XVIIe siècle
Agrégation Lettres 2018
N° 17, automne 2017

Servane L’Hopital

La place du spectateur dans Esther et Athalie

  • 1 Jean Racine, préface d’Esther (1689) in Esther, éd. G....

1Les deux dernières pièces de Racine étaient selon le dramaturge des « divertissements d’Enfants1 », écrites pour former les enfants-actrices et non pour plaire aux spectateurs. Dans la préface d’Esther (1689), Racine précise qu’il a écrit cette pièce pour permettre aux Demoiselles de Saint-Cyr de travailler leur diction et leur chant sur des vers qui ne fissent pas de « dangereuses impressions » sur de jeunes esprits, mais qui comportassent tout de même « une action qui rendît la chose plus vive et moins capable d’ennuyer ». Le dramaturge confesse : « à dire vrai, je ne pensais guère que la chose dût être aussi publique qu’elle l’a été. » Quant à Athalie, dont l’ambition apparaît plus haute, elle ne fut effectivement répétée que trois fois par les jeunes filles de Saint-Cyr devant un public restreint.

  • 2 Ibid., p. 36-37. Pour l’abbé d’Aubignac, dans La Prati...

  • 3 Georges Forestier dans sa préface et notice d’Esther (...

  • 4 Voir dans le recueil de G. Dotoli, Temps de préfaces, ...

  • 5 Jean Chapelain, Lettre sur la règle des vingt-quatre h...

  • 6 Citons Pierre Floriot, préfet des Petites Écoles de Po...

  • 7 Jean-Jacques Olier, L’Esprit des cérémonies de la mess...

2Racine affirme, toujours dans sa préface d’Esther, avoir eu le dessein d’« employer à chanter les louanges du vrai Dieu cette partie du Chœur que les Païens employaient à chanter les louanges de leurs fausses Divinités2 ». C’est pourquoi, entre autres, la critique actuelle relève le caractère paraliturgique, « quasiment religieux », d’Esther et d’Athalie3. Lors de la querelle des règles dans les années 1620-1630, l’un des arguments pour la suppression du chœur était qu’il faisait partie de la fonction liturgique païenne du théâtre : celui-ci n’étant plus une cérémonie religieuse, mais un divertissement, un chœur moralisant aurait rencontré des spectateurs mal disposés ; les prédicateurs en chaire s’occupaient déjà bien assez de sermonner le peuple4 ! On pourrait ainsi lire ce retour du chœur chez Racine comme un désir de « ramener le théâtre à son institution ancienne5 » selon la formule de Jean Chapelain dans la Lettre sur la règle des vingt-quatre heures, c’est-à-dire de lui rendre son statut de cérémonie instructive, mais de cérémonie chrétienne, et non païenne. Le concept de « cérémonies », en deçà des sacrements, désignait alors dans la liturgie catholique toute l’action extérieure (luminaires, ornements, gestuelle, déplacements) qui rend plus grand le service divin, imprime le respect et la révérence pour le divin, sert de « disposition » aux sacrements et, par leurs interprétations symboliques, rend l’esprit et le cœur du célébrant comme du fidèle plus présents au mystère invisible6. Les cérémonies de la messe sont pour le curé de Saint-Sulpice Jean-Jacques Olier une « prédication par les yeux7 », particulièrement pour le peuple ignorant.

3Cependant, Racine parle dans sa préface d’un chœur qui chante les louanges de Dieu, et non d’un chœur-prédicateur qui chercherait à moraliser le spectateur : le texte serait-il conçu pour l’acteur qui le profère, plus que pour l’auditeur qui l’écoute ? Ces deux dimensions, pédagogique et paraliturgique, nous invitent à nous demander s’il y a une place pour le public dans Esther et Athalie, et laquelle.

Un théâtre sans public ?

  • 8 Nous utilisons la traduction de Michel De Pure, abbé m...

  • 9 Ibid., p. 72-73.

  • 10 Idem.

4Mme de Maintenon s’inscrit dans une tradition éducative qui remonte à Quintilien. Dans L’Institution oratoire, le comédien peut servir de pédagogue au futur orateur dans son jeune âge, pour qu’il « corrige les défauts de la bouche, et fasse en sorte que les mots s’expriment bien, et que chaque lettre ait son énonciation nette et distincte8 ». Il peut faire travailler à l’enfant « les beaux endroits des Comédies propres et conformes aux actions qu’on entreprend », choisis « non seulement pour être utiles à la prononciation, mais même à l’éloquence », quand « l’âge n’est pas capable de plus grandes choses9 ». Quintilien laisse entendre que le goût naturel de l’enfant pour le jeu le rend plus capable de mémoriser et de rendre une scène qu’un discours. Mais le rhétoricien latin apporte également des restrictions à cette pédagogie, car « la fréquente imitation passe quelque fois en coutume » : l’enfant n’apprendra pas à déguiser sa voix en celle de femme, ou à la rendre tremblante comme les vieillards, il n’imitera pas les ivrognes, ni les « mouvements d’amour, d’avarice ou de crainte, qui ne sont point nécessaires à l’Orateur ». Enfin, dans le style de son geste, il s’éloignera « de la manière des bouffons, et ne permettra pas à son visage, à ses mains et à ses pieds aucun de leurs excès10 ».

5Suivant Quintilien sans pour autant faire appel aux comédiens professionnels, les jésuites et les oratoriens au XVIIe siècle utilisaient le théâtre dans leurs établissements comme un exercice de diction, comme un entraînement à la prise de parole en public, et comme une récréation innocente et édifiante. Les pièces étaient le plus souvent en latin, ce qui les rendait d’autant moins accessibles au public. Elles ne comportaient aucune intrigue d’amour, donc aucun piquant, et le moins possible de rôles féminins, conformément à la fois aux principes de Quintilien et au Deutéronome, qui interdit le travestissement.

