XIXe
Agrégation 2019
N° 19, automne 2018

Pierre Laforgue

L’art, le beau et la bourgeoisie
Une lecture baudelairienne du Cousin Pons

  • 1 Voir l’étude substantielle de Graham Robb, Baudelaire l...

  • 2 Très abondante littérature sur ce sujet. Le numéro de R...

1Dans la seconde moitié des années 1840 s’observe une rencontre entre Baudelaire et Balzac, l’un publie ses premières œuvres (Salon de 1845, Salon de 1846), l’autre, ses dernières (La Cousine Bette, Le Cousin Pons)1. Sans prétendre chercher Balzac dans le texte de Baudelaire, ou Baudelaire dans celui de Balzac, sans, à plus forte raison, envisager cette improbable rencontre en convoquant la défunte critique des « sources » ou la moribonde intertextualité, constatons juste qu’en cette fin de la monarchie de Juillet l’un et l’autre portent sur la société des jugements comparables, et en particulier en ce qui concerne la part de l’art dans cette société qui est tout entière passée sous la coupe de la bourgeoisie. L’art est devenu lui-même un objet social d’une grande visibilité avec le développement sous Louis-Philippe des collections et des musées nationaux2. Non contente d’avoir accédé au pouvoir politique et économique, la bourgeoisie commence à se tourner vers les arts, comme avait pu le faire la grande aristocratie au siècle précédent. Elle est en train d’acquérir des biens culturels, après s’être assurée de la possession de biens matériels. Seulement il y a un divorce entre les bourgeois et les artistes, ceux-là sont ridiculisés par ceux-ci et un divorce s’établit même entre art et bourgeoisie, ils ne sont pas du même ordre, au sens pascalien. C’est loin d’être anecdotique, cela aboutit à dénaturer l’art en en procédant à son autonomisation, en le coupant du reste des activités sociales. La conséquence est que la possibilité d’une cohésion organique de la société n’existe plus et que la socialité risque elle-même de perdre toute signification.

  • 3 Pour Sand, renvoyons aux Maîtres mosaïstes (1838), et p...

  • 4 Titre d’un ouvrage de Pierre Laubriet consacré au Chef-...

  • 5 Sur cette nouvelle, voir l’étude « Pierre Grassou, ou B...

  • 6 Titre un temps envisagé pour Pierre Grassou.

  • 7 Baudelaire prendra sa défense dans le Salon de 1845, in...

2C’est là une question majeure chez les romantiques, chez Sand et Musset3, par exemple, chez Baudelaire aussi, comme le montre ce que ce dernier écrit en 1846 dans son article « Le Musée classique du Bazar Bonne-Nouvelle » et dans son opuscule consacré au Salon de 1846. Qu’en est-il de Balzac ? Les œuvres de lui consacrées à l’art, à la peinture plus précisément, sont peu nombreuses : Le Chef-d’œuvre inconnu et Pierre Grassou. De la première de ces nouvelles peu à dire dans la perspective de la socialité de l’art, la visée de ce texte en 1831 est principalement philosophique, puis, à partir de 1837, quand il connaît des modifications importantes, il devient un « catéchisme esthétique4 ». La destination sociale de l’art n’est pas envisagée. Dans Pierre Grassou (décembre 1839), au contraire, elle l’est5. À travers un « artiste exécrable6 », c’est une réflexion sur la peinture qui est menée dans la relation qu’elle entretient avec la société des bourgeois. Car Pierre Grassou est le peintre des bourgeois, tel son modèle possible, Dubufe7, tête de Turc de tous les rapins. Les bourgeois viennent se faire peindre chez lui. S’il n’a aucun génie, il a cependant un bon talent d’imitateur, de faussaire même, puisque le marchand d’art Élie Magus lui fait fabriquer des faux à la chaîne, qu’une de ses pratiques, son futur beau-père, achètera pour les réunir dans un petit musée domestique. Cette nouvelle est une sorte de « Salon », où indirectement sont questionnées par Balzac les relations problématiques entre la peinture et la bourgeoisie. Cette interrogation sera au cœur du Salon de 1846.

  • 8 Nos références au Cousin Pons renvoient à l’édition de ...

3Même si la réflexion sur la socialité de l’art y était puissante, Pierre Grassou n’était qu’une pochade, en rien comparable au roman du Cousin Pons huit ans plus tard. C’est un roman occupé dans sa totalité par cette réflexion. En effet, « l’héroïne de cette histoire » (381)8, c’est la collection d’objets d’art que s’est constitué le malheureux Pons. Elle est l’objet de la convoitise intéressée de ses riches cousins, qui pour l’accaparer déploieront des trésors d’ignominie. En la circonstance ils trouvent le moyen d’être encore plus infâmes que Philippe Bridau, la canaille de haut vol de La Rabouilleuse, qui imagine un scénario sordide pour dépouiller son oncle imbécile de sa superbe collection de tableaux. C’est que les cousins du cousin Pons, à la différence de Bridau qui agissait seul, forment une société tentaculaire ayant de multiples ramifications, où des personnages plus véreux et ignobles les uns que les autres concourent à une opération criminelle, celle qui consiste en une captation d’héritage. Par-delà la noirceur du roman, un des plus balzaciens qui soit, la fiction procède à la mise en scène d’une interrogation sur la socialité de l’art, centrée sur la collection, précisément sur la constitution d’une collection d’objets d’art, puis son accaparement frauduleux par ceux qui semblent les plus étrangers à l’art, les bourgeois du Sentier. Ce ne sont pas les petits-bourgeois de Pierre Grassou, mais des bourgeois qui détiennent un vrai pouvoir, économique et politique. Avec le temps ces droguistes ou drapiers sont devenus présidents de tribunal, pairs de France, ministres, et la collection qu’ils ambitionnent de s’approprier est une vraie collection, d’un prix inestimable, sans aucune mesure avec la collection en toc de Pierre Grassou.

