XVIe siècle
Agrégation 2020
N° 20, automne 2019
L’économie tragique selon Garnier : fonction des arguments dans Hippolyte et La Troade
Plan de l'article
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1 J. de La Taille, Tragédies, éd. E. Forsyth, Paris, Soci...
Or c’est le principal point d’une Tragedie de la sçavoir bien disposer, bien bastir, et la deduire de sorte qu’elle change, transforme, manie, et tourne l’esprit des escoutans deçà delà, et faire qu’ils voyent maintenant une joye tournee tout soudain en tristesse, et maintenant au rebours, à l’exemple des choses humaines. Qu’elle soit bien entre-lassee, meslee, entrecouppee, reprise, et sur tout à la fin rapportee à quelque resolution et but de ce qu’on avoit entrepris d’y traicter. Qu’il n’y ait rien d’oisif, d’inutile, ny rien qui soit mal à propos.
(Jean de La Taille, De l’art de la tragédie, 15721.)
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2 « Oeconomia quoque in iis diligentior quam in plerisque...
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3 « Hermagoras iudicium, partitionem, ordinem quaeque sun...
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4 Voir Francis Goyet, Le Sublime du « lieu commun ». L’in...
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5 Voir Aelii Donati [...] commentum, Hyperdonat – Collect...
1La notion d’« économie » est grecque à l’origine : elle désigne la conduite des affaires, celles d’une famille, d’une « maison », comme l’indique encore en 1680 le dictionnaire de Richelet. Le terme est passé dans le lexique technique du théâtre par deux truchements essentiels, Quintilien, puis Donat. Au livre I de son Institution oratoire, Quintilien use en effet du terme oeconomia pour opposer l’habile disposition des pièces des anciens poètes latins à celle des modernes de son temps qui ne s’intéressent qu’aux traits brillants : « La disposition de leurs pièces et ce que nous appellons l’économie, est aussi plus exacte que dans la plupart des Modernes, qui ont fait consister dans le brillant des pensées tout le mérite des ouvrages d’esprit2 ». Au livre III du même ouvrage, étudiant les parties de la rhétorique, il précise le sens du terme d’économie. Hermagoras, dit-il, fait dépendre « le Jugement (judicium), la Distribution (partitio), l’Ordre (ordo) et tout ce qui concerne la Diction (elocutio), de ce qu’il appelle l’œconomie (oeconomia). C’est un mot tiré du grec, qui signifie le soin des affaires domestiques. Il est employé icy abusivement, n’y ayant point de terme qui luy responde en nostre langue3 ». L’économie serait donc une dispositio au sens large, qui ne désigne pas seulement l’organisation des parties du discours mais aussi le « jugement », c’est-à-dire l’intention de l’auteur telle qu’elle s’exprime dans cette organisation. L’économie est à la fois agencement et conduite de l’ouvrage et l’usage du terme permet de rappeler la nécessité d’une unité d’ensemble4. De fait, dans ses commentaires aux comédies de Térence, très répandus en Europe à partir de la fin du xve siècle, Aelius Donat emploie oikonomia pour désigner tant la conduite générale de la pièce que des effets d’anticipation ou de préparation à l’œuvre dans telle ou telle scène5.
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6 Th. Sébillet, Art poétique français, dans Traités de po...
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7 Le dictionnaire de F. Gaffiot donne plusieurs exemples ...
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8 Robert Garnier, Hippolyte (1573), La Troade (1579), éd....
2Si Thomas Sébillet reprend le terme dans son Art poétique6, Jean de la Taille, en 1572, en préfère d’autres. Lorsqu’on compose une tragédie il faut, dit-il, la sçavoir « bien disposer, bien bastir et la deduire » de façon à faire passer l’esprit des spectateurs d’un sentiment à un autre. Le verbe deduire vient du latin deducere qui signifie emmener d’un lieu dans un autre et par suite, tisser, composer7. Il est ensuite précisé (voir citation en exergue) par une autre série de termes qui disent le travail de l’agencement (« Qu’elle soit bien entre-lassee, meslee, entrecouppe, reprise ») en tant qu’il dépend directement du but de l’auteur (« et sur tout à la fin rapportee à quelque resolution et but de ce qu’on avoit entrepris d’y traicter »). L’exigence de cohérence est manifeste et Jean-Dominique Beaudin reconnaît avec raison que les deux tragédies grecques de Garnier que sont Hippolyte et La Troade doivent beaucoup à Jean de La Taille8.
