XVIIe
Agrégation 2019
N° 19, automne 2018

Cécile Toublet

Le corps grotesque du Roman comique

  • 1 Théophile Gautier, Les Grotesques, Paris, Michel Lévy ...

  • 2 Ibid., p. 339. Pieter Van Laer (Haarlem, 1599 –Haarlem...

1Pour Théophile Gautier, qui consacre plusieurs chapitres de ses Grotesques (1853) aux romanciers comiques du xviie siècle, les visages grimaçants de Théophile de Viau, de Savinien Cyrano de Bergerac et de Paul Scarron, l’hypertrophie de leur nez ou la difformité de leur corps, sont emblématiques de leurs ouvrages. Ils incarnent leur intention plaisante et le goût de leur lectorat pour le divertissement : « L’esprit français, narquois, plein de justesse et de bon sens, manquant un peu de rêverie, a toujours eu pour le grotesque un penchant secret. Nul peuple ne saisit plus vivement le côté ridicule des choses, et dans les plus sérieuses, il trouve encore le petit mot pour rire1. » L’apparence disgracieuse de l’auteur du Roman comique est caricaturale : « Scarron, chef de l’école burlesque, était contrefait et bossu comme une figure du Bamboche2. » Théophile Gautier résume l’autoportrait de Scarron :

  • 3 Paul Scarron, La Relation Veritable, De tout ce qui s’...

Les uns disent que je suis cul de jatte ; les autres, que je n’ay point de cuisses & que l’on me met sur une table dans un estuy, où je cause comme une Pie borne ; & les autres, que mon chapeau tient à une corde qui passe dans une poulie, & que je le hausse & baisse pour saluer ceux qui me visitent. Je pense estre obligé en conscience de les empescher de mentir plus long-temps, & c’est pour cela que j’ay fait faire la planche que tu vois au commencement de mon livre. […] J’ay trente ans passez, comme tu vois au dos de ma chaise. Si je vay jusqu’à quarante, j’adjousteray bien des maux à ceux que j’ay desja soufferts depuis huit ou neuf ans. J’ay eu la taille bien faite, quoy que petite. Ma maladie l’a racourcie d’un bon pied. Ma teste est un peu grosse pour ma taille. J’ay le visage assez plein, pour avoir le corps tres-descharné ; des cheveux, assez pour ne porter point de perruque ; j’en ay beaucoup de blancs, en dépit du Proverbe. J’ay la veue assez bonne, quoy que les yeux gros ; je les ay bleus ; j’en ay un plus enfoncé que l’autre, du costé que je penche la teste. J’ay le nez d’assez bonne prise. Mes dents, autresfois perles carrées, sont de couleur de bois & seront bien-tost de couleur d’ardoise ; j’en ay perdue une & demie du costé gauche, & deux & demie du costé droit, & deux un peu égrignées. Mes jambes & mes cuisses ont fait premierement un angle obtus, & puis un angle égal, & enfin un aigu ; mes cuisses & mon corps en font un autre &, ma teste se penchant sur mon estomac, je ne represente pas mal un Z. J’ay les bras racourcis aussi bien que les jambes, & les doigts aussi bien que les bras. Enfin je suis un racourcy de la misere humaine3.

2À l’instar des auteurs comiques, Scarron veut dépasser les maux qui l’affligent par la peinture de la laideur d’autres sujets, des corps grotesques et bigarrés :

  • 4 P. Scarron, Typhon ou la Gigantomachie, Paris, Toussai...

Courage mon feu se r’allume,
C’a mettons la main à la plume,
Et du rude culbutis
De ces grands hommes mal bâtis
Faisons une gaye peinture,
Tout en dépit de la Torture,
Et des maux que malgré mes dents
J’ay ressentis depuis six ans4.

3En effet, la bouffonnerie des histoires comiques provient, en partie, d’un jeu de miroirs entre des corps régis par la même difformité. Scarron ne ponctue-t-il pas son roman de saynètes dans lesquelles les personnages, Ragotin en particulier, subissent des mauvais traitements ? Pour cerner l’esthétique du Roman comique, il est nécessaire de mesurer la place prise par cette dimension corporelle dans l’œuvre. Elle intervient, d’emblée, pour créer l’horizon d’attente du divertissement et engager le lecteur dans un pacte complice. Davantage qu’un thème affleurant ça et là dans le roman, elle joue un rôle dans sa structure même. Enfin, elle révèle comment Scarron conçoit et informe son personnel narratif.

La promesse d’une connivence joyeuse

4Dès le seuil de son roman, Scarron donne le ton par l’arrivée grotesque d’une troupe de comédiens, entre cinq et six heures du soir, dans les halles du Mans. Cette entrée annonce le caractère corporel du divertissement proposé par l’auteur.

  • 5 P. Scarron, Le Roman comique, éd. Jean Serroy, Paris, ...

La charrette était pleine de coffres, de malles et de gros paquets de toiles peintes qui faisaient comme une pyramide au haut de laquelle paraissait une demoiselle habillée moitié ville, moitié campagne. Un jeune homme, aussi pauvre d’habits que riche de mine, marchait à côté de la charrette. Il avait un grand emplâtre sur le visage, qui lui couvrait un œil et la moitié de la joue, et portait un grand fusil sur son épaule, dont il avait assassiné plusieurs pies, geais et corneilles, qui lui faisaient comme une bandoulière, au bas de laquelle pendaient par les pieds une poule et un oison qui avaient bien la mine d’avoir été pris à la petite guerre. Au lieu de chapeau, il n’avait qu’un bonnet de nuit, entortillé de jarretières de différentes couleurs, et cet habillement de tête était une manière de turban qui n’était encore qu’ébauché et auquel on n’avait pas encore donné la dernière main. Son pourpoint était une casaque de grisette, ceinte avec une courroie, laquelle lui servait aussi à soutenir une épée qui était si longue qu’on ne s’en pouvait aider adroitement sans fourchette. Il portait des chausses troussées à bas d’attaches, comme celles des comédiens quand ils représentent un héros de l’antiquité, et il avait, au lieu de souliers, des brodequins à l’antique que les boues avaient gâtés jusqu’à la cheville du pied. Un vieillard vêtu plus régulièrement, quoique très mal, marchait à côté de lui. Il portait sur ses épaules une basse de viole et, parce qu’il se courbait un peu en marchant, on l’eût pris de loin pour une grosse tortue qui marchait sur les jambes de derrière. Quelque critique murmurera de la comparaison, à cause du peu de proportion qu’il y a d’une tortue à un homme ; mais j’entends parler des grandes tortues qui se trouvent dans les Indes et, de plus, je m’en sers de ma seule autorité5.