  • 11 Pierre Le Brun, Discours sur la comédie, où l’on voit...

  • 12 Jacques Bénigne Bossuet, Maximes et réflexions sur la...

6Lors de la querelle autour de la lettre du père Caffaro (1694), débat qui interroge la légitimité chrétienne de la comédie, la plupart des dévots, tout en condamnant fermement la Comédie comme lieu de célébration fréquente des passions terrestres, défendent le théâtre de collège. Car selon l’oratorien Pierre Le Brun, les pièces y sont « faites par des Religieux ou des Ecclésiastiques tout occupés à inspirer à des écoliers les règles du christianisme », et non par « des personnes qui n’étudient que les maximes du monde » ; elles sont « examinées et approuvées par des Supérieurs de Communauté », alors que les autres ont « suivi le goût du plus grand nombre », c’est-à-dire « l’approbation des gens vicieux » ; enfin elles « ne se font tout au plus qu’une fois l’année pour exercer des Écoliers à parler en public », quand les autres sont « représentées tous les jours » pour satisfaire des « oisifs, qui se font un plaisir de voir bien exprimer les passions dont ils brûlent, l’ambition et le faux amour11 ». Le théâtre pédagogique a une logique descendante et hiérarchique quand le théâtre professionnel, soumis à la tyrannie du plaire, est essentiellement démagogique : il complaît à la corruption du cœur humain. Le premier est rarement représenté, trouve sa justification principalement dans le travail des répétitions ; l’autre est fréquemment représenté et trouve sa raison d’être dans la représentation. Bossuet qualifiait les pièces de collège « d’exercices pour aider [les élèves] à former ou leur style ou leur action, et en tout cas leur donner à la fin de l’année quelque honnête relâchement12 ».

7Ces « exercices » pour l’enfant, et non ces divertissements pour le spectateur, devaient donner à ce dernier tout au plus une fonction instrumentale : car comment apprendre à parler en public sans public ? Le spectateur prête sa présence, comme peuvent encore en avoir l’impression des parents assistant à une représentation de fin d’année. Cette comparaison permet cependant d’entrevoir un autre phénomène : le narcissisme familial, la fierté du cercle. Les spectateurs des pièces de collège devaient être, du moins pour partie, un public acquis et myope, plus sensible à la performance des élèves qu’au propos même de la pièce.

  • 13 Pierre Coustel, Sentiments de l’église et des saints ...

8Racine savait pertinemment qu’à Port-Royal, où lui-même avait été éduqué, le choix de ne pas faire de théâtre, malgré la connaissance qu’on avait de Quintilien, mais seulement « des déclamations », était bien réfléchi. Toujours en 1694, Pierre Coustel, ancien Solitaire de Port-Royal, est le seul de la querelle à mettre en question l’usage du théâtre dans l’éducation, s’autorisant en partie des désordres qu’avait provoqués la reprise d’Esther en 1690. Selon lui, le théâtre est chronophage pour le recteur ; il dissipe l’attention des élèves ; il les rend paresseux à remplir leurs devoirs ; il les rend même fiers et indociles, car il flatte leur amour propre et leur fait croire qu’ils sont indispensables ; enfin il induit des dépenses excessives. Coustel considère que le théâtre est une inutile et dangereuse nouveauté pédagogique, alors que les déclamations sont bien suffisantes pour former une « louable hardiesse de paraître et de parler en public avec grâce et avec bienséance13 ».

9Ce qui pouvait être justifié pour des garçons, qu’on préparait à la parole publique, l’était encore moins pour des filles, qui n’avaient pas de raison d’être des oratrices. Mais Mme de Maintenon ne voulait pas non plus en faire des religieuses, du moins au départ. Elle cherchait sans doute à enseigner aux jeunes nobles une modeste hardiesse à paraître (l’oxymore exprimant toute la difficulté) ; et dans sa préface d’Esther, Racine justifie son entreprise par la raison très quintilienne de devoir enseigner à des filles d’origines provinciales une prononciation nette du français. Mme de Maintenon était aussi influencée par la pédagogie de Fénelon, qui, dans De l’Éducation des filles (1687), justifie ainsi le théâtre :

  • 14 François de Salignac de La Mothe Fénelon, De l’Éducat...

Si vous avez plusieurs enfants, accoutumez-les peu à peu à représenter les personnages des histoires qu’ils ont apprises […]. Ces représentations les charmeront plus que d’autres jeux, les accoutumeront à penser et à dire des choses sérieuses avec plaisir, et rendront ces histoires ineffaçables dans leur mémoire14.

10Ces représentations sont considérées comme des « jeux », qui « accoutument » les acteurs à « penser » et « dire » des choses sérieuses, car « la fréquente imitation passe quelque fois en coutume », disait Quintilien. Ces jeux d’enfants ne nécessitent pas forcément un public, si ce n’est la surveillance du pédagogue, et éventuellement l’horizon narcissisant d’un public de quelques parents ou de consœurs. Mais à Saint-Cyr, les jeunes filles, issues de la noblesse pauvre et particulièrement de pères morts pendant le service, transplantées loin de leurs provinces, ne pouvaient être vraiment sujettes au phénomène de narcissisme familial. Les représentations ne s’inscrivaient pas dans la relation des éducateurs avec les familles. C’est le roi qui jouait le rôle de père tutélaire : la représentation d’Esther s’inscrivait donc plutôt dans une cérémonie royale à la gloire de Mme de Maintenon et du roi.

  • 15 Jean Racine, préface d’Esther, éd. cit. de G. Foresti...