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9 Ibid., respectivement p. 61-72 pour Hippolyte et p. 377...
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10 Il est heureusement donné par J.-D. Beaudin dans Garni...
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11 Voir Les Psaumes en vers français avec leurs mélodies....
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12 Terentius in quem triplex edita [...], éd. Pierre Dave...
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13 Voir Ch. Deloince-Louette, « Entre rhétorique et drama...
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14 Sur cette question, voir les pages éclairantes de V. L...
3Où trouver trace de cette intention de l’auteur ? Les éditions des tragédies de Garnier proposent un paratexte en quatre temps : une épître dédicatoire, des poèmes d’hommage, un « argument » ou « sujet » de la tragédie et une liste des personnages9. Ce sont à l’évidence les arguments qui nous sont ici le plus utiles. Dans le cas d’Hippolyte, nous disposons même d’un « argument des actes », qui sera retranché de l’édition des tragédies de Garnier à partir de 158510. Il faut cependant justifier ce choix. La pratique de l’argument, qui permet de donner un aperçu de l’ouvrage, est une pratique érudite qui remonte à l’époque byzantine. Au xiie siècle de notre ère, Eustathe commentant l’Iliade et l’Odyssée, ouvre le commentaire de chaque chant par un hupothesis, c’est-à-dire la pensée fondamentale du chant, son sujet dont la formulation suit l’ordre de ce même chant. Le terme latin correspondant, argumentum, est couramment utilisé dans le même but par les éditeurs humanistes de textes antiques. Cette pratique se généralise au cours du xvie siècle et des textes en français comme les psaumes traduits par Clément Marot et Théodore de Bèze bénéficient chacun d’un bref argument qui en donne la teneur et en précise le type11. En ce qui concerne le théâtre, les tragédies comme les comédies antiques sont toujours éditées avec un argument et parfois même plusieurs – les comédies de Térence comportent trois types d’argument : de la pièce, des actes, et même des scènes. Selon Pierre Davantès (Antesignanus) qui a réuni tous les commentaires de Térence dans une édition magistrale en trois volumes (Triplex), les arguments indiquent la situation dramatique (occasio) et l’oeconomia pour donner une vue d’ensemble (summa rerum) de la comédie12. Composer des arguments est même un exercice qu’il faut faire pratiquer aux jeunes élèves comme en témoigne Mélanchthon lui-même à la fin de sa préface à l’Andrienne de Térence13. Cette pratique de l’argument, très importante au xvie siècle, sera abandonnée progressivement au xviie ou remplacée par des préfaces14.
4Nous sommes donc fondés, je crois, à considérer l’argument des pièces de théâtre, tragédies comme comédies, comme le lieu privilégié de l’économie de la pièce, là où se dit l’intention stratégique qui a présidé au choix de la matière ainsi que l’organisation d’ensemble qui en découle. Nous essaierons de voir ici ce que les arguments d’Hippolyte et de La Troade nous apprennent sur la conception que Garnier se fait de la tragédie, quelle trame ils dessinent pour elle, quelle orientation ils lui donnent.
Vue d’ensemble et distribution de la matière : les arguments d’Hippolyte
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15 J’utilise l’édition des Senecae Tragoediae, parue à Bâ...
5Une rapide comparaison des arguments de Garnier avec ceux des éditions contemporaines de ses sources antiques, Euripide et Sénèque, marque nettement la différence d’orientation. Attachons-nous d’abord à Hippolyte. L’argument de la pièce de Sénèque intitulée Hippolytus dans les éditions humanistes du xvie siècle, présente ainsi la pièce15 :
Hippolytus, Thesei et Antiopae filius, cum animo insedisset omni se uoluptatum lenocinio abdicare, uenationi tantum intentus, uitam ducebat coelibem, et a mulierum blanditiis alienam. Sed Phaedra nouerca eius priuigni forma, aetateque illecta, et amore uesano correpta, et mariti absentia animata, ac demum dolore deuicta, et aegritudine causata, uulnus iuueni detegit, et inuitat ad uenerem. At cum se sentit a priuigno acrius increpari, et cupitos amplexus pertinaciter denegari, infensa ilico et amoris oblita, Hippolytum insimulat Theseo ab inferis redeunti, ceu is eam liquido interpellarit. Igitur adolescens patris declinans furorem, inscenso curru, distrahitur atque discerpitur ab equis suis, a Phocis exterritis, quos immiserat Aegeus. Postremo Phaedra sui facinoris scenam detegens, super Hippolyti corpus, misere gladio se ipsam conficit.