5La description minutieuse et moqueuse de l’accoutrement bigarré, l’allusion à la comédie, la comparaison animale invitent d’emblée à la raillerie. Scarron établit une connivence joyeuse avec son lecteur et le place dans les dispositions nécessaires pour se divertir des aventures de cette troupe dépareillée qui se livrera, quelques lignes plus loin, à une bastonnade. L’exhibition de silhouettes risibles à l’entrée du roman a donc valeur de manifeste : le Roman comique, comme l’ensemble des histoires comiques identifiées par Jean Serroy, prône un plaisir franc, tiré de la mise en scène bouffonne du corps.

  • 6 Ibid., I, xvi, p. 143.

  • 7 Ibid., I, xix, p. 161.

6Cet horizon d’attente se confirme à maintes reprises, particulièrement lorsque l’auteur réinvestit les moments essentiels à l’élaboration et à la transmission des narrations comiques, des veillées populaires au modèle facétieux que constituent les Sérées (1584, 1597, 1598) de Guillaume Bouchet, les Apresdisnées (1587) de Nicolas de Cholières ou encore le Moyen de Parvenir (1616) de François Béroalde de Verville. Par exemple, il associe fréquemment les lieux de bouche, comme l’auberge ou la taverne, à l’échange littéraire. Le public afflue aux récits de La Rancune : « Ce beau commencement d’histoire attira auprès de la Rancune tous ceux qui étaient dans la chambre, qui savaient bien qu’il avait des mémoires contre tout le genre humain6. » Et l’auteur saisit régulièrement le prétexte de la fin d’un repas pour insérer quelque conte enchâssé comme « Les deux frères rivaux », la nouvelle qu’Inézilla tire d’un recueil espagnol, après le dîner que Ragotin a donné en son honneur7. Dans ces lieux privilégiés, le rire des personnages incite le lecteur à partager une expérience réelle et crée une connivence :

  • 8 Ibid., II, viii, p. 236.

Le Destin y jeta les yeux, et fut bien étonné d’y voir, presque au niveau de son menton, la pile de poulets dépecés dont la Garouffière et la Bouvillon avaient érigé un trophée à son mérite. Il en rougit et ne put s’empêcher d’en rire ; la Bouvillon en fut défaite ; la Garouffière en rit bien fort et donna si bien le branle à toute la compagnie qu’elle en éclata à quatre ou cinq reprises. Les valets reprirent où leurs maîtres avaient quitté et rirent à leur tour ; ce que la jeune mariée trouva si plaisant que, s’ébouffant de rire en commençant de boire, elle couvrit le visage de sa belle‑mère et celui de son mari de la plus grande partie de ce qui était dans son verre et distribua le reste sur la table et sur les habits de ceux qui y étaient assis. On recommença à rire et la Bouvillon fut la seule qui n’en rit point, mais qui rougit beaucoup et regarda d’un œil courroucé sa pauvre bru, ce qui rabattit un peu sa joie. Enfin on acheva de rire, parce que l’on ne peut pas rire toujours. On s’essuya les yeux ; la Bouvillon et son fils s’essuyèrent le vin qui leur dégouttait des yeux et du visage et la jeune mariée leur en fit des excuses, ayant bien de la peine à s’empêcher de rire. Le Destin mit son assiette au milieu de la table et chacun y reprit ce qui lui appartenait. On ne put parler d’autre chose tant que le souper dura ; et la raillerie, bonne ou mauvaise, en fut poussée bien loin, quoique le sérieux dont s’arma mal à propos madame Bouvillon troublât en quelque façon la gaieté de la compagnie8.

7Le rire met en « branle » les convives de Scarron et ce mouvement de l’âme, aux fortes implications corporelles, doit s’étendre au lecteur. Le spectacle de l’hilarité donne ainsi les clefs d’un divertissement total.

8Scarron reprend également à son compte l’inspiration bachique, dans le sillage rabelaisien :

  • 9 Ibid., I, xii, p. 86.

Peut‑être aussi que j’ai un dessein arrêté et que, sans emplir mon livre d’exemples à imiter, par des peintures d’actions et de choses tantôt ridicules, tantôt blâmables, j’instruirai en divertissant de la même façon qu’un ivrogne donne de l’aversion pour son vice et peut quelquefois donner du plaisir par les impertinences que lui fait faire son ivrognerie9.

9Si l’auteur fait mine d’infléchir ce topos de la littérature facétieuse par une intention morale, son dessein satirique est réduit au statut d’hypothèse. La comparaison de l’écrivain avec un ivrogne vient surtout conforter l’image d’un auteur capricieux, enclin à suivre son bon plaisir. Scarron libère ainsi la structure de son roman, plus encore que le ton, et engage la complicité d’un lecteur averti.

Le corps du roman, une anatomie difforme

  • 10 « S’il est vrai, comme il le reconnaît lui-même, que ...

10En effet, les caprices de l’auteur déforment le corps de son roman10. Il est d’usage, dans la production romanesque de l’époque, d’étayer la vraisemblance du récit par la mention des repas ou du sommeil qui lui donnent un rythme connu du lecteur. Si Scarron y a parfois recours, c’est dans un but parodique, comme le signale cette intervention du narrateur :

  • 11 P. Scarron, Le Roman comique, op. cit., I, ix, p. 64.

