XIXe siècle
Agrégation 2022
N° 23, automne 2021

Esther Pinon

Le vers « est un carcan, mais c’est une auréole ! » : usages de la versification dans Cyrano de Bergerac

  • 1 Sur la réception de Cyrano de Bergerac, voir Jeanyves G...

  • 2 André-Ferdinand Herold, « Revue du mois – Les théâtres ...

  • 3 Émile Faguet, « La semaine dramatique », Journal des Dé...

  • 4 Jules Lemaître, « Revue dramatique », Revue des Deux Mo...

  • 5 Edmond Rostand, Cyrano de Bergerac, éd. Patrick Besnier...

1Les vers de Cyrano de Bergerac ont suscité des réactions aussi contrastées que vives1, du mépris d’André-Ferdinand Herold, qui estime que le dramaturge « versifie aussi mal qu’il écrit » et que ses personnages « ne s’expriment qu’en une prose lourde et peu claire2 », à l’enthousiasme sans bornes d’Émile Faguet, qui voit en Rostand « un grand poète » et en Cyrano « le plus beau poème dramatique qui eût paru depuis un demi-siècle3 », en passant par l’admiration plus sereine de Jules Lemaître, qui trouve les vers de Rostand « d’une souplesse incomparable », tantôt d’une « virtuosité pure », tantôt d’une « belle ivresse de couleurs et d’images4 ». De telles divergences d’opinion ne s’expliquent pas uniquement par la susceptibilité d’Herold, visiblement froissé que Rostand ait montré un Cyrano peu soucieux d’être « Dans les petits papiers du Mercure François5 », ni même par les sensibilités diverses des critiques. Si le vers de Rostand divise, c’est peut-être parce qu’il est lui-même traversé par une tension forte, presque une contradiction, que suggère Jules Lemaître en opposant la virtuosité et l’ivresse.

  • 6 Sur la distinction qu’il convient d’opérer entre la per...

2Au cœur de la pièce, le héros délivre à sa précieuse cousine une leçon de poésie et de morale amoureuses fondée sur un idéal d’authenticité. Mais son éloge d’un langage naturel et spontané, qu’emblématise la métaphore des mots qu’il désire lui « jeter, en touffe, / Sans les mettre en bouquet » (p. 254, v. 1442-1443) est doublement paradoxal. Non seulement la sincérité que prône Cyrano est quelque peu altérée de ne pouvoir se faire entendre qu’à travers le masque de Christian, mais l’esthétique instinctive et presque sauvage qu’il défend paraît difficilement conciliable avec la forme ciselée dans laquelle elle s’énonce, celle du théâtre en vers. Certes, l’alexandrin est une convention théâtrale (au même titre, par exemple, que celle qui veut qu’un aparté entendu du public ne le soit pas des autres personnages) : Cyrano, Roxane, Christian et les autres sont supposés parler en prose (sauf dans les morceaux de bravoure tels que la ballade du duel, la recette des tartelettes amandines, ou encore l’épitaphe du héros, que distingue le recours à des mètres simples), et n’ont pas conscience de s’exprimer dans une langue rythmée et rimée. Il n’en demeure pas moins que les spectateurs, et à plus forte raison les lecteurs6, perçoivent ces rythmes et ces rimes, et ne peuvent en faire totalement abstraction. Aussi sont-ils confrontés à un discours qui proclame avec art la nécessité de parler, sinon sans art, du moins sans artifice. L’« artificiel » est « une escrime » (p. 254, v. 1429 et 1435), et par conséquent une arme redoutable et fort utile, qui touche et fait mouche, grâce notamment à la technique de la pointe, dont le vers souligne l’acuité. La rime, en particulier, installe dans le discours une attente qui, lorsqu’elle est satisfaite, rehausse la prouesse verbale, et que Rostand dramatise plaisamment dans la ballade du duel (p. 106, v. 424-426) : lorsque Cyrano feint d’hésiter (« Il me manque une rime en eutre... »), le public, sur scène comme dans la salle, retient son souffle, le temps d’une rime croisée comme le fer des combattants (« Vous rompez, plus blanc qu’amidon ? ») ; enfin il jubile lorsqu’adviennent la bonne rime et le bon mot (« C’est pour me fournir le mot pleutre ! »). Mais cette arme est à manier avec mesure (c’est le propre du vers) et avec précaution, parce qu’elle est aussi un « passe-temps vai[n] » (p. 254, v. 1432). Comment porter la « pointe au cœur » (p. 409, v. 2483) sans tuer l’émotion, sans que « le vrai du sentiment ne se volatilise » (p. 254, v. 1431) ? C’est tout l’enjeu de la versification de Cyrano qui, pareille à la haine que le bretteur cultive et à sa fraise soigneusement empesée, est à la fois un « carcan » et une « auréole » (p. 193, v. 1041).

« Sans marcher sur les pieds ? »

  • 7 Alfred Delvau, Dictionnaire de la langue verte, Paris, ...

  • 8 Voir par exemple le « Quatre flans. Quinze choux. » de ...