16 Cette mention d’Égée vient du fait que Thésée, chez Sé...
Hippolyte, fils de Thésée et d’Antiope, comme il avait choisi en son cœur de refuser toute compromission avec les plaisirs, préoccupé seulement de chasse, vivait en célibataire une vie étrangère aux caresses des femmes. Mais Phèdre sa belle-mère, séduite par la beauté de son beau-fils et par son âge, corrompue par un amour insensé, encouragée par l’absence de son mari et enfin vaincue par la souffrance, découvre sa blessure au jeune homme, et l’invite à l’amour. Cependant lorsqu’elle s’aperçoit qu’elle est l’objet des violents reproches de son beau-fils, et qu’il refuse obstinément ses embrassements amoureux, soudain hostile et oublieuse de l’amour, elle accuse faussement Hippolyte auprès de Thésée revenu des enfers, comme s’il l’avait clairement sollicitée. Par conséquent le jeune homme, monté sur son char pour fuir la fureur de son père, est déchiré et mis en pièces par ses propres chevaux, terrifiés par des Phoques qu’avait envoyés Égée16. Enfin, Phèdre dévoilant la machination de son crime, se tue misérablement d’un coup d’épée sur le corps d’Hippolyte.
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17 J.-C. Scaliger, Poetices libri septem, I, 9, éd. Luc D...
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18 Contrairement aux éditions modernes du théâtre de Sénè...
6Cinq phrases résument ici la tragédie dans son organisation dramaturgique. Ces phrases sont liées par des connecteurs logiques qui soulignent à la fois la cohérence de l’ensemble et les étapes de l’organisation selon un modèle en trois (ou quatre) temps, qui provient de la théorie de la comédie, mais que Jules-César Scaliger dans sa Poétique de 1561 applique aussi à la tragédie : la protase, l’épitase et la catastrophe. Ici, il correspond aussi à une distribution en cinq actes17. À l’ouverture, le nom même du jeune homme dont le caractère est défini par rapport à son mode de vie (la chasse et non les plaisirs, sans doute de Vénus). Face à lui, Phèdre, en proie à un fol amour. C’est la protase, qui correspond à l’acte I dans les éditions du temps18. L’épitase commence avec la révélation de cet amour au jeune homme et la réaction de ce dernier (acte II), se poursuit avec la fausse accusation auprès de Thésée (acte III), qui a comme conséquence (Igitur) la mort du jeune homme (racontée par le messager à l’acte IV). La catastrophe – ou retournement de situation – correspond au revirement de Phèdre et à l’acte V et dernier.
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19 Le début : « Theseus filius quidem erat Aethrae et Nep...
7L’argument latin de l’Hippolyte couronné (Hippolytus coronatus) d’Euripide présente, sans surprise, des différences sensibles : il mentionne en effet le personnage de la nourrice, qui révèle l’amour de Phèdre à Hippolyte et entraîne le suicide de cette dernière. Mais à son cou, elle porte une tablette qui accuse Hippolyte. Chez Euripide, la mort de Phèdre précède donc celle d’Hippolyte, ce qui a pour conséquence de donner un plus grand rôle à Thésée – de fait, c’est son nom qui ouvre l’argument, et c’est son personnage qui le ferme puisque le père, après que Hippolyte a été réhabilité par Diane, instaure sur son ordre une fête solennelle en l’honneur de son fils19.
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20 « Thesee, fils d’Egee Roy des Atheniens, retourné de l...
