent interpellé la critique rabelaisienne, il sera nécessaire de s’arrêter sur certaines particularités essentielles du dernier chapitre de Gargantua. J’aborderai en particulier la question de la paternité du poème pour voir comment elle peut être investie sur le plan de son interprétation. J’essaierai aussi de clarifier certains aspects techniques de la partie du jeu de paume racontée, qui n’est pas d’une compréhension très aisée pour un lecteur du xxie siècle, ignorant de ce qui fut l’un des sports les plus importants de la Renaissance.

Une paternité douteuse : connivence et collaboration au sommet du Parnasse

  • 6 Voir R. L. Frautschi, « The “Enigme en prophetie” (Gar...

  • 7 G. Demerson, Rabelais, Paris, Fayard, 1991, note 12, p...

  • 8 F. Rouget, « Avantage Saint-Gelais : retour sur l’attr...

4Sur les 108 vers qui composent l’Énigme, 96 sont d’une paternité douteuse. Alors que les deux premiers et les dix derniers sont incontestablement rabelaisiens, le corps de l’Énigme a souvent été attribué à Mellin de Saint-Gelais, même si certaines voix se sont élevées pour contester cette attribution et défendre l’idée d’une écriture authentiquement rabelaisienne6. Néanmoins, Guy Demerson avait noté à juste titre que ces contestations ne tenaient « pas suffisamment compte des conditions de la tradition des manuscrits de Saint-Gelais7 ». Il n’est pas question de reprendre ici l’intégralité d’un débat que François Rouget a très bien présenté et sur lequel il a apporté des arguments convaincants en faveur d’une attribution à Mellin de Saint-Gelais, sans exclure pour autant une participation de Rabelais et une écriture collaborative8.

5En revanche, la critique n’a pas assez exposé la diffusion réelle de l’Énigme, qui a connu une triple vie au xvisiècle, circulant sous – au moins – trois formes distinctes selon les manuscrits et imprimés conservés :

  • 9 La datation hypothétique antérieure à 1534 est proposé...

  • 10 Voir É. Picot, Catalogue des livres composant la bibl...

  • 11 La présence de l’Énigme dans ce troisième manuscrit a...

  • 12 F. Rouget, art. cit.

  • 13 M. de Saint-Gelais, Œuvres poétiques françaises, t. I...

  • 14 Il est souvent daté de 1558-1559, mais Claire Sicard ...

  • 15 BnF, Rés. P-V-570 ; voir V.-L. Saulnier, « Rabelais e...

1) un état allongé, de 108 vers – sauf dans les cas où un vers était involontairement oublié par le compositeur lors de l’impression –, propre à Rabelais, dans toutes les éditions de Gargantua (le titre d’Enigme en prophetie n’étant adopté qu’en 1542, en remplacement d’Enigme trouvé es fondemens de l’abbaye des Thelemites) ;
2) un état plus court (qui n’a jamais été vraiment mis en avant), de 87 ou 88 vers, connu par une petite famille de trois manuscrits (87 vers pour le premier, 88 pour les deux suivants) : le ms. Fr. 2335 de la BnF (f. 104-106 ; titre : Enigme), peut-être légèrement antérieur à 1534 ou postérieur à cette date de quelques années9 ; le ms. Rothschild 2964 (f. 39v°-41v° ; sans titre), copié par Jehan Gueffier pour Renée de Ferrare entre 1535 et 154210 ; le ms. 200 de la Bibliothèque municipale de Soissons (f. 26v°-28r° ; titre : Enigme), dont le terminus a quo est donné par la mort d’Hélène Gouffier, à la fin de l’année 1533, puisque plusieurs épitaphes la concernant se trouvent au début du manuscrit, même si la copie de l’Énigme a peut-être été faite quelques années plus tard, aux alentours de 1537-153811 ;
3) un état médian, et plus tardif, de 96 vers (une version que l’on pourrait appeler « version Saint-Gelais ») dans plusieurs manuscrits et imprimés : le ms. Théophile Belin 370, copié vers 155812 ; le ms. Fr. 878 (f. 128v°-130 ; titre : En facon de Prophetie, écrit sous l’intitulé de section Enigmes), copié en 1563 (éd. Stone13) ; le ms. Vaticane 1493, datable entre 1559 et 1569 (éd. Stone) ; le ms. Fr. 885 (f. 137-138v° ; titre : Enigme en facon de prophetie), qui semble n’avoir pu être copié avant 157014 (éd. Stone) ; les Œuvres poëtiques de Mellin de S. Gelais, Lyon, Harsy, 1574 (p. 218-221 ; titre : En facon de Prophetie, écrit sous l’intitulé de section Enigmes), rééditées chez Benoît Rigaud en 1582 ; la Pronostication merveilleuse, sur le temps présent et advenir. Par M. De S.G., Lyon, pour Jacques Pons, 158315.

  • 16 La lacune des ms. Fr. 2335, Rothschild 2964 et Soisso...

  • 17 Cette hypothèse rencontre néanmoins quelques résistan...

6Plusieurs remarques s’imposent. D’abord, l’attribution à Mellin de Saint-Gelais de l’Énigme est essentiellement rendue possible par des témoins tardifs présentant la forme de 96 vers. Les manuscrits qui cautionnent le plus la paternité de Saint-Gelais (même s’ils ne lui attribuent pas nécessairement l’Énigme de manière explicite) ont été copiés plusieurs années, voire décennies, après la mort de Rabelais (à partir de 1558). Dans les trois manuscrits les plus anciens (Fr. 2335, Rothschild 2964 et Soissons 200), copiés à l’époque de la parution ou de la reparution de Gargantua, aucun nom d’auteur n’est indiqué, tandis que ces manuscrits sont des anthologies qui recueillent des œuvres variées, anonymes ou d’auteurs très divers. Ces trois copies contemporaines de Gargantua conservées – les seules à être contemporaines – faisaient circuler des versions du poème plus courtes que les 108 vers rabelaisiens ou les 96 vers diffusés par la suite dans des recueils de poésies manuscrits ou imprimés16. Rabelais fut-il l’auteur spécifique de certains nouveaux vers repris et conservés dans la tradition manuscrite puis imprimée ultérieure (celle où l’Énigme comporte 96 vers – additions approuvées par Saint-Gelais ?17) ? Rien n’est absolument certain en pareille matière.

7Le travail de comparaison montre aussi que Rabelais propose des variantes qui lui sont propres au sein de la partie commune aux trois versions, variantes que je laisse de côté car elles se limitent souvent à des substitutions négligeables quant à la signification du poème. Néanmoins, une variante est plus révélatrice, lorsqu’il est question d’un sujet essentiel pour un auteur d’almanachs et de pronostications facétieuses comme Rabelais, à savoir les fondements de la connaissance divinatrice :

Ou si l’on peut par divine puissance
Du sort futur avoir la congnoissance (Gargantua, lviii, p. 495)

Ou si l’on peult par naturel usaige
Du sort futur avoir quelque presaige (Ms. Fr. 2335, Rothschild 2964 et Soissons 200)

Ou si l’on peut par fureur fatidique
Sans art ny sort avoir sens Prophetique (Mellin de Saint Gelais, éd. Stone et ms. Belin)

  • 18 Les variantes du v. 90 (var. b, p. 500), oublié dans ...

8Rabelais semble imposer sa patte sur un poème qui n’était, selon toute vraisemblance, pas totalement sien à l’origine18.

  • 19 Voir par exemple Étienne Dolet qui écrit « à Merlin d...

9En somme, la possibilité d’une attribution de l’Énigme à Mellin de Saint-Gelais dès les premiers temps de circulation du poème repose essentiellement sur un témoignage éminemment problématique, étant donné qu’il s’agit d’une parole fictive tirée de Gargantua. Une addition de 1542, mise dans la bouche de frère Jean, apparaît comme une manière oblique de révéler l’emprunt poétique. Le moine, bien qu’il fasse souvent profession de n’être qu’un ignare, n’est pas sans lettres puisqu’il identifie à la lecture du poème que « le stille est de Merlin le prophete » (p. 503). Mais à quel « Merlin le prophete » songe-t-il ? C’est par le style que peuvent être reconnus l’auteur et son savoir. Dans Pantagruel, le géant éponyme identifiait à leur mauvais style que les glossateurs « jamais ne virent bon livre de langue Latine [...] comme manifestement appert à leur stile qui est stille de ramonneur de cheminée, ou de cuysinier et marmiteux : non de jurisconsulte » (Pantagruel, x, p. 252-253). Or, le style n’est ici pas du tout celui des Prophecies de Merlin, recueil de prophéties politiques adjointes aux livres de Merlin et souvent réimprimées dans les premières décennies du xvisiècle. En revanche, il correspondrait très bien à celui de Mellin de Saint-Gelais, très intéressé par les questions d’astrologie, facétieusement renommé « prophète » pour l’occasion, alors qu’il était très souvent nommé Merlin en français ou Merlinus en latin19.

  • 20 T. Sébillet, Art poétique français (1548), Traités de...

