XIXe siècle
Agrégation 2022
N° 23, automne 2021

Nathalie Macé

Les écrivains en représentation dans Cyrano de Bergerac

  • 1 Sauf mention différente, nous utilisons l’édition suiv...

1Les figures d’écrivains sont nombreuses sur la scène française au tournant des XIXe et XXe siècles, et la mode du théâtre biographique suscite alors la représentation de figures référentielles. C’est dans ce contexte qu’Edmond Rostand crée trois pièces mettant en scène des personnages d’écrivains : La Princesse lointaine (1895), Cyrano de Bergerac (1897)1 et Chantecler (1910).

2Chez ce poète-dramaturge, la récurrence des personnages d’écrivains, volontiers poètes, peut s’expliquer par la prédilection pour un théâtre poétique et versifié à une époque où le vers, surtout l’alexandrin, semble remis en question : quelle meilleure manière de légitimer les vers que de les mettre dans la bouche de personnages dont la vocation consiste à les composer ? Sans parler du lyrisme romantique ainsi réaffirmé en face de voies contemporaines différentes, réaliste et symboliste. Dans Chantecler, Rostand, tenaillé par le doute sur sa capacité à créer encore des chefs-d’œuvre comparables à Cyrano et à L’Aiglon, a souligné le scepticisme du Coq éponyme.

3L’intrigue de la pièce antérieure, La Princesse lointaine, offre déjà une rivalité amoureuse, mais cette fois-ci entre deux poètes. Le lyrisme amoureux — les vers composés par l’Aquitain et chantés par de nombreux ménestrels, avant l’ami provençal — y est capital pour conquérir de loin la merveilleuse princesse orientale. Le troubadour provençal Bertrand d’Allamanon s’est en effet mis au service de l’amour du troubadour aquitain Joffroy Rudel (auteur de chansons amoureuses du XIIe siècle), apparemment comme Cyrano de Bergerac se dévoue à la flamme de Christian. Et dans les deux dénouements, la reconnaissance amoureuse a lieu trop tard : la mort vient clore la situation tragique des deux poètes qui ne peuvent connaître l’amour, à cause de la maladie ou du complexe physique.

4Dans le cas de Cyrano s’ajoute une dimension mythique : cette figure d’écrivain oublié est retravaillée par Rostand dans le sens d’une légende héroïque. Autre particularité de Cyrano de Bergerac : le dramaturge démultiplie la figure de l’écrivain comme s’il voulait dresser un tableau du monde littéraire du XVIIe siècle et surtout exploiter la richesse polytonale et esthétique d’une telle représentation. Cyrano de Bergerac a donné lieu à des récupérations idéologiques diverses, mais la mise en spectacle des figures d’écrivains nous invite à saisir plutôt la primauté des enjeux esthétiques. Loin d’insuffler une pensée unique à travers un personnage principal porte-parole, Rostand a composé un kaléidoscope de facettes d’écrivains, poètes ou « rimeurs », qui se caractérise par un art des contrastes et par des ambiguïtés qui enrichissent la théâtralité.

Le kaléidoscope des écrivains 

  • 2 Plus loin, dans la rôtisserie de Ragueneau, Cyrano s’a...

  • 3 Sur Cyrano et Molière, lire l’édition critique de Jean...

5La mise en scène simultanée de plusieurs écrivains amis ou/et rivaux et l’évocation d’auteurs réels recréent une atmosphère culturelle et historique. Rostand situe le premier acte de Cyrano de Bergerac en 1640 à l’Hôtel de Bourgogne lors d’une représentation de La Clorise, pastorale de Balthazar Baro (personnage absent). Ce haut lieu de la vie théâtrale du XVIIe siècle donne l’occasion d’évoquer des noms plus ou moins célèbres comme Rotrou (45), Corneille (45), Baro (47), d’Assoucy (56, 218), Richelieu (114, 183)2. Des auteurs oubliés, membres de l’Académie française (fondée en 1634), sont énumérés dans une réplique du Bourgeois, que Rostand ne se prive pas de teinter d’ironie : « Tous ces noms dont pas un ne mourra, que c’est beau ! » (54). À l’acte V, situé en 1655, Ragueneau, tombé dans la misère comme Cyrano, devenu « moucheur de… de… chandelles, chez Molière3 » (410), raconte la représentation (anachronique) des Fourberies de Scapin. En marge de cette catégorie des figures extra-scéniques, il faudrait ajouter les nombreuses réminiscences d’auteurs de cette période ; par exemple, dans la tirade des nez (99), Cyrano parodie des vers de Pyrame et Thisbé de Théophile de Viau ; sans oublier les allusions à des pièces de Musset et Hugo.

  • 4 Charles Coypeau d’Assoucy évoque Cyprien Ragueneau au ...

  • 5 Ce pilier de cabaret ou de taverne, « un peu débraillé...

  • 6 Des précieuses sont nommées, avec leurs pseudonymes, a...

6Le dramaturge met surtout en situation, de manière vivante et comique, son personnage éponyme au milieu d’autres écrivains qui ont également existé, au prix de certains anachronismes et transformations. Apparaissent ainsi sur scène le pâtissier, poète et comédien Ragueneau4, le poète satirique et libertin Lignière5, l’homme de lettres Le Bret (ami d’enfance de Cyrano, auteur d’une préface biographique en tête de L’Autre Monde publié par ses soins en 1657), Brissaille (ami de Cyrano et poète à ses heures), ainsi que le personnage collectif des Poètes crottés. Rostand n’oublie pas de leur adjoindre des précieuses6, en particulier une sorte de Muse, l’héroïne Roxane, et des acteurs ayant existé, Montfleury, Bellerose, Jodelet ; s’agissant de Montfleury, la pièce ne précise pas qu’il est aussi auteur.