8Si l’on examine maintenant le « Suget de ceste tragedie » qui constitue l’argument de l’Hippolyte de Garnier, on voit tout de suite apparaître le travail de recomposition fait à partir des deux modèles, le grec et le latin. Comme Sénèque, Garnier met l’accent sur la confrontation d’Hippolyte, le chasseur jeune et chaste, et de Phèdre souffrant de son amour, confrontation dont l’argument accroit la netteté en supprimant de même toute référence à la nourrice. L’épitase se fait en trois temps : Phèdre se découvre au jeune homme qui la refuse, elle se plaint alors à Thésée qui maudit son fils et cause la mort de l’innocent. De même la catastrophe dit le revirement de Phèdre qui « découvrit sa faulse accusation, et la cause d’icelle, à son mari, puis se tua sur le corps trespassé de son amy ». Mais, comme Euripide, Garnier accorde une place importante à Thésée, dont le nom ouvre l’argument, à sa descente aux Enfers, décrite comme une impiété, et par là même à son absence. La protase présente face à face, non pas Hippolyte et Phèdre, mais Thésée et Phèdre20. Et l’« argument des actes » souligne la présence de Thésée sur scène à la fin de la tragédie : « Thesee fait de grands regrets sur le corps mort d’Hippolyte, et finist la Catastrophe ». Autrement dit la catastrophe se construit non seulement sur le revirement de Phèdre, mais également sur celui de Thésée dont les « grands regrets » réhabilitent le fils innocent.
9La rédaction de l’argument témoigne aussi très nettement d’un travail serré de composition dramaturgique. L’enchaînement logique de la protase (statique) et de l’épitase (dynamique) est souligné par la consécutive, de même que les liens de cause à effet qui organisent l’épitase en trois étapes et la portent au « comble » :
Ce pendant Phedre devint esprise de l’amour d’Hippolyte son fillâtre, et la rage de ceste passion gaigna tant sur elle [protase], qu’il ne luy fut en fin possible d’y plus resister : de façon que […] elle se descouvrit à ce jeune seigneur, lequel […] la refusa severement, detestant un si abominable desir [épitase 1]. Dequoy elle extremement indignée […] se plaignit à son mary [épitase 2] […]. A quoy cest homme credule ayant facilement adjousté foy […] pria le Dieu Neptune […] de le faire mourir ce que Neptune soudainement executa [épitase 3].
(Hippolyte, p. 70-71)
10Après cette cascade d’enchaînements qui mime la succession des épisodes composant l’action dramatique, la catastrophe apparaît comme un apaisement, traduit dans le texte de l’argument par la disparition de l’hypotaxe au profit d’une simple parataxe qui énumère l’enchaînement de faits jusqu’au retour à l’ordre : « La nouvelle de sa mort estant apportee en la ville d’Athenes, Phedre […] decouvrit sa faulse accusation, et la cause d’icelle, à son mari, puis se tua sur le corps trespassé de son amy. »
11L’« Argument des actes » permet de confirmer que le « Suget de ceste tragédie » a pour vocation non de raconter la tragédie (d’en donner la matière) mais d’en indiquer l’économie, c’est-à-dire l’agencement ou combinaison de ses étapes qui rend compte de l’intention de l’auteur. La présentation de l’acte I d’Hippolyte insiste sur le personnage tragique qu’est Thésée : c’est lui qui est visé. L’acte II permet de passer de la protase (exposition de l’amour excessif de Phèdre) à l’épitase, grâce au conseil de la nourrice, cette fois mentionnée, de dévoiler cet amour à Hippolyte, nourrice qui apparaît comme un double inférieur de Phèdre, ce que confirme la présentation de l’acte III où la nourrice parle d’abord à Hippolyte avant que Phèdre ne prenne le relais ; et où Phèdre est dite appeler au secours les Citoyens quand, dans la pièce, c’est la nourrice qui fait la « faulse plainte ». L’acte IV correspond exactement à la plainte de Phèdre auprès de Thésée revenu des enfers et à la prière que Thésée adresse à Neptune. Seule, la mention de la mort de la Nourrice est ajoutée, là encore, comme une habile préfiguration de la mort de Phèdre au dernier acte. Nous avons déjà évoqué la catastrophe qui correspond exactement à l’acte V, calqué sur les dernières phrases du « Suget de ceste tragédie », mais qui précise, on l’a dit, les « grands regrets » que fait Thésée sur le corps de son fils.