4Notre propos sera de montrer que de ce point de vue de la socialité de l’art, Le Cousin Pons gagne à être lu au moyen des analyses de Baudelaire en 1846. Le roman de Balzac se rencontre avec elles en de multiples endroits. Hasard objectif ou non, Balzac et Baudelaire posent chacun les mêmes questions relativement à l’art et à la bourgeoisie dans le commerce improbable que les bourgeois de la monarchie de Juillet entretiennent avec le beau. Pour l’occasion ces questions esthétiques ont un enjeu clairement sociocritique.

  • 9 À noter que partout ailleurs dans La Comédie humaine le...

  • 10 Balzac, L’Illustre Gaudissart, in La Comédie humaine,...

  • 11 L’expression de « quasi-chose » est de Chateaubriand (...

5Tout entier Le Cousin Pons peut se lire, à première vue du moins, comme un roman dirigé contre la bourgeoisie, comme un roman anti-bourgeois. Les bourgeois qu’il met en scène sont tous, mais à des degrés divers, méprisables ou haïssables. Les Camusot dits de Marville sont les plus répugnants, mais par leur petitesse et leur bêtise les Popinot ne sont pas mal non plus. Ils sont bassement occupés de leurs seuls intérêts matériels, âpres à acquérir ce qui se présente à eux et à conserver ce qu’ils ont acquis, biens, argent, respectabilité. Non seulement ils sont odieux, mais ils sont aussi ridicules. Inutile dans ces conditions de s’attacher à leur vilenie, qui leur fait mettre les mains jusqu’aux coudes dans les ignominies fomentées par Fraisier qui reçoit l’aide intéressée de Poulain, de la Cibot, de Gaudissard9, etc. À l’évidence Balzac a éprouvé un plaisir noir à faire le tableau de cette bourgeoisie louis-philipparde aujourd’hui aux affaires, comme on dit. Il ne fait en cela que décrire la puissante mutation sociale et politique qui s’est opérée à la faveur du « déménagement de 183010 », quand la légitimité ayant disparu, la bourgeoisie est désormais seule au pouvoir. On est en présence avec Le Cousin Pons, à la suite de La Cousine Bette, de la dénonciation de la « quasi-chose » qu’est la bourgeoise monarchie de Juillet11. C’est une satire de ces bourgeois juste-milieu, et bien plus encore une critique de cette bourgeoisie qui roule carrosse. Les Camusot-Popinot en sont les représentants exemplaires. Commerçants, jadis ou naguère, principalement dans la draperie et dans la droguerie, ce sont des « épiciers », pour employer le terme générique de Baudelaire.

  • 12 Baudelaire, « Le monde va finir… », Œuvres complètes, ...

6En face d’eux, il y a Pons. Il est d’un autre âge, celui de l’Empire, et se trouve donc égaré tel un « débris » (53), tel un vestige dans un monde qui n’est plus le sien, un « vilain monde12 », que les valeurs héroïques ont déserté, pour laisser place aux valeurs, ou plutôt aux non-valeurs de la bourgeoisie. Il est la figure de l’amateur d’art, du collectionneur, en quête du beau, alors que ses parents riches n’ont aucune idée de « ces choses-là » (83). Celles-ci ne peuvent pour eux n’avoir qu’une valeur marchande, et la collection n’être qu’un capital lui-même marchand. De là l’avidité que son prix faramineux suscite chez eux. Le roman racontera donc, à travers les intrigues dégoûtantes mises en œuvre pour la possession de cette collection, le triomphe du monde bourgeois sur le monde de l’art, du mercantile sur l’esthétique. Tout aura abouti à cette souillure : la présidente Camusot faisant l’article de l’éventail de Watteau ‒ dont elle ignorait le nom même ‒ que son cousin Pons lui avait offert au début du roman et qu’elle avait accepté dédaigneusement sans comprendre quelle merveille d’art lui était généreusement donnée. En somme, Le Cousin Pons, c’est la défaite de l’art à l’époque de sa marchandisation, et très exactement de sa capitalisation.

7Voilà la lecture qui peut être faite du Cousin Pons. Cette lecture n’est pas qu’insuffisante, elle est fausse. D’abord, tous les bourgeois du roman ne font pas preuve d’une ignorance en matière d’art aussi crasse que celle de la Camusot et de sa fille ; le président Camusot de Marville, malgré sa nullité, sait au moins qui est Watteau, et il fait la leçon à sa stupide femme (120-121). Ensuite, ces affreux bourgeois, petits, mesquins, sordides ne sont pas aussi nuls qu’ils pourraient paraître en matière d’art. Si Camusot et sa femme ont pu mettre la main sur la collection de Pons, et de manière si honteuse et déshonorante, ils ne l’ont pas cependant dénaturée, en la vendant à la criée, mais ils l’ont préservée en la vendant telle quelle à leur cousin Popinot. La scène finale du roman est à cet égard très significative. Un étranger admirant sa collection, Popinot mentionne la collection encore plus extraordinaire d’Élie Magus : « La France devrait sacrifier sept à huit millions et acquérir cette galerie à la mort de ce richard… Quant aux curiosités, ma collection est assez belle pour qu’on en parle… » (381), et son interlocuteur lui rappelant son passé de droguiste, sa belle-fille intervient pour évoquer le souvenir de Pons qui a constitué ladite collection. Sans doute cette pécore n’est-elle aucunement sensible au trésor esthétique que représente cette collection, mais l’important est qu’au terme du roman la collection Pons reste intacte et qu’elle ne soit pas dispersée, démembrée. Elle continue de la sorte à conserver sa valeur esthétique, dans le contexte d’un monde qui ne paraît avoir aucun souci d’une telle valeur.