3Ce carcan, Rostand semble avoir voulu s’en libérer en jouant avec les usages traditionnels de la langue des vers, et en particulier avec le rythme 6+6, caractéristique des alexandrins dits « classiques », à la manière de Racine ou, ici, de Baro, alexandrins dont le patron est fourni par les deux premiers vers de la Clorise : « Heureux qui loin des cours, + dans un lieu solitaire, / Se prescrit à soi-même + un exil volontaire » (p. 76, v. 179-180). Émile Magne, on le sait, s’est indigné de ce que Rostand avait situé en 1640 la représentation de cette pièce jouée pour la première fois en 1631. L’anachronisme, si anachronisme il y a (car rien n’empêche qu’une pièce créée en 1631 soit reprise en 1640), est peut-être motivé par le fait que ces deux vers exacerbent la tension avec laquelle le vers de Rostand est aux prises : ils prescrivent une éthique de l’indépendance et du naturel, mais, déclamés dans une forme convenue par un mauvais comédien avide de l’assentiment du public, ils deviennent ridicules et creux. Il n’est guère étonnant que, dans ce premier acte où sont raillés tout ensemble les académiciens, les précieux et tous les faux-semblants d’un théâtre social qui fait obstacle à la vraie comédie et à la vraie poésie, l’alexandrin soit d’emblée mis à mal. Le tout premier de la pièce est morcelé entre trois répliques : « Holà ! vos quinze sols ! + J’entre gratis ! / Pourquoi ? » (p. 41, v. 1). La césure à l’hémistiche est parfaitement réalisable, mais la coupe qui s’impose après la dixième syllabe confère au vers une cadence mineure, premier signe discret d’une contestation de la noblesse supposée de l’alexandrin. Rostand crée l’illusion d’un vers fait « à la six-quatre-deux » (c’est son rythme), c’est-à-dire fait « sans soin, sans grâce, à la hâte7 », à l’image du profil cyranesque que l’on peut dessiner en superposant un 6, un 4 et un 2. Le coup que le vers suivant porte aux hiérarchies métriques est plus acéré encore. Le cavalier qui vient de refuser de payer son entrée au théâtre proclame avec hauteur, et dans le plus parfait respect de la césure et des hémistiches : « Je suis chevau-léger + de la maison du roi » (p. 41, v. 2). C’est par l’héroï-comique que l’alexandrin est cette fois attaqué : la forme noble devient le réceptacle d’une platitude prosaïque au possible. Ce procédé est récurrent à l’acte I, avec des vers tels que : « C’est gentil de venir + avant que l’on n’éclaire » (p. 43, v. 8), « Lorsqu’on vient en avance + on est bien pour manger » (p. 44, v. 10), « Pour pendre son chapeau, + c’est vraiment très commode » (p. 98, v. 337), « C’est là ce qui s’appelle + avoir pignon sur rue ! » (p. 99, v. 345), ou encore le savoureux « C’est queuqu’navet géant + ou ben queuqu’melon nain ! » (p. 99, v. 347). Ce contraste entre régularité de la forme et prosaïsme du propos reparaît ici et là par la suite, en particulier dans la langue boutiquière de Ragueneau, dont les marchandages rappellent que l’alexandrin peut n’être qu’affaire de (mauvais) calculs : « Au lieu de trois pâtés, + je vous en donne six » (p. 141, v. 656). Mais nulle part il n’est aussi fréquent qu’à l’acte I, où il est parfois souligné par des effets de parallélisme, tel celui auquel se livre un marquis indigné de faire une arrivée peu remarquée, et qui semble vouloir compenser par l’enflure de son verbe la discrétion de son entrée : « Sans déranger les gens ? + sans marcher sur les pieds ? » (p. 49, v. 34). Étant donné le goût de Rostand pour les jeux de mots8, il n’est pas impossible de lire dans ce vers une intention ludique et métapoétique. Certes, les marquis sont des personnages repoussoirs, mais ils partagent avec Cyrano le plaisir de se singulariser et de surprendre les foules, qui est probablement aussi celui du dramaturge. Celui-ci piétine gaiement la versification traditionnelle, les « pieds », unités de base des métriques quantitatives grecque et latine, représentant mieux encore que la syllabe sur laquelle se fonde la métrique française une culture savante du vers.

  • 9 Néologisme forgé par Philippe Rocher, « Les possibilité...

  • 10 La coupe advient nécessairement après une syllabe toni...