  • 7 Mathurin Régnier avait fait la satire du poète faméliq...

7Les Poètes crottés sont décrits dans la didascalie liminaire de la scène 4 de l’acte II (acte intitulé « La rôtisserie des poètes ») : « les Poètes, vêtus de noir, les bas tombants, couverts de boue » (148). Ils forment une compagnie de parasites (« méchants écriveurs de lignes inégales », selon Lise, 138), que Cyrano, tout absorbé par l’écriture de sa lettre d’amour, demande à Ragueneau d’écarter. Si Ragueneau est gentiment burlesque, ces « crottés » (148) sont nettement ridicules ; dénués de noms, interchangeables, ils sont conformes aux clichés satiriques du XVIIe siècle7.

  • 8 Voir Christian Meurillon, « De Cyrano de Bergerac au C...

  • 9 Dans cette présentation incomplète, ajoutons les sourc...

  • 10 Par exemple, le refus catégorique de chercher un puis...

  • 11 Une annexe de l’édition critique de Jeanyves Guérin (...

  • 12 René Lalou, Histoire de la littérature française, Crè...

8Ces comparses de Cyrano sont avant tout nécessaires pour mieux faire ressortir son originalité. Le personnage éponyme est présenté par ses amis avant même son entrée en scène (acte I, scène 2). La fidélité au modèle historique – dont la vie est, de toutes façons, mal connue – est très discutable8. La fantaisie et la couleur historique l’emportent sur la ressemblance avec le personnage réel et contribuent à la constitution d’une belle légende. Cette création doit autant aux sources littéraires qu’aux sources historiques9, surtout au sixième chapitre des Grotesques et au Capitaine Fracasse de Théophile Gautier (ainsi qu’à son adaptation théâtrale par Émile Bergerat), aux romans et pièces de cape et d’épée d’Alexandre Dumas père (Le Bret évoque l’« âme mousquetaire » de Cyrano, 189), au Bossu de Paul Féval. Si la figure légendaire s’écarte de la vérité historique10 (c’est déjà le cas chez Gautier), Rostand reprend néanmoins les grandes lignes de la vie et de la personnalité de Savinien Cyrano de Bergerac : sa liberté d’esprit dans les domaines politique et spirituel, l’art des formules variées et originales, le caractère hétéroclite de ses actions et de ses écrits. Il montre son héros tour à tour duelliste, auteur satirique, poète galant, romancier de science-fiction (voyageur lunaire dans la scène 13 de l’acte III), philosophe dans une moindre mesure ici (disciple de Gassendi et lecteur de Descartes, tous deux mentionnés). S’ajoute une dimension autobiographique11 : Rostand prête à Cyrano son propre désir d’indépendance, au moins dans le domaine esthétique, et ses doutes. Certains critiques ont souligné chez Rostand la verve ou le talent (d’un faiseur) plutôt que le génie (d’un poète) ; il est tentant de voir là un autre trait commun entre le dramaturge (justement obsédé par la question du talent et du pouvoir de sa parole poétique) et son personnage12.

9Cyrano de Bergerac met en scène des écrivains professionnels (Cyrano, Lignière, les Poètes crottés) et des amateurs (Ragueneau, Brissaille, Le Bret). Cette distinction est assez claire pour Ragueneau, présenté avec humour par Lignière comme « le pâtissier des comédiens et des poètes », « Mécène », « poète de talent lui-même » (58), « fou de vers » donnant une « tartelette » pour une « odelette » et « idolâtr[ant] » le théâtre (59). Elle paraît moins probante pour Cyrano : c’est un polygraphe professionnel, mais il redevient un amateur dans la composition de ses vers amoureux et de ses vers de combats. Or ces derniers jouent un rôle plus important dans l’intrigue que sa tragédie La Mort d’Agrippine (« Agrippine », 183) et sa comédie Le Pédant joué (410), même si cette dernière constitue, avec le chapitre IX du Capitaine Fracasse, une source de l’ouverture de Cyrano de Bergerac et inspire à Rostand de nombreux vers. Le roman L’Autre Monde est également à la source de plusieurs passages.

Des questions et des ambiguïtés

10Rostand fait coup double avec la mise en spectacle de tous ces écrivains : une peinture du monde littéraire du Grand Siècle et des allusions, volontiers satiriques, à sa propre époque (satire poursuivie plus nettement dans Chantecler). Mais Cyrano n’expose pas une conception de la poésie, ou alors il le fait de manière secondaire et ambiguë. Ainsi dans la scène du balcon (acte III, scène 7), il impose le passage de la poésie précieuse, éloquente et artificielle, inspirée de L’Astrée et des poèmes de Voiture, à la poésie sincère et spontanée, improvisée par le « vrai cœur » (251) ou par l’âme. Devant la répétition du mot « esprit » par Roxane, Cyrano en vient à lancer cette exclamation provocatrice : « Je le hais dans l’amour ! » (254). Contre toute attente, cette conversion plaît à la précieuse Roxane et va susciter sa propre conversion à partir de l’acte IV.

  • 13 Voir Jeanyves Guérin, « Lectures politiques de Cyrano...