12Par rapport à l’argument de Sénèque, on voit nettement les modifications apportées par Garnier à la distribution en actes : l’acte I s’enrichit du long monologue d’Égée qui assume la désignation de Thésée comme coupable. L’acte V s’étoffe, lui aussi, du récit du Messager, ce qui laisse plus d’étendue à l’épitase qui se développe sur trois actes. Mais la confrontation de l’argument d’Hippolytus avec les deux arguments d’Hippolyte montre la complémentarité de ces derniers, au service d’une relecture de la manière antique de l’histoire de Phèdre et d’Hippolyte autour du personnage de Thésée, le roi orgueilleux et imprudent. Le « Suget » de la tragédie, plutôt narratif, privilégie la cohérence de l’ensemble quand l’« Argument des actes » exhibe la distribution de la matière : stratégie d’une part, tactique de l’autre, ce qui correspond à la notion rhétorique d’économie, tout à la fois vision d’ensemble et mise en pratique de cette vision sur le terrain du poème.
L’argument de La Troade : une habile suture
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21 Senecae tragoediae, op. cit., non pag. Les arguments d...
13Qu’en est-il pour La Troade, où nous n’avons qu’un seul argument ? Le modèle ici, n’est pas double, mais triple puisque Garnier dit lui-même que « le sujet de [sa] Tragedie » est « prins en partie d’Hecube et Troade d’Euripide, et de la Troade de Seneque ». L’argument de la pièce de Sénèque intitulée Troas en présente la matière comme une succession d’événements pathétiques : après la ruine et la destruction de Troie et alors que les Grecs se préparent au départ (« Excisa deletaque Troia, Graecis in patriam redire parantibus »), apparaît l’ombre d’Achille qui réclame une victime de sang royal. Puis (« Mox ») Ulysse vient chercher Astyanax. Enfin (« demum »), un Messager raconte la mort de Polyxène et celle d’Astyanax21. Sénèque suit de près la trame des Troyennes d’Euripide, Troades en latin, dont voici l’argument :
22 Euripidis […] tragoediae, Troades, op. cit., non pag. ...
Post Ilium devastatum, visum est et Palladi et Neptuno Graecorum exercitum perdere : hoc quidem benevolente civitati, propterea quod author fuit constructionis : illa vero odio habente Graecos, propter Aiacis in Cassandram injuriam. Graeci vero interim sortiti sunt captivas mulierum. iis enim qui in imperio fuerunt, dederunt Agamemnoni quidem Cassandram, Andromachen vero Neoptolemo : sed Polyxenam Achilli. Hanc itaque ad sepulchrum eius mactarunt. Astyanactem vero de turri projecerunt. Helenam verum tanquam interfecturus Menelaus abduxit. Agamemnon autem Cassandra vatem in uxorem duxit. Hecuba vero Helenam quidem accusans, occisos autem et lamentans et deflens et parentans, ad Ulyssis ducta est tentoria, huic ut serviret addicta22.
Après la ruine d’Ilion, Pallas et Neptune ont jugé bon de perdre l’armée des Grecs : celui-ci par amour pour la cité de Troie, puisqu’il était responsable de sa construction ; celle-là par haine pour les Grecs, à cause de l’outrage commis par Ajax sur Cassandre. Cependant, les Grecs ont tiré au sort les captives : pour honorer les puissants, ils ont donné Cassandre à Agamemnon, Andromaque à Néoptolème, mais Polyxène à Achille. Ils l’ont donc sacrifiée sur son tombeau. Et ils ont projeté Astyanax du haut d’une tour. Ménélas a emmené Hélène comme pour la tuer. Agamemnon a épousé la prophétesse Cassandre. Et Hécube, accusant Hélène, déplorant, pleurant et célébrant ses morts, est conduite à la tente d’Ulysse pour le servir comme esclave.
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23 Le verbe parentare signifie célébrer les funérailles p...