4Cette « subversification9 » peut reposer sur des procédés sémantiques, que l’alexandrin « à la Baro » détonne par excès de banalité ou au contraire par excès d’audace : les provocations les plus insolentes de Cyrano – « Je vais être obligé + de te fesser les joues ! » (p. 79, v. 192), « Ou bien je l’essorille + et le désentripaille ! » (p. 80, v. 196) ou « Elle vous flanquerait + quelque part son cothurne » (p. 81, v. 204) – se coulent parfaitement dans le moule traditionnel du mètre. Le plus souvent cependant, c’est par un jeu avec les usages métriques ou rimiques que Rostand opère. Il use ainsi volontiers de rejets ou contre-rejets externes et internes, qui peuvent avoir pour conséquence de placer à la rime ou devant la césure, c’est-à-dire à des places où le schéma métrique impose en principe de faire porter l’accent, des monosyllabes normalement atones. Ainsi, le vers « À l’heure où l’onde par + la lune est attirée » (p. 284, v. 1676) présente une discordance : il suppose, pour que soit respecté le rythme de l’alexandrin, que soit accentuée la préposition « par » ; le lecteur accoutumé à la forme 6+6 peut alors être aussi dérouté par cette extravagance métrique, que l’est de Guiche à l’écoute du récit extravagant du périple lunaire de Cyrano, et ne peut apaiser ce trouble qu’en relisant, a posteriori, le vers comme un trimètre « À l’heure où l’ond/e par la lune / est attirée10 ». Dans ce même récit, le voyageur suggère son propre vertige par un enjambement interne (un participe passé et son complément étant placés de part et d’autre de la césure) et par un contre-rejet externe très marqué :

J’ai les yeux tout remplis + de poudre d’astre. / J’ai
Aux éperons, / encor, + quelques poils de planète ! (p. 277, v. 1618-1619)

5L’accentuation inhabituelle de « j’ai », en attirant l’attention sur la première personne, semble souligner l’originalité du geste poétique qu’est en train d’accomplir Cyrano.

  • 11 Jeanyves Guérin analyse cette liberté comme la preuve ...

  • 12 Sur le rapport de Rostand à Banville, et sur ce que la...

6Les rimes sont elles aussi, bien que de manière moins massive, le lieu de ce travail sur la tradition du vers. Rostand n’hésite pas à s’affranchir de l’usage qui veut que deux mots ne puissent rimer s’ils ne possèdent pas la même consonne finale, même lorsque celle-ci n’est plus prononcée11 ; il fait par exemple rimer « pardi » avec « grandit » (p. 301, v. 1761-1762), de manière peut-être intentionnelle : à un cadet qui se plaint d’avoir l’estomac dans les talons, Cyrano répond : « Moi de même, pardi ! » et précise que « cela [le] grandit », affirmant une fois de plus sa différence, tout comme Rostand marque la sienne par sa liberté rimique. La famine qui affaiblit et diminue les cadets rehausse au contraire Cyrano de la grandeur de l’ascèse, tout comme la rime à laquelle il manque une consonne graphique rehausse le vers d’un éclat d’indépendance. À l’inverse, mais toujours dans un esprit frondeur, il arrive que Rostand se livre à des prouesses réprouvées depuis Malherbe comme de vaines jongleries. Il enrichit certaines rimes, au risque d’un mauvais goût assumé : ainsi de la rime « grignotes / bourguignotes », qui compte deux phonèmes d’appui, [i] et [ɲ] et, en amont, les consonnes [r] et [g] qui viennent elles aussi rendre la rime particulièrement sonore sans pour autant lui appartenir. Acrobatique et presque grotesque, cette rime rend bien l’inventivité des cadets, prêts à tout pour se remplir le ventre et qui, à défaut, remplissent le vers. Quelques vers léonins procèdent également de cette tendance à la fantaisie rimique, notamment celui dans lequel Cyrano raille la faiblesse poétique de Baro en un tour de force : « Les vers du vieux Baro + valant moins que zéro » (p. 88, v. 250), équation qui, une fois de plus, ramène ironiquement l’alexandrin traditionnel à un puéril exercice d’arithmétique. En digne héritier de Hugo et de Banville, Rostand ne craint donc pas de « disloquer ce grand niais d’alexandrin », ni de se hasarder sur la corde raide de rimes funambulesques12, pour forger des vers à l’image de son héros, disgracieux parfois, mais libre toujours.

« Le doux rythme obsesseur »

  • 13 B. de Cornulier, « L’alexandrin de Cyrano », art. cit....

  • 14 Voir la note de P. Besnier, p. 98.