10Si, dans le chapitre du torche-cul, le jeune Gargantua récitait plutôt une poésie influencée par Marot, le genre de l’énigme, lui, n’est pas marotique, comme l’indique Sébillet : « Marot n’en a point écrit, pource à l’aventure qu’il l’a négligé, ou ne s’en est point avisé »20. De Marot à Mellin de Saint-Gelais, Rabelais côtoie donc les deux poètes de cour les plus importants et novateurs de son époque, dans un roman souvent proche des préoccupations de la cour. Dans un autre passage de Gargantua (viii, p. 101), il mentionne aussi, en passant, sa proximité avec un autre poète, valet de chambre et bibliothécaire du roi, Claude Chappuys.

  • 21 J’aborde ce passage lors de la journée sur Gargantua ...

11Mellin de Saint-Gelais participe volontairement ou involontairement – mais je penche nettement du premier côté – à l’écriture d’une fiction qu’il faut aussi lire comme un singulier liber amicorum, un livre innervé en profondeur ou en surface par les diverses accointances de Rabelais, qu’elles soient amicales, intellectuelles ou politiques. Le chapitre iii présentait une autre forme d’écriture collaborative et pleine de sous-entendus. Tout comme le chapitre sur les durées de grossesse, qui sourd d’une connivence érudite avec l’ami André Tiraqueau, grand juriste fontenaisien21, l’Énigme en prophétie est le résultat d’une complicité poétique que l’on ne peut cerner qu’imparfaitement, à partir d’un ensemble de suspicions et d’hypothèses vraisemblables.

  • 22 C. Marot, Œuvres poétiques complètes, G. Defaux (éd.)...

  • 23 C’est peut-être sur ce patron qu’il faut comprendre l...

12Rabelais n’a-t-il ajouté que les deux premiers et dix derniers vers de l’Énigme ? Dans quelle mesure est-il intervenu dans l’écriture de la partie généralement considérée comme l’Énigme écrite par Mellin (l’Énigme de 96 vers) ? S’est-il contenté de quelques variantes ? Ou bien certains passages conservés dans la tradition manuscrite puis imprimée étaient-ils de sa plume plus que celle de Mellin ? Voire a-t-il coécrit avec Mellin une bonne partie de l’Énigme ? Pareille écriture poétique commune n’est pas sans faire penser à la fin du premier coq-à-l’âne écrit par Marot, adressé à Lyon Jamet, invité à répondre en ajoutant « Ce que j’ay oublié d’y mettre22 ». Lyon Jamet ne manqua pas de s’exécuter en écrivant un nouveau coq-à-l’âne23. De nouveau texte, il n’est pas question ici, seulement d’une (ré ?)appropriation et d’une altération personnelle. D’une certaine manière Rabelais, familier de l’esthétique du collage littéraire, intègre l’Énigme à sa fiction en ajoutant ce que Mellin a « oublié d’y mettre », ou plutôt ce que Mellin n’y a pas assez mis, c’est-à-dire un surplus polysémique. La réécriture rabelaisienne fait pleinement ressortir la polysémie en germe dans l’Énigme initiale, la nourrit, lui donne du relief. Rabelais modifie un texte superficiellement ou fragmentairement plurivoque pour en faire un poème pleinement apte à soutenir une double interprétation. Cependant, avant d’en venir là, je commencerai par faire un détour par une résolution univoque de l’Énigme, par le biais de sa clé, à savoir la description d’une partie de jeu de paume pleine de bruit et de fureur.

« Une description du jeu de paume soubz obscures parolles »

  • 24 Je m’appuie pour cette partie sur les travaux de M.-M...

  • 25 Voir par exemple ce qu’en dit H. Estienne, Project du...

  • 26 Un berger tombe dans la bouche de Gargantua qui a l’h...

13La grave prophétie que le titre du chapitre de l’édition de 1542 faisait attendre se résorbe en effet en simple description de futures parties de jeu de paume. Les très sérieuses prédictions de l’énigme cachent une réalité très commune du xvie siècle, époque où ce jeu connaissait une vogue immense24 : il n’était alors pas de ville importante sans une ou – plutôt – plusieurs salles de jeu de paume (jeu en intérieur dit « courte paume »)25, d’autant que le jeu pouvait aussi se pratiquer en extérieur (sous la forme de ce qu’on appelle habituellement la « longue paume ») et ne demandait alors qu’assez d’espace disponible pour que les joueurs puissent se défier. Preuve parmi tant d’autres de cette passion : un des plus ambitieux navires construit à l’époque, La Grande Françoise, malheureusement trop grand pour pouvoir sortir du port du Havre où il avait été bâti, était pourvu d’un terrain pour jouer à la paume. On ne s’étonnera donc guère de trouver des « jeux de paulme et de grosse balle » à Thélème (Gargantua, lv, p. 477), ainsi que dans cet autre monde qu’est la bouche du géant, au sommet d’une dent, dans Pantagruel (xxxii, p. 332) ou dans deux versions des Chroniques gargantuines, Les Cronicques du Roy Gargantua et Les croniques admirables26.

  • 27 Si les « brimbaleurs » sont bien ceux qui font sonner...

14C’est notamment un jeu qu’affectionnaient les étudiants, auquel Pantagruel passe rapidement « maître » à l’occasion de son passage à Orléans, au point d’en faire plaisamment une caractéristique essentielle de tout bon étudiant en droit de la ville, qui se doit d’avoir « Un esteuf en la braguette, en la main une raquette » (Pantagruel, v, p. 232). Balle en la braguette et raquette en main... Il faut peu d’imagination pour y entendre un double-sens sexuel qui apparaît encore plus clairement dans un titre de la librairie de Saint-Victor : « La racquette des brimbaleurs » (Pantagruel, vii, p. 24027). Les plaisantins du xvie siècle avaient aussi leur propre manière de faire entendre des équivoques entre le pénis et ce qui ne s’appelait pas encore tennis...

15Plus sérieusement, le jeu de paume était aussi une des occupations physiques privilégiées des gentilshommes (Quart Livre, xiiii, p. 571). Ce jeu était réputé pour être très complet car il mettait en valeur l’aisance physique tout en requérant une grande finesse stratégique. Il fait partie des exercices physiques recommandés par Castiglione dans le Courtisan :

  • 28 B. Castiglione, Le Livre du Courtisan, trad. d’après ...

Le jeu de la paume aussi est un noble exercice et fort convenable au Courtisan, car on y voit très bien l’harmonie du corps, la promptitude et la souplesse de chaque membre, et presque tout ce qui se révèle dans les autres exercices28.

  • 29 Jeu de paume déjà nommé dans Les Croniques admirables...

16Le jeu de paume s’intègre donc fort logiquement dans le programme éducatif mis en œuvre par Ponocrates pour parfaire aussi bien l’esprit que le corps de Gargantua : « et se desportoient en Bracque29 ou es prez, et jouoient à la balle, à la paulme [etc.] » (Gargantua, xxiii, p. 223).

  • 30 Voir cependant l’analyse du réemploi de bois illustra...

  • 31 Deux autres bois, nouveaux dans le matériel de Harsy,...

17Dans cet idéal très policé – à de rares exceptions près – qu’incarne Thélème, l’annonce de futures parties de jeu de paume inscrit certes un modèle de sociabilité, de formation du corps et de l’esprit aux fondements de l’espace utopique, mais lui redonne aussi une épaisseur plus concrète, un désordre plus vivant. La partie de jeu de paumes s’accompagne de paris, de contestations, de querelles d’arbitrages, d’un joyeux désordre qui contraste avec la concorde et l’harmonie qui règnent au sein de la communauté des Thélémites. Cet écho de la réalité se trouve représenté dans la première édition illustrée des fictions rabelaisiennes, sortie des presses lyonnaises de Denis de Harsy en 1537. Alors que presque toutes les illustrations qui accompagnent le texte sont des réemplois dont le lien avec le récit reste généralement accessoire30, seuls deux bois sont gravés spécifiquement pour Gargantua31, celui qui sert de frontispice et une petite gravure représentant la clé de l’Énigme en prophétie :

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Rabelais, Gargantua, [Lyon, Denis de Harsy], 537, f. 126 (numérisation Gallica)

  • 32 C’est-à-dire l’endroit où a lieu le second rebond de ...

18La représentation, relativement simple, n’en est pas moins minutieuse : deux joueurs se font face, raquette à cordage droit en main, devant le public présent dans la galerie surmontée d’un toit ; plusieurs éteufs utilisés lors des points précédents sont restés sur le sol carrelé ; sur le mur de gauche est présent un encadrement ouvert que le joueur peut viser pour marquer un point. Les deux jeunes gens également munis de raquettes plus petites ne sont pas des joueurs comme les autres mais vraisemblablement des naquets, chargés en particulier de marquer les chasses, tâche qu’ils n’accomplissaient pas toujours avec une grande honnêteté comme l’explique Claude Fauchet32 :

  • 33 C. Fauchet, Origines des dignitez et magistrats de Fr...