11La question du statut de l’écrivain est elle aussi mise en avant. Rostand n’a pas voulu écrire une œuvre politique ou engagée, satirique et moralisante, pas plus qu’une œuvre réellement historique13 ; l’action de sa pièce est inscrite dans l’histoire, avec un personnage principal qui dénonce, à l’occasion, les travers de son époque, quitte à fragiliser son statut social. Cyrano revendique fièrement sa position de marginal ; à l’inverse, les Poètes crottés sont bien involontairement marginalisés.

12L’image du poète dans sa tour d’ivoire est un vieux cliché que Rostand reprend et transforme. Il joue sur le contraste, au sein d’un même personnage, entre l’action au service des autres et l’activité poétique indépendante. Cyrano s’engage pleinement dans ses combats privés ou sur le champ de bataille et se montre très généreux dans ses relations amicales, mais il refuse d’asservir la poésie à des buts mesquins, tels que « la fortune et la gloire » (189). Face à Le Bret, il explique à l’acte II dans la tirade des « non, merci » qu’il tient à son indépendance ; à l’acte I, il a déjà rejeté toute idée de s’aliéner à un patron. Il refuse de devenir un littérateur à gages opportuniste, un « lierre parasite » (191), autrement dit de « chercher un protecteur puissant » (selon une pratique courante au XVIIe siècle), de craindre les critiques, de sacrifier son œuvre à une carrière mondaine. Le Cyrano de Rostand symbolise le poète libre et authentique, pur rêveur détaché des ambitions et des coteries :

Non, merci ! non, merci ! non merci ! Mais… chanter,
Rêver, rire, passer, être seul, être libre,
Avoir l’œil qui regarde bien, la voix qui vibre,
Mettre, quand il vous plaît, son feutre de travers,
Pour un oui, pour un non, se battre. — ou faire un vers !
Travailler sans souci de gloire ou de fortune,
À tel voyage, auquel on pense, dans la lune !
N’écrire jamais rien qui de soi ne sortît,
[…]
Ne pas monter bien haut, peut-être, mais tout seul ! (191)

13Cette enthousiaste déclaration d’indépendance fait suite à la demande du comte de Guiche, qui souhaiterait l’avoir à son service, ainsi qu’à celle de son oncle, le cardinal de Richelieu. Cyrano martèle l’unique finalité de sa poésie : le plaisir d’un beau vers écrit pour lui seul, par lui seul, en toute liberté, et apprécié de lui seul. Cette gratuité de la poésie connaît toutefois une exception, quand il compose et récite un poème à la gloire des Cadets de Gascogne (181-182).

  • 14 Cyrano assume cette exagération devant Le Bret qui lu...

14Un tel rejet des pratiques mercenaires de son temps n’est pas sans poser problème : la crainte d’être récupéré, institutionnalisé, contrôlé, conduit Cyrano à renoncer à une aide précieuse pour faire jouer sa tragédie La Mort d’Agrippine, malgré toute l’envie qu’il en a. Et le parti pris de la solitude l’amène à « exagérer » (189)14 et à tomber dans une misanthropie – Molière n’est pas loin – dont il souffre secrètement : « J’aime qu’on me haïsse » (192). L’amertume du mal-aimé se laisse entrevoir, ce qui crée une ambiguïté. En tout cas, la poésie est l’activité désintéressée et fantaisiste d’un artiste dégagé des soucis mondains et des règles de la raison, comme le suggère le projet du voyage sur la lune (dont il invente le récit devant de Guiche à la scène 13 de l’acte III).

L’esthétique avant toute chose : le mélange des tons et des formes

15Comme le veut la théorie du drame romantique, Cyrano de Bergerac associe le comique et le pathétique (et même le tragique), le poétique (ou le lyrique) et le dramatique, l’épique (au double sens de la forme romanesque et de la tonalité épique) et le dramatique. L’alliance, fondamentale, de la poésie et du théâtre est louée par Rosemonde Gérard dans le premier chapitre de l’ouvrage qu’elle consacre à l’œuvre de son époux :

  • 15 Rosemonde Gérard, Edmond Rostand, Paris, Fasquelle, 1...

Pourquoi le théâtre et la poésie échangent-ils un sourire infini en constatant qu’après tant de chefs-d’œuvre il pouvait encore en surgir un, à la fois classique et moderne, les réunissant tous et les surpassant à ce point que jamais le théâtre n’avait été si loin dans la poésie ni la poésie si près du théâtre15 ?

16La création poétique s’allie à l’art culinaire pour Ragueneau et à l’art militaire pour Cyrano, ce qui ajoute au mélange du poétique et du dramatique respectivement le comique et l’épique. Le comique peut avoir une double fonction : dramaturgique (servir de contrepoint à la dimension tragique, héroïque et sublime) et satirique.

17Les scènes de l’acte II déploient de manière spectaculaire l’alliance de la poésie et du burlesque. Le rôtisseur-pâtissier est en train de composer de mauvais vers (la recette des « tartelettes amandines », lue aux pages 152-153), « écrivant d’un air inspiré, et comptant sur ses doigts » (134), au milieu des noms de plats lancés par ses employés.

Ragueneau, cessant d’écrire et levant la tête.

Sur les cuivres, déjà, glisse l’argent de l’aube !
Étouffe en toi le dieu qui chante, Ragueneau !
L’heure du luth viendra, — c’est l’heure du fourneau ! (135)

18Figure parodique de poète inspiré, Ragueneau éloigne sa Muse par précaution, mais, dans les paroles adressées aux cuisiniers, il mêle le vocabulaire culinaire et le vocabulaire poétique :

Ragueneau, devant la cheminée.

Ma Muse, éloigne-toi, pour que tes yeux charmants
N’aillent pas se rougir au feu de ces sarments !