11Le choix du français rendait d’ailleurs mécaniquement plus accessibles et plus mondaines les deux pièces de Saint-Cyr. Écrites par un poète, historiographe du roi, ancien dramaturge glorieux (certes converti), et non par un ecclésiastique ou une religieuse, elles relevaient des Belles Lettres autant que de l’exercice de collège. Pourquoi n’étaient-elles pas en latin ? Les jeunes filles en apprenaient des rudiments, mais ceux-ci étaient sans doute insuffisants pour leur faire jouer en cette langue une tragédie. Par ailleurs, il ne s’agissait pas de leur donner une culture savante ou rhétorique, mais de polir leur esprit, leur langue et leurs manières. Pourquoi les chœurs au moins, qui s’inspirent des psaumes, ne sont-ils pas en latin comme aux offices, alors que le chant est présenté par Racine lui-même, dans sa préface15, comme potentiellement nécessaire aux futures religieuses de l’institution ? La réponse est peut-être à chercher dans le projet dramaturgique racinien : une telle diversité de langue aurait détaché les interventions du chœur de l’action, alors que Racine cherche manifestement à les relier le plus possible et à retrouver le modèle antique, tout en le christianisant. On peut aussi y voir l’influence de l’opéra, qui était en français, même dans les collèges jésuites, comme le fut David et Jonathas (1688) qui farcit la tragédie latine Saül au collège de Clermont. Notons enfin que dans ces années 1680, la montée du gallicanisme et la politique à l’égard des « Nouveaux-Convertis » pouvaient favoriser une piété en français.

12Enfin, si l’on pouvait espérer « inspirer les règles du christianisme » par le théâtre selon la formule de Pierre Le Brun, Racine se rappela probablement, dans l’écriture des chœurs, de l’effet de la vocalisation et du chant dans la prière selon saint Augustin. Le père de l’Église, dans la Lettre à Proba, développait le paradoxe selon lequel l’homme a besoin de formuler et de dire ses prières, alors même que Dieu sait déjà ce qu’il a au fond du cœur. On ne prie pas pour faire savoir à Dieu quelque chose, mais pour savoir soi-même quoi demander. Prier à haute voix régulièrement, comme les religieux psalmodient à heures fixes aux offices, est un moyen d’exciter en soi le désir de Dieu :

  • 16 Saint Augustin, Lettre à Proba in Saint Augustin parm...

Toujours désirer dans la même foi, la même espérance, la même charité, c’est toujours prier ; mais à certains intervalles d’heures et de temps, nous prions Dieu avec des paroles ; ces exercices nous avertissent, nous aident à comprendre quels progrès nous avons faits dans ce religieux désir des biens éternels, et nous excitent à l’accroître dans nos âmes16.

  • 17 Ces expressions sont constamment utilisées au XVIIe s...

13Faire chanter aux jeunes filles des cantiques à la gloire de Dieu était une manière de nourrir en elles « ce religieux désir des biens éternels ». La prière est un exercice consistant à « se mettre en présence de Dieu », « sous le regard de Dieu17 ». Or Racine met dans la bouche des actrices des adresses à Dieu. Il les incite donc à se mettre en prière, d’autant qu’il considère bien que le Dieu invoqué par les chœurs est le « vrai Dieu ». Certaines adresses semblent certes intégrées à la fiction en faisant référence à la situation de la pièce :

  • 18 Jean Racine, Esther, v. 359-362 répétés à l’identique...

Tu vois nos pressants dangers.
Donne à ton nom la victoire.
Ne souffre point que ta gloire
Passe à des dieux étrangers18.

14Mais d’autres sont formulées de telle manière qu’elles puissent convenir à la situation des demoiselles :

  • 19 Athalie, v. 788-791.

Mon Dieu, qu’une vertu naissante
Parmi tant de périls marche à pas incertains !
Qu’une âme qui te cherche et veut être innocente
Trouve d’obstacle à ses desseins19 !

15Il invite même les plus jeunes à s’imaginer chanter avec les anges, comme on le fait au Sanctus de la messe :

  • 20 Esther, v. 357-358. Ces vers sont donnés à « deux des...

Dieu ! qui veux bien que de simples enfants
Avec eux chantent tes louanges20.

16La deuxième personne – « veux » – confirme qu’il s’agit bien d’une adresse, et non d’une simple interjection. On voit également que Racine prend en compte et exploite les différences d’âge de ses actrices, pour créer des correspondances.

  • 21 On peut citer dans Esther les vers 101-106 de l’acte ...

17Les coïncidences entre l’histoire racontée et la situation réelle des Demoiselles et de Madame de Maintenon21, surtout dans Esther, furent relevées par le public contemporain (qui s’essaya à des lectures à clés) et sont commentées par la critique actuelle. Elles participent de cette ambivalence du texte choral : il est à la fois chant et déclamation intégrés dans l’action, et prières ou cantiques pour les Demoiselles. Racine va plus loin en prêtant aux actrices des paroles performatives qui les invitent à s’approprier authentiquement les propos des chœurs. Par exemple dans Esther :

  • 22 Esther, v. 138-140.

Puissé-je demeurer sans voix,
Si dans mes chants ta douleur retracée
Jusqu’au dernier soupir n’occupe ma pensée22 !

18Ou encore :

  • 23 Ibid, v. 772.

Que ma bouche, et mon cœur, et tout ce que je suis
Rendent honneur au Dieu qui m’a donné la vie23.

  • 24 Ibid, v. 1266.

  • 25 Athalie, v. 768-770.

  • 26 Ibid., v. 776-777.