Je ne vous dirai point exactement s’il avait soupé, et s’il se coucha sans manger, comme font quelques faiseurs de romans qui règlent toutes les heures du jour de leurs héros, les font lever de bon matin, conter leur histoire jusqu’à l’heure du dîner, dîner fort légèrement et après dîner reprendre leur histoire ou s’enfoncer dans un bois pour y parler tout seuls, si ce n’est quand ils ont chose à dire aux arbres et aux rochers ; à l’heure du souper, se trouver à point nommé dans un lieu où l’on mange, où ils soupirent et rêvent au lieu de manger, et puis s’en vont faire des châteaux en Espagne sur quelque terrasse qui regarde la mer, tandis qu’un écuyer révèle que son maître est un tel, fils d’un roi et qu’il n’y a pas un meilleur prince au monde, et qu’encore qu’il soit pour lors le plus beau des mortels, qu’il était encore tout autre chose devant que l’amour l’eût défiguré11.

11Scarron réduit les romans héroïques à leur squelette temporel dont il fustige l’ennui : le « dîner » revient à trois reprises dans le même segment et sert de décor aux postures de l’amant mélancolique. L’ironie du poète burlesque s’exerce avant tout contre l’embellissement de ces simples événements par l’emploi récurrent de l’hyperbole.

  • 12 Ibid., p. 69.

À quelque temps de là, des officiers masqués et fort bien vêtus vinrent mettre le couvert et l’on servit ensuite le souper. Tout en fut magnifique ; la musique et les cassolettes n’y furent pas oubliées, et notre dom Carlos, outre les sens de l’odorat et de l’ouïe, contenta aussi celui du goût, plus que je n’aurais pensé en l’état où il était, je veux dire qu’il soupa fort bien ; mais que ne peut un grand courage ? J’oubliais à vous dire que je crois qu’il se lava la bouche, car j’ai su qu’il avait grand soin de ses dents12.

  • 13 Ibid., p. 68-69.

  • 14 Le modèle historique du roman baroque suppose une sél...

  • 15 D’après Camille Esmein (L’Essor du roman. Discours th...

12L’énumération des topoï du festin trahit l’ironie du narrateur qui dégonfle l’emphase de la première description, en intervenant directement dans la fiction, pour résumer la chose à ce qu’elle est réellement : un simple souper. Scarron nomme les modèles des descriptions romanesques : « comme le vaisseau de Zelmandre [sic] dans le Polexandre, le palais d’Ibrahim dans l’Illustre Bassa, ou la chambre où le roi d’Assyrie reçut Mandane, dans le Cyrus13 ». Il prend le contrepied de ce vraisemblable conventionnel, bâti sur une épuration de la réalité14, en le parodiant, puis rompt définitivement l’atmosphère raffinée de l’histoire grâce à une indication précise sur l’hygiène du héros, élément bas et contraire à la vraisemblance narrative de l’époque15. Or la distance critique prise par l’antiroman de Scarron ne se limite pas à la parodie des usages contemporains : elle s’exerce également, au sein même du récit, pour en saper les fondements vraisemblables et se jouer des attentes du lecteur. C’est ce qu’explique Fausta Garavini en mettant en regard les projets de Sorel et Scarron :

  • 16 Fausta Garavini, « La Maison des Jeux ». Science du r...

Le projet de Sorel et de Scarron (compte tenu des différences implicites entre l’un et l’autre) n’est pas seulement et pas essentiellement la critique des hyperboles et des fariboles du roman contemporain – héros et chevaliers d’une vertu inégalée, dames suprêmement belles et inaccessibles, amours tourmentés, entreprises extraordinaires –, par la réduction du récit à un plan humainement plus acceptable, mais plutôt, comme nous l’avons dit, la mise en question de cette praxis narrative qui se cache au moment même où elle s’exerce16.

  • 17 P. Scarron, Le Roman comique, op. cit., I, iv, p. 45 ...

  • 18 Ibid, I, ix, p. 70.

13Scarron exprime de manière répétée son peu d’intérêt pour les preuves de la vraisemblance de son récit : « […] le souper vint, bon ou mauvais », « On soupa ; il ne s’y passa rien de remarquable ; on y but beaucoup, et on n’y mangea pas moins », « Je ne vous dirai point les particularités du repas ; vous saurez seulement qu’on s’y réjouit beaucoup et qu’on y mangea de grande force17 ». Par cette insistance sur la superfluité de telles facilités narratives, l’auteur brouille les habitudes du lecteur et refonde le pacte sous la forme d’un jeu qui exige sa connivence : « Ne disons point, si vous voulez, ce qu’il fit jusqu’au dîner, qui valut bien le souper, et allons jusqu’à la rupture du silence que l’on avait gardé jusques à l’heure18. » Car c’est bien cette ambition ludique qui, quel que soit le degré de sa réalisation, le rapproche des histoires comiques : elle lui permet d’allier le rire à la vraisemblance. La mise en scène des petits faits corporels de la vie humaine est un des fondements de la structure narrative du Roman comique ; elle manifeste également la conscience critique de son auteur.

  • 19 Ibid., II, viii, p. 234. Le roman atteste là d’un fai...

  • 20 Charles Sorel, La Bibliothèque françoise, Paris, Comp...