  • 13 « Le Musée classique du Bazar Bonne-Nouvelle » a paru ...

  • 14 Voir Baudelaire, « Le Musée classique du Bazar Bonne-N...

  • 15 Baudelaire, « Le Musée classique du Bazar Bonne-Nouvel...

  • 16 Baudelaire, Salon de 1846, op. cit., t. II, p. 472.

  • 17 Baudelaire, « Le Musée classique du Bazar Bonne-Nouvel...

  • 18 Baudelaire, « Le Musée classique du Bazar Bonne-Nouvel...

8Comme les objets inanimés, ces épiciers pourraient-ils avoir une âme ? Un détour, assez long, par Baudelaire permettra de répondre à cette question, qui est moins métaphysique qu’elle n’est sociocritique. En l’occurrence la réponse se trouve dans le petit article « Le Musée classique du Bazar Bonne-Nouvelle », publié trois mois avant le Salon de 184613. Ces pages14, qui sont passées à la postérité à cause de la belle analyse du Marat assassiné de David15, se présentent comme une réflexion sur la socialité de l’art dans les années 1840, quand se sont imposées les œuvres au-dessous du médiocre de la peinture louis-philipparde, « l’hôpital de la peinture16 », dira Baudelaire dans le Salon de 1846. Contre cette peinture Baudelaire fait appel aux peintres de l’Empire (David, Girodet, Gros, Guérin), et rappelle « l’austère filiation du romantisme17 » ; contre « les adeptes de la fausse école romantique », il convoque la grande tradition révolutionnaire pour rompre quelques lances contre la peinture dégénérée de son temps, et spécialement contre les ci-devant peintres se réclamant du romantisme. Leur faute est d’ignorer les origines révolutionnaires de la peinture du XIXe siècle et de n’avoir pas une conscience historique. Baudelaire leur reproche tout particulièrement de dénigrer les bourgeois, alors qu’ils sont, depuis 1830 au moins, les nouveaux acteurs de la socialité politique ‒ et esthétique. Ne pas tenir compte de cette réalité sociale, c’est condamner l’art à un ilotisme qui lui sera fatal : « Nous avons entendu maintes fois de jeunes artistes se plaindre du bourgeois, et le représenter comme l’ennemi de toute chose grande et belle. ‒ Il y a là une idée fausse qu’il est temps de relever18 ». Contre cette idée fausse est développée à la suite dans les dernières lignes de l’article une tout autre conception :

L’épicier est une grande chose, un homme céleste qu’il faut respecter, homo bonæ voluntatis ! Ne le raillez point de vouloir sortir de sa sphère, et aspirer, l’excellente créature, aux régions hautes. Il veut être ému, il veut sentir, connaître rêver comme il aime ; il veut être complet ; il vous demande tous les jours son morceau d’art et de poésie, et vous le volez. Il mange du Cogniet, et cela prouve que sa bonne volonté est grande comme l’infini. Servez-lui un chef-d’œuvre, il le digérera et ne s’en portera que mieux !

  • 19 Voir Pierre-Marc de Biasi, « Système et déviances de l...

9Sans conteste il y a là de la provocation de la part de Baudelaire. Il s’amuse en faisant l’éloge de cet « homme céleste » qu’est le bourgeois, mais pas tant que cela : ce qui importe, c’est que ce bourgeois ait accès à l’art et qu’il devienne un consommateur d’art. Le propos n’est pas de tourner la bourgeoisie vers le marché de l’art, elle n’a pas attendu Baudelaire pour le faire, elle se livre à une furie d’achats en ce domaine19, mais, bien plus profondément, il s’agit de restaurer la socialité de l’art, en y intégrant cette nouvelle instance qu’est la bourgeoisie. C’est que, il y a une centaine d’années encore, dans la seconde moitié du XVIIIe siècle, la bourgeoisie, éclairée et progressive, était un puissant agent du mouvement de l’histoire ; depuis la Révolution, elle semble avoir perdu conscience de ce qu’elle avait pu être, elle se ratatine, se sclérose dans le conservatisme, devient proprement réactionnaire. La conséquence est que cette force historique et sociale qu’elle avait été est en train de s’isoler des forces vives de l’intelligence, et que, par effet conjoint, les penseurs, les artistes ont fait de ces bourgeois les représentants haïssables et ridicules de ce qui est le plus étranger à la pensée et à l’art. Le résultat d’une pareille scission est que l’art se constitue en un objet autonome, détaché de tout rapport à la société et que celle-ci se trouve du même coup livrée à la seule culture des intérêts matériels. Cela va à l’encontre du rêve socialiste d’une cohérence organique du corps social, porté par des aspirations qui lui assure sa cohérence.