19On n’échappe pas au regard de Dieu, qui est l’un des publics de la pièce. Racine utilise également l’expression typique du sermon des Béatitudes, « Heureux qui », pour capter l’affectivité des actrices en polarisant ce qui est désirable ou haïssable. Beaucoup d’« Heureux qui » sont associés à l’enfance qui grandit sous la protection de Dieu, et font allusion ainsi à leur situation : « Heureux qui dès l’enfance en connaît la douceur24 » dans Esther, « Ô bienheureux mille fois / L’enfant que le Seigneur aime / Qui entend de bonne heure sa voix25 », « Heureuse, heureuse l’enfance / Que le Seigneur instruit et prend sous sa défense!26 » dans Athalie.

20Ainsi ce théâtre des Demoiselles relevait d’une convention très singulière : cet exercice de diction, de maintien, de mémorisation et d’imitation de sujets pieux était aussi un chant de louange et une prière pour porter à désirer Dieu, auquel les actrices étaient invitées à s’adresser en leur nom ; conçu pour des orphelines, il ne semblait pas nécessiter ni viser un public particulier, si ce n’est Mme de Maintenon et le roi, auxquels les pièces rendaient un hommage délicat. Cependant, un examen plus précis du texte permet de nuancer cette affirmation.

Les adresses dans Esther et Athalie

21En effet, dès le prologue d’Esther, Racine construit une situation de parole polarisée par trois types de public : la Piété fait l’éloge du roi et de son fils à la 3e personne, s’adresse à Dieu à la 2e personne du singulier (dès le vers 15) et finit le prologue par deux adresses à la 2e personne du pluriel, aux actrices et au public. Ces deux derniers sont nettement opposés. Les jeunes comédiennes sont désignées par « Vous, qui goûtez ici des délices si pures » et sont invitées à « retracer » l’histoire d’Esther pour « ce héros », dont les renvois anaphoriques sont suffisamment flous pour désigner le dauphin ou le roi. Le second « vous » est interpellé par ces quelques vers :

  • 27 Esther, prologue de la Piété, v. 65-70.

Et vous, qui vous plaisez aux folles passions,
Qu’allument dans vos cœurs les vaines fictions,
Profanes amateurs de spectacles frivoles,
Dont l’oreille s’ennuie au son de mes paroles,
Fuyez de mes plaisirs la sainte austérité.
Tout respire ici Dieu, la paix, la vérité27.

  • 28 Une lettre de Racine à Madame de Maintenon, citée par...

  • 29 Voir notamment dans La Pratique du théâtre de l’abbé ...

22La présence de la virgule tend à faire de la relative « qui vous plaisez aux folles passions » une relative explicative, et non déterminative, comme si le « vous » englobait alors tout le public, sauf le roi et son fils dont on vient de faire l’éloge. Cette rude adresse insulte le public présent, celui de la Cour, en le qualifiant d’« amateurs de spectacles frivoles » et l’invite à sortir. On imagine cependant mal les courtisans prendre au mot cet impératif du « Fuyez » et quitter la salle sous les yeux du roi28, alors qu’ils avaient obtenu le privilège rare d’assister à la représentation. Il y a ici un piège rhétorique, qui invite à une conversion : la seule manière de dépasser la contradiction est en effet de se disposer à vivre autre chose qu’un « spectacle frivole » et à ne plus être celui qui se plaît « aux folles passions ». Par ce prologue, Racine anticipe la critique habituelle sur l’indisposition du spectateur devant les discours de piété au théâtre29, qui ne peuvent y être considérés sérieusement. Il impose une disposition d’âme pieuse.

23Racine ne limite pas les adresses directes au seuil du spectacle. Dans le premier chœur d’Athalie, à l’acte I scène 4, la deuxième personne du pluriel est utilisée deux fois, et dans une strophe chantée par une seule voix, donc a priori intelligible par les auditeurs :

  • 30 Athalie, Acte I, sc. 4 v. 363-370, récités par une se...

Vous, qui ne connaissez qu’une crainte servile,
Ingrats, un Dieu si bon ne peut-il vous charmer ?
Est-il donc à vos cœurs, est-il si difficile
Et si pénible de l’aimer ?
L’esclave craint le tyran qui l’outrage,
Mais des enfants l’amour est le partage.
Vous voulez que ce Dieu vous comble de bienfaits,
Et ne l’aimer jamais30 ?

24Le public est interpellé à nouveau par l’usage du « vous », suivi d’une relative explicative. À nouveau le portrait qui en est fait n’est guère flatteur : il connaît une « crainte servile », il est « ingrat » envers Dieu. Dans le prologue d’Esther, comme dans cette première intervention du chœur dans Athalie, le public est caractérisé à l’aide de concepts augustiniens : il se plaît au théâtre « aux folles passions » qui le consument, et il a une « crainte servile » de Dieu. Les questions rhétoriques adoucissent cependant l’invective. Elles invitent à l’amour de Dieu, soulignent l’incohérence de cette ingratitude. Cette insistance sur l’amour, sur la délectation, est aussi très augustinienne. On note encore l’opposition entre « esclave » et « enfants » : outre que le chrétien est invité à se libérer pour être pleinement « enfant » de Dieu, cette opposition entre en résonance avec le contraste entre actrices enfants et public adulte.

25Dans Esther, on note encore un glissement du « il » au « vous » dans le chœur de l’acte II, scène 8. Alors que les jeunes Israélites commentent l’idolâtrie d’Assuérus, soudain l’une se met à chanter :

  • 31 Esther, v. 742-743.

Malheureux ! vous quittez le Maître des humains,
Pour adorer l’ouvrage de vos mains31.