14Le roman adopte également une dynamique théâtrale mue par un simple principe de plaisir. Le fil du récit accumule les aventures corporelles d’inspiration farcesque, toutefois épurées des bourles sexuelles. Il témoigne ainsi de la survie du genre farcesque dans les cercles restreints, ces « compagnies particulières où l’on rit de bon cœur des équivoques basses et sales qu’on y débite, desquelles on se scandaliserait dans les premières loges de l’hôtel de Bourgogne19 », comme chez le baron de Sigognac au chapitre III de la seconde partie. La simple série des mésaventures de Ragotin suffit à montrer que Scarron conçoit son roman comme un assemblage de saynètes bouffonnes : la scène du chapeau (I, ix), la chute dans l’escalier (I, xvii), son accident équestre (I, xix‑xx), sa bascule dans un coffre et son faux pas dans un pot de chambre (II, vii‑viii), la longue « disgrâce » de son corps nu et martyrisé (II, xvi), sa lutte avec un spectateur (II, xvii), et enfin sa joute avec un bélier (II, xx), ultime note farcesque. Le net comique de gestes qui caractérise chacune des apparitions du petit personnage est renforcé par quantité d’autres scènes tout aussi théâtrales où l’on constate la prédilection de l’auteur pour les moments d’ivresse, les mêlées et la chute des corps. Le style même de Scarron privilégie une perception très visuelle de la scène et tend à maintenir un fort dynamisme comme si la narration calquait la succession de burlas dont est victime le personnage ridicule dans ses comédies burlesques imitées des comedias de figurón espagnoles. Dans sa Bibliothèque françoise, Sorel déplore justement le manque de liant du roman de Scarron : « Neantmoins toutes les Pieces qui composent ce Roman estant fort diverses, on a peine à juger de son ordre, & de sa juste liaison20 ». Il faut le chercher dans la présence de ce personnage ridicule, Ragotin, dont on exploite les potentialités farcesques. Il dynamise le récit par sa maladresse et réunit la compagnie dans l’hilarité :

  • 21 P. Scarron, Le Roman comique, op. cit., I, x, p. 79.

Aussitôt que l’on eût donné de l’air à son visage, toute la compagnie s’éclata de rire de le voir aussi bouffi que s’il eût été prêt à crever pour la quantité d’esprits qui lui étaient montés au visage et, de plus, de ce qu’il avait le nez écorché21.

15Les railleurs sont, à l’instar de leur cible, menacés d’enflure, d’explosion et de dispersion sous l’effet du rire.

16On le voit aisément, la vraisemblance d’un univers exhaustif et cohérent, simulacre de la réalité, entre en contradiction avec l’ambition risible du roman. Le rire suppose bien au contraire la recherche de l’outrance, de l’imprévu et de l’anormal, comme le souligne Jean Émelina :

  • 22 Jean Emelina, Le Comique. Essai d’interprétation géné...

De même que le degré de littérarité ou de « poéticité » d’un texte peut être fonction de l’importance des transformations opérées par l’écriture sur le matériau linguistique ; de même le degré de « comicité » d’une scène vécue ou représentée peut être fonction de l’importance des anomalies offertes au regard du destinataire. Le désordre du Roman comique de Scarron ou du Mariage de Figaro – « folle journée » – n’est pas le désordre de Combray, lorsque la tante du narrateur apprend qu’on a aperçu dans le village une personne inconnue, ni celui d’une comédie de Marivaux ou de Giraudoux22.

  • 23 Les histoires comiques privilégient l’aléatoire, le h...

  • 24 « […] et je ne voudrais pas jurer que quelques-uns de...

17La construction narrative du roman résulte donc de la tension entre la nécessité d’un ordonnancement qui en assure la vraisemblance et l’intrusion d’une forme de désordre susceptible de provoquer l’hilarité du lecteur23. Les récits sont plus généralement interrompus par un élément extérieur, tel le bruit d’arquebuses et d’orgues qui met un terme au rapport romanesque de la vie du Destin chez Scarron et débouche lui-même sur une autre perturbation, une procession nocturne traversée par une horde de chiens errants à la poursuite d’une chienne en chasse24.

  • 25 Ibid., II, vii, p. 230.

18L’irruption du chaos peut aussi prendre l’apparence mythologique de la Discorde qui s’invite dans le récit, comme l’annonce Scarron : « Mais la Discorde, aux crins de couleuvres, n’avait pas encore fait en cette maison-là tout ce qu’elle avait envie d’y faire25. » De fait, dès le troisième chapitre de son œuvre, il interrompt la Marianne que donnent ses personnages et se livre avec complaisance à la description du chaos qui gagne la scène :

  • 26 P. Scarron, Le Roman comique, op. cit., I, iii, p. 42...

[…] et peut-être que la chose en fût demeurée là, si son valet, qui avait plus de colère que lui, ne se fût jeté sur l’agresseur en lui donnant dans le beau milieu du visage un coup de poing avec toutes ses circonstances, et ensuite une grande quantité d’autres où ils purent aller. La Rappinière le prit en queue et se mit à travailler sur lui en coups de poing, comme un homme qui a été offensé le premier ; un parent de son adversaire prit la Rappinière de la même façon ; ce parent fut investi par un ami de la Rappinière pour faire diversion ; celui-ci le fut d’un autre, et celui-là d’un autre ; enfin tout le monde prit parti dans la chambre. L’un jurait, l’autre injuriait, tous s’entrebattaient. La tripotière, qui voyait rompre ses meubles, emplissait l’air de cris pitoyables. Vraisemblablement ils devaient tous périr par coups d’escabeaux, de pieds et de poings, si quelques-uns des magistrats de la ville, qui se promenaient sous les halles avec le sénéchal du Maine, ne fussent accourus à la rumeur. Quelques-uns furent d’avis de jeter deux ou trois seaux d’eau sur les combattants, et le remède eût peut-être réussi ; mais ils se séparèrent de lassitude, outre que deux pères Capucins, qui se jetèrent par charité dans le champ de bataille, mirent entre les combattants, non une paix bien affermie, mais firent au moins accorder quelques trêves, pendant lesquelles on put négocier, sans préjudice des informations qui se firent de part et d’autre. Le comédien Destin fit des prouesses à coups de poing dont l’on parle encore dans la ville du Mans, suivant ce qu’en ont raconté les deux jouvenceaux, auteurs de la querelle, avec lesquels il eut particulièrement affaire, et qu’il pensa rouer de coups, outre la quantité d’autres du parti contraire qu’il mit hors du combat du premier coup. Il perdit son emplâtre durant la mêlée, et l’on remarqua qu’il avait le visage aussi beau que la taille riche. Les museaux sanglants furent lavés d’eau fraîche, les collets déchirés furent changés, on appliqua quelques cataplasmes, et même l’on fit quelques points d’aiguille, et les meubles furent aussi remis en leur place, non pas du tout si entiers qu’alors qu’on les désarrangea26.