Toutesfois, ces derniers [les naquets] sont demourez aux jeux de Paumes : car il n’y a pas quarante ou cinquante ans, que les Naquets souloient courre apres l’estœuf, pour arrester la chasse ; se couvrans de grandes raquettes, afin de n’estre offensez de coups d’estœufs, jusques à ce que ces vilains, abusassent de leur industrie, en se jettans devant les joüeurs, ou bien souvent (par malice) laissans passer l’estœuf sans l’arrester à point, ainsi qu’ils eussent peu faire. Dont est advenu, qu’aujourd’huy es jeux de paulmes, les chasses se marquent au second bond : afin que j’esclaircisse cela, comme en passant sus un jeu que j’ay bien aimé ; et plus commun aux François qu’à tous leurs voisins33.

19Bien avant cette explication, et aussi avant Gargantua, le poète rémois Guillaume Coquillart mentionnait dans Les Droitz nouveaulx le rôle des naquets dans un passage difficile à comprendre. Un bon joueur, prévoyant, se devait d’avoir avec lui un naquet prêt à « rachasser derrière » :

  • 34 G. Coquillart, Œuvres. Suivies d’œuvres attribuées à ...

Au beau bailleur ferme nacquet
Qui sache rachasser derriere.
Veu que c’est justice fonciere,
Ou le cas deust estre advancé (v. 925-928)34

20Le verbe rachasser signifie en général « renvoyer l’éteuf », ce qui voudrait dire que le naquet intervient dans le jeu et renvoie la balle assez loin (mais est-il face au « beau bailleur », c’est-à-dire face au serveur ? ou de son côté, pour l’aider à contrôler le fond du terrain ?). Néanmoins, dans ce contexte, qui oppose « derriere » et « advancé », j’hésite avec un autre sens envisageable (mais pas attesté dans les dictionnaires), qui signifierait « marquer la chasse en arrière, plus loin que l’endroit où elle a été effectuée ».

  • 35 Pour preuve que le rôle des naquets est variable et q...

21La gravure de l’édition Harsy représente les naquets mais frère Jean, quant à lui, ne glose pas le passage de l’Énigme qui semble faire référence à ces jeunes gens, juges incompétents35, si l’on suit les manchettes présentes dans les manuscrits tardifs (datables de la fin des années 1550) édités par Stone, et dans l’édition de Saint-Gelais de 1574 :

Allors n’auront non moindre autorité
Hommes sans foy que gens de verité, [Manchette : Les arbitres]
Car tous suivront la creance et l’estude
De l’ignorante et sotte multitude
Dont le plus lourd sera receu pour juge. [Manchette : Naquet] (Mellin de Saint-Gelais, éd. Stone, p. 277-278)

22En revanche, le moine explique très précisément certains vers, en particulier dans la version définitive de 1542. Dans les éditions antérieures, son commentaire, nettement plus succinct et désordonné, correspondait à certaine des manchettes reportées dans certains manuscrits tardifs et dans l’édition imprimée des poèmes de Saint-Gelais 

je pense que c’est la description du jeu de paulme. [v. 3-6 : « Cest enigme parle du jeu de la paulme »] et que la machine ronde est l’esteuf. [v. 64 : « L’esteuf »] et ces nerfz et boyaulx de bestes innocentes, sont les racquestes [v. 57-58 : « Les raquetes »]. et ces gens eschauffez et debatans, sont les joueurs. [v. 22 : « Les joueurs »] La fin est que apres avoir bien travaillé, ilz s’en vont repaistre, et grand chiere. (Gargantua, lviii, var. e, p. 502 ; j’intègre entre crochets les numéros de vers concernés dans Gargantua, et les manchettes présentes dans les manuscrits édités par Stone et l’édition de Saint-Gelais de 1574)

Image 10000201000002580000005D90C0364B482DCA46.png

Exemple de manchette dans le ms. Fr. 878, f. 129 (numérisation Gallica)

  • 36 Qu’il faut ici lire dans leur version originelle, voi...

23Après avoir donné la clé d’ensemble de l’énigme, valable pour l’intégralité du poème, frère Jean propose un commentaire à rebours (v. 64 ; v. 57-58 ; v. 22) avant de terminer par une remarque sur les derniers vers du poème, les dix vers ajoutés, propres à la version rabelaisienne de l’Énigme36. Dans les trois manuscrits contemporains de Rabelais (Fr. 2335, Rothschild 2964 et Soissons 200), seul le copiste de Soissons 200 résolvait l’Énigme par des annotations marginales. Mais ses gloses, originales par rapport à la tradition ultérieure, ne correspondent pas parfaitement à celles de Rabelais. Ce dernier s’est-il inspiré d’un manuscrit perdu portant des manchettes ? La correspondance entre le commentaire de frère Jean et les manchettes de la tradition ultérieure est-elle un autre élément de preuve de la collaboration de Rabelais avec Saint-Gelais à l’époque de la rédaction de l’Énigme ? Les doutes entourant l’interprétation de frère Jean sont de même nature que ceux qui portaient sur la paternité exacte du poème.

24Toujours est-il qu’en 1542, le commentaire de frère Jean est considérablement réécrit :

je n’y pense aultre sens enclous q’une description du Jeu de Paulme soubz obscures parolles [v. 3-6 : « Cest enigme parle du jeu de la paulme »]. Les suborneurs de gens sont les faiseurs de parties, qui sont ordinairement amys [v. 14-15 : « Les faiseurs de parties »]. Et aprés les deux chasses faictes, sort hors le jeu celluy qui y estoyt et l’aultre y entre [v. 30 : « Le changement de lieu »]. On croyt le premier qui dict si l’esteuf est sus ou soubz la chorde [v. 44 : « Les arbitres » et 47 : « Le naquet »]. Les eaulx sont les sueurs [v. 53 : « Les sueurs »]. Les chordes des raquestes sont faictes des boyaux de moutons ou de chevres [v. 57-58 : « Les raquetes »]. La machine ronde est la pelote ou l’esteuf [v. 64 : « L’esteuf »]. Aprés le jeu on se refraischit devant un clair feu et change l’on de chemise [v. 98-99 : « Le feu qu’on faict pour se secher »]. Et voluntiers bancquete l’on, mais plus joyeusement ceulx qui ont guaingné. Et grand chere. (Gargantua, lviii, p. 503-505).

  • 37 Il faut rappeler que les premières attestations d’uti...

  • 38 Le copiste du ms. 200 de la BM de Soissons note égale...

25Le nouveau commentaire présente quatre caractéristiques notables par rapport à sa version antérieure : il est plus long, plus ordonné, plus technique, et plus distinct des manchettes explicatives. L’explication de 1535, qui pouvait mimer la parole orale improvisée par l’ordre dans lequel elle suivait le texte et son extrême économie stylistique (une suite de phrases attributives du type X est Y), a été remplacée par un commentaire de texte mieux élaboré, continu, progressif et plus pertinent sur le plan explicatif. Pour n’en donner qu’un seul exemple, gloser les vers 57 à 60 (« Mesme aux troppeaux des innocentes bestes / Que de leurs nerfs, et boyaulx deshonnestes / Il ne soit faict, non aux dieux sacrifice / Mais aux mortelz ordinaire service ») par « les racquestes37 » était un raccourci malvenu, puisque ce sont seulement les cordages qui sont faits en boyaux de moutons ou de chèvres, comme l’explique parfaitement le texte de 154238. Il n’y a que l’explication des v. 14-15 qui semble aller un peu trop vite en besogne, puisque la précision que les « faiseurs de parties » (les organisateurs des parties, et éventuellement des paris qui sont faits sur les parties) sont « ordinairement amys » intègre le vers 22 au commentaire, qui, lui, porte plutôt sur les joueurs, auparavant amis mais qui s’opposent en jouant les uns contre les autres.

  • 39 Selon K. Baldinger, « Il n’y a [...] aucun doute poss...

26La précision technique du lexique utilisé par frère Jean en 1542 est aussi remarquable. Elle peut en outre causer quelques difficultés de compréhension au lecteur moderne. Ainsi de la phrase « On croyt le premier qui dict si l’esteuf est sus ou soubz la chorde », qui fait référence à la difficulté d’arbitrer dans certains cas, les deux parties du terrain n’étant pas séparées par un filet (innovation nettement plus tardive) mais seulement par une corde, si bien que les joueurs s’en remettaient souvent au jugement du public, et en l’occurrence du « premier » pour savoir si la balle était passée au-dessus ou en-dessous de la corde. Le sens du terme est ambigu si on le lit comme un pronom numéral ordinal : s’agit-il du premier des joueurs qui annoncerait que la balle est passée sous la corde ? Ou du premier homme présent dans l’assistance à annoncer la faute, faisant alors fonction d’arbitre ? Or, Kurt Baldinger a montré que « premier » devait vraisemblablement39 ici être pris comme un substantif, ayant un sens spécifique au jeu de paume pour désigner « la galerie qui est la plus proche de la corde », c’est-à-dire le lieu des « spectateurs qui se trouvent au premier rang, le plus près de la corde ».

  • 40 C’est l’explication fournie par toutes les éditions d...

  • 41 J.-M. Mehl, « Qu’est-ce qu’un bon joueur de paume à l...