26Ce glissement des pronoms personnels peut être interprété et joué de différentes manières : comme un effet de mention biblique, comme une adresse à Assuérus parti en coulisse, enfin comme une adresse au public.

27Outre ces adresses directes, qui tendent à dessiner le portrait d’un public adulte, appartenant au monde, se complaisant aux passions, esclave de sa crainte, ingrat envers Dieu et idolâtre, des interpellations générales l’invitent à se projeter et à s’appliquer les répliques. Les formulations en « Heureux qui » servent à susciter le désir mimétique à l’égard d’une jeunesse innocente qui paraît goûter la joie et la paix de Dieu, d’autant plus que les jeunes filles semblent prendre à leur compte les répliques du chœur, et témoigner de leur foi. Ainsi dans Esther :

  • 32 Ibid., v. 790-794.

Heureux, dit-on, le peuple florissant
Sur qui ces biens coulent en abondance !
Plus heureux le peuple innocent,
Qui dans le Dieu du ciel a mis sa confiance32.

28Ou encore :

  • 33 Ibid., v. 805-808.

Heureux le cœur épris de tes attraits !
Ô douce paix ! Ô lumière éternelle !
Heureux le cœur, qui ne te perd jamais33 !

29Par des questions rhétoriques aux tournures généralisantes, insinuées avec d’autant plus de douceur que Racine joue de la mélodie de la versification, des répétitions et des inversions syntaxiques, les chœurs portent insensiblement à la conversion en faisant désirer la paix de Dieu. Ainsi dans Athalie :

  • 34 Athalie, v. 1230-1231 et v. 1234-1236.

D’un cœur qui t’aime
Mon Dieu, qui peut troubler la paix ?
[…]
Sur la terre, dans le Ciel même,
Est-il d’autre bonheur que la tranquille paix
D’un cœur qui t’aime34 ?

30Plus tôt dans la pièce, le refrain suivant, répété trois fois, avec ses exclamatives et l’infinitif à portée générale, faisait entrevoir l’engagement envers Dieu comme une joie suprême :

  • 35 Ibid., v. 349-350, répété une seconde fois aux v. 361...

Ô divine, ô charmante loi !
Ô justice ! ô bonté suprême !
Que de raisons, quelle douceur extrême
D’engager à ce Dieu son amour et sa foi35 !

31À l’inverse, quelques menaces planent sur les impies, dont le discours est parfois rapporté mais nettement distancié par des incises (« dit-on », « disent-ils », « dit la troupe impie »). Mais ces « malheureux » sont désignés à la troisième personne. Si les chœurs raciniens sont travaillés par une velléité de prédication à l’intention de la Cour, Racine n’utilise guère l’invective, la menace ou la fulmination. Il compte davantage sur les effets de la délectation et du désir mimétique, ses applications restent dans l’ordre de l’allusion.

32Ainsi, bien que les pièces n’aient pas pour but officiel de s’adresser à un public adulte, Racine semble avoir exploité les potentialités de la situation pour édifier, par la bouche présumée pure des enfants, un public de gens du monde, qu’il caractérise par des concepts augustiniens : non pas libertin, mais complaisant aux passions, idolâtre, attaché aux biens du monde, ingrat et tiède envers Dieu, esclave de sa crainte.

Le « mélange de la Représentation avec la Vérité de l’action théâtrale »

33Racine renoue ainsi avec la fonction moralisante du chœur antique. Avec ces adresses et ces allusions, il contrevient ponctuellement à l’interdiction de l’abbé d’Aubignac de mélanger « la Représentation avec la Vérité de l’action théâtrale ». Cette expression étrange de La Pratique du théâtre désigne, pour les condamner, les moments où l’acteur rompt l’illusion théâtrale et sort de l’action en faisant une référence aux conditions réelles de la représentation. L’abbé d’Aubignac refuse ce « mélange » en ces termes :

  • 36 François Hédelin, abbé d’Aubignac, op. cit., p. 87.

On n’approuverait pas que Floridor en représentant Cinna, s’avisât de parler de ses affaires domestiques, ni de la perte ou du gain que les Comédiens auraient fait en d’autres pièces : qu’en parlant des Romains soumis à la domination d’Auguste, il mêlât les barricades de Paris avec les proscriptions du Triumvirat ; qu’en récitant la harangue de Cinna aux Conjurés, il adressât sa parole et ses réflexions aux Parisiens qui l’écoutent ; qu’en examinant la haine et la fierté d’émilie, il en fît quelque rapport avec la douceur de nos Dames ; en un mot on ne souffrirait pas qu’il confondît la Ville de Rome avec celle de Paris, des actions si éloignées avec nos aventures présentes, et le jour de cette conjuration avec celui d’un divertissement public arrivé seize cents ans après : car c’est pécher, non seulement contre des règles introduites par quelque considération de bienséance, mais encore contre le sens commun36.

  • 37 Voir notre article disponible sur le site internet de...

34L’abbé d’Aubignac semble envisager ici sur le mode de l’irréel un théâtre qui s’apparenterait à une prédication en chaire37. En effet, le prédicateur propose au fidèle, auquel il s’adresse directement, des « applications » actuelles des histoires bibliques passées, et ne cesse de faire « quelque rapport » entre les récits anciens et les mœurs actuelles des fidèles. Cependant, le prédicateur n’est pas acteur des récits qu’il rappelle et interprète.

35Dans son chapitre sur les chœurs, l’abbé d’Aubignac s’irrite des chœurs de Sénèque, qu’il juge notablement selon un critère esthétique, et non moral :

  • 38 François Hédelin, abbé d’Aubignac, op. cit., p. 307.

c’est pour cela que les Chœurs dans ces Tragédies qui portent le nom de Sénèque, sont fort désagréables à la représentation, quoique remplis de sentiments moraux très excellents ; pour ce que souvent étant difficile de reconnaître quelles sortes de gens ces Chœurs représentent, et ne faisant que moraliser sur les événements représentés sans y prendre intérêt ; on ne saurait dire pour quelle raison ils paraissent et font ces beaux discours sur des choses qui ne les regardent point38.