7De même que Cyrano, bretteur téméraire et indiscipliné, respecte néanmoins son supérieur Carbon dont il connaît le courage et la bonté, Rostand sait revenir aux formes traditionnelles quand elles servent son propos. Après avoir fait au premier acte la preuve éclatante de sa capacité à s’en dégager, il peut y recourir en un geste librement consenti, dont il a d’autant mieux éprouvé la valeur qu’il l’a impitoyablement mise en question. L’équilibre et l’harmonie de l’alexandrin 6+6 n’ont en effet pas perdu leurs droits. Ainsi que l’a montré Benoît de Cornulier, les « rythmes modernes disséminés dans la pièce accompagnent la périodicité en 6-6 plutôt qu’ils ne la contredisent13 ». La césure peut se faire entendre jusque dans des vers où elle est apparemment mise à mal de façon radicale par un mot qui s’étend au-delà de la sixième syllabe du vers, laquelle est donc occupée par une syllabe prétonique et, par définition, non accentuable. Dans « Découper cette mortadelle d’Italie ! » (p. 80, v. 199) et « S’il était aussi maldisant que bien coiffé ! » (p. 168, v. 819), la césure est discordante, mais réalisable et signifiante. Elle produit un effet suspensif qui ajoute à la saveur du vers : dans la menace adressée à Montfleury, non seulement elle « découpe » le mot en une onomatopée métrique, mais elle fait porter l’accent sur la syllabe [mor], laquelle est de nature à faire trembler le comédien, et peut-être le public, avant le soulagement qu’apporte la retombée charcutière et bouffonne du second hémistiche. De même, lorsque Cyrano se livre à des suppositions sur le peu d’esprit de Christian, la pression du rythme 6+6 invite à accentuer le préfixe mal-, ce qui a pour conséquence non seulement de souligner la défiance du héros à l’égard de son rival, mais aussi de mettre en relief l’antonymie « mal / bien », et avec elle la non concordance de l’apparence et de l’esprit qui constitue le nœud de la pièce. Dans les rares cas où au contraire la césure n’est pas réalisable, Rostand prend souvent soin de suggérer la monstruosité du vers qu’il vient de produire, en nommant l’animal chimérique qu’Aristophane (ou plutôt Le Bret14) « Appelle Hippocampelephantocamélos » (p. 98, v. 334), ou en faisant imaginer aux cadets un massacre qui contraste avec l’amitié que Cyrano est sur le point de témoigner à Christian : « Quelque chose d’épouvantable ! / Embrasse-moi ! » (p. 203, v. 1099). Il s’agit ici manifestement de surenchérir sur le célèbre et fracassant vers de Verlaine : « Et la tigresse / épouvanta/ble d’Hyrcanie », dans lequel le rythme du trimètre pouvait se substituer à celui de l’alexandrin 6+6, ce qui n’est pas le cas dans les deux exemples qui précèdent ; il n’en demeure pas moins que c’est bien à l’aune de ce rythme traditionnel, et parce qu’il est dans tous les esprits, que peut se mesurer l’audace de ces vers chimériques.

8Le rythme 6+6 est en effet largement majoritaire dans Cyrano de Bergerac, même si des coupes viennent très fréquemment lui apporter variété et vigueur, en multipliant les accents, comme dans le vers liminaire ou dans ceux où Cyrano refuse de marchander ses œuvres :

Non merci ! / Chez le bon + éditeur de Sercy
Faire éditer ses vers + en payant ? / Non merci ! (p. 190, v. 986-987)

  • 15 B. de Cornulier, « L’alexandrin de Cyrano », art. cit....

  • 16 A.-F. Herold, loc. cit.

9Les enjambements internes rendent ici les coupes aussi fortes que la césure, si ce n’est plus, mais celle-ci demeure pertinente et conduit à accentuer des mots particulièrement signifiants. Benoît de Cornulier a montré que les exceptions à cette règle, c’est-à-dire les cas où la sixième syllabe est soit un e atone, soit la syllabe prétonique d’un mot, sont peu nombreuses, relativement à la longueur de la pièce, et que parmi elles, rares sont les vers qui ne présentent pas le rythme d’un trimètre15. N’en déplaise à Herold, Rostand sait très bien que « pour faire des vers, il [ne] suffit [pas] de mettre une rime toutes les douze syllabes16 ». Sur les 2485 vers de douze syllabes que compte la pièce, plus d’un cinquième présente la forme la plus traditionnelle de l’alexandrin, soit un rythme 6+6 qui offre une parfaite concordance entre unités métriques et syntaxiques, donc sans fragilisation de la césure, sans coupe forte, ni enjambement interne ou externe. Nous en avons relevé 538, mais ce dénombrement n’échappe pas à une part de subjectivité, dans la mesure où l’identification de « la forme la plus traditionnelle de l’alexandrin » est scalaire et non absolue : ont été admis dans le décompte quelques alexandrins affectés d’un enjambement, dès lors que celui-ci n’est pas un rejet ou un contre-rejet, et que le vers s’inscrit dans une suite d’alexandrins 6+6 telle que la pression métrique impose ce rythme dans toute la série, comme lorsque Cyrano rêve sa mort idéale :

Et je voudrais mourir, + un soir, sous un ciel rose,
En faisant un bon mot, + pour une belle cause !
– Oh ! / frappé par la seule + arme noble qui soit,
Et par un ennemi + qu’on sait digne de soi,
Sur un gazon de gloire, + et loin d’un lit de fièvres,
Tomber la pointe au cœur + en même temps qu’aux lèvres ! (p. 304, v. 1775-1780).

10La très grande régularité de ces vers rend à peine perceptibles l’éventuelle coupe du vers 1777, après la première syllabe, et son enjambement interne, causé par la présence d’une épithète et du nom qu’elle qualifie de part et d’autre de la césure.

  • 17 Plus précisément, nous avons dénombré (suivant la méth...

11La fréquence de ces alexandrins parfaitement conformes au modèle dit « classique » n’est pas égale tout au long de la pièce : relativement peu élevée à l’acte I, elle va croissant dans les trois actes centraux, avant de diminuer légèrement à l’acte V17, où l’approche de la mort et la puissance de l’émotion serrent la gorge et syncopent le vers, comme en témoigne l’abondance des points de suspension qui invitent à multiplier les coupes :

Cyrano

[…]
Ce n’est rien. / Laissez-moi ! +

Roxane

Pourtant… /

Cyrano

C’est ma blessure

D’Arras… / qui… / quelquefois… + vous savez… /

Roxane

Pauvre ami !