27De la même manière, la phrase « Et aprés les deux chasses faictes, sort hors le jeu celluy qui y estoyt et l’aultre y entre » est peut-être plus complexe à comprendre qu’il n’y paraît. La glose lexicale proposée par Mireille Huchon, dans l’édition au programme, de chasses par « services » (note l, p. 50340) n’est pas satisfaisante car une chasse ne correspond pas à un « service ». Le système des chasses est relativement complexe à comprendre pour le profane en matière de jeu de paume, d’autant plus complexe que ce jeu n’était pas du tout codifié en 1535 : les règles suivies n’étaient en rien uniformisées, variant « de ville en ville, de village en village41 », variété soulignée par Antonio Scaino, auteur d’un Trattato del giuoco della palla publié en 1555. Le sens moderne de chasse déjà attesté au Moyen Âge désigne le lieu où la balle fait un deuxième rebond (comme au tennis, il n’y a qu’un seul rebond au sol possible au jeu de paume). La chasse est un point suspendu, non attribué. Il faut jouer (ou tirer) la chasse pour que le point soit donné à un des joueurs. C’est pourquoi l’endroit où a eu lieu le deuxième rebond est marqué (signer ou marquer la chasse) car il aura une incidence sur la manière de jouer la chasse ensuite pour gagner le point en attente. Lorsque la chasse est tirée, les joueurs changent de côté, le serveur passant du côté du retour de service et inversement (les deux côtés d’un terrain de jeu de courte paume ne sont pas symétriques : les côtés du service et du retour sont distincts). Pour gagner le point en balance, il est alors nécessaire de le gagner au-delà de l’endroit où la chasse a été marquée. Ainsi, plus la chasse a été marquée loin, moins celui qui la défend a de terrain à couvrir.

  • 42 J.-M. Mehl, Les Jeux au royaume de France, opcit., ...

28Dans la règle moderne du jeu de paume, tel qu’il a été codifié de manière uniforme à la fin du xixe siècle, c’est au bout de deux chasses que les joueurs changent de côté, que le service est échangé, et que les points suspendus par les chasses sont joués pour être remportés. C’est une des explications du proverbe encore employé de nos jours : Qui va à la chasse perd sa place. Cependant, pour le xvisiècle, il est, comme le constate Jean-Michel Mehl, « impossible [...] de savoir si la chasse était jouée après sa constatation ou si, comme dans le jeu moderne, on attendait deux chasses successives42 ». En résumé, cet aspect de la règle moderne était-il déjà appliqué dans certains endroits et par certains joueurs dans les années 1530 ? Et si oui, est-ce à une règle de ce type que Rabelais fait référence ? Au xviisiècle, c’est bien à une règle globalement similaire à la règle moderne que songe Furetière quand il définit le terme chasse :

Chasse, en terme de Joüeurs de Paume, est une chûte de balle à un certain endroit du jeu, qu’on marque, au delà duquel il faut que l’autre Joüeur pousse la balle pour gagner le coup : ce qui se fait tant à la longue, qu’à la courte Paume. On passe sous la corde quand il y a deux chasses. (Furetière, Dictionnaire universel, 1690)

  • 43 Le Dictionnaire de Huguet cite aussi deux passages de...

  • 44 T. Folengo, Baldus, M. Chiesa (éd.), G. Genot et P. L...

29Comme frère Jean fait référence aux « deux chasses faictes », il y a matière à penser – du moins à faire l’hypothèse43 – que la situation décrite est celle qu’indique Furetière. Avoir en tête cette possibilité permet alors de comprendre différemment l’idée que « sort hors le jeu celluy qui y estoyt et l’aultre y entre ». Une lecture immédiate donne à penser qu’il y a un changement de joueur, un joueur éliminé sortant du terrain et étant remplacé par un joueur qui attendait. C’est une situation de ce type que présente le Baldus de Folengo, où Balde, autre grand joueur de paume avant Pantagruel et Gargantua, « gagne la première chasse, puis gagne la seconde. Vainqueur, il continuait à miser, à renchérir et, battant l’un après l’autre, sans cesse il empochait les mises44 ».

30Néanmoins, la phrase du commentaire de frère Jean est ambiguë. La présence de l’article défini (l’aultre), alors que l’on attendrait plutôt un indéfini (un aultre), interpelle. Cela peut s’expliquer par le fait que sortir hors le jeu et entrer dans le jeu signifiaient peut-être « changer de côté » au moment où les chasses étaient jouées, c’est-à-dire au moment où le joueur qui était au service, côté dedans, passait au retour, côté dehors ou devers (sortir hors le jeu : « passer côté dehors » ?). La signification concorderait alors avec la manchette de certains manuscrits et de l’édition de Saint-Gelais de 1574 sur le passage en question, qui indique « changement de lieu » et non pas « changement de joueurs ». Les vers 29 et 30 (« Car ilz diront que chascun à son tour / Doibt aller hault, et puis faire retour ») peuvent décrire un échange : celui qui va haut est au service (qui impose de passer par en haut, l’éteuf devant d’abord rebondir sur le toit au-dessus de la galerie avant de revenir sur le terrain au sol) et l’autre joueur fait retour, joue un retour de service. Mais, tel qu’il est expliqué par la manchette et par frère Jean, le sens de ces vers pourrait aussi être plus particulier : une fois les deux chasses faites, les joueurs changent de côté et celui qui allait haut (était au service) est désormais à la place du retour de service. Même si ce ne sont que des détails, le commentaire, en apparence très simple, de frère Jean est donc bien plus redoutable à comprendre qu’il n’y paraît, par sa précision lexicale, renvoyant à des réalités du jeu de paume très éloignées de nous et si diverses à l’époque qu’il est difficile de pouvoir les reconstituer avec certitude.

31Il faut donc lire l’Énigme comme frère Jean, en entendant comment chacune des phrases du poème décrit un moment du jeu de paume, depuis l’organisation de la partie jusqu’à sa fin, lorsque les joueurs en sueur se sèchent autour d’un feu, remettent des habits propres et banquettent tous ensemble (déroulement à comparer avec celui qui est indiqué p. 223). L’image du banquet conclusif, que l’on peut juger bien « rabelaisienne » dans sa manière de ressouder la communauté autour des victuailles partagées, est empreinte d’un certain réalisme psychologique. Certes la joie est partagée, mais le gagnant est tout de même plus joyeux que le perdant – manière particulièrement plaisante, si on croise le commentaire de frère Jean avec celui de Gargantua, d’envisager les questions de la grâce et de la prédestination. Si frère Jean donne la clé de compréhension de l’Énigme, il n’en épuise cependant pas le sens. Le genre de l’énigme ne saurait se limiter à une lecture à clé.

  • 45 Je n’emploie pas l’expression au sens où l’entend Éra...

Le genre de l’énigme ou une fin en forme de silène inversé45

  • 46 F. Lecercle, « Énigme et poésie à Lyon au milieu du s...

32L’Énigme en prophétie constitue une relative nouveauté poétique au sein des différentes formes prises par la littérature énigmatique en vernaculaire, sans doute aiguillonnée par la publication en 1533 à Paris des Aenigmata de Symphosius. François Lecercle a proposé une liste des énigmes lyonnaises46. Dans ce relevé, l’Énigme en prophétie apparaît comme le plus ancien texte d’un genre qui, sans connaître une immense vogue, perdurera malgré tout sous la plume de Barthélémy Aneau, Bonaventure des Périers ou Charles Fontaine.

33Il est frappant de voir que Rabelais par l’entremise de frère Jean fournit une véritable définition du genre :

je n’y pense aultre sens enclous q’une description du Jeu de Paume soubz obscures parolles. (Gargantua, lviii, p. 503, je souligne)

34« Une description d’une chose sous obscures paroles », c’est sans doute l’explication minimale la plus satisfaisante de l’énigme en vers. Sébillet ne dira pas autre chose quelque treize années plus tard :

  • 47 T. Sébillet, Art poétique français (1548), op. cit., ...

Et pource que l’Enigme n’est autre chose qu’une description [...]. Sa forme est une perpétuelle description, telle que du Blason, fors qu’elle est plus obscure, et recherchée de plus loin47.

  • 48 Ibid., p. 135. Les Fanfreluches antidotées présentent...

35L’Énigme en prophétie, écrite en décasyllabes à rimes plates, répond à la forme canonique indiquée par Sébillet : « La rime plate y est toujours reçue pour meilleure : et le carme de dix syllabes admis pour le plus convenable à la grave obscurité de l’énigme »48. En effet, les paroles obscures de l’énigme doivent être « grave[s] », cacher une réalité prosaïque sous des mots qui donnent à imaginer une situation sérieuse, voire alarmante. Pourtant l’énigme n’est pas polysémique selon Sébillet, puisqu’une mauvaise mise en œuvre du genre consisterait selon lui à « faire telle description qu’elle se puisse adapter à plus d’une chose ». À lire Sébillet, il faudrait donc choisir entre l’interprétation de frère Jean et celle de Gargantua, et préférer celle de frère Jean, à qui le roman donne le dernier mot.

  • 49 Franck Manuel montre dans sa très intéressante thèse ...

  • 50 La prenostication prebstre Jehan, s. l. n. d., BnF Ré...