36D’Aubignac, en partisan d’une illusion parfaite et continue qui ne connaisse « aucune éclipse », condamne un chœur qui n’a pas d’« intérêt » à l’action. Racine a retenu la leçon : les chœurs d’Esther et d’Athalie sont soigneusement justifiés par la situation de l’histoire et ne choquent pas la vraisemblance. Les jeunes israélites dans Esther ou les jeunes filles de la Tribu de Lévi dans Athalie ont un intérêt à l’intrigue : leur survie est en question. Tout en ménageant des adresses au public et des allusions, Racine évite la rupture d’une sortie de l’histoire.

37Racine réussit d’autant mieux ce tour de force que les Demoiselles, en tant que chrétiennes, avaient aussi « un intérêt » propre à ces histoires juives. L’Ancien Testament, selon la lecture de saint Paul, est une « figure » du Nouveau. Les psaumes, qui inspirent grandement les chœurs raciniens, font à l’origine partie de l’Ancien Testament, mais l’auteur les reprend aussi aux offices chrétiens, où ils sont considérés comme un répertoire des mouvements de l’Esprit Saint. Ils chantent le même Dieu. L’évêque d’Ypres Jansénius dans son Augustinus comparait l’Ancien Testament à une grande Comédie, « quasi comoediam ». Antoine Arnauld de Port-Royal justifia cette comparaison contre la critique qu’en fit le jésuite Isaac Habert en ces termes :

  • 39 [Antoine Arnauld], Seconde apologie de Jansénius, s. ...

Monsieur d’Ypres en comparant l’Ancien Testament à une grande Comédie, n’a voulu dire autre chose sinon que l’Ancien Testament n’était au regard du Nouveau qu’une grande représentation, ainsi que S. Paul nous l’enseigne, et non seulement une représentation morte, comme celle des images et des figures ordinaires, mais une représentation vivante et animée, comme est celle des Comédies39.

38Arnauld note :

  • 40 Ibid., p. 165. Nous soulignons.

Mais il y a cette différence entre les Comédies des hommes et les figures de la Vieille Loi, que les hommes se proposent certains sujets qu’ils représentent dans leurs Comédies, au lieu que cette troupe d’hommes charnels qui composait le Vieil Testament, ne savait ce qu’elle faisait en représentant les mystères de l’Évangile. Et c’était l’esprit de Dieu seul qui conduisait leurs actions et toute l’Économie de la Loi40.

39Arnauld relève une autre différence dans le rapport au temps des deux représentations :

  • 41 Ibid. Nous soulignons.

D’où naît encore une autre différence très remarquable, qui est, que les Comédies des hommes ne représentent que les choses passées, quand elles en représentent de véritables, parce que l’esprit des hommes qui les composent, ne connaît que celles-là, et est aveugle pour l’avenir, au lieu que la représentation de l’Ancien Testament n’était que des choses futures, parce que tout est présent à l’Esprit de Dieu, et qu’il était digne de la Majesté de Jésus Christ et de son Église, d’avoir un Peuple entier qui ne servît qu’à représenter les grandeurs ineffables de ce Roi divin, et de son Royaume céleste, longtemps avant qu’ils parussent dans le monde41.

  • 42 Esther, préface, éd. cit., p. 36.

  • 43 Voir la préface d’Athalie par G. Forestier, éd. cit.,...

40Racine dit avoir rempli son action d’Esther avec les « seules Scènes, que Dieu lui-même, pour ainsi dire, a préparées42 » ; il s’attacha à faire entendre la dimension prophétique et messianique d’Athalie ; il montra dans cette pièce des personnages qui ne savent pas ce qu’ils font tout en donnant le sentiment d’une providence43. Il se rappelait peut-être cette expression de Jansénius interprétée par Arnauld. Les récits vétérotestamentaires sont plus qu’une simple histoire passée et exemplaire : ils sont une représentation figurée et vive du Royaume céleste. Cette dimension mystique fait sortir de la convention classique de l’illusion parfaite car elle interpelle métaphysiquement le public chrétien. L’histoire représentée fidèlement est métaphysiquement adressée à l’humanité à la recherche de son salut, elle est objet de méditation et d’application.

41Ainsi, Racine, à la faveur d’une commande pédagogique pour faire travailler la diction des Demoiselles sur des vers pieux, rapprochait le théâtre d’une cérémonie chrétienne. En invitant les jeunes filles à témoigner de leur foi devant le public et devant Dieu, en remémorant certains événements de l’Ancien Testament pour en suggérer des applications grâce aux réflexions des chœurs, ses deux pièces exhortaient l’auditoire à aimer Dieu. Elles représentaient un acte religieux susceptible d’édifier, non seulement les actrices, mais aussi les spectateurs de la Cour, dont l’auteur anticipait la présence très ponctuellement par quelques adresses dans le texte même. Elles faisaient du théâtre une prédication douce, insinuée par le chant et les vers, qui exposât la « Comédie » préparée par Dieu, et éveillât le désir de Dieu par le spectacle de l’enfance, de l’innocence et de la paix. Mais cette instrumentalisation de la grâce naturelle d’adolescentes et de petites filles à la gloire de Dieu, de Mme de Maintenon et du roi, pouvait se retourner contre le projet initial même. Non seulement le spectacle de la pureté pouvait attiser perversement la concupiscence du public, mais les petites actrices risquaient encore d’oublier cette parole du Christ (saint Matthieu 6, 5, trad. Sacy) :

  • 44 Rappelons qu’hypocritès, en grec, désigne les comédie...