  • 20 Voir l’article essentiel d’Annie Becq, « Baudelaire et...

10Cette conception organique de la société dans toutes ses dimensions, politique, sociale, culturelle, esthétique, que Baudelaire partage aussi bien, par exemple, avec Sand et Musset qu’avec Fourier, est développée deux mois plus tard dans le Salon de 1846 avec une bien plus grande ampleur ; l’article était en quelque sorte le banc d’essai des idées que la plaquette vient maintenant problématiser en une argumentation systématique. La question de la socialité de l’art est reprise, de la manière la plus provocatrice, avec une dédicace « aux bourgeois » qui prend exactement la suite des dernières lignes de l’article de janvier, qui viennent d’être citées, en célébrant tout à la fois la puissance sociale de la bourgeoisie et les besoins spirituels qui pourraient être les siens en matière d’art. C’est une dédicace singulière, à plus d’un titre. Tout d’abord, l’a-t-on remarqué ? elle est moins une dédicace qu’une épître dédicatoire, au même titre que l’adresse « Au lecteur » sur lequel s’ouvriront les poèmes des Fleurs du Mal (le recueil lui-même sera précédé d’une dédicace stricto sensu à Théophile Gautier). Aussi en sa qualité d’épître dédicatoire prend-elle la forme d’un discours adressé au destinataire, les bourgeois, lesquels sont apostrophés. Ce discours ne relève aucunement de l’ironie, et ce serait un contresens de l’appréhender sous cet angle20. C’est un exercice de funambule, tant il est clair que Baudelaire essaie de s’assurer une position énonciative à la limite de la contradiction, en récusant l’antibourgeoisisme de règle chez les romantiques et en défendant la thèse paradoxale de la socialité bourgeoise de l’art, sans adhérer, bien entendu, aux valeurs de la bourgeoisie. En cela c’est un morceau de bravoure, qui frôle constamment l’hystérie, du fait qu’est tenu un discours apparemment intenable, auquel la concaténation discursive des énoncés permet cependant de donner une cohérence.

  • 21 Baudelaire, Salon de 1846, ch. xvii, op. cit., t. II, ...

  • 22 Le mot et le concept de modernité n’apparaissent chez ...

  • 23 Baudelaire, Salon de 1846, ch. xviii, op. cit., t. II,...

  • 24 Baudelaire, Salon de 1846, ch. xviii, op. cit., t. II,...

11Dans l’épître dédicatoire du Salon de 1846 Baudelaire établissait une relation problématique entre art et bourgeoisie, en adoptant le ton d’un prophète ou plus exactement d’un prédicateur ; il y défendait une thèse apparemment impossible en recourant à une argumentation elle-même impossible, mais pour arriver à légitimer finalement cette thèse. Suit le Salon proprement dit, avec le passage en revue des tableaux et des sculptures exposés. Après un chapitre sur la critique (ch. i) et trois sur le romantisme tel que le conçoit Baudelaire, sous l’égide de Delacroix (ch. ii-iv), commence véritablement le Salon qui occupe douze chapitres (ch. v-xvi), les différents genres de la peinture sont passés en revue et la visite se termine sur un chapitre consacré à la sculpture. À la suite de cette description des œuvres proposées au public, Baudelaire revient dans les deux derniers chapitres (ch. xvii-xviii) à des considérations générales comme celles qui occupaient les quatre premiers (ch. i-iv). Dans l’avant-dernier, « Des écoles et des ouvriers », il dénonce la fausseté de l’individualisme en matière d’art et milite pour des « écoles », sur le modèle de celles qui existaient au temps de la Renaissance, où les artistes étaient animés par un idéal esthétique commun, organique. C’est pour lui l’occasion de dénoncer les « singes » qui prétendent cultiver leur individualité et tombent dans le pire éclectisme, caractéristique de la peinture de la monarchie de Juillet : « Les singes sont les républicains de l’art, et l’état actuel de la peinture est le résultat d’une liberté anarchique qui glorifie l’individu, quelque faible qu’il soit, au détriment des associations, c’est-à-dire des écoles21 ». Le plus remarquable est que Baudelaire recoure à une référence politique, qui vise à montrer que l’art, quoi qu’on pense, participe de la res publica, qu’il n’est pas une pratique où chaque artiste donnerait libre cours à son individualité : « L’individualité ‒ cette petite propriété ‒, a mangé l’originalité collective », conclut Baudelaire. Est reproché incidemment à de tels pseudo-artistes d’être des petits bourgeois. Sur ce chapitre s’articule logiquement le suivant, « De l’héroïsme de la vie moderne ». Ce n’est pas une célébration de la modernité22 ; partant du constat que « la grande tradition s’est perdue, et que la nouvelle n’est pas faite23 », il avance l’idée que l’époque contemporaine « n’est pas moins féconde que les anciennes en motifs sublimes » : « puisque tous les siècles et tous les peuples ont eu leur beauté, nous avons inévitablement la nôtre ». En somme, « la vie moderne » pourrait donc elle-même devenir une grande tradition, cela éviterait la reproduction académique de sujets du passé, et permettrait surtout, en représentant le monde contemporain tel qu’il est, dans sa grandeur esthétique insoupçonnée, de redonner à la société la conscience de ce qu’elle est en tant que société, avec ses caractéristiques propres, avec ses beautés qui n’appartiennent qu’à elle. De la sorte, esthétique et histoire se conjoindraient de nouveau et le divorce entre art et société disparaîtrait. Ces beautés possibles, Baudelaire en donne quelques exemples, dont le fameux habit noir : « n’a-t-il pas sa beauté et son charme indigène, cet habit tant victimé ? N’est-il pas l’habit nécessaire de notre époque, souffrant et portant jusque sur ses épaules noires et maigres le symbole d’un deuil perpétuel24 ? »

12La possibilité d’un art qui s’accorderait, au plan de la représentation, à ce monde moderne ayant été développée en trois pages, Baudelaire conclut en ces termes :

  • 25 Baudelaire, Salon de 1846, ch. xviii, op. cit., t. II,...