  • 51 Ibid., f. A2r°-v° : « Pource que plusieurs gens s’esm...

36C’est à un choix équivalent qu’invite l’auteur (Jean Thibault ?) d’une pronostication joyeuse en prose, qui repose sur un principe assez proche du dernier chapitre de Gargantua49. Dans La prenostication prebstre Jehan, est inscrite sur la page de titre la phrase suivante à titre d’avertissement adressé au lecteur : « Plusieurs me liront qui rien n’y entendront Si ne me lisent tout du long »50. En effet, le texte est construit en deux parties : la première est une description plus ou moins obscure ; la seconde se présente comme une « declaration de ladicte prenostication »51. La description commence ainsi :

  • 52 Ibid., f. A1r°.

Premierement je treuve que en ceste presente annee y aura plusieurs princes comme Roys, Roynes et leurs serviteurs qui se alieront ensemble, et au commencement auront bonne amytie les ungz avec les autres, mais à la fin auront si grant dissention ensemble qu’ilz trebucheront et fineront par feu, tellement qu’ilz seront tous consumez en cendre52.

37Pour le lecteur de ce fragment prophétique, le sens est clair malgré l’indistinction référentielle, seul facteur d’obscurité du texte (quels rois ? quelles reines ?). La prémonition est tragique : à l’alliance succèderont les divisions, guerres et destructions, qui détruiront les anciens alliés. L’annonce fait même entendre implicitement un discours sur l’hybris destructrice des puissants, partant sur la nécessité du pacifisme, qu’Érasme et Rabelais à sa suite n’auraient pas renié. Pourtant rien de tel selon l’auteur qui corrige cette interprétation première, venue à l’esprit de tout lecteur ayant oublié la règle du genre énigmatique :

  • 53 Ibid., f. A2v°.

J’ay dit au commencement qu’il y aura dissention entre les princes comme roys roynes et leurs serviteurs. J’entens qu’il y a plusieurs manieres de gens maintenant qui ont tout leurs passe temps à jouer principallement aux cartes dont plusieurs juremens s’y font de jour en jour parquoy ilz ont noyses et dissensions tellement qu’ilz jectent les cartes dedans le feu car il y a Roys roynes varletz ce sont les princes de quoy j’ay parlé au commencement de ladicte prenostication53.

38On aura relevé la parenté avec l’Énigme en prophétie de Rabelais et Saint-Gelais, qui évoque elle aussi les dissensions intervenues entre les anciens amis, résorbées dans le feu, alors qu’il ne s’agit que des querelles dues aux échauffements qu’engendrent les jeux, de carte pour l’un, de paume pour les deux autres. L’auteur de la Prenostication se doit d’expliquer son texte pour corriger l’interprétation erronée à laquelle songeraient les lecteurs confrontés à « la grave obscurité de l’énigme » pour le dire avec les mots de Sébillet. À lire la fin de Gargantua sur le même mode que cette Prenostication, le géant jouerait le rôle du mauvais lecteur (celui auquel La Prenostication ne donnait pas la parole explicitement), et frère Jean de seul lecteur apte à comprendre, à plus bas sens, la clé de l’énigme. L’énigme prophétique est un silène inversé où la gravité affichée et accessible au premier coup d’œil cache la légèreté enfermée dans la boîte. C’est tout le principe ludique de l’énigme que de suggérer une lecture pleine de sérieux et d’annonces catastrophiques, pour mieux la désamorcer, pour forcer le lecteur à lire et comprendre différemment. Le genre repose sur un art du leurre qui s’oppose à l’insoutenable gravité de l’être, qui ne pense qu’aux larmes, en un temps de « dueil, qui [t]ous mine et consomme » (dizain liminaire de Gargantua). Le copiste du manuscrit 200 de la BM de Soissons est particulièrement sensible à ce travail de mystification du lecteur qui fait tout le sel de l’Énigme. Il note ainsi au début du poème « Exorde pour amuser et eslongner du sens de l’enigme », et en face des v. 83-85 : « comparaisons pour distraire le jugement du sens de l’enigme ».

  • 54 C’est pourquoi je nuancerais les approches qui tenden...

  • 55 Sur la réécriture de ces vers entre 1535 et 1542 et s...

39Pourtant, la reconnaissance de la clé de l’énigme réduit-elle à néant la potentielle lecture erronée qui la précède ? Le lecteur qui se leurre en lisant « sérieusement » l’énigme se trompe-t-il entièrement ? Le genre prétend à l’univocité mais ne se révèle-t-il pas nécessairement plurivoque, ne serait-ce que d’une manière superficielle et fragmentaire ? C’est cette polysémie inexploitée ou sous-exploitée du genre énigmatique que Rabelais a voulu développer54. Après tout, rien n’oblige à se contenter de la « declaration » de l’auteur de La prenostication prebstre Jehan, qui prétend mettre le sens de son texte sous clé. C’est encore plus vrai pour l’Énigme en prophétie, surtout telle que Rabelais l’a enrichie en lui adjoignant dix vers conclusifs d’une dense intertextualité religieuse concordant très bien avec le commentaire de Gargantua55.

Lecteurs et lectures polysémiques en fiction

  • 56 A. Tournon, « En sens agile ». Les acrobaties de l’es...

  • 57 Voir la note 7, p. 500 de l’éd. de M. Huchon, qui ren...

40Les interprétations de Gargantua et de frère Jean sont deux éclairages portés sur le poème, c’est-à-dire aussi deux aveuglements. Gargantua ne voit pas la clé de l’énigme et frère Jean refuse d’entendre que le poème peut décrire une partie de jeu de paume et autre chose en même temps. L’équivocité du texte est plus ou moins prononcée selon les passages mais il vaut mieux y regarder par deux fois avant d’affirmer qu’un des passages du poème ne supporte qu’une seule des deux lectures. Les dix derniers vers, en particulier, sont souvent présentés comme essentiellement religieux. Même André Tournon, pourtant fervent défenseur du « sens agile » et de la polysémie rabelaisienne, écrit que « les dix derniers vers [...] n’autorisent que l’interprétation eschatologique56 ». Or cette affirmation est fausse, puisque la fin du poème peut tout à fait renvoyer aux gains financiers qui attendent les vainqueurs au jeu de paume57. Les dix derniers vers sont certes les plus denses pour nourrir une lecture eschatologique telle celle que propose Gargantua mais ils n’excluent pas pour autant l’interprétation de frère Jean.

41Pour voir par un exemple comment deux approches distinctes peuvent rendre compte de certains détails du poème, on peut s’essayer à une double lecture de l’expression temporelle déictique qui se trouve au début de l’Énigme :

Je fois sçavoir à qui le veult entendre,
Que cest Hyver prochain sans plus attendre
Voyre plus tost en ce lieu où nous sommes
Il sortira une maniere d’hommes
Las du repoz, et faschez du sejour [...] (Gargantua, lviii, p. 495)

  • 58 Voir la note 2 de la p. 494 (Gargantua, éd. M. Huchon...

42En suivant l’interprétation de Gargantua sur les persécutions des évangéliques, la précision temporelle pourrait très bien s’adapter à l’hiver 1533-1534 où les évangéliques furent mis en difficulté, et où Noël Béda fut rappelé d’exil, ainsi qu’à l’hiver 1534-1535, et aux persécutions qui suivirent l’affaire des Placards58. Mais la même expression temporelle peut aussi être comprise, sans ouverture du sens par une clé historique et religieuse, en suivant la logique du jeu de paume. Dans un de ses Colloques consacré aux jeux enfantins, Érasme avait mis en scène un dialogue entre plusieurs amis décidés à faire une partie de jeu de paume, où la question de la saison la plus propice pour pratiquer cette activité était abordée :

  • 59 Érasme, Familiarium colloquiorum [...] opus [...], Ly...

ni. Nulla res melius exercet omnes corporis partes, quam pila palmaria, sed aptior hyemi, quam æstati.
hi. Nullum anni tempus nobis parum accommodum est ad ludendum.
ni. Minus sudabitur si ludamus reticulo59.

  • 60 Érasme, Colloques, trad. É. Wolff, Paris, Imprimerie ...

Nicolas. Il n’y a pas pour le corps d’exercice plus complet que la paume, mais il vaut mieux la pratiquer l’hiver que l’été.
Jérôme. Aucune période de l’année n’est, d’après moi, peu propice au loisir.
Nicolas. Servons-nous de raquettes, nous suerons moins60.

43L’hésitation entre l’hiver ou « plus tost » est aussi représentée par Érasme. Il semble plus logique de pratiquer un loisir qui échauffe le corps à la saison froide plutôt qu’à la saison chaude. Mais ce conseil de bon sens ne fera pas reculer ceux qui, passionnés par le jeu, n’ont guère envie d’attendre et seront prêts à jouer « plus tost ».

  • 61 B. Pascal, Pensées, opcit., p. 441, n° 575 : c’est ...

  • 62 Et c’est à Montaigne que l’on peut songer ici, comme ...

  • 63 Sur ce mot essentiel, et sur le fait que, suivant Mel...

  • 64 Comme le faisait Alcofribas dans un premier temps dan...