19Cette scène éminemment théâtrale déroule les étapes du conflit, du juron à la surenchère des coups distribués. Aux premiers combattants, La Rappinière et ses détracteurs, viennent s’ajouter des adjuvants ; à ceux-ci, les hurlements de la tenancière du tripot, jusqu’à l’intervention de certains assistants qui, munis de seaux d’eau, cherchent à éteindre la bagarre. L’intérêt de ce passage réside moins dans la description de ces effets physiques, pauvre en variations lexicales, que dans le mouvement du texte qui rend sensible la généralisation du désordre. La dernière phrase rétablit l’ordre perdu avec un rythme enjoué, preuve, avec la comparaison animale des visages à des « muzeaux », du ton moqueur de l’auteur.

20La lecture d’une autre scène de bataille, au chapitre XII de la même partie, révèle ces procédés : Scarron accroit l’effet de surprise par une nouvelle rupture de ton. C’est le récit sentimental et pathétique de l’Étoile qui est interrompu par un grand bruit. La mêlée qui suit confirme l’esthétique théâtrale de l’auteur :

  • 27 P. Scarron, Le Roman comique, op. cit., I, xii, p. 89...

Il [le Destin] entra dans la chambre d’où venait la rumeur, où il ne vit goutte et où les coups de poing, les soufflets et plusieurs voix confuses d’hommes et de femmes qui s’entre-battaient, mêlées au bruit sourd de plusieurs pieds nus qui trépignaient dans la chambre, faisaient une rumeur épouvantable. Il s’alla mêler parmi les combattants imprudemment et reçut d’abord un coup de poing d’un côté et un soufflet de l’autre. Cela lui changea la bonne intention qu’il avait de séparer ces lutins en un violent désir de se venger ; il se mit à jouer des mains et fit un moulinet de ses deux bras, qui maltraitât plus d’une mâchoire, comme il parut depuis à ses mains sanglantes. La mêlée dura encore assez longtemps pour lui faire recevoir une vingtaine de coups et en donner deux fois autant. Au plus fort du combat, il se sentit mordre au gras de la jambe ; il y porta ses mains et, rencontrant quelque chose de pelu, il crut être mordu d’un chien ; mais la Caverne et sa fille, qui parurent à la porte de la chambre avec de la lumière, comme le feu Saint‑Elme après une tempête, virent Destin et lui firent voir qu’il était au milieu de sept personnes en chemise, qui se défaisaient l’une l’autre très cruellement et qui se décramponnèrent d’elles-mêmes aussitôt que la lumière parut. L’hôte qui était un de ces sept Pénitents blancs, se reprit avec le Poète ; l’Olive, qui en était aussi, fut attaqué par le valet de l’hôte, autre Pénitent. Le Destin les voulut séparer, mais l’hôtesse, qui était la bête qui l’avait mordu et qu’il avait prise pour un chien, à cause qu’elle avait la tête nue et les cheveux courts, lui sauta aux yeux, assistée de deux servantes aussi nues et aussi décoiffées qu’elle. Les cris recommencèrent ; les soufflets et les coups de poings sonnèrent de plus belle et la mêlée s’échauffa encore plus qu’elle n’avait fait27.

  • 28 La « naïveté » est théorisée par Charles Sorel, dès l...

  • 29 Il faut souligner la portée subversive de la rixe dan...

21L’entrecroisement des points de vue, la multiplication des notifications sensorielles, la focalisation de l’attention descriptive sur les membres donneurs de coups, et le rythme enlevé de la phrase sont les clés de l’esthétique « naïve28 », telle que l’infléchit Scarron dans une perspective éminemment visuelle. Le mouvement des corps vient insuffler au texte comique son dynamisme. Les personnages, hors d’eux-mêmes, sont animalisés et les femmes échevelées rappellent les furieuses bacchantes. L’automatisme des actions écarte le risque du pathétique et de l’horreur qui pourraient donner un tour tragique à la scène. Cette fois encore, l’ordre est réinstauré grâce à l’intervention de La Rappinière qui demande le calme au nom du roi29.

22Parce qu’il privilégie le divertissement, les pratiques parodiques et la représentation de ce qui échappe d’ordinaire au champ littéraire, Scarron participe à cette synthèse esthétique que nous avons qualifiée plus haut de « naïveté ». Il s’agit d’une véritable prise de parti : à la suite du mouvement baroque, il s’engage à représenter la fluctuation, le mouvement, l’inconstance de l’homme. La flexibilité de son texte, comme de l’ensemble des histoires comiques, renvoie ainsi à l’extrême variabilité du réel, à la diversité inhérente à la nature, à l’instabilité de la fortune et de l’humeur humaines.

23L’auteur convie son lecteur au spectacle burlesque de la profusion corporelle, à l’exemple de quelques tableaux de festins. La prodigalité se traduit par la variété du nombre, de la nature et de la cuisson des mets :

  • 30 P. Scarron, Le Roman comique, op. cit., II, xvi, p. 2...

La joie en fut grande dans la petite troupe et le capitaine pria à souper les comédiens et Ragotin qui avait déjà fait tuer des poulets pour en faire une fricassée. On se mit à table. Les Bohémiens avaient des perdrix et des lièvres qu’ils avaient pris à la chasse et deux poulets d’Inde et autant de cochons de lait qu’ils avaient volés. Ils avaient aussi un jambon et des langues de bœuf et on y entama un pâté de lièvre dont la croûte même fut mangée par quatre ou cinq Bohémillons qui servirent à table. Ajoutez à cela la fricassée de six poulets de Ragotin et vous avouerez que l’on n’y fit pas mauvaise chère30.