À un pâtissier, lui montrant des pains.

Vous avez mal placé la fente de ces miches :
Au milieu la césure, — entre les hémistiches !
[…]
Et toi, sur cette broche interminable, toi,
Le modeste poulet et la dinde superbe,
Alterne-les, mon fils, comme le vieux Malherbe
Alternait les grands vers avec les plus petits,
Et fais tourner au feu des strophes de rôtis ! (136)

  • 16 Ragueneau introduit une autre référence littéraire en...

  • 17 Les adjectifs « exquis » et « délicieux » qualifient ...

19Il se désole ensuite de voir les papiers contenant les vers de ses amis, monnaie d’échange pour les gâteaux (allusion aux États et Empires de la Lune), servir de sacs pour envelopper des croquantes. Il reproche à sa femme Lise, responsable de ce sacrilège, de « renouvele[r] Orphée et les bacchantes » (138)16, en une querelle conjugale comique. La scène suivante, avec les enfants qui achètent des pâtés enveloppés par « le sonnet à Philis » (141), est savoureuse. Cyrano choisit ce lieu pour attendre Roxane et lui écrire une lettre d’amour-poème avec toute son âme (147) : le lyrisme amoureux contraste avec la poésie burlesque du pâtissier. Surviennent alors les Poètes crottés nourris par Ragueneau ; ces pique-assiettes donnent à leur hôte complaisant les dénominations les plus ronflantes et ridicules (« Aigle des pâtissiers », « Phœbus-Rôtisseur », « Apollon maître queux », 148) et le cajolent avec excès pour sa plus grande joie. La gourmandise et la poésie se mêlent en des jeux comiques : tandis que Ragueneau récite avec un grand sérieux sa « recette en vers », les Poètes se régalent et « s’empiffrent » (154)17. La double joie de Ragueneau, liée à sa double compétence, fait de lui un jouisseur généreux (154). D’ailleurs, Cyrano, qui cultive lui aussi la veine comique, poursuit avec la Duègne ce jeu d’alliance entre gastronomie et poésie (158).

  • 18 Sur le mot « grotesque », également employé par le Cy...

  • 19 Pour distraire et attendrir les Cadets affamés, prêts...

  • 20 La satire exercée à l’égard du comédien Montfleury, à...

20Poète, soldat et amoureux « hétéroclite » (comme le qualifie Lignière au vers 102), Cyrano est un spectacle total à lui tout seul. Il est écrivain, donc fabulateur (doublé d’un acteur cabotin), être de papier et de paroles (« homme-parole », pour reprendre l’expression de Patrick Besnier dans sa préface, 26, et bien sûr « homme-théâtre »). Aussi peut-il finir par être tout et rien à la fois. Outre l’alliance hugolienne du « grotesque » (361)18 et du « sublime » (368, 407), Cyrano concentre en lui de nombreuses formes littéraires : poésie épique teintée de burlesque (dans les triolets sur les Cadets), roman ou pièce de cape et d’épée, poésie bucolique19, satire20, lyrisme amoureux, et surtout théâtralité spectaculaire.

  • 21 Marc Andry, Edmond Rostand. Le panache et la gloire, ...

21« Cyrano de Bergerac, c’est “la merveille”. Toute une époque revit, déjà popularisée par Dumas père et les dramaturges du mélodrame, c’est du roman dans de l’histoire et un tas de souvenirs rappelés, du Cid à Molière. […] »21. Le roman, avec ses aventures héroïques et sentimentales, est monté sur la scène, ainsi que l’épopée à travers la représentation des Cadets de Gascogne au siège d’Arras (acte IV). La bravoure audacieuse de Cyrano s’exerce autant par les mots, actes véritables, que par l’épée ; Gautier soulignait déjà cette qualité rare chez un poète. Il peut se battre et improviser un poème dans le même temps : au cours du duel de l’acte I, Cyrano improvise et déclame une ballade, poème à forme fixe, plutôt archaïsante ; il profite de l’occasion pour revendiquer fièrement son statut de « poète » en réponse à l’exclamation « méprisant[e] » de son adversaire « Poète !... » (103). Les diverses facettes de ce riche personnage convergent vers le jeu théâtral. 

Le règne de la métathéâtralité

  • 22 Ragueneau n’est pas en reste à l’acte IV pour propose...

22La métathéâtralité est mise en place grâce aux figures d’écrivains22. Le personnage éponyme aime particulièrement se poser en spectateur et surtout en acteur et metteur en scène. Spectateur à l’origine d’un esclandre à l’acte I ou bien acteur dans la célèbre tirade des nez, il devient metteur en scène avant l’épisode de la porte de Nesle (129-130). La scène où il joue le voyageur interstellaire (largement inspirée de L’Autre Monde, d’ailleurs annoncé comme un livre futur par allusions, 279, 286-287) est un numéro de théâtre étourdissant auquel de Guiche se laisse prendre, malgré lui, de son propre aveu (286).

23Dans le domaine sentimental, par ses démarches, fructueuses, pour favoriser les amours de Christian et Roxane, Cyrano est auteur (« Et faisons à nous deux un héros de roman ! »), metteur en scène (faisant « répéter » son « interprète » Christian, 208) et acteur cachant son amour pour Roxane.

Cyrano, avec enivrement.

Cela…

Se reprenant, et en artiste.

Cela m’amuserait !
C’est une expérience à tenter un poète.
[…]
Nous avons toujours, nous, dans nos poches,
Des épîtres à des Chloris… de nos caboches,
Car nous sommes ceux-là qui pour amantes n’ont
Que du rêve soufflé dans la bulle d’un nom !...
Prends, et tu changeras en vérités ces feintes ; (209-211)

  • 23 Pour justifier auprès de Christian la larme sur la le...