14L’argument de la pièce d’Euripide, très narratif, mentionne quatre femmes, et même cinq si l’on compte Hélène. Si on laisse de côté la première phrase qui évoque les dieux païens que Garnier ne reprendra pas, il s’ouvre sur le partage des captives par les Grecs, et se termine avec l’image d’Hécube pleurant et célébrant ses morts23, ce qui invite à se tourner vers la tragédie qui porte son nom et qui, dans les éditions de la Renaissance, est la première des dix-huit tragédies attribuées à Euripide. Or, dans l’édition bernoise, l’argument d’Hécube est fort long. Tout en reprenant une matière déjà connue (l’apparition de l’ombre d’Achille qui demande Polyxène), il souligne d’entrée de jeu que le tombeau d’Achille se trouve dans la Chersonèse de Thrace, royaume de Polymestor. Ce même Polymestor, apprend-on ensuite, après le récit du sacrifice de Polyxène, a tué l’enfant Polydore qui lui avait été confié et dont le corps est découvert par une servante d’Hécube venue laver le corps de la jeune fille. Hécube songe alors à tirer vengeance de Polymestor et ourdit sa ruse (« quo pacto ultionem caperet de Polymestore, machinatur huismodi »). On connaît la suite, Garnier la reprend. Mais il vaut la peine de s’arrêter sur la dernière phrase de l’argument qui insiste sur le rôle final d’Agamemnon dans un cadre judiciaire :
Cognoscente causas illorum Agamemnone postea, et Polymestore multa confingente de caede Polydori, uicit Hecuba, redarguens illum, quod auri cupiditate, ac non eorum quae opponebat, causa, interfecisset filium, stipulatorem sententiae nacta quoque Agamemnonem.
Après qu’Agamemnon a pris connaissance de la cause [des captives] et malgré les inventions mensongères de Polymestor à propos du meurtre de Polydore, c’est Hécube qui l’emporte, le convainquant d’avoir tué son fils par amour de l’or et non pour les raisons qu’il avançait, trouvant aussi un garant de la sentence en Agamemnon.
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24 La Troade, op. cit., p. 382.
15L’argument de Garnier associe étroitement les arguments des deux pièces d’Euripide, en adoptant d’abord le point de vue des Grecs puis celui d’Hécube. Le point de vue des Grecs dit l’occasio de la tragédie : les Grecs veulent partir mais ils ne le peuvent. Garnier insiste à trois reprises sur ce fait : d’abord dans la première phrase, qui traduit la première phrase de l’argument de la Troas de Sénèque (« Troie estant prise, saccagee et destruitte, les Grecs prest de s’embarquer pour retourner en leurs maisons, partagent leur butin24 »). Puis en montrant que deux éléments empêchent leur départ : le souci du bien commun, qui les pousse à tuer Astyanax, et l’apparition de l’Ombre d’Achille qui les menace directement :
25 Ibid. Il faut souligner que le retard apporté au dépar...
Or estans sur ce partement, l’Ombre d’Achille apparut sur son sepulchre d’une forme effroyable, se plaignant des Grecs de l’avoir mesprisé, et les menaçant de grands malheurs et infortunes, s’ils ne tuoyent Polyxene sur son tombeau. Lesquels ayans presqu’à l’instant apperceu que leurs galeres demeuroyent immobiles au port et n’en pouvoyent estre tirees, resolurent par l’advis de Calchas de la faire occire sur sa tombe par Pyrrhe son fils25.
16Dans un souci manifeste de cohérence, le sacrifice de Polyxène est explicitement rattaché au désir de départ, d’autant que l’épisode arrive après celui d’Astyanax, à la différence de ce qui se passe chez Sénèque, dans une gradation significative puisqu’il touche au plus près la mère qu’est Hécube, avant le coup de grâce qu’est la découverte du corps de Polydore, troisième épisode qui porte au comble l’épitase. La catastophe se déclenche alors grâce au changement d’attitude d’Hécube qui passe du « grand deuil » à la « resolution », c’est-à-dire à la décision de se venger de Polymestor. C’est sur cette vengeance organisée avec maîtrise par Hécube que se clôt la description dramaturgique de la pièce.