(p. 401, v. 2430-2431)

  • 18 Le vers peut se lire selon un rythme 3/3+2/4, qui fait...

La part de la régularité est donc proportionnelle à la tension dramatique et à l’émotion lyrique qui s’installent progressivement dans la pièce : peu à peu s’impose le « doux rythme obsesseur » (p. 304, v. 1785) de l’alexandrin dont l’effet, pareil à celui du fifre sur les cadets, agit puissamment sur l’état d’esprit des lecteurs, et probablement des spectateurs. Le « double étui de cuir » (p. 304, v. 1783) dont est tiré l’instrument rappelle la structure du vers en deux hémistiches, et la tirade qui accompagne les « airs languedociens » (p. 305) est la plus longue suite d’alexandrins réguliers de la pièce. Vingt-et-un vers se succèdent (p. 304-305, v. 1785-1804) sans altération du rythme 6+6. Tout juste peut-on relever d’une part un enjambement interne au vers 1786 (« Dont chaque note est comme + une petite sœur ») qui crée une discrète suspension et après laquelle le comparant, inattendu et poétique, est mis en valeur, d’autre part quelques coupes, légères et facultatives, qui mettent l’harmonie à l’abri de la monotonie, comme au vers 1801 : « Écoutez… / C’est le val, + la lan/de, la forêt18 ». Les premiers vers de cet ensemble peuvent recevoir une lecture métapoétique et semblent commenter leur propre musicalité :

Ces vieux airs du pays, au doux rythme obsesseur,
Dont chaque note est comme une petite sœur,
Dans lesquels restent pris des sons de voix aimées,
Ces airs dont la lenteur est celle des fumées
Que le hameau natal exhale de ses toits,
Ces airs dont la musique a l’air d’être en patois !

12Cyrano parle aux cadets exilés la langue des Regrets de Du Bellay (les fumées du hameau natal rappellent le célèbre « Quand reverrai-je, hélas, de mon petit village / Fumer la cheminée [...] » du sonnet XXXI), et au public la langue des souvenirs partagés.

13Si l’alexandrin peut sembler pesant lorsqu’il représente une norme prescrite, il a en revanche à l’oreille des auditeurs le charme d’un air ancien : de l’écriture à l’actualisation par la voix, le vers s’élève, s’allège, s’envole, sans pour autant se délester de la charge affective qu’il revêt même pour ceux qui n’ont aucune connaissance en matière de versification mais reconnaissent le bercement familier d’un rythme entendu dès l’enfance.

« Notre alchimie exquise »

  • 19 Voir la fin de l’acte II, scène 6 : « ROXANE. […] Cent...

14Si en 1640, et à l’acte I, Richelieu et la toute jeune Académie française ont érigé l’alexandrin au rang d’objet culturel, en 1897 et dès l’acte II, il est depuis longtemps devenu un objet naturel, ancré dans une mémoire commune, et que l’irrévérence des premières scènes a libéré, de même que la poésie du xixe siècle tout entière a travaillé à assouplir la versification. L’auteur et son public sont nourris d’un rythme dont ils peuvent se délecter ensemble, comme on partage un mets à la portée de tous. Peut-être n’est-ce pas un hasard si, dans « La Rôtisserie des poètes », l’alexandrin métaphorise l’aliment le plus simple et sacré qui soit, le pain (« Vous avez mal placé la fente de ces miches : / Au milieu la césure, – entre les hémistiches ! », p. 136, v. 622-623), tandis que les formes poétiques plus élaborées correspondent à des victuailles plus riches ou plus raffinées : l’« odelette » est une « tartelette », les triolets, « des petits pains au lait » (p. 59, v. 79-82) et les strophes polymétriques, des volailles rôties à la broche (« Et toi, sur cette broche interminable, toi, / Le modeste poulet et la dinde superbe, / Alterne-les, mon fils, comme le vieux Malherbe / Alternait les grands vers avec les plus petits, / Et fais tourner au feu des strophes de rôtis ! », p. 136, v. 625-629). Si les personnages s’adonnent à la confection de formes strophiques et/ou de formes fixes (la ballade du duel, la recette des tartelettes amandines, les triolets de la présentation des cadets), les prouesses que celles-ci constituent manifestement n’en font que mieux ressortir la paradoxale simplicité des alexandrins en rimes suivies. L’exploit, pour Rostand comme pour toute sa génération, dont la formation scolaire incluait la pratique de la versification française, mais aussi grecque et latine, n’est pas de rimer toute une pièce en alexandrins, rythme si bien intégré qu’il est comme une seconde nature. C’est lorsqu’il s’en affranchit qu’il fournit un effort et livre sa virtuosité à l’admiration du public. La difficulté la plus haute – Cyrano le suggère qui souffre bien plus en combattant sa jalousie qu’en affrontant cent adversaires19 – consiste à lutter contre ses mouvements intérieurs, et le rythme de l’alexandrin est l’un d’eux.