24Le risque est grand dans ce jeu entre la « feinte »23 et la « vérité » pour le personnage de Rostand (risque ignoré par le Cyrano historique, de fait très éloquent et peu sincère dans ses lettres amoureuses) : acteur et grand parleur, Cyrano passe à côté de sa réalité d’homme amoureux et d’écrivain. Ses désirs profonds (amour pour Roxane, gloire militaire et littéraire) demeurent inassouvis, comme le montre le dénouement.

Cyrano

« D’un coup d’épée,
Frappé par un héros tomber la pointe au cœur ! »…
Oui, je disais cela ! … Le destin est railleur ! …
Et voilà que je suis tué dans une embûche,
Par-derrière, par un laquais, d’un coup de bûche !
C’est très bien. J’aurai tout manqué, même ma mort. (409)

25Cyrano rappelle ironiquement, par une autocitation approximative, un vœu de mort héroïque formulé de manière lyrique à l’acte IV en plein camp militaire ; il y mêlait l’activité du poète et l’action du soldat-bretteur, grâce à la polysémie du mot « pointe » :

Cyrano

  • 24 Lire la note 2 de la page 244 de l’édition critique d...

Oui, la pointe, le mot !
Et je voudrais mourir, un soir, sous un ciel rose,
En faisant un bon mot, pour une belle cause !
Oh ! frappé par la seule arme noble qui soit,
Et par un ennemi qu’on sait digne de soi,
Sur un gazon de gloire et loin d’un lit de fièvres,
Tomber la pointe au cœur en même temps qu’aux lèvres ! (304)24

  • 25 Cyrano distingue alors « le conte » et la réalité (412).

26Le décalage entre le rêve héroïque et la réalité de son destin se remarque dans les conditions de sa mort, mais aussi dans sa destinée de poète25. Ragueneau, « indigné » (410), apprend à Cyrano que Molière lui a volé une scène du Pédant joué pour son Scapin. Cyrano se montre moins choqué par le plagiat, pratique alors courante, que soucieux de l’ « effet » comique produit et attristé par sa propre destinée :

Cyrano

Oui, ma vie
Ce fut d’être celui qui souffle — et qu’on oublie !

À Roxane.

Vous souvient-il du soir où Christian vous parla
Sous le balcon ? Eh bien ! toute ma vie est là :
Pendant que je restais en bas, dans l’ombre noire,
’autres montaient cueillir le baiser de la gloire !
C’est justice, et j’approuve au seuil de mon tombeau :
Molière a du génie et Christian était beau ! (411)

27Le bonheur amoureux, assimilé au fruit de « la gloire » poétique (à travers l’image du « baiser de la gloire ») est une réalité qui échappe à Cyrano, pour profiter à d’autres, plus chanceux. Gautier avait déjà commenté le phénomène du plagiat et l’injuste méconnaissance du génie de Cyrano dans son chapitre des Grotesques. Paradoxalement, le personnage principal de Rostand a conscience de faire figure de second rôle, en littérature et en amour. Il ne lui reste que sa poésie et le rêve de monter, sans machine, dans la lune, pour y retrouver les libres penseurs « Socrate et Galilée » (414). Dans son « délire », il crée cette épitaphe, qui rappelle tous ses traits caractéristiques :

Philosophe, physicien,
Rimeur, bretteur, musicien,
Et voyageur aérien,
Grand riposteur du tac au tac,
Amant aussi — pas pour son bien ! —
Ci-gît Hercule-Savinien
De Cyrano de Bergerac
Qui fut tout, et qui ne fut rien, (415)

28Le dernier vers résume l’accumulation des activités de ce personnage avide, mais sa chute est d’autant plus frappante : elle associe au néant de la mort le vide fondamental d’une existence apparemment si remplie. Cette ambiguïté de Cyrano nous ramène à l’ambiguïté liée au statut ontologique de tout comédien : il joue l’apparence de l’être dans sa diversité, par sa parole apparemment souveraine, mais il n’est lui-même « rien » en réalité. Dans ce dénuement final, il ne lui reste que son « panache », fière attitude élevée sur du vide, quand la mort met fin à toutes les activités terrestres énumérées, de même que l’issue de la représentation met fin à toute la geste du comédien et ne lui laisse que la gloire éphémère des applaudissements et peut-être la mémoire, plus durable, du public.

La destinée poétique du légendaire Cyrano

29La théâtralité triomphante, qui réunit le tout et le rien, met en place une belle légende qui peut trouver son symbole dans le « panache » de ce héros singulier qui doit plaire et émouvoir le public le plus large possible à différentes époques.

30Si Edmond Rostand s’est intéressé à la grande époque du XVIIe siècle, c’est sans doute parce qu’elle est romanesque en elle-même et fertile en figures géniales, contribuant à la richesse du patrimoine culturel français. Mais il faut noter qu’à la différence de Sacha Guitry qui mettra fréquemment en scène des écrivains célèbres, tels Jean de La Fontaine, Racine, Molière, réunis dans Histoires de France (1929), il choisit un auteur que la postérité a plutôt oublié. Ce choix s’explique peut-être par l’ambition de créer une légende, sa légende, à partir d’une figure du passé moins connue et plus malléable, ou de recréer, voire redorer, une légende puisque Cyrano de Bergerac était déjà une figure légendaire.

  • 26 En témoignent son ami Le Bret (383-384) et Ragueneau ...