Et lorsque vous priez, ne soyez pas comme les hypocrites44, qui affectent de prier en se tenant debout dans les synagogues et aux coins des rues, pour être vus des hommes. Je vous dis en vérité qu’ils ont reçu leur récompense.

Notes

1 Jean Racine, préface d’Esther (1689) in Esther, éd. G. Forestier, Paris, Folio Gallimard, 2007, p. 37.

2 Ibid., p. 36-37. Pour l’abbé d’Aubignac, dans La Pratique du théâtre (réd. 1641, publ. 1657), dont Racine avait un exemplaire annoté, « la Tragédie dans son origine n’était qu’une hymne sacrée, chantée et dansée à l’honneur de Bacchus par des Chœurs de musique » (éd. H. Baby, Paris, Honoré Champion, 2011, p. 303.)

3 Georges Forestier dans sa préface et notice d’Esther (éd. cit., p. 27 et 128), en s’appuyant sur des témoignages de la correspondance de Mme de Sévigné conclut : « [les spectateurs] ont reçu cette scène comme Racine l’avait conçue, c’est-à-dire comme un pur moment d’émotion quasi religieuse ». Gilles Ernest, dans sa préface d’Athalie dans l’édition livre de poche (1999, p. 23), écrit : « il est probable que les pieuses élèves de Saint-Cyr aient suivi la représentation d’Athalie comme une sorte de culte transposé au théâtre ».

4 Voir dans le recueil de G. Dotoli, Temps de préfaces, Le débat théâtral en France de Hardy à la Querelle du « Cid » (Paris, Klincksieck, 1996), la préface de la Sylvanire, ou la Morte-vive (1627) d’Honoré d’Urfé, p. 176, la préface Tyr et Sidon (1628) de Jean de Schélandre, p. 186, la Lettre sur la règle des vingt-quatre heures (1630) de Jean Chapelain, p. 232-233, la préface de l’Amaranthe (1631) de Jean Ogier de Gombault, p. 259 ; enfin voir le Discours à Cliton (1631), toujours non attribué avec certitude, in Jean-Marc Civardi, La Querelle du Cid, Paris, Champion, coll. « Sources classiques », 2004, p. 618.

5 Jean Chapelain, Lettre sur la règle des vingt-quatre heures (1630), in G. Dotoli, op. cit., p. 233. Antoine Godeau, une fois évêque, reprend cette expression dans son discours liminaire à ses Œuvres chrétiennes en 1641 (Œuvres chrétiennes, Seconde partie, 1641, p. 11 ; Poésies Chrétiennes, d’Antoine Godeau, évêque de Grasse, nouvelle édition revue et augmentée, Paris, chez Pierre Le Petit, 1660, « Discours sur les ouvrages contenus en ce volume », p. 11-12.)

6 Citons Pierre Floriot, préfet des Petites Écoles de Port-Royal jusqu’en 1664, qui publia en 1679 chez Hélie Josset un Traité de la messe de paroisse : « car nous appelons cérémonies tous actes extérieurs de Religion qui se font pour louer Dieu, qui ont pour objet son honneur et sa gloire, ou notre salut et le bon état de notre âme ». Sur les effets des cérémonies de la messe, voir notre article, « Le sublime et les cérémonies romaines de la messe en France à la fin du XVIIe », in À la croisée des arts. Sublime et musique religieuse en Europe (XVIIe-XVIIIe siècles) sous la direction de S. Hache et T. Favier, Classiques Garnier, coll. « Lire le XVIIe », 2015, p. 235-260.

7 Jean-Jacques Olier, L’Esprit des cérémonies de la messe, Explication des cérémonies de la grand-messe de paroisse selon l’usage romain (1657), édition préparée et présentée par C. Barthe, Tempora, 2009, préface, p. 37.

8 Nous utilisons la traduction de Michel De Pure, abbé mondain des années 1660 : Quintilien, De l’Institution de l’orateur, avec les notes historiques et littérales, où les mots Barbares, Grecs, Anciens, et les plus difficiles sont expliqués, par M. M. D. P., chez François Clouzier, 1663, p. 71.

9 Ibid., p. 72-73.

10 Idem.

11 Pierre Le Brun, Discours sur la comédie, où l’on voit la réponse au Théologien qui la défend, avec l’Histoire du Théâtre, et les Sentiments des Docteurs de l’Église depuis le premier siècle jusqu’à présent, Paris, Louis Guérin et Jean Boudot, 1694, p. 148-149.

12 Jacques Bénigne Bossuet, Maximes et réflexions sur la Comédie (1695), in L’Église et le théâtre, éd. Ch. Urbain et E. Levesque, Paris, Eurédit, 2000 [1930], p. 189. Nous soulignons.

13 Pierre Coustel, Sentiments de l’église et des saints Pères pour servir de décision sur la comédie et les comédiens, opposés à ceux de la lettre qui a paru sur ce sujet depuis quelques mois, Charles Coignard, Paris, 1694, 2e partie, article 3, objection 5.

14 François de Salignac de La Mothe Fénelon, De l’Éducation des filles, Paris, Gallimard, « Bibliothèque de La Pléiade », 1983, chapitre 6, « De l’usage des histoires pour les enfants », p. 120, cité par A. Piéjus dans Théâtre des demoiselles. Tragédie et musique à Saint-Cyr à la fin du Grand Siècle, Paris, Société française de musicologie / Klincksieck, 2000, p. 61.