Les moyens et les motifs de la peinture sont également abondants et variés ; mais il y a un élément nouveau, qui est la beauté moderne.
Car les héros de l’Iliade ne vont qu’à votre cheville, ô Vautrin, ô Rastignac, ô Birotteau, ‒ et vous, ô Fontanarès, qui n’avez pas osé raconter au public vos douleurs sous le frac funèbre et convulsionné que nous endossons tous ; ‒ et vous, ô Honoré de Balzac, vous le plus héroïque, le plus singulier, le plus romantique et le plus poétique parmi tous les personnages que vous avez tirés de votre sein25 !

  • 26 Alors que Salon de 1845 se terminait sur ce vœu : « Pu...

13La survenue de Balzac dans ces dernières lignes paraît tout à fait imprévisible, et d’autant plus qu’au début du Salon Baudelaire plaçait son interrogation sur le romantisme (ch. ii : « Qu’est-ce que le romantisme ? ») dans la référence à Delacroix (ch. iv), contre Hugo, il est vrai, représentant aux yeux de Baudelaire le romantisme académique, le faux romantisme. Entre-temps, Baudelaire, qui fait quelquefois preuve d’inconséquence26, a dû se rendre compte que Delacroix ne pouvait pas être ce peintre de la vie moderne, qu’il s’agisse du Delacroix hyper-romantique de La Mort de Sardanapale ou de La Barque de Dante, ou du Delacroix s’étant converti dans les années 1840-1850 à l’académisme le plus convenu et reniant son ci-devant romantisme. Exit Delacroix donc, et entrée de Balzac. De fait, Balzac illustre parfaitement le programme que Baudelaire vient de développer dans les pages précédentes à propos de l’héroïsme de la vie moderne et de sa représentation. En premier lieu, son œuvre est esthétiquement l’expression moderne de la réalité. C’est ce qui assure aujourd’hui, en 1846, sa supériorité sur le modèle par excellence de la grande tradition classique, Homère. Ensuite, il résume en sa personne même ce que Baudelaire entend par « beauté moderne » : héroïsme, romantisme et poésie.

14La présence de Balzac à la fin du Salon de 1846 s’explique sans difficulté ; Balzac est le point d’aboutissement de la réflexion de Baudelaire sur la représentation esthétique de la vie moderne, sur la nécessité de refonder l’art dans sa destination sociocritique et de la sorte de refaire de lui un élément de la socialité contemporaine. Cependant si cette réflexion est cohérente, elle est audacieuse, ne serait-ce que parce que Balzac, avant d’acquérir une immense gloire après sa mort, est dans les années 1840, l’écrivain sur lequel s’exercent les critiques les plus violentes. Plus encore, la mise en parallèle d’Homère et de Balzac, qui se comprend dans l’argumentation de Baudelaire, est plus qu’audacieuse, elle est provocatrice, jusqu’à l’extravagance et à la bouffonnerie : qu’on pense aux apostrophes introduites par des « ô », et notamment à la grotesque apostrophe cacophonique finale « ô Honoré de Balzac ». À sa façon l’apostrophe à Balzac sur laquelle se ferme le Salon de 1846 est tout aussi délirante dans sa formulation que l’apostrophe initiale aux bourgeois. À chacune des extrémités du Salon de 1846 les deux apostrophes aux bourgeois et à Balzac se répondent ; elles prennent la forme d’un leurre, dans la mesure où elles invitent à ne pas être prises au sérieux par le lecteur, tant leur style est impossible et excentrique, mais, d’un autre côté, et conjointement, Baudelaire adopte un tel style, précisément parce que son discours, autrement formulé, ne serait pas lisible ni admissible, pas pris au sérieux. Donc, comme ce discours ne peut pas être pris au sérieux, il recevra une forme grotesque. Cela relève d’une stratégie contournée de sa part, afin de dire sans dire tout en le disant. Stratégie de nature sociocritique, en ce sens que l’objet du discours, la refondation politique et esthétique d’une socialité de l’art, ne peut pas, dans le contexte historique de la monarchie de Juillet, avoir de sens. Pour qu’un pareil discours ait un sens, il faudrait une révolution.

  • 27 Voir l’article de Pierre-Marc de Biasi, « La collectio...