15En ce sens, le vers est une langue intermédiaire, plus élevée que la prose quotidienne et non musicale, mais plus modeste que le langage précieux du bel esprit, si bien que l’une est contrainte d’accomplir une « gymnastique » si elle veut atteindre l’« altitude » de l’autre (p. 249, v. 1386-1387). Aussi la langue des vers peut-elle être la langue du cœur, sans être suspecte d’artifice ou d’insincérité. Mieux encore, elle est un lieu de rencontre. Le langage théâtral permet de partager le vers entre plusieurs locuteurs, et ainsi de donner à entendre les accords ou désaccords qui unissent ou opposent les personnages. En qualifiant les vers de « lignes inégales » (p. 138, v. 642), Lise Ragueneau trahit sa surdité totale à toute poésie : les « lignes » des poètes sont par définition égales rythmiquement, à défaut de l’être visuellement. Elle n’entend strictement rien à la passion de son mari, et un vers inégalement partagé entre eux le souligne :

Ragueneau

Avec des vers / faire + cela ! /

Lise

Pas autre chose. (p. 139, v. 646)

16Bien que l’on puisse lisser ce vers en le rythmant comme un trimètre, la présence d’un e post-tonique avant la césure en gêne la lecture, et fait fugacement éprouver au lecteur le malaise du pâtissier-poète, au point que la lecture en 6+6 est peut-être plus concluante que la lecture en 4/4/4 : on entend Ragueneau s’étrangler d’indignation. La discordance métrique mime ici la discordance conjugale, mais lorsqu’au contraire les âmes se répondent, le partage se fait harmonieux. Après la grande déclaration de Cyrano à Roxane, leurs voix et leurs vers sont à l’unisson :

Roxane

Oui, je tremble, / et je pleure, + et je t’aime, / et suis tienne !
Et tu m’as enivrée ! +

Cyrano

Alors, que la mort vienne ! (p. 256, v. 1478-1479)

  • 20 Voir l’interprétation par Marc Bertrand des césures fé...

17Autant que la polysyndète et le rythme doublement binaire du vers 1478 (en 3/3+3/3), la distribution des deux hémistiches du vers 1479 manifeste l’union accomplie par la grâce des mots, d’autant plus que la césure du vers est féminine, de sorte que la voix de Cyrano prolonge celle de Roxane sans que s’interpose le choc, même infime, d’une consonne20.

18Là se joue une « alchimie exquise », non pas celle de la métaphore, de la périphrase et de l’allégorie, métamorphoses figurales au cours desquelles Cyrano redoute que « Le vrai du sentiment ne se volatilise » (p. 254, v. 1430-1431), mais une alchimie du vers qui atteint la quintessence de l’émotion parce que le rythme et la musicalité qui la constituent relèvent du sensible et non de l’intelligible. Cette alchimie a toutefois en commun avec l’autre d’être un point de fusion : « notre alchimie exquise », dit Cyrano, et de fait, la parole versifiée est dans la pièce toujours un échange, à de très rares exceptions. Les apartés y sont rares, et le seul monologue qu’elle comporte, à l’acte III, scène 13, est minimaliste, et tient en moins de deux vers (« Comment faire perdre à de Guiche un quart d’heure ? / Là !… Grimpons !… J’ai mon plan !… », p. 271, v. 1584-1585), après lesquels Cyrano entame un dialogue avec les théorbes. Rien de comparable aux stances du Cid dans Cyrano de Bergerac. Le lyrisme y est toujours adressé (même si Le Bret est un confident commode qui sauve parfois de justesse la confidence de la forme monologique, notamment dans la scène 5 de l’acte I), et se coule dans la même forme métrique que les rumeurs d’une salle de spectacle ou les cris d’un champ de bataille. C’est donc dans les modulations de l’alexandrin que sont données à entendre les vibrations d’une sensibilité ; aussi est-il non seulement le terrain de la rencontre (hostile ou harmonieuse) entre les personnages, mais aussi l’espace de l’empathie. Parce qu’il appartient tout ensemble à la mémoire collective (celle de la représentation théâtrale et de la récitation), et à l’expérience intime (celle de l’écriture ou de la lecture silencieuse), il est l’instrument qui permet au lecteur de « sentir avec » les personnages, et particulièrement avec Cyrano, à qui revient la très grande majorité des vers de la pièce. Ce partage du sensible par le vers réduit peut-être l’invraisemblance de la scène du balcon au cours de laquelle Roxane ne distingue pas les voix de Christian et de Cyrano. L’alexandrin leur imprime en effet un rythme dans lequel résonnent à la fois un battement de cœur extrêmement personnel et « les sons des voix aimées » qui, jadis ou naguère, ont parlé cette même langue. Cette faculté de la versification à traduire l’intime tout en « volatilisant » les individualités est nettement perceptible dans l’éloge du baiser, autre modalité de la rencontre à laquelle Cyrano invite Roxane :