24Scarron joue avec le plaisir gustatif provoqué par l’énumération des mets partagés avec les bohémiens. Les descriptions des repas, gonflées d’une profusion de détails, font appel aux sens du lecteur. Hyperboles, énumérations et accumulation de pluriels convient à faire l’expérience de l’excès gastronomique comme lors du souper donné par La Bouvillon dans la deuxième partie de son roman :

  • 31 Ibid., II, viii, p. 235.

Madame Bouvillon en fit de même à l’envi de la Garouffière, avec si peu de discrétion que tous les plats de la table se trouvèrent vides en un moment et l’assiette du Destin si pleine d’ailes et de cuisses de poulets que je me suis souvent étonné depuis comment on avait pu faire par hasard une si haute pyramide de viande sur si peu de base qu’est le cul d’une assiette. […] et ne trouvant plus de poulets à couper, [Madame Bouvillon] fut réduite à lui servir des tranches de gigot de mouton. Il ne savait où les mettre et en tenait une en chacune de ses mains pour leur trouver place quelque part, quand le gentilhomme, qui ne s’en voulut pas taire au préjudice de son appétit, demanda au Destin, en souriant, s’il mangerait bien tout ce qui était sur son assiette31.

25Ce festin, rendu ridicule par l’absence de toute mesure et les effets visuels d’empilement des aliments, est présidé par la figure imposante de La Bouvillon qui se livre à une véritable pulsion alimentaire, miroir de son appétit sexuel. Scarron fait de cette bourgeoise provinciale, silhouette secondaire du roman, une personnification de la disproportion.

Le corps du personnage, une physionomie ridicule.

26Comment chacun des personnages incarne-t-il les principes esthétiques contradictoires que nous avons mis au jour dans la structure du roman ? Scarron le caractérise d’abord de manière négative en parodiant sa mise en scène dans les romans contemporains. Ainsi, il joue avec la beauté topique de l’héroïne dans son adaptation des Alivios de Cassandra ; voici ce qu’aperçoit le regard amoureux du protagoniste, Dom Carlos, lorsqu’elle se démasque :

  • 32 Ibid., I, ix, p. 71.

[…] les cieux ouverts ou, si vous voulez, le ciel en petit, la plus belle tête du monde, soutenue par un corps de la plus riche taille qu’il eût jamais admirée ; enfin, tout cela joint ensemble, une personne toute divine. À la fraîcheur de son visage on ne lui eût pas donné plus de seize ans ; mais à je ne sais quel air galant et majestueux tout ensemble, que les jeunes personnes n’ont pas encore, on connaissait qu’elle pouvait être en sa vingtième année32.

27L’excès mélioratif de ces quelques lignes traduit l’ironie de l’auteur comique devant la tradition romanesque, mais aussi devant la naïveté du regard érotique. L’héroïne est idéalisée par le style galant, expression convenue d’un élan émotionnel. Le pathos romanesque est aussi parodié par Scarron lorsqu’il décrit l’émotion soulevée par un récit de l’Étoile :

  • 33 Ibid., I, xii, p. 88.

Ces dernières paroles l’affligèrent encore davantage ; le Destin n’eût pas l’esprit assez fort pour ne s’affliger pas aussi ; et la Caverne et sa fille, très pitoyables de leur naturel, s’affligèrent par complaisance ou par contagion et je crois même qu’elles en pleurèrent. Je ne sais si le Destin pleura, mais je sais bien que les comédiennes et lui furent assez longtemps à ne se rien dire, et cependant pleura qui voulut33.

  • 34 Ibid., I, xxiii, p. 188 et 189.

  • 35 Ibid., I, xxii, p. 171.

28Lors de l’enlèvement d’Angélique, la Caverne arrive « échevelée, le visage meurtri et sanglant », puis elle fond en larmes : « la première chose qu’elle fit, ce fut de pleurer comme si elle n’eût fait que commencer et de lui prendre les mains, qu’elle lui mouilla de ses larmes, pleurant et sanglotant de la plus pitoyable façon du monde34. » Les répétitions lexicales de l’auteur témoignent de son ironie. Il peut également la glisser dans un excès de vraisemblance : « ses soupirs la pensèrent suffoquer et elle pleura jusqu’à s’en faire mal à la tête35. » Scarron investit ainsi l’expression de l’émotion d’une dimension critique, ce qui met en péril sa vraisemblance. Cependant, la parodie n’est pas le seul mode d’apparition du personnage comique.

  • 36 Ibid., I, iv, p. 46.

  • 37 Bernard Tocanne, L’Idée de nature en France dans la s...

29En effet, Scarron s’emploie à faire ressentir au lecteur de vives impressions sensorielles en adoptant par endroits le point de vue interne. Ainsi décrit-il la chute de La Rancune sur les cornes d’une chèvre : « il se sentit enfoncer dans l’estomac quelque chose de pointu36 ». Cependant, une telle description est rare. Scarron présente surtout une galerie de personnages médiocres qu’il caractérise par un trait physique dominant ou par une tenue significative : nous renvoyons ici à l’entrée des comédiens dans la ville du Mans, citée plus haut. Ce nivellement des personnages, à l’exception de quelques figures saillantes comme celles du Destin, de la Rancune ou encore de Ragotin, est lié à l’ambition satirique du roman. L’œuvre présente quelques modèles comportementaux qui annoncent la classification des natures humaines chez les moralistes classiques : « Le personnage se constitue ainsi par une sorte de spécification dans laquelle on lui attribue des traits déterminés a priori, et la diversité de la nature se ramène à un ensemble de stéréotypes universels, selon la typologie établie par Aristote et Horace37 », écrit Bernard Tocanne. L’intrusion du regard moral dans les œuvres comiques invite bien à en considérer les personnages comme des types que le lecteur peut rapporter à une maxime. Le premier degré de cette exemplarité du personnage peut être illustré par la figure de Madame Bouvillon dans la seconde partie du Roman comique :

  • 38 P. Scarron, Le Roman comique, op. cit., II, viii, p. ...