15Le très long détour que nous venons de faire par Baudelaire aura permis, nous l’espérons, de comprendre ce qui est en jeu dans Le Cousin Pons, relativement au moins à la question centrale de l’art et de sa destination sociale en cette fin des années 1840, lorsque rien ne semble plus étranger à la bourgeoisie que l’art, dans lequel elle ne voit qu’un capital culturel. Cette approche n’est pas satisfaisante. Paradoxalement, celui qui dans le roman se livre à la capitalisation, avec ses moyens limités, c’est Pons27. Bien sûr, ce sont les affreux Camusot, animés par l’avidité, qui récupéreront cette collection hors de prix, mais celui qui l’achètera, leur cousin Popinot, ne la vendra pas. Avouons que cette lecture est extrêmement embarrassante et même choquante, elle revient à faire la part bien belle aux personnages les plus répugnants du roman, la tribu des bourgeois parvenus. Pour toutes sortes de raisons plus ou moins basses (ostentation, prétention, etc.), la collection Pons achetée par Popinot est offerte à la vue des visiteurs, elle est visible et peut donc susciter le plaisir qui s’attache à la vue de « belles choses » (383), elle est objet d’une contemplation esthétique, dans un espace socialisé, celui de l’hôtel Popinot, un bel endroit et de bon goût (78-79). Au contraire, l’autre collection du roman, celle d’Élie Magus est enfermée, sous la garde de chiens féroces, à double et triple tour par son propriétaire, qui est le seul à jouir sur le mode fétichiste des merveilles qu’il possède. Pour le coup, il est probable qu’elle sera dispersée à sa mort. La collection d’Élie Magus n’existe que dans le cadre d’un non-musée, à la différence de la collection Pons, laquelle survit à la mort de celui qui l’a constituée, à moins que, plus exactement, elle ne se constitue comme collection qu’à la mort de son propriétaire, quand elle devient alors l’héroïne de cette histoire.

  • 28 Cette expression sert de titre à un ouvrage d’Henri Mi...

16Le roman dit-il cela ? La question peut se poser, tant il est clair qu’il ne dit pas cela. Et pourtant il le dit. De ce point de vue l’énonciation dans Le Cousin Pons est aussi problématique que dans le Salon de 1846, et l’explication est la même : c’est la difficulté de tenir un discours cohérent dans le contexte sociocritique de la seconde moitié des années 1840. Chez Balzac « le discours du roman28 » dans Le Cousin Pons n’a pas la même unité ni la même cohérence que la narration, elle, d’une concentration dramatique achevée. Le discours du roman, lui, se diffracte et se divise non pas en des énoncés différents, mais, si on ose dire, en des énonciations différentes. Faire une étude d’ensemble de cette espèce de schize énonciative n’est pas notre propos. Nous nous contenterons de souligner la part importante du grotesque dans Le Cousin Pons. Le personnage éponyme lui-même est grotesque, de ce grotesque hoffmannien du début du romantisme, mais le grotesque n’est pas réductible au seul Pons, il y a du grotesque chez Fraisier, Poulain, la Cibot, Rémonencq, c’en est un autre, et il y en a aussi chez les grands bourgeois, et ce n’est pas le même que les précédents. Le grotesque est divers, il est multiple, il est l’expression de ce que nous considérons comme une crise du discours. Significativement les grands romans de cette période chez Balzac (La Cousine Bette, Splendeurs et misères des courtisanes, L’Envers de l’histoire contemporaine) mettent pareillement en œuvre, et pour les mêmes raisons, une écriture du grotesque. Cela tient à ce que le grotesque est le moyen romantique privilégié pour faire grimacer au sens propre l’énonciation et l’empêcher de se fixer en un énoncé ou des énoncés stables. Ce n’est plus le grotesque de la préface de Cromwell, qui carnavalisait le pouvoir ; c’est un grotesque qui tient lieu de pis-aller à une énonciation impossible. Rien de plus impossible à cet égard dans Le Cousin Pons ou le Salon de 1846 qu’associer l’art, le beau et la bourgeoisie, et pourtant il faut les penser ensemble.

  • 29 Publiée dans L’Artiste le 13 mars 1859.

  • 30 Voir le jugement très critique, et parfaitement légiti...

  • 31 Baudelaire, Théophile Gautier [I], in Œuvres complètes...

17Des années après le Salon de 1846, dans sa plaquette sur Théophile Gautier29, Baudelaire consacre une page à Balzac, page très puissante ; c’est une des plus connues de Baudelaire, son importance a été considérable notamment dans l’histoire du balzacisme universitaire, elle a autorisé, si on peut dire, les lectures d’une conception non-réaliste de Balzac, dont Béguin et Picon se sont faits les souteneurs30, en s’appuyant sur cette phrase : « J’ai maintes fois été étonné que la grande gloire de Balzac fût de passer pour un observateur ; il m’avait toujours semblé que son principal mérite était d’être un visionnaire, et un visionnaire passionné31 ». Ce caractère visionnaire, explique Baudelaire, tient chez Balzac à l’« ambition immodérée de tout voir, de tout faire voir, de tout deviner, de tout faire deviner ». Une telle ambition est à mettre sur le compte de « l’ardeur vitale dont il était animé lui-même », et qui irradie sur toutes ses fictions. Son ardeur se traduit par l’extraordinaire vouloir-vivre de ses personnages :

Depuis le sommet de l’aristocratie jusqu’aux bas-fonds de la plèbe, tous les acteurs de sa Comédie sont plus âpres à la vie, plus actifs et rusés dans la lutte, plus patients dans le malheur, plus goulus dans la jouissance, plus angéliques dans le dévouement, que la comédie du vrai monde ne nous le montre. Bref, chacun chez Balzac, même les portières, a du génie. Toutes les âmes sont des armes chargées de volonté jusqu’à la gueule.