  • 65 On peut penser à l’emploi du jeu de paume dans les re...

44Les joueurs de paume (Rabelais et Mellin de Saint-Gelais dans le cas présent) utilisent la même balle mais n’en font pas la même chose, comme l’écrira Pascal, qui fait du jeu de paume une image métatextuelle de l’écriture et de la pensée nouvelle61. Transposant cette idée du côté de la lecture, on pourrait dire que les mots de l’Énigme sont les mêmes mais que les lecteurs n’y entendent pas la même chose, ne retournent pas la balle envoyée par l’auteur de la même manière62. Gargantua s’achève donc sur une mise en scène de la lecture que le Tiers Livre ne va cesser de remettre sur le métier : le débat entre deux interprètes. Si le roman se conclut sur une alternative en apparence exclusive entre deux personnages, il se referme en réalité sur un dialogue fructueux pour le lecteur, qui peut lire l’Énigme avec Gargantua et frère Jean. Cette double approche du texte permet de repenser l’alternative proposée dans le prologue au sujet de la lecture allégorique, qui opposait deux hypothèses : « Si le croiez » et « Si ne le croiez ». La présence du même mot d’ « allegories » au pluriel dans les deux passages (p. 39 et 503) invite à ce rapprochement, d’autant qu’il s’agit des deux seules attestations du terme – absent de Pantagruel – dans tout le roman63. La fiction se termine en posant une alternative qu’elle invite dans le même temps à dépasser, comme dans le prologue, où l’établissement de l’idée que l’auteur n’a pas songé à tous les sens que son texte pouvait prendre se muait en incitation adressée au lecteur à ne pas se cantonner à une signification pensée par l’auteur. En 1542, frère Jean réfute toute lecture allégorique64 et veut limiter l’interprétation de l’Énigme au jeu de paume, mais les jeux – fréquemment « moralisés65 » – sont des allégories très usuelles pour décrire des événements plus sérieux. En somme, l’Énigme suggère un haut sens spirituel (dissensions et troubles dans une atmosphère d’apocalypse) pour mieux dissimuler une clé littérale à plus bas sens (le jeu de paume), mais cette clé littérale peut ouvrir la porte vers une nouvelle allégorisation.

  • 66 A. Tournon, op. cit., p. 20.

45Relisons une dernière fois l’Énigme en prophétie de manière pleinement polysémique, soit non pas avec l’une ou l’autre des interprétations, au sens de l’une à côté de l’autre, mais avec l’une et l’autre, en voyant comment les deux commentaires peuvent se répondre et s’enrichir mutuellement. Comme l’écrit André Tournon, il faut essayer de « comprendre, à l’aide de la perspective eschatologique de Gargantua, que le “jeu de paume” décrypté par Frère Jan est lui-même figure d’un sens ludique et mystique, “spirituel” selon la double acception du terme, qui dépasse et éclaire la prophétie d’apocalypse66 ». L’Énigme montre comment après les divisions et les querelles, il est nécessaire que les anciens amis retrouvent des sentiments plus paisibles, même si celui qui a perdu conserve une légère amertume de sa défaite. Ainsi placé à la fin du livre, le jeu de paume est une belle allégorie étendue, à la fois politique et religieuse, image en miroir de la guerre picrocholine (d’anciens alliés qui se combattent mais sont destinés à redevenir des alliés une fois l’affrontement terminé), qui vaut pour les troubles de l’époque de Rabelais et qui se trouvera encore plus d’actualité dans la seconde moitié du siècle, au moment où les guerres de religion feront rage dans le royaume.

  • 67 Et pas seulement de la narration. La phrase de Gargan...

46En définitive, la partie de jeu de paume est une autre manière de penser l’entrée en guerre, l’affrontement et le retour à la paix. Gargantua s’achève sur une ligne de crête entre querelle et réconciliation, dissension et concorde. Cette fin du roman laisse planer une ombre malheureuse et apocalyptique, conjurée par l’optimisme chrétien de Gargantua et par la joie plus épicurienne de frère Jean. L’Énigme en prophétie offre ainsi une belle conclusion à la fiction en ce qu’elle aborde à nouveaux frais certains des enjeux politiques et spirituels de la narration qui la précédait67 tout en revenant de manière pratique sur certains enjeux posés par le prologue, sur la question du sens et de l’interprétation. Au discours théorique du prologue répond la représentation de la lecture à la fin du récit. Dans les deux passages, Rabelais fait figure de lointain prédécesseur des théoriciens de l’œuvre ouverte, invitant à multiplier des lectures aussi attentives au sens littéral – aux sens littéraux ? – qu’aux sens métaphoriques ou allégoriques.

Notes

1 B. Pascal, Pensées, opuscules et lettres, éd. P. Sellier, Paris, Classiques Garnier, « Classiques Jaunes », 2011, p. 441, n° 575.

2 Voir B. Roy, « Rabelais, grand connaisseur de devinettes », Cy nous dient. Dialogue avec quelques auteurs médiévaux, Orléans, Paradigme, « Medievalia », 1999, p. 139-155.

3 Rabelais, Quart Livre, « Épitre à Odet de Chastillon », p. 517. Dans cet article, sauf mention contraire, je citerai Gargantua d’après l’édition mise au programme de l’agrégation (éd. M. Huchon, Paris, Gallimard, « Folio classique », 2007) et les autres textes de Rabelais à partir des Œuvres complètes, M. Huchon (éd.), Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 1994. Les chiffres romains avant les précisions de pages renvoient aux numéros des chapitres dans les éditions indiquées.

4 Quoique le lien entre les Fanfreluches antidotées et le genre de l’énigme versifiée à proprement parler soit ténu et repose surtout sur le rapprochement avec un poème intitulé « Enigme », attribué à Mellin de Saint-Gelais en 1547 ; voir la note 48.

5 Souvenons-nous, en passant, que le jeune Gargantua était tout occupé à s’asseoir « entre deux selles le cul à terre » au chapitre xi, p. 121.

6 Voir R. L. Frautschi, « The “Enigme en prophetie” (Gargantua LVIII) and the question of authorship », French Studies, n° 17, 1963, p.331-40, et à sa suite, A. Tournon, « Persistance et nocivité des conjectures en matière d’attribution », Revue Française d’Histoire du Livre, n° 104-105, 1999, p. 381-390.

7 G. Demerson, Rabelais, Paris, Fayard, 1991, note 12, p. 332.

8 F. Rouget, « Avantage Saint-Gelais : retour sur l’attribution de l’énigme en prophetie (Gargantua, chap. 58) », Études rabelaisiennes, vol. LIV, Genève, Droz, 2015, p. 115-132. J’ai également abordé cette question dans mon article « Sur quelques vers en quête d’auteur(s). Les emprunts poétiques dans l’œuvre de Rabelais », Inextinguible Rabelais. Actes du colloque de la Sorbonne (12-15 novembre 2014), Paris, Classiques Garnier, à paraître.

9 La datation hypothétique antérieure à 1534 est proposée par G. Defaux (éd.), Les Fleurs de Poesie Françoyse. Hécatomphile, Paris, Société des Textes Français Modernes, 2002, p. xlix-lxxii. Sur ce manuscrit, voir aussi F. Preisig, Clément Marot et les métamorphoses de l’auteur à l’aube de la Renaissance, Genève, Droz, 2004, p. 71-79.

10 Voir É. Picot, Catalogue des livres composant la bibliothèque de feu M. le baron James de Rothschild, Damascène Morgand, 1912, t. IV, p. 293 et C. A. Mayer, Bibliographie des œuvres de Clément Marot. I. Manuscrits, Genève, Droz, 1954, p. 18-47.

11 La présence de l’Énigme dans ce troisième manuscrit a été découverte par Claire Sicard, qui m’a très généreusement donné la primeur de cette information et fourni des clichés des pages concernées. Je la remercie également pour les éléments de datation hypothétique qu’elle m’a indiqués (voir sa description de ce manuscrit sur la base Jonas de l’IRHT).

12 F. Rouget, art. cit.

13 M. de Saint-Gelais, Œuvres poétiques françaises, t. II, Donald Stone (éd.), Paris, Société des Textes Français Modernes, 1995, p. 276-280.

14 Il est souvent daté de 1558-1559, mais Claire Sicard démontre qu’il faut repousser cette date au terminus a quo de 1570 dans son article « “J’irai cracher sur vos tombes”. L’étrange tombeau de Mellin de Saint-Gelais par Joachim Du Bellay », Camenae, n° 19, 2016, p. 11-12. Je suis aussi la datation qu’elle propose pour le ms. Vaticane 1493 dans le même article.

15 BnF, Rés. P-V-570 ; voir V.-L. Saulnier, « Rabelais et Mellin de Saint-Gelais pronostiqueurs. Une édition inconnue de l’“Enigme en prophétie” », Bulletin du bibliophile, VI, 1953, p. 277-282.