Je ne vois pas pourquoi votre lèvre ne l’ose ;
S’il la brûle déjà, que sera-ce la chose ?
Ne vous en faites pas un épouvantement :
N’avez-vous pas tantôt, presque insensiblement,
Quitté le badinage et glissé sans alarmes
Du sourire au soupir, et du soupir aux larmes !
Glissez encore un peu d’insensible façon :
Des larmes au baiser, il n’y a qu’un frisson ! (p. 261, v. 1506-1513)

19De même que Cyrano communique à Roxane ce « frisson » dans lequel son désir et celui de Christian ne sont plus distincts, Rostand communique aux lecteurs ou aux spectateurs une émotion dans laquelle son souffle se mêle à celui du personnage, tant l’alexandrin estompe ses propres frontières pour rendre sensible l’impalpable, la communion des âmes et des corps, la fusion du mot et de la chose. L’alexandrin ici est le baiser. Dans les deux premiers vers, la coïncidence de la structure rythmique et de la structure syntaxique est d’une parfaite rigueur, une proposition occupe chaque hémistiche (« Je ne vois pas pourquoi + votre lèvre ne l’ose ; / S’il la brûle déjà, + que sera-ce la chose ? »), et Cyrano dit « je », affirme une individualité, en ayant probablement encore conscience de plaider pour Christian : la distance, même infime, qui sépare les êtres et les mètres est clairement posée. Mais très vite, le « je » s’efface et les lignes se brouillent. À partir du discret enjambement interne du troisième vers, qui invite à alléger la césure pour ne pas séparer un verbe de son complément d’objet direct (« Ne vous en faites pas + un épouvantement »), la phrase « glisse insensiblement » hors des unités métriques : la proposition suivante se déroule sur trois vers grâce à deux enjambements externes, eux aussi peu prononcés et donc d’autant plus efficaces qu’ils agissent sur Roxane et sur le lecteur sans que ces derniers en aient pleinement conscience. « D’insensible façon », le charme a opéré, et l’alexandrin peut renouer avec sa binarité pour délivrer une conclusion parémique et sensible, mais d’où a disparu toute marque personnelle, et qui signe donc déjà le triomphe du partage lyrique, dont les inflexions de l’alexandrin ont été le vecteur, tout comme les branches de jasmin portent à Cyrano les frémissements de Roxane.

  • 21 Est dit « libertin » un sonnet qui ne suit pas le sché...

20L’apparent carcan d’une forme contrainte peut ainsi être le support de l’émotion la plus haute, de la vérité la plus pure, parce que dans cette forme qui entrelace une voix singulière et une émotion collective se joue la diffusion du sens. Par la grâce du vers, une onde musicale se propage qui devient onde lumineuse, auréole, en ce qu’elle éclaire le texte, lui confère l’éclat d’évidence de ce qui a été intérieurement éprouvé et non rationnellement acquis. Parce qu’elle s’adresse à la sensation plus qu’à l’intellection, parce que, de pratique culturelle, elle est devenue langage naturel, la versification peut atteindre au surnaturel. Le vers de Rostand a la rigueur d’un rite accompli avec révérence, bien que sans dogmatisme : libre et « libertin » comme l’était l’auteur de L’Autre Monde, mais aussi comme peut l’être un sonnet21, l’alexandrin de Cyrano de Bergerac n’en est pas moins un lieu de communion. En cela, qu’il soit lu ou joué, il participe bien de la sacralité du théâtre, cet espace-temps où il est donné à chacun de comprendre et de vivre l’ineffable d’un amour « sans mesure » (p. 404, v. 2455), mais rendu tangible parce qu’il a pris forme dans une langue mesurée.

Notes

1 Sur la réception de Cyrano de Bergerac, voir Jeanyves Guérin, « Contre Rostand », Revue d’Histoire Littéraire de la France, 2018/4 (Vol. 118), p. 905-917.

2 André-Ferdinand Herold, « Revue du mois – Les théâtres », Mercure de France, février 1898, p. 594-595.

3 Émile Faguet, « La semaine dramatique », Journal des Débats, 2 janvier 1898, p. 1.

4 Jules Lemaître, « Revue dramatique », Revue des Deux Mondes, 1er février 1898, p. 701.

5 Edmond Rostand, Cyrano de Bergerac, éd. Patrick Besnier, Paris, Gallimard, « Folio classique », 1999, p. 190, v. 995. Toutes les références à la pièce renverront désormais à cette édition et seront signalées dans le corps du texte par le numéro de page suivi du numéro de vers.

6 Sur la distinction qu’il convient d’opérer entre la perception du vers lu et du vers dit, nous renvoyons à l’indispensable article de Benoît de Cornulier : « L’alexandrin de Cyrano », dans B. Degott, O. Goetz et H. Laplace-Claverie (dir.), Edmond Rostand poète de théâtre, Besançon, Presses Universitaires de Franche-Comté, « Annales littéraires », 2021, p. 247-261. Comme lui, et pour les mêmes raisons méthodologiques, nous étudierons ici « le poème de Cyrano de Bergerac », c’est-à-dire la versification telle qu’elle peut être perçue à la lecture, et non les virtualités de sa réalisation scénique.