  • 27 Voir le discours de réception à l’Académie française ...

31Rostand prête à son héros un double désir de gloire, par l’épée et par la plume ; si ce désir ne se réalise pas à l’intérieur de la fiction théâtrale, une destinée poétique se dessine grâce au dramaturge moderne dans l’histoire de la scène française. S’il ne meurt pas « sur un gazon de gloire », « la pointe au cœur en même temps qu’aux lèvres » (304), c’est quand même sur une belle formule qu’il meurt en présence de Roxane, presque l’épée à la main, dans un décor poétique d’automne, au milieu des feuilles mortes (par une infidélité volontaire à la biographie du personnage historique), et sur un « fauteuil classique » (391) (sans doute par allusion au dernier fauteuil de Molière). Il achève sa vie dans une pauvreté proche de celle des Poètes crottés (dont son habit finit par prendre la couleur noire), dans la solitude et la lutte contre toutes sortes d’ennemis à travers des épîtres (comme le Cyrano historique multipliant les Lettres satiriques)26. Proche des poètse de la Bohème du XVIIe (ou du XIXe siècle), il a certes raté sa vie sociale, mais le plus important est qu’il laisse l’image d’un héros digne et libre dans tous les domaines, comme le reconnaît de Guiche lui-même, ajoutant « Je sais, oui : j’ai tout ; il n’a rien… » (384, nous soulignons ces termes importants). Ses amis pleurent la perte d’un poète au grand cœur (414), « Un poète inouï » et « Un esprit sublime », « Un cœur profond, inconnu du profane, / Une âme magnifique et charmante » (368), selon les mots de Roxane parlant de Christian à sa mort, mais parlant sans le savoir de Cyrano. Si le même vers « Molière a du génie et Christian était beau ! » rapproche deux dons qui lui ont été refusés par le destin, si les « vieux ennemis » (417) contre lesquels il lutte dans son délire final – les allégories que sont le Mensonge, les Compromis, les Préjugés, les Lâchetés, la Sottise – lui enlèvent « le laurier et la rose », autrement dit la gloire et l’amour, il gardera du moins pour l’éternité et dans toute sa pureté son « panache » (418), c’est-à-dire son attitude théâtrale (justement) de grâce fière et pudique à la fois27. L’épée l’ayant symboliquement entraîné dans sa chute, Cyrano lance ce dernier mot de la pièce, qui passera à la postérité et l’élèvera au-dessus des autres mortels. Le dramaturge exauce le vœu du personnage : en le plaçant au cœur d’un drame romantique et idéaliste spectaculaire, œuvre populaire ovationnée par le(s) public(s) pendant des décennies, il lui offre une destinée poétique supérieure. Sans doute répare-t-il ainsi une injustice faite au Cyrano historique, figure trop méconnue.

  • 28 Pierre Citti, « Théâtre littéraire et théâtre à succè...

32« Cette pièce se passe dans le Lagarde et Michard28 ». La culture littéraire du dramaturge, faisant volontiers le pont entre le XVIIe siècle et le XIXe siècle, envahit Cyrano de Bergerac par toutes sortes de procédés intertextuels et surtout par la présence de figures plus ou moins connues d’écrivains du passé. Aussi a-t-on l’impression que les interprétations idéologiques diverses ne sauraient faire oublier l’enjeu premier de la pièce dans l’esprit de Rostand : plaire et toucher par des personnages et situations du passé, attachants ou amusants, aux couleurs variées, confronter la beauté (des sentiments et des vers) avec la bouffonnerie et la satire pour émouvoir et faire rire en même temps. Les personnages d’écrivains jouent un rôle capital dans cette visée, tout particulièrement la figure légendaire si « hétéroclite » de Cyrano.

33Il est tentant d’évoquer, pour finir, le personnage de Jean Vauthier nommé Bada, apparu dans la pièce de 1952 Capitaine Bada. Si le héros Cyrano fut « tout » et « rien », le Bada qui se prétend poète, alors qu’il n’a pratiquement rien écrit, cette baudruche gonflée d’orgueil et de paroles, désespérée dans ses éclairs de lucidité, n’est en fait rien, conformément à une dérision moderne qui n’a pas encore touché Rostand. Dans le cadre de l’esthétique novatrice du Nouveau Théâtre, la théâtralité ostentatoire et vaine a pris toute la place dans la quête de l’héroïsme. Dans les deux pièces, la vision particulière, mythologique, du personnage de poète est indissociable d’une esthétique fondée sur l’hybridité des genres : l’ambition démesurée et vaine d’une figure qui consacre sa vie à la quête de la beauté s’accompagne d’un lyrisme exalté, d’un combat épique et tragique, d’un comique burlesque ou satirique ou d’un comique de dérision selon les époques. Au-delà de leurs différences, Rostand et Vauthier font du théâtre une fête des mots et du spectacle dont la poésie est l’invitée d’honneur et le poète la figure centrale polysémique.

Notes

1 Sauf mention différente, nous utilisons l’édition suivante : Edmond Rostand, Cyrano de Bergerac, édition présentée, établie et annotée par Patrick Besnier, Paris, Gallimard, coll. « Folio Classique », 1999. Pour situer les passages cités ou évoqués, nous indiquons entre parenthèses les numéros de pages de cette édition. Pour une étude complète de la pièce, en particulier de ses sources et de sa réception critique, lire Edmond Rostand, Cyrano de Bergerac, édition critique par Jeanyves Guérin, Paris, Champion Classiques, 2018, et Jeanyves Guérin, Cyrano de Bergerac d’Edmond Rostand, Paris, Presses Sorbonne Nouvelle, coll. « Un auteur une œuvre », 2018.