16 La lacune des ms. Fr. 2335, Rothschild 2964 et Soissons 200 concerne le passage qui va de « Et pour le pis de son triste accident » à « Ou pour le moins demeurera deserte » (v. 71-77, p. 499-501 de Gargantua) ; les vers 78-79 (« Mais elle avant ceste ruyne et perte / Aura longtemps monstré sensiblement ») offrent la leçon « Mais elle avant fera sensiblement » ; manque aussi, dans le ms. Fr. 2335 seulement, le vers « Si une fois il y met le couraige » (v. 40, p. 497).

17 Cette hypothèse rencontre néanmoins quelques résistances. En particulier : pourquoi dans ce cas ne pas avoir aussi conservé les deux derniers et dix derniers vers ajoutés par Rabelais ? Est-ce parce que ces vers sont plus intimement liés à la narration de Gargantua et à la polysémie recherchée par Rabelais ?

18 Les variantes du v. 90 (var. b, p. 500), oublié dans la première édition avant qu’il ne soit corrigé par des états inconnus par ailleurs en 1535 et 1537, m’ont amené à penser que Rabelais avait dû corriger le poème en 1542 en ayant accès à un manuscrit contenant l’Énigme (ce qui répondrait en partie aux objections formulées par R. Frautschi et A. Tournon défendant une paternité exclusivement rabelaisienne à partir de l’examen des variantes de l’édition de 1542). 

19 Voir par exemple Étienne Dolet qui écrit « à Merlin de Sainct Gelais » (Le Courtisan de messire Baltazar de Castillon [...], Lyon, François Juste, 1538, f. a2) ou « ad Merlinum Sangelasium » (Carmina (1538), C. Langlois-Pézeret (éd.), Genève, Droz, 2009, p. 316-317). Jean Plattard relève d’autres attestations dans son article « Rabelais et Mellin de Saint-Gelais », Revue des études rabelaisiennes, t. IX, 1911, p. 90-108, ici p. 94.

20 T. Sébillet, Art poétique français (1548), Traités de poétique et de rhétorique de la Renaissance, F. Goyet (éd.), Paris, Le Livre de Poche, 1990, II, 11, p. 135.

21 J’aborde ce passage lors de la journée sur Gargantua organisée par N. Le Cadet et R. Menini (Université Paris-Est Créteil, 16 septembre 2017), dont les Actes paraîtront dans L’Année rabelaisienne, n° 3, 2019.

22 C. Marot, Œuvres poétiques complètes, G. Defaux (éd.), Paris, Classiques Garnier, 1990, t. I, p. 313.

23 C’est peut-être sur ce patron qu’il faut comprendre le lien entre les Fanfreluches antidotées et l’énigme attribuée à Mellin de Saint-Gelais qui paraît chez Pierre de Tours en 1547.

24 Je m’appuie pour cette partie sur les travaux de M.-M. Fontaine (« Le jeu de paume comme modèle des échanges : quelques règles de la sociabilité à la Renaissance », F. Thélamon (dir.), Sociabilités, Pouvoirs et Société, P. U. Rouen, n° 110, 1987, p. 143-153, repris dans Libertés et savoirs du corps à la Renaissance, Orléans, Paradigme, 1993, p. 99-111), J.-M. Mehl (Les Jeux au royaume de France du xiiie au début du xvisiècle, Paris, Fayard, 1990), É. Belmas (Jouer autrefois. Essai sur le jeu dans la France moderne (xvie-xviiisiècle), Seyssel, Champ Vallon, 2006), et sur l’ouvrage collectif de P. Clastres et P. Dietschy (dir.), Paume et tennis en France. xve-xxsiècle, Paris, Nouveau monde, 2009.

25 Voir par exemple ce qu’en dit H. Estienne, Project du livre intitulé De la precellence du langage François [...], Paris, Mamert Patisson, 1579, p. 101 : « je donneray le premier lieu à celuy de la paume : auquel on peut aussi dire la nation Françoise estre plus addonnée qu’aucune autre : tesmoin le grand nombre de tripots qui sont en ceste ville de Paris. Et avons bien raison d’y estre plus addonnez, tant pour y estre plus habiles et adroits, que pour estre un exercice non moins beau et honneste que proufitable ».

26 Un berger tombe dans la bouche de Gargantua qui a l’habitude de dormir la bouche ouverte : « il se trouva en ung beau jeu de paulme comme pourroit estre celuy de Bracque où est la fontaine lequel estoit en une de ces grosses dentz » (Les Chroniques gargantuines, C. Lauvergnat-Gagnière et G. Demerson (éd.), Paris, Nizet, 1988, p. 185-186).

27 Si les « brimbaleurs » sont bien ceux qui font sonner les cloches au sens propre (voir le verbe « trinqueballer », au chapitre xl de Gargantua, p. 365), et ceux qui aiment faire la bête à deux dos au sens figuré (Tiers Livre, xxv, p. 429 : « je te monstreray ta femme future brimballant avecques deux rustres »), il me semble évident que la présence du mot « raquette » invite naturellement à entendre la « balle » dans « brimbaleurs ». Je souscris aux commentaires de M. Berlioz sur ce titre (Rabelais restitué I – Pantagruel, Paris, Didier Érudition, 1979, p. 153) ; il envisage deux possibilités d’équivoques sexuelles, qu’il traduit plaisamment par « Le manche des besogneurs », ou « Le jeu de paume des branleurs ».

28 B. Castiglione, Le Livre du Courtisan, trad. d’après la version de Gabriel Chappuis (1580) par A. Pons, Paris, GF-Flammarion, 1991, I, 22, p. 49. Voir aussi l’éloge des bienfaits du jeu de paume dans L’Utilité qui provient du jeu de la paume au corps et à l’esprit [...], Paris, Thomas Sevestre, 1599.

29 Jeu de paume déjà nommé dans Les Croniques admirables, voir la note 26.

30 Voir cependant l’analyse du réemploi de bois illustrant des récits sentimentaux par V. Duché-Gavet et T. Tran, « Par les images et par le texte. Pour un Rabelais sentimental ? », Rabelais et l’hybridité des récits rabelaisiens, Études rabelaisiennes, t. LVI, Genève, Droz, 2017, p. 227-248.

31 Deux autres bois, nouveaux dans le matériel de Harsy, semblent avoir été gravés spécifiquement à l’occasion des travaux d’édition de Gargantua (1537) et Pantagruel (1537-1538) ; ils figurent des scènes de bataille et sont employés à plusieurs reprises pour illustrer les chapitres guerriers des deux romans (f. 60, 96v°, 99, 105v° de Gargantua et 77, 88v° de Pantagruel pour le premier ; f. 108 de Gargantua et 84v° de Pantagruel pour le second). Le premier de ces deux bois est aussi utilisé par rapprochement, hors contexte : alors que l’illustration met en valeur le chaos extrême de cette « boucherie héroïque » qu’est la bataille, mêlant hommes et chevaux dans une sorte de Guernica du xvisiècle, elle est aussi employée pour ouvrir le chapitre des chevaux factices du jeune Gargantua (f. 26v°)... Ces constats sur le matériel iconographique de Denis de Harsy ont pu être faits grâce à un document de travail sur les bois des éditions à la marque d’Orion sorties des presses de Denis de Harsy réalisé par Guillaume Berthon, qui prépare un dossier sur les éditions à la marque d’Orion.

32 C’est-à-dire l’endroit où a lieu le second rebond de la balle. Sur ce terme et cet aspect de la règle du jeu de paume commentée par frère Jean, voir infra.

33 C. Fauchet, Origines des dignitez et magistrats de France, Paris, Jeremie Perier, 1600, f. 15.

34 G. Coquillart, Œuvres. Suivies d’œuvres attribuées à l’auteur, M. J. Freeman (éd.), Paris-Genève, Droz, 1975, p. 175.

35 Pour preuve que le rôle des naquets est variable et que le terme recoupe des fonctions diverses au jeu de paume dans les années 1530, le copiste du Ms. Soissons 200 emploie le terme pour désigner les organisateurs des parties. Face aux v. 14-15 (numérotation faite à partir de Gargantua) se lit la glose : « Naquetz faiseurs de parties ».

36 Qu’il faut ici lire dans leur version originelle, voir la variante b, p. 502.

37 Il faut rappeler que les premières attestations d’utilisation d’une raquette cordée pour jouer à la paume remontent aux premières années du xvie siècle.

38 Le copiste du ms. 200 de la BM de Soissons note également « les Raquettes dont les cordes se font de boyaulx ».

39 Selon K. Baldinger, « Il n’y a [...] aucun doute possible » (« Premier : terme de jeu de paume méconnu dans Rabelais », Études autour de Rabelais, Études rabelaisiennes t. 23, Genève, Droz, 1990, p. 79-83). Je me permets de modaliser car le sens tel qu’il l’éclaire est certes convaincant mais totalement tributaire des travaux des lexicographes du xviisiècle. Or, il est difficile d’affirmer sans le moindre doute que le premier était déjà utilisé dans ce sens spécifique au jeu de paume en 1535 (les sources lexicographiques propres au moyen français ne permettent pas de l’affirmer).

40 C’est l’explication fournie par toutes les éditions depuis celle dirigée par A. Lefranc.

41 J.-M. Mehl, « Qu’est-ce qu’un bon joueur de paume à la fin du Moyen Âge et au début de la Renaissance ? », in Paume et tennis en France. xve-xxe siècle, op. cit., p. 19-29, ici p. 22.