[…] outre que Madame Bouvillon (c’est ainsi que s’appelait la mère du marié) était une des plus grosses femmes de France, quoique des plus courtes ; et l’on m’a assuré qu’elle portait d’ordinaire sur elle, bon an mal an, trente quintaux de chair sans les autres matières pesantes ou solides qui entrent dans la composition d’un corps humain. Après ce que je viens de vous dire, vous n’aurez pas peine à croire qu’elle était très succulente, comme sont toutes les femmes ragotes38.

30Personnage accessoire, en marge de la compagnie des comédiens, cette femme ne présente pas grand intérêt, hormis par la pulsion corporelle qu’elle incarne lors du repas auquel est invité le Destin. Tout concourt à la caricature : la disproportion de ses mensurations, évoquées sur le mode superlatif et le jeu onomastique « bouvillon », qui renforce l’assimilation de cette silhouette massive et rougeaude à une bête. Cependant, si le divertissement se nourrit de la moquerie d’un physique disgracieux, le narrateur reste en deçà du jugement moral et souligne au contraire la sympathie qu’il inspire. Cette figure féminine concentre les enjeux d’une écriture tendue entre deux pôles, la nécessité d’une représentation « naïve » de la réalité et sa caricature inhérente à la recherche du rire.

31Ainsi, la peinture de la difformité compte parmi les principes esthétiques qui gouvernent l’histoire comique de Scarron. Elle engage une conception circulaire du divertissement où le lecteur, en proie au rire, éprouve dans sa chair la bouffonnerie des scènes qu’il découvre. Mieux, le romancier en tire un parti dynamique : le mouvement des corps, souvent outré et désordonné, se substitue aux outils ordinaires de la vraisemblance pour rythmer le récit, en libérer la structure et lui donner vie.

Notes

1 Théophile Gautier, Les Grotesques, Paris, Michel Lévy frères, 1853, p. 338.

2 Ibid., p. 339. Pieter Van Laer (Haarlem, 1599 –Haarlem, 1642), dit Il Bamboccio ou Bamboche, était un peintre et graveur néerlandais célèbre pour les scènes de vie populaires, les « bambochades », qu’il avait réalisées à Rome entre 1626 et 1638.

3 Paul Scarron, La Relation Veritable, De tout ce qui s’est passé en l’autre Monde, Au combat des Parques et des Poëtes, Sur la mort de Voitture [Paris, Toussainct Quinet, 1648], Valencia, éditions 1 :1 (poésie) –Anciens modernes, 2003, « Au lecteur », p. 5 et 7.

4 P. Scarron, Typhon ou la Gigantomachie, Paris, Toussaint Quinet, 1648, p. 46.

5 P. Scarron, Le Roman comique, éd. Jean Serroy, Paris, Gallimard, Folio Classique, 1985, I, i, p. 37–38.

6 Ibid., I, xvi, p. 143.

7 Ibid., I, xix, p. 161.

8 Ibid., II, viii, p. 236.

9 Ibid., I, xii, p. 86.

10 « S’il est vrai, comme il le reconnaît lui-même, que le Roman doit ressembler à un corps parfait, et être composé de plusieurs parties différentes et proportionnées sous un seul chef ; il s’ensuit que l’action principale, qui est comme le chef du roman, doit être unique et illustre en comparaison des autres ; et que les actions subordonnées, qui sont comme les membres, doivent se rapporter à ce chef, lui céder en beauté et en dignité, l’orner, le soutenir et l’accompagner avec dépendance ; autrement ce sera un corps à plusieurs têtes, monstrueux et difforme. », Pierre-Daniel Huet, Traité de l’origine des romans, Poétiques du roman, Scudéry, Huet, Du Plaisir et autres textes théoriques et critiques du XVIIe siècle sur le genre romanesque, éd. Camille Esmein, Paris, Champion, 2004, p. 481‑482. À ce sujet, on pourra consulter l’article de Max Vernet, « Faire corps : la métaphore de l’unité dans les réflexions sur le roman », Le Corps romanesque. Images et usages topiques sous l’Ancien Régime, Actes du XXe colloque de la SATOR (2006), sous la dir. de M. Mosey-Verrey, L. Desjardins, Ch. Turbide, Québec, Presses de l’université de Laval, 2009, p. 575‑588.

11 P. Scarron, Le Roman comique, op. cit., I, ix, p. 64.

12 Ibid., p. 69.

13 Ibid., p. 68-69.

14 Le modèle historique du roman baroque suppose une sélection des éléments réels rapportés et leur adoucissement pour former une fiction exemplaire ; il est illustré par l’ouverture de l’Histoire celtique, où sous les noms d’Amindorix et de Célanire sont comprises les principales actions de nos Rois, et les diverses fortunes de la Gaule et de la France : « Avec cela l’Auteur s’est donné la peine d’observer ce que les autres semblent avoir dédaigné : […] que s’il a trouvé trop rudes en quelques endroits leurs anciennes façons de vivre, il n’a pas manqué de les adoucir par la grâce de la nouveauté, afin que par ce moyen il les pût rendre plus agréables en notre siècle, où la politesse et la civilité sont plus en vogue qu’elles ne furent jamais. », [1634], Poétiques du roman, op. cit., p. 96.

15 D’après Camille Esmein (L’Essor du roman. Discours théorique et constitution d’un genre littéraire au XVIIe siècle, Paris, Champion, 2008), celle-ci recouvre à la fois le « vraisemblable structurel » – l’enchaînement logique des événements – et le « vraisemblable axiologique », soit la conformité des choses avec ce qu’elles doivent être. Cette dernière est progressivement remplacée dans la seconde moitié du siècle par le « vraisemblable doxal », c’est‑à‑dire une conception idéale du vrai en fonction des valeurs sociales et de l’opinion générale. Ainsi, dans le roman héroïque, le réel est représenté tel qu’il doit être, et l’on cherche à produire des vérités universelles : le rapport à la vérité est biaisé par une confusion entre la vraisemblance et la bienséance.