2 Plus loin, dans la rôtisserie de Ragueneau, Cyrano s’amuse avec les poèmes d’autres auteurs de cette période : Benserade, Saint-Amant (un autre « grotesque » de Gautier), Chapelain (158) ; il rend hommage à Cervantès, « cet hurluberlu » (187). La précieuse Roxane compare les cheveux de Christian à ceux d’« un héros de d’Urfé » (167). Le poète précieux Voiture est un modèle écarté par Cyrano dans le dialogue amoureux avec Roxane (253). Dans une catégorie à part, celle des journalistes, apparaît sur scène, cette fois-ci, Théophraste Renaudot, « l’inventeur de la gazette » (178), directeur du Mercure François (190) : d’abord désigné comme « un homme de lettres » (177), il devient, dans la didascalie suivante, « le poète », désireux de « faire un pentacrostiche » sur le nom de Cyrano (178) ; Cyrano fera sa propre gazette à l’acte V pour Roxane, ce qui justifie le titre de cet acte ultime.

3 Sur Cyrano et Molière, lire l’édition critique de Jeanyves Guérin, op. cit., p. 337, note 3, et sur les réminiscences de Molière dans la pièce, voir Jeanyves Guérin, Cyrano de Bergerac d’Edmond Rostand, op. cit., p. 95.

4 Charles Coypeau d’Assoucy évoque Cyprien Ragueneau au chapitre 12 de ses Aventures burlesques. Rostand s’est inspiré du livre de Francisque Michel et Édouard Fournier, L’Histoire des hôtelleries, cabarets, courtilles et des anciennes communautés et confréries d’hôteliers, de taverniers et marchands de vins (cité passim dans l’édition critique de Jeanyves Guérin). Un portrait éclaté de ce personnage pittoresque, comme celui de Cyrano au premier acte (62-63), est proposé au dernier acte (386-387). Notons que Cyrano l’appelle « mon confrère » à la page 409.

5 Ce pilier de cabaret ou de taverne, « un peu débraillé, figure d’ivrogne distingué » (50), peut rappeler Verlaine, mort au début de l’année précédente, au public de 1897. Cyrano protège son « ami », ce « rimeur » (131), contre les ennemis qu’il s’est attirés par une chanson satirique (66, 126-128) ; de Guiche, la cible de sa satire, le qualifie plus sévèrement de « rimailleur ivrogne » (185). Lire Jeanyves Guérin, éd. critique, op. cit., p. 91, note 2.

6 Des précieuses sont nommées, avec leurs pseudonymes, aux pages 55, 238 et 399. Les relations entre Cyrano (qui utilise la rhétorique précieuse pour séduire Roxane au nom de Christian) et les précieuses ou la préciosité sont ambivalentes dans la pièce de Rostand ; cela commence par un vers ironique, plutôt misogyne : « Inspirez-nous des vers… mais ne les jugez pas ! » (88) et par le jugement négatif sur la pièce précieuse de Baro qu’il interrompt (88), cela se poursuit avec le mot « singes » appliqué aux précieux Alcandre et Lysimon parlant dans le salon de Clomire (233). Avec Roxane Cyrano se montre plus gentiment moqueur : « Eh quoi ! la précieuse était une héroïne ? », ce qui lui vaut une réponse malicieuse : « Monsieur de Bergerac, je suis votre cousine. » (328). Rostand avait écrit, en 1887, une dissertation intitulée Deux Romanciers de Provence, Honoré d’Urfé et Émile Zola. Le roman sentimental et le roman naturaliste. Voir Myriam Dufour-Maître, « Edmond Rostand et la préciosité », RHLF, no 4, déc. 2018, p. 859-871.

7 Mathurin Régnier avait fait la satire du poète famélique, du poète crotté, dans la deuxième de ses Satires ; à partir de là, cette figure est devenue récurrente au XVIIe siècle, chez Saint-Amant, Tallemant des Réaux, Charles Sorel, Boileau. Un poète crotté apparaît dans Le Capitaine Fracasse de Gautier.

8 Voir Christian Meurillon, « De Cyrano de Bergerac au Cyrano de Rostand : une infidélité scrupuleuse », in Le Théâtre incarné. Études en hommage à Monique Dubar, textes réunis par Franck Bauer et Guy Ducrey, Lille 3, Éditions du Conseil scientifique de l’Université Charles-de-Gaulle, coll. UL3 travaux et recherches, 2003, p. 41-55.

9 Dans cette présentation incomplète, ajoutons les sources biographiques suivantes : le surveillant de lycée, poète amateur, surnommé Pif-Luisant (qui inspire le poème « À un vieux pion » dans Les Musardises) et la rencontre d’un ami amoureux (voir Jeanyves Guérin, éd. critique, op. cit., p. XXXIV-XXXV). Jeanyves Guérin (p. XLI) mentionne aussi la préface du Bibliophile Jacob aux œuvres de Cyrano publiées en 1858.

10 Par exemple, le refus catégorique de chercher un puissant protecteur n’est pas conforme à la réalité historique, plus nuancée : après s’être rangé du côté de la Fronde avec les Conti, le vrai Cyrano est devenu le protégé de Mazarin, puis du duc d’Arpajon. De plus, comme l’explique Jeanyves Guérin (op. cit., p. XLVI), « en 1640, le Cyrano historique n’a rien écrit »… Et le vrai Cyrano n’était pas amoureux de sa cousine.