18Ces lignes pourraient s’appliquer à un très grand nombre de romans et de nouvelles de Balzac, et plus particulièrement au Cousin Pons, auquel la phrase : « chacun chez Balzac, même les portières, a du génie » renvoie de façon transparente, cette portière géniale en son genre étant sans nul doute la Cibot.

  • 32 Là-dessus voir notre étude « Baudelaire, Balzac et le ...

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19Comme en 1846, Balzac est convoqué par Baudelaire à l’occasion d’une réflexion sur le romantisme32. En plein débat sur le réalisme, dont certains font de Balzac, mort depuis près de dix ans, leur champion33, Baudelaire dans la plaquette de 1859 réinscrit de manière complexe Balzac dans le romantisme. C’est un préalable à l’autre entreprise qui occupera Baudelaire au semestre suivant34, Le Peintre de la vie moderne, où est défini ce qui est appelé là « modernité ». De « la vie moderne » du Salon de 1846 on est passé à la « modernité », treize ans plus tard, entre-temps Baudelaire aura pu lire Le Cousin Pons et vérifier que ses analyses étaient justes. Sauf qu’il n’y a plus désormais nul héroïsme dans cette vie moderne : la révolution qui aurait pu donner sens à la refondation de la socialité de l’art a débouché sur le sinistre second Empire ; il n’y a plus désormais que la mélancolie au temps de la modernité.

Notes

1 Voir l’étude substantielle de Graham Robb, Baudelaire lecteur de Balzac, Paris, José Corti, 1988.

2 Très abondante littérature sur ce sujet. Le numéro de Romantisme, n° 112, 2001, constitue une excellente introduction. Sur la collection chez Balzac, voir dans ce numéro l’article de Nicole Mozet, « Le passé au présent. Balzac ou l’esprit de la collection », p. 83-94, et Boris Lyon-Caen, « Balzac et la collection », L’Année balzacienne, 2003/1 n° 4, p. 265-284.

3 Pour Sand, renvoyons aux Maîtres mosaïstes (1838), et pour Musset aux « Vœux stériles » (1830), à la première section de « Rolla » (1833), à André del Sarto (1833) et à Lorenzaccio (1834).

4 Titre d’un ouvrage de Pierre Laubriet consacré au Chef-d’œuvre inconnu (Paris, Didier, 1961).

5 Sur cette nouvelle, voir l’étude « Pierre Grassou, ou Baudelaire, Balzac et l’amour de l’art » de notre ouvrage Ut pictura poesis. Baudelaire, la peinture et le romantisme, Presses universitaires de Lyon, 2000, p. 53-61.

6 Titre un temps envisagé pour Pierre Grassou.

7 Baudelaire prendra sa défense dans le Salon de 1845, in Œuvres complètes, op. cit., t. II, p. 377. Il s’agit de Dubufe père, il écrit à son propos : « M. Dubufe est depuis plusieurs années la victime de tous les feuilletonistes artistiques ; […]. ‒ Nous trouvons, quant à nous, que le Bourgeois a bien raison de chérir l’homme qui lui a créé de si jolies femmes, presque toujours bien ajustées ».

8 Nos références au Cousin Pons renvoient à l’édition de Gérard Gengembre, Paris, GF-Flammarion, 1993.

9 À noter que partout ailleurs dans La Comédie humaine le nom s’orthographie Gaudissart, sauf dans Le Cousin Pons, peut-être pour qu’il rime avec Topinard, à moins que Balzac n’ait voulu souligner la vulgarité du personnage par cette désinence en -ard, plus marquée avec sa connotation péjorative que la désinence en -art.

10 Balzac, L’Illustre Gaudissart, in La Comédie humaine, éd. de Pierre-Georges Castex, Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 1976-1981, t. IV, p. 566.

11 L’expression de « quasi-chose » est de Chateaubriand (De la nouvelle proposition relative au bannissement de Charles X et de sa famille, Grands Écrits politiques, t. II, éd. de Jean-Paul Clément, Imprimerie nationale, « Acteurs de l’Histoire », 1993, p. 629).

12 Baudelaire, « Le monde va finir… », Œuvres complètes, éd. de Claude Pichois, Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 1975-1976, t. I, p. 667.

13 « Le Musée classique du Bazar Bonne-Nouvelle » a paru le 21 janvier 1846 dans Le Corsaire-Satan ; le Salon de 1846 est publié chez Michel Lévy le 7 mai 1846.

14 Voir Baudelaire, « Le Musée classique du Bazar Bonne-Nouvelle », Œuvres complètes, op. cit., t. II, p. 409-410. Nous reprenons ici l’argumentation de notre article « “L’austère filiation du romantisme”. À propos du Musée classique du Bazar Bonne-Nouvelle », L’Année Baudelaire, n° 18/19, 2014-2015, p. 123-148 (repris dans notre ouvrage Politiques de Baudelaire. Huit études, Paris, Eurédit, 2014, p. 21-47).

15 Baudelaire, « Le Musée classique du Bazar Bonne-Nouvelle », op. cit. t. II, p. 409-410.

16 Baudelaire, Salon de 1846, op. cit., t. II, p. 472.

17 Baudelaire, « Le Musée classique du Bazar Bonne-Nouvelle », op. cit., t. II, p. 409.

18 Baudelaire, « Le Musée classique du Bazar Bonne-Nouvelle », loc cit., t. II, p. 414, ainsi que la citation suivante.

19 Voir Pierre-Marc de Biasi, « Système et déviances de la collection à l’époque romantique », Romantisme, n° 27, 1980, p. 77-93.