17Le travail de suture est donc habilement fait, et la syntaxe de l’argument (qui privilégie le lieu de la découverte macabre) le met discrètement en valeur : le corps de Polyxène « fut porté laver par ses compagnes Troyennes au bord de la mer, pour l’ensevelir : Où de cas d’adventure fut par elles apperceu celuy de Polydore […] ». La formule « de cas d’adventure » dit en effet le nouveau casus ou la nouvelle occasio, c’est-à-dire l’événement qui transforme la situation dramatique et va permettre à la tragédie de trouver sa catastrophe, c’est-à-dire son renversement de situation. La catastrophe elle-même est bien amenée par la structure syntaxique qui la relie étroitement à l’épitase : « Hecube l’ayant en grand dueil receu, et le voyant massacré de plusieurs playes, prend resolution avec ses femmes de se venger du meurtrier. Et pour effectuer son dessein, trouve façon de l’attirer finement à soy26 […] ». La « resolution » de la vengeance prend naissance dans le comble du deuil (« en grand deuil ») et dans l’horreur visible du crime27 (« le voyant massacré de plusieurs playes »).
18L’« Argument de la Troade » témoigne donc du travail de disposition de la matière déjà traitée par Euripide et par Sénèque, en la recomposant selon une stratégie un peu différente de celle vue pour Hippolyte. Pas de « prologue » ici, mais une protase qui correspond cette fois exactement à l’acte I. L’épitase se développe à nouveau en trois temps, avec trois épisodes pathétiques : Ulysse vient chercher Astyanax, Talthybie vient chercher Polyxène, on découvre le corps de Polydore. La catastrophe commence avec le retournement de situation et la résolution d’Hécube. L’argument met donc en valeur la structure dramaturgique, unifiée de manière cohérente autour de l’idée forte du règlement de la situation une fois la guerre finie, avec distribution des récompenses (Cassandre à Agamemnon, Polyxène à Achille) et des châtiments (Polymestor aveuglé).
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28 On aura remarqué que l’argument, « summa rerum », ne p...
19Se dessine alors, plus nettement encore que dans Hippolyte, la conception de la tragédie selon Garnier, dans les dernières années de la décennie 1570. L’architecture d’ensemble que constitue l’argument met l’accent sur l’action et sa cohérence, laissant de côté le rôle pathétique des femmes et de leur discours. Nulle mention en effet dans cet argument de la douleur d’Hécube ou du deuil des Troyennes, sauf au moment – la fin – où cette douleur est un moteur de l’action. Pour les lecteurs modernes de La Troade, en effet, les effets pathétiques sautent aux yeux, et aveuglent peut-être. Car, pour Garnier et ses contemporains, c’est la conduite de l’action qui constitue le travail original du dramaturge, le pathétique étant, de toute manière, la couleur dominante de la tragédie28. En ce sens, Garnier s’accorde une fois de plus avec Jean de La Taille – et Aristote. L’effet à produire sur les spectateurs, pour pathétique qu’il soit lui aussi, provient avant tout de la bonne composition de la tragédie, et non du discours lamentable en tant que tel (voir de nouveau la citation en exergue).
La tragédie comme agencement de discours
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29 Emmanuel Buron dans Le Théâtre français du Moyen Âge e...
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30 G. J. Vossius, Rhetorices contractae sive Partitionum ...
20Les synthèses sur le théâtre de la Renaissance expliquent que la tragédie humaniste « est une tragédie rhétorique : c’est par les discours des personnages et leurs échanges verbaux qu’elle représente l’histoire29 ». Mais de quels discours s’agit-il ? Dans sa Rhétorique abrégée de 1621, Gherardus Vossius dresse une typologie des discours qui relèvent, non plus de l’inventio en général (generalis), mais d’une invention particulière (specialis), liée à des situations ou des circonstances précises30. Ces discours sont classés selon les trois grands genres : délibératif, judiciaire, démonstratif. Cette typologie, commode pour comprendre la diversité des formes épistolaires par exemple, peut-elle nous aider à saisir l’agencement des discours dans la tragédie, et par là même cet effet de conversion émotionnelle dont parle Jean de La Taille ?