11 Une annexe de l’édition critique de Jeanyves Guérin (op. cit., p. 380-382) propose une « gazette rimée » de Raoul Ponchon qui rapproche étroitement le personnage et son créateur.

12 René Lalou, Histoire de la littérature française, Crès, 1922 (cité par Jeanyves Guérin, éd. critique, op. cit., p. 363) : « Cyrano – qui n’est pas un chef-d’œuvre – ne mérite point l’oubli parce qu’il renferme la peinture d’un drame réel, le drame de Cyrano et celui de Rostand, le drame de l’écrivain de deuxième ordre qui aspire au génie » ; cf également la citation de Léon Blum, p. 356.

13 Voir Jeanyves Guérin, « Lectures politiques de Cyrano de Bergerac », in Bertrand Degott, Olivier Goetz et Hélène Laplace-Claverie, Edmond Rostand poète de théâtre, Presses universitaires de Franche-Comté, 2021, p. 221-231.

14 Cyrano assume cette exagération devant Le Bret qui lui reproche d’ « assassiner toujours la chance passagère » (189) et de se poser « tout seul » « contre tous » (191).

15 Rosemonde Gérard, Edmond Rostand, Paris, Fasquelle, 1935, p. 6-7.

16 Ragueneau introduit une autre référence littéraire en traitant sa femme de « fourmi » en face des « divines cigales » que sont ses amis poètes (139).

17 Les adjectifs « exquis » et « délicieux » qualifient à la fois les gâteaux et les vers dans « la bouche pleine » des Poètes (153).

18 Sur le mot « grotesque », également employé par le Cyrano historique, lire la note 1 de la page 294 de l’édition critique de Jeanyves Guérin.

19 Pour distraire et attendrir les Cadets affamés, prêts à la révolte, Cyrano demande à « Bertrandou, le fifre, ancien berger » de jouer « des airs languedociens » et il évoque lui-même la Gascogne dans une poésie bucolique (304-305) ; mais aussitôt après, pour réveiller en eux les « héros », il fait rouler le tambour (306).

20 La satire exercée à l’égard du comédien Montfleury, à la scène 4 de l’acte I, peut être rapprochée du texte « Contre un gros homme », initialement intitulé « Contre le gras Montfleury, mauvais auteur et comédien » (dans Lettres satiriques, 1654).

21 Marc Andry, Edmond Rostand. Le panache et la gloire, Paris, Plon, 1986, p. 72.

22 Ragueneau n’est pas en reste à l’acte IV pour proposer, avec le carrosse rempli de victuailles, un petit numéro théâtral, volontiers « lyrique » (337), d’un lyrisme teinté de burlesque. Voir Jean Bourgeois, « Cyrano de Bergerac d’Edmond Rostand : le théâtre dans le théâtre », RHLF, no 3, sept. 2008, p. 607-620.

23 Pour justifier auprès de Christian la larme sur la lettre d’adieu, Cyrano utilisera encore l’argument de la feinte : « Oui… Poète, on se prend à son jeu, c’est le charme !... » (318) (nous soulignons). Plus loin, il emploie le verbe « interpréter », doté d’une signification théâtrale : « j’interprétais ta flamme ! » (346).

24 Lire la note 2 de la page 244 de l’édition critique de Jeanyves Guérin pour l’éloge de la pointe chez le Cyrano historique (préface aux Entretiens pointus).

25 Cyrano distingue alors « le conte » et la réalité (412).

26 En témoignent son ami Le Bret (383-384) et Ragueneau (389). Lire les notes de l’édition critique de Jeanyves Guérin (op. cit., p. 313).

27 Voir le discours de réception à l’Académie française (prononcé le 4 juin 1903) : « Le panache n’est pas la grandeur, mais quelque chose qui s’ajoute à la grandeur, et qui bouge au-dessus d’elle […] le panache, c’est l’esprit de la bravoure. Oui, c’est le courage dominant à ce point la situation qu’il en trouve le mot […] Plaisanter en face du danger, c’est la suprême politesse, un délicat refus de se prendre au tragique ; le panache est alors la pudeur de l’héroïsme, comme un sourire par lequel on s’excuse d’être sublime. […] Un peu frivole peut-être, un peu théâtral sans doute, le panache n’est qu’une grâce » (nous soulignons). Voir également des extraits du Cantique de l’aile dans Jeanyves Guérin, éd. critique, op. cit., p. 383-385.

28 Pierre Citti, « Théâtre littéraire et théâtre à succès : la fausse réconciliation de Cyrano de Bergerac », Littérature et nation, no 5, mars 1991, p. 35.

Pour citer cet article

Nathalie Macé, «Les écrivains en représentation dans Cyrano de Bergerac», Op. cit., revue des littératures et des arts [En ligne], « Agrégation 2022 », n° 23, automne 2021 , mis à jour le : 06/12/2021, URL : https://revues.univ-pau.fr:443/opcit/index.php?id=674.

Quelques mots à propos de :  Nathalie Macé

Nathalie Macé est professeur de littérature théâtrale à Avignon Université et spécialiste du théâtre français du xxe siècle. Elle a publié un livre sur Paul Claudel aux éditions Honoré Champion (Le pays à l’envers de l’endroit. Mise(s) en scène du poète et de l’art poétique dans le théâtre de Paul Claudel), des études sur le drame romantique et des articles sur la représentation des personnages d’écrivains chez certains dramaturges comme Apollinaire, Guitry, Cocteau, Camus, Anouilh, Ionesco et d’autres auteurs du Nouveau Théâtre.

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