16 Fausta Garavini, « La Maison des Jeux ». Science du roman et roman de la science au XVIIe siècle, op. cit., p. 230.

17 P. Scarron, Le Roman comique, op. cit., I, iv, p. 45 ; I, xv, p. 115-116, et II, xviii, p. 309. On pourrait ajouter cet exemple tiré d’un récit secondaire se déroulant pendant les réjouissances masquées de Naples : « On servit quelque temps après pour souper ou pour dîner, car je ne me souviens plus lequel ce doit être. », I, ix, p. 73.

18 Ibid, I, ix, p. 70.

19 Ibid., II, viii, p. 234. Le roman atteste là d’un fait historique relevé par Charles Mazouer : « Cependant, la farce proprement dite a survécu longtemps, quoique officiellement reléguée, toujours méprisée, et évidemment sans laisser de traces écrites. Dans les théâtres, dans les représentations privées ou de château, à la cour même, sur la place publique ou dans les foires où bateleurs et marionnettistes maintiennent la tradition. », « La farce au xviisiècle : un genre populaire », Le Théâtre au xviie siècle : pratiques du mineur, Littératures classiques, n°51, Paris, Honoré Champion, 2004, p. 168.

20 Charles Sorel, La Bibliothèque françoise, Paris, Compagnie des Libraires du Palais, 1664, p. 199.

21 P. Scarron, Le Roman comique, op. cit., I, x, p. 79.

22 Jean Emelina, Le Comique. Essai d’interprétation générale, Paris, Sedes, 1996, p. 48.

23 Les histoires comiques privilégient l’aléatoire, le hasardeux, à l’instar du modèle fourni par le recueil de François du Souhait, Histoires comiques ou entretiens facétieux, selon Daniel Celce-Murcia : « La représentation du monde dans le roman comique est celle d’un chaos. Or cette représentation est en opposition directe avec la vision harmonieuse du monde offerte par sa forme rivale, le roman idéaliste. », Introduction à son édition critique des Histoires comiques, Paris, La Pensée universelle, 1978, p. 13.

24 « […] et je ne voudrais pas jurer que quelques-uns de ces maudits chiens ne levassent la jambe et ne pissassent contre les orgues renversées, ces animaux étant fort diurétiques de leur nature, principalement quand quelque chienne de leur connaissance a envie de procéder à la multiplication de leur espèce. » P. Scarron, Le Roman comique, op. cit., I, xv, p. 139.

25 Ibid., II, vii, p. 230.

26 P. Scarron, Le Roman comique, op. cit., I, iii, p. 42-43.

27 P. Scarron, Le Roman comique, op. cit., I, xii, p. 89-90.

28 La « naïveté » est théorisée par Charles Sorel, dès l’écriture de l’Histoire comique de Francion (1623) pour définir l’esthétique des histoires comiques. Il s’agit de représenter la vérité dans son exhaustivité, sans tri préalable. La naïveté est « sans dissimulation », contrairement au livre sérieux où le respect du lecteur conduit au mensonge. Si Sorel insiste sur la nécessité d’une représentation « naïve » des humeurs et des personnages de tout rang, c’est en pariant que l’agrément des choses basses dépasse parfois celui des choses élevées.

29 Il faut souligner la portée subversive de la rixe dans ces lieux marginaux que sont les hôtelleries et les tavernes. Scarron s’amuse à mettre en scène, dans la deuxième partie du roman, une querelle ridicule entre un curé et un sergent, deux représentants de l’autorité identifiés par leurs habits : « Deux hommes, l’un vêtu de noir, comme un magister de village et l’autre de gris, qui avait bien la mine d’un sergent, se tenaient aux cheveux et à la barbe et s’entre-donnaient de temps en temps des coups de poing d’une très cruelle manière. », ibid., II, vi, p. 219. Le caractère séditieux de la population qui peuple ces lieux de débauche est amplifié par le vin qu’on y consomme. Rappelons que la seconde raison des interdictions théologiques de la liqueur bachique est la violence qu’elle engendre. Les rixes de l’esprit échauffé par l’alcool perturbent l’ordre social : dès 1596, l’ivrognerie est citée par Barthélémy de Laffemas, conseiller d’Henri IV, parmi les Sources de plusieurs abus et monopoles qui se sont glissés et coulés sur le peuple de France depuis trente ans environ. Le roman de Scarron est loin d’en être le seul exemple : une soirée d’auberge des Diversités galantes (Jean Donneau de Visé, Paris, Jean Ribou, 1664) s’achève sur la dispute de l’hôtesse avec ses clients, le vacarme de valets querelleurs et le bruit des joueurs qui règlent leurs différends à l’épée. La taverne constitue bien l’envers du somptueux palais des romans héroïques. Pays de disette, elle appartient à l’univers picaresque du monde vu par le « bas ».

30 P. Scarron, Le Roman comique, op. cit., II, xvi, p. 294.

31 Ibid., II, viii, p. 235.

32 Ibid., I, ix, p. 71.

33 Ibid., I, xii, p. 88.

34 Ibid., I, xxiii, p. 188 et 189.

35 Ibid., I, xxii, p. 171.

36 Ibid., I, iv, p. 46.

37 Bernard Tocanne, L’Idée de nature en France dans la seconde moitié du XVIIe siècle, Paris, Klincksieck, 1978, p. 318.

38 P. Scarron, Le Roman comique, op. cit., II, viii, p. 234-5.

Pour citer cet article

Cécile Toublet, «Le corps grotesque du Roman comique», Op. cit., revue des littératures et des arts [En ligne], « Agrégation 2019 », n° 19, automne 2018 , mis à jour le : 11/12/2018, URL : https://revues.univ-pau.fr:443/opcit/index.php?id=438.

Quelques mots à propos de :  Cécile Toublet

Cécile Toublet, professeure agrégée de Lettres Modernes, a soutenu en 2015, à l’université Paris IV-Sorbonne, une thèse de doctorat sur « Le corps dans les histoires comiques au xviie siècle ». Auteure de plusieurs articles sur les histoires comiques, elle a également édité Polyandre. Histoire comique de Charles Sorel, avec P. Dandrey, chez Klincksieck, en 2010.

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