15 Jean Racine, préface d’Esther, éd. cit. de G. Forestier, p. 36.

16 Saint Augustin, Lettre à Proba in Saint Augustin parmi nous, trad. H. Rondet, C. Morel, M. Jourjon, J. Lebreton, Le Puy-Paris, Éditions Xavier Mappus, 1954, p. 101. La Bibliothèque augustinienne n’a pas encore édité cette lettre.

17 Ces expressions sont constamment utilisées au XVIIe siècle pour expliquer l’attitude psychologique et physique de la prière. Le père de l’Église saint Cyprien dans De l’oraison dominicale utilisait l’expression « cogitemus nos in conspectu Dei stare » et « placendum est divinis oculis, et habitu corporis et modo vocis » ; Pierre Floriot commente : « il veut d’abord qu’on se propose Dieu présent » (op. cit., p. 165) ; le jésuite Jean Suffren, ancien confesseur de Port-Royal dans les années 1620, parle de se mettre « sous l’esclavage des yeux divins » dans L’Année chrétienne ou le saint et profitable emploi du temps pour gagner l’éternité [1641], Paris, Claude Sonnius et Denis Bechet, 3édition, 1643, p. 62.

18 Jean Racine, Esther, v. 359-362 répétés à l’identique aux v. 369-372.

19 Athalie, v. 788-791.

20 Esther, v. 357-358. Ces vers sont donnés à « deux des plus jeunes israélites ».

21 On peut citer dans Esther les vers 101-106 de l’acte I scène 1 : « Cependant mon amour pour notre nation, / A rempli ce Pays de filles de Sion, / Jeunes et tendres fleurs, par le sort agitées, / Sous un ciel étranger comme moi transplantées. / Dans un lieu séparé de profanes témoins, / Je mets à les former mon étude et mes soins. » ou encore le vers 125 « Prospérez, cher espoir d’une Nation sainte. » prononcé par Élise à l’acte I scène 2.

22 Esther, v. 138-140.

23 Ibid, v. 772.

24 Ibid, v. 1266.

25 Athalie, v. 768-770.

26 Ibid., v. 776-777.

27 Esther, prologue de la Piété, v. 65-70.

28 Une lettre de Racine à Madame de Maintenon, citée par Georges Forestier dans la notice de son édition (p. 127) nous indique même que ce « tour qu’[il a] choisi pour la fin du prologue est conforme aux observations du Roi ». Le Roi semble avoir lui-même souhaité piéger ses courtisans.

29 Voir notamment dans La Pratique du théâtre de l’abbé d’Aubignac, le livre quatrième, chapitre VI, intitulé « Des discours de piété », certes publié posthume. Il n’est pas sûr que Racine en ait eu connaissance. Cependant, il synthétise efficacement l’idée partagée après l’échec de la Théodore (1646) de Corneille, que le spectateur de théâtre n’apporte pas à la Comédie la bonne disposition pour être sensible à des discours pieux.

30 Athalie, Acte I, sc. 4 v. 363-370, récités par une seule.

31 Esther, v. 742-743.

32 Ibid., v. 790-794.

33 Ibid., v. 805-808.

34 Athalie, v. 1230-1231 et v. 1234-1236.

35 Ibid., v. 349-350, répété une seconde fois aux v. 361-362, et une troisième fois v. 374.

36 François Hédelin, abbé d’Aubignac, op. cit., p. 87.

37 Voir notre article disponible sur le site internet de l’ancien GRAC (Groupe Renaissance et Âge Classique) : « L’abbé d’Aubignac, prédicateur et théoricien dramatique : de l’incompréhensibilité de l’eucharistie à la vraisemblance du théâtre » http://grac.univ-lyon2.fr/l-effet-propre-de-la-tragedie-de-l-humanisme-aux-lumieres-universite-paris-8-septembre-2012--560437.kjsp. Page consultée le 12 septembre 2017.

38 François Hédelin, abbé d’Aubignac, op. cit., p. 307.

39 [Antoine Arnauld], Seconde apologie de Jansénius, s. l. s. éd., 1645, Première partie, Livre second, chapitres 5-6, p. 163. Nous soulignons.

40 Ibid., p. 165. Nous soulignons.

41 Ibid. Nous soulignons.

42 Esther, préface, éd. cit., p. 36.

43 Voir la préface d’Athalie par G. Forestier, éd. cit., « Du récit biblique à la perspective chrétienne ».

44 Rappelons qu’hypocritès, en grec, désigne les comédiens.

Pour citer cet article

Servane L’Hopital, «La place du spectateur dans Esther et Athalie», Op. cit., revue des littératures et des arts [En ligne], « Agrégation Lettres 2018 », n° 17, automne 2017 , mis à jour le : 08/11/2017, URL : https://revues.univ-pau.fr:443/opcit/index.php?id=269.

Quelques mots à propos de :  Servane L’Hopital

Normalienne agrégée de lettres modernes, Servane L’Hopital est auteur d’une thèse intitulée Toucher le cœur. Confrontation du théâtre et des pratiques de piété en France au xviie siècle et enseigne actuellement en poste spécifique théâtre au lycée. Chercheuse rattachée à l’IHRIM, elle a publié plusieurs articles sur les cérémonies de la messe et sur les rapports de l’Église et du théâtre à l’âge classique. Récemment, elle a participé au n° 20 de la revue Atala avec un article sur la vertu pédagogique du théâtre au xviie siècle et rédigé le cours du C.N.E.D. sur Esther et Athalie. Sera bientôt disponible sur ce même corpus un article intitulé « Paraître dans Esther et Athalie » (à venir dans Autres regards sur Esther et Athalie de Racine, Atlande, coll. « clefs concours Lettres », fin 2017).

Partager cet article