20 Voir l’article essentiel d’Annie Becq, « Baudelaire et “l’amour de l’art” : la dédicace aux bourgeois” du Salon de 1846 », Romantisme, n° 17-18, 1977, p. 71-78 (repris dans Annie Becq, Lumières et modernité. De Malebranche à Baudelaire, Orléans, Paradigme, 1994, p. 435-442), où est analysé de manière serrée ce texte déconcertant et dont sont dégagées les implications esthétiques et idéologiques.

21 Baudelaire, Salon de 1846, ch. xvii, op. cit., t. II, p. 492, ainsi que la citation suivante.

22 Le mot et le concept de modernité n’apparaissent chez Baudelaire qu’en 1859. Confondre moderne et modernité chez Baudelaire conduit à une appréciation inexacte de l’apparition du concept de modernité, celle-ci n’est pas synonyme de moderne et n’en est pas contemporaine.

23 Baudelaire, Salon de 1846, ch. xviii, op. cit., t. II, p. 493, ainsi que les citations suivantes.

24 Baudelaire, Salon de 1846, ch. xviii, op. cit., t. II, p. 494. ‒ À noter que ces lignes célèbres sur l’habit noir qui semblent avoir été prises quatre ans plus tard au pied de la lettre par Courbet dans Un enterrement à Ornans, éclairent à leur façon le caractère anachronique de Pons qui, lui, ne porte pas ce fameux habit noir, mais un spencer Empire.

25 Baudelaire, Salon de 1846, ch. xviii, op. cit., t. II, p. 496.

26 Alors que Salon de 1845 se terminait sur ce vœu : « Puissent les vrais chercheurs nous donner l’année prochaine, cette joie singulière de célébrer l’avènement du neuf ! » (Salon de 1845, in Œuvres complètes, éd. cit., t. II, p. 407), cet avènement se produit tout à trac dans le Salon de 1846 : c’est le Delacroix romantique des années… 1820. L’héroïsme du Sardanapale ne correspondant pas à celui de la vie moderne, Baudelaire se tourne vers Balzac. Cette inconséquence tourne à l’aveuglement pur et simple, dès lors qu’on relève qu’un tableau comme La Liberté guidant le peuple, qui pourtant est l’expression même de cet héroïsme du monde contemporain, n’est mentionné qu’en passant dans le Salon de 1846 (ch. iv, op. cit., t. II, p. 429), sans que soit envisagé son caractère éminemment moderne.

27 Voir l’article de Pierre-Marc de Biasi, « La collection Pons comme figure du problématique », in Balzac et « Les Parents pauvres », Françoise van Rossum-Guyon et Michiel van Brederode éds., Paris, SEDES, 1981, p. 61-73.

28 Cette expression sert de titre à un ouvrage d’Henri Mitterand (Paris, PUF, « Écriture », 1986).

29 Publiée dans L’Artiste le 13 mars 1859.

30 Voir le jugement très critique, et parfaitement légitime, de Pierre Barbéris à l’égard de cette entreprise clairement idéologique, dans son Balzac. Une mythologie réaliste, Paris, Larousse, « Thèmes et textes », 1971, p. 258-260 et p. 263-266.

31 Baudelaire, Théophile Gautier [I], in Œuvres complètes, op. cit., t. II, p. 120, ainsi que les citations suivantes. ‒ À noter que l’adjectif « visionnaire » ne présente qu’une seule occurrence dans toute La Comédie humaine, et c’est dans Le Cousin Pons (301) ; il est prêté à propos de Pons à la Cibot qui essaie de faire croire que sa victime est un fou, un visionnaire.

32 Là-dessus voir notre étude « Baudelaire, Balzac et le romantisme (1846-1859) », Tours, Littérature et nation, n° 17, 1997, p. 5-22. ‒ Les développements sur le Salon de 1846 y sont insuffisants, mais ceux sur la plaquette consacrée à Gautier peuvent avoir encore quelque pertinence.

33 Rappelons que les mots « réalisme » et « réaliste » n’ont jamais été employés par Balzac, ni dans La Comédie humaine ni dans aucun autre de ses écrits.

34 Le peintre de la vie moderne a été écrit au second semestre de 1859, à la suite du Salon de 1859, mais l’opuscule sur Guys ne sera publié qu’en 1863.

Pour citer cet article

Pierre Laforgue, «L’art, le beau et la bourgeoisie», Op. cit., revue des littératures et des arts [En ligne], « Agrégation 2019 », n° 19, automne 2018 , mis à jour le : 19/12/2018, URL : https://revues.univ-pau.fr:443/opcit/index.php?id=456.

Quelques mots à propos de :  Pierre Laforgue

Pierre Laforgue est professeur de littérature française à l’Université Bordeaux-Montaigne (EA 4195 TELEM). Ses recherches portent sur Hugo, Balzac, Stendhal et sur le Romantisme en général. Il a notamment publié Balzac dans le texte : études de génétique et de sociocritique, C. Pirot, 2006 ; La fabrique de « La Comédie humaine », Presses de l’Université de Franche-Comté, 2013 ; Balzac, fictions génétiques, Classiques Garnier, 2017.

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