42 J.-M. Mehl, Les Jeux au royaume de France, opcit., p. 43.

43 Le Dictionnaire de Huguet cite aussi deux passages de Philippe de Marnix de Sainte-Aldegonde, qui emploie de manière métaphorique les expressions de « première » et « seconde chasse du jeu ».

44 T. Folengo, Baldus, M. Chiesa (éd.), G. Genot et P. Larivaille (trad.), Paris, Les Belles Lettres, 2004, t. I, livre iii, p. 43, v. 270-272 : « et cazzam superat primam superatque secundam. / Plus invidabat victor, revidabat, et altrum / atque altrum faciens, postas sine fine tirabat ».

45 Je n’emploie pas l’expression au sens où l’entend Érasme, qui critique dans l’adage Sileni Alcibiadis le fait qu’un grand nombre d’hommes sont désormais des silènes inversés (silenum praeposterum).

46 F. Lecercle, « Énigme et poésie à Lyon au milieu du seizième siècle », Intellectual Life in Renaissance Lyon, dir. Ph. Ford et G. Jondorf, Cambridge French Colloquia, 1993, p. 155-171. Sur le genre de l’énigme, voir aussi O. Pot, « “L’Énigme en prophétie” chez Rabelais : naissance et destin d’un genre », L’Énigmatique à la Renaissance : formes, significations, esthétiques, D. Martin, P. Servet, A. Tournon (dir.), Paris, Honoré Champion, 2008, p. 137-153.

47 T. Sébillet, Art poétique français (1548), op. cit., II, 11, p. 134 (je souligne).

48 Ibid., p. 135. Les Fanfreluches antidotées présentent, elles, une forme plus inattendue si on les rattache au genre de l’énigme, puisqu’elles se lisent selon une construction strophique, par huitains. Le schéma rimique (ABABBCBC) est habituel pour la strophe de huit vers (voir Th. Sébillet, op. cit., II, 1, p. 101-102). C’est la même forme que le poème « Le grand vainqueur des haulx mons de Carthaige », attribué à Mellin de Saint-Gelais et intitulé « Enigme » dans les Œuvres parues à Lyon, chez Pierre de Tours, en 1547 (p. 15-17 ; éd. Stone, t. II, p. 309-313).

49 Franck Manuel montre dans sa très intéressante thèse de doctorat (L’Âne astrologue : les Pronostications joyeuses en Europe (1476-1623), thèse soutenue en 2006 sous la direction de N. Dauvois, Université de Toulouse II) que plusieurs pronostications joyeuses antérieures à Rabelais jouent de dispositifs énigmatiques à double entente proches de celui de l’Énigme en prophétie. Il les regroupe d’ailleurs sous le terme d’ « énigmes en prophétie ».

50 La prenostication prebstre Jehan, s. l. n. d., BnF Rés. R-2600. Une autre édition du même texte avec la même gravure et les mêmes mots imprimés au premier feuillet porte le titre de La prenostication frere Tybault, s. l. n. d., BnF Rés. Y2-2573. Sur l’histoire de ce texte, voir la thèse de F. Manuel citée dans la note précédente.

51 Ibid., f. A2r°-v° : « Pource que plusieurs gens s’esmerveilleroyent de ouyr les choses qui sont contenues en ladicte prenostication j’ay bien voulu mettre par declaration affin que nul ne contredise qu’elle ne soit vraye ».

52 Ibid., f. A1r°.

53 Ibid., f. A2v°.

54 C’est pourquoi je nuancerais les approches qui tendent à opposer trop drastiquement l’Énigme de Mellin de Saint-Gelais (les 96 vers qui décriraient uniquement le jeu de paume) à son remaniement rabelaisien avec l’ajout d’un autre sens, religieux celui-là, par les dix derniers vers, comme le faisait M. Screech dans son édition : « L’énigme de Mellin lui-même est en effet à interpréter comme le fait Frère Jean. C’est R. [Rabelais] qui, avec les dix derniers vers du poème et le commentaire de Gargantua (qui forment une unité, grâce à l’emploi de textes bibliques mutuellement dépendants), qui fait de l’énigme un sermon » (Gargantua, éd. M. A. Screech, Genève, Droz, 1970, note sur la ligne 130, p. 314). En réalité, les dix derniers vers ne font qu’accroître une polysémie déjà suggérée par les vers qui précèdent. La version rabelaisienne est plus polysémique, ce qui ne veut pas dire que la version de 96 vers ne l’était pas du tout.

55 Sur la réécriture de ces vers entre 1535 et 1542 et sur leur sens spirituel, voir M. Screech, Rabelais, Londres, Duckworth, 1979, M.-A. de Kisch (trad.), Paris, Gallimard, 1992, p. 260-262.

56 A. Tournon, « En sens agile ». Les acrobaties de l’esprit selon Rabelais, Paris, Honoré Champion, 1995, p. 17.

57 Voir la note 7, p. 500 de l’éd. de M. Huchon, qui renvoie à raison aux lettres patentes de novembre 1527 assimilant les gains obtenus au jeu de paume à des gains du travail.

58 Voir la note 2 de la p. 494 (Gargantua, éd. M. Huchon), et G. Defaux, « Les dates de composition et de publication de Gargantua. Essai de mise au point », Études rabelaisiennes, vol. XI, Genève, Droz, 1974, p. 137-142, ici p. 140-141. – Bien entendu, ces deux explications se heurtent au fait que la date de composition du poème est actuellement inconnue. L’Énigme était peut-être déjà écrite avant l’hiver 1534, voire avant l’hiver 1533. Quand bien même l’Énigme serait antérieure, un détail comme « cest Hyver prochain » prend un autre sens quand il paraît dans Gargantua (et l’on retombe ici sur les incertitudes qui entourent la date exacte de la première édition de Gargantua, qui a fait couler beaucoup d’encre dans la critique rabelaisienne).

59 Érasme, Familiarium colloquiorum [...] opus [...], Lyon, Sébastien Gryphe, 1531, p. 46 (Lusus pueriles. Pila).

60 Érasme, Colloques, trad. É. Wolff, Paris, Imprimerie nationale Éditions, 1992, t. I, p. 76 (Jeux enfantins. La paume).

61 B. Pascal, Pensées, opcit., p. 441, n° 575 : c’est le passage cité en épigraphe de cet article.

62 Et c’est à Montaigne que l’on peut songer ici, comme me l’a suggéré Nicolas Le Cadet, aimable relecteur d’une première version de cet article : « La parole est moitié à celuy qui parle, moitié à celuy qui l’escoute. Cestuy-cy se doibt preparer à la recevoir, selon le branle qu’elle prend. Comme entre ceux qui jouent à la paume, celuy qui soustient, se desmarche et s’appreste, selon qu’il voit remuer celuy qui luy jette le coup, et selon la forme du coup » (Les Essais, III, 13, J. Balsamo et al. (éd.), Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 2007, p. 1136).

63 Sur ce mot essentiel, et sur le fait que, suivant Melanchthon, l’interprétation allégorique n’oppose pas deux lectures mais permet de conjoindre la lecture littérale et l’interprétation allégorique, voir M. Huchon, « Rabelais allégoriste », RHLF, n° 112, 2012/2, p. 277-290.

64 Comme le faisait Alcofribas dans un premier temps dans le prologue. Les réfutations sont comparables, d’un côté : « vous n’approchez ne de pieds ne de mains à mon opinion : qui decrete icelles aussi peu avoir esté songées d’Homere [...] » ; de l’autre : « donnez y allegories et intelligences tant graves que vouldrez. Et y ravassez vous et tout le monde ainsy que vouldrez, de ma part je n’y pense aultre sens enclous [...] ».

65 On peut penser à l’emploi du jeu de paume dans les recueils d’emblèmes de G. de La Perrière (Le theatre des bons engins, n° 5 et 41), B. Aneau (Imagination poetique, Lyon, Macé Bonhomme, 1552, p. 99) ou J. Sambucus (Emblemata, Anvers, Christophe Plantin, 1564, p. 133).

66 A. Tournon, op. cit., p. 20.

67 Et pas seulement de la narration. La phrase de Gargantua « bien heureux est celluy qui ne sera scandalizé » fait notamment écho au troisième vers du dizain « Aux lecteurs » : « Et le lisant ne vous scandalisez ».

Pour citer cet article

Raphaël Cappellen, «L’Énigme en prophétie, entre dualité auctoriale et pluralité interprétative (Gargantua, LVIII)», Op. cit., revue des littératures et des arts [En ligne], « Agrégation Lettres 2018 », n° 17, automne 2017 , mis à jour le : 07/11/2017, URL : https://revues.univ-pau.fr:443/opcit/index.php?id=267.

Quelques mots à propos de :  Raphaël Cappellen

Raphaël Cappellen est maître de conférences à l’université Paris Diderot – Paris 7, où il enseigne la littérature française de la Renaissance, et spécialiste de l’œuvre de Rabelais, auquel il a consacré sa thèse de doctorat et plusieurs articles.

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