7 Alfred Delvau, Dictionnaire de la langue verte, Paris, Dentu, 1866, p. 359.

8 Voir par exemple le « Quatre flans. Quinze choux. » de Ragueneau (p. 60, v. 96).

9 Néologisme forgé par Philippe Rocher, « Les possibilités harmoniques et architecturales des détachements syntaxiques et de la frontalité chez le premier Rimbaud », Parade sauvage. Colloque n° 5, 16-19 septembre 2004, p. 285.

10 La coupe advient nécessairement après une syllabe tonique, si bien que le e post-tonique de « l’onde » est récupéré dans le segment suivant.

11 Jeanyves Guérin analyse cette liberté comme la preuve que les vers de Rostand sont avant tout destinés à être oralisés : « Il est rare que dans Cyrano on ait à la fois rime isosyllabique et homographie. Les phonèmes prévalent sur les graphèmes, l’oreille a priorité sur l’œil. Le texte théâtral est fait pour être entendu, non lu. » (« L’alexandrin dans Cyrano de Bergerac », Revue d’histoire du théâtre, n° 3, juillet-septembre 2004, p. 225). Néanmoins, comme il le signale lui-même, Hugo, dont les pièces en vers sont également écrites pour la scène, ne s’autorise pas de tels écarts (« Hugo poète de théâtre fait preuve de plus de virtuosité que Rostand. », ibid.) ; écarts que Rostand, en revanche, ose dans Les Musardises, destinées à la lecture. On lit par exemple dans « À ma lampe » (Les Musardises, édition nouvelle, 1887-1993, Paris, Charpentier et Fasquelle, 1911, p. 13) : « Et, lorsque j’habitais tout là-haut, sous le toit, / Seuls m’étaient doux les soirs passés autour de toi. » Le théâtre favorise donc la liberté de la rime mais ne suffit pas à l’expliquer.

12 Sur le rapport de Rostand à Banville, et sur ce que la fantaisie du vers rostandien doit à ce dernier, voir Bertrand Degott, « Le comique en vers chez Rostand : le sous-rire du lecteur. » Études françaises, vol. 51, n° 3 : La corde bouffonne. De Banville à Apollinaire, 2015, p. 77-97.

13 B. de Cornulier, « L’alexandrin de Cyrano », art. cit., p. 261.

14 Voir la note de P. Besnier, p. 98.

15 B. de Cornulier, « L’alexandrin de Cyrano », art. cit., p. 257-261.

16 A.-F. Herold, loc. cit.

17 Plus précisément, nous avons dénombré (suivant la méthode exposée ci-dessus), 103 alexandrins strictement réguliers sur les 580 vers de douze syllabes de l’acte I (soit 17,76 % du total), 106 sur les 509 de l’acte II (20,83 %), 114 sur les 506 de l’acte III (21,27 %), 143 sur les 523 de l’acte IV (27,34 %) et 72 sur les 523 de l’acte V (22,15 %). Il est à noter également que la répartition de ces alexandrins dans les actes diffère de l’acte I, où ils sont disséminés sporadiquement, aux actes II, III, IV et V, où ils sont plus souvent groupés en séries qui accentuent la perception de la périodicité 6+6.

18 Le vers peut se lire selon un rythme 3/3+2/4, qui fait se succéder une symétrie apaisée et l’élévation d’une cadence majeure.

19 Voir la fin de l’acte II, scène 6 : « ROXANE. […] Cent hommes ! Quel courage ! / CYRANO, la saluant. Oh ! j’ai fait mieux depuis. » (p. 171, v. 847).

20 Voir l’interprétation par Marc Bertrand des césures féminines dans la poésie de Marceline Desbordes-Valmore, qui en use plus fréquemment que ses contemporains : « elle rejette ce qui contribue à un arrêt plus ou moins brutal, ou même plus ou moins sensible, et se plaît à lier les deux hémistiches par une sorte de ‘‘lectio continua’’, préférant en quelque sorte un procédé qui crée un enchaînement à celui qui dresse un écran. » (Les Techniques de versification de Marceline Desbordes-Valmore, thèse présentée devant l’Université de Grenoble III, Lille, Service de reproduction des thèses, Université de Lille III, 1981, p. 16).

21 Est dit « libertin » un sonnet qui ne suit pas le schéma rimique abba abba pour les quatrains et ccd ede ou ccd eed pour les tercets.

Pour citer cet article

Esther Pinon, «Le vers « est un carcan, mais c’est une auréole ! » : usages de la versification dans Cyrano de Bergerac», Op. cit., revue des littératures et des arts [En ligne], « Agrégation 2022 », n° 23, automne 2021 , mis à jour le : 05/12/2021, URL : https://revues.univ-pau.fr:443/opcit/index.php?id=671.

Quelques mots à propos de :  Esther Pinon

Esther Pinon est maîtresse de conférences à l’Université Rennes 2. Après une thèse sur le sacré dans l’œuvre de Musset, elle consacre ses recherches à la poésie et au théâtre du xixe siècle. Elle s’intéresse notamment à la place du doute dans la poésie romantique, et aux enjeux de la versification.

Partager cet article