21À nouveau les « arguments » sont utiles qui mentionnent des types de discours. Je partirai de l’argument des actes d’Hippolyte puisqu’il nous est parvenu. Le tableau suivant présente, acte par acte, les types de discours et le moment dramaturgique auquel ils correspondent (je souligne).
acte I |
• Au premier acte est introduit en forme de prologue, l’Ombre d’Egee, lequel au retour de son fils du voyage de Crete, où il le pensoit avoir esté devoré du monstre Mi-taureau se precipita dedans la mer, qui à ceste cause fut appelee Egeane de son nom. Il predit les calamitez qui adviendront à son fils et à sa maison. • Hippolyte parle puis apres, qui raconte un sien songe, dont il est espouvanté. |
récit (exposé des faits, situation dramatique) |
exposition-protase |
acte II |
• Au second, Phedre se plaint de son tourment. |
lamentation (démonstratif) |
épitase 1 |
• Sa Nourrice s’efforce de luy arracher ceste folle fantasie de l’esprit : mais voyant qu’elle deliberoit mourir pour guarir de ce mal, change d’advis, et preferant sa vie à l’honneur, luy conseille de passer outre à ses desseins amoureux. |
débat (délibératif) |
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acte III |
• Au troisiesme, la Nourrice aborde Hippolyte, et tasche de le divertir de sa maniere de vivre, comme trop laborieuse et sauvage, et luy conseille de s’ebatre aux douceurs de l’amour. Hippolyte lui contredit, blasmant l’oysiveté et mollesse effeminee des villes : ce qu’elle voyant, le fait arraisonner par |
débat (délibératif) |
épitase 2 |
• Phedre mesme, qui aprés plusieurs involutions et ambiguitez de propos se decouvre pleinement à luy, le priant d’avoir compassion de son ardeur. |
requête (délibératif) |
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• Il deteste une si monstreuse affection, puis la laisse, bien coleré. |
détestation (judiciaire) |
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• Elle adonc s’advise avec sa Nourrice, de l’accuser de l’avoir prise par force : appelle au secours les Citoyens, et leur en fait une faulse plainte. |
expostulation (plainte pour injure reçue : judiciaire) |
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acte IV |
• Au quatriesme, Thesee retourne des Enfers, qui oyant ce tumulte en sa maison importune la Nourrice, puis sa femme, de luy en declarer la cause : qui aprés plusieurs refus, comme contrainte, charge Hippolyte de luy avoir ravy son honneur. |
débat (délibératif) accusation (judiciaire) |
épitase 3 |
• Dequoy luy extremement enflambé, prie Neptune, qu’en luy gardant sa promesse (qui estoit de luy octroyer l’effect de trois telles demandes qu’il luy voudroit faire) il face mourir son fils. |
requête au dieu |
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• La Nourrice se tue de regret. |
lamentation (démonstratif) |
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acte V |
• Au cinquieme et dernier, un des serviteurs d’Hippolyte raconte sa mort, pour laquelle Phedre depassionnément attristee, par le remord de sa faute, se donne de l’espee dans le corps et meurt. |
récit de mort [récit de Phèdre] |
catastrophe |
• Thesee fait de grands regrets sur le corps mort d’Hippolyte, et finist la Catastrophe. |
lamentation (démonstratif) |
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31 « Ce qui fait toutefois que je me reconforte / Et m’al...
22L’acte I comporte deux étapes : le monologue de l’ombre d’Égée qui « predit les calamitez qui adviendront à son fils et à sa maison ». Puis le récit d’Hippolyte qui « raconte un sien songe ». Prédire, raconter relèvent bien de l’expositio (l’exposé des faits en rhétorique, analogue à la narratio). On entre dans la tragédie par un récit, dans Hippolyte comme dans La Troade, où la très longue tirade pathétique d’Hécube qui ouvre la pièce est, du point de vue de l’inventio rhétorique, un récit de la ruine de Troie dont la conséquence immédiate – qui fait l’occasio – est la situation des captives qui attendent d’être réparties entre les vainqueurs. Ce que montre le tableau ci-dessus, c’est qu’on peut aussi terminer la tragédie par un récit. La Catastrophe comporte en effet deux parties, le récit de la mort d’Hippolyte (autre narratio qui expose déjà en partie l’innocence du jeune homme), et les « regrets » de Thésée, discours démonstratif qui semble répondre à celui de Phèdre au début de l’acte II. Et ce discours de lamentation de Thésée (les adieux à Hippolyte) laisse entrevoir une sorte d’apaisement ou de « tranquillité » analogue à celle qu’on trouve à la fin de La Troade où Hécube prononce pour la première fois le mot d’« espoir31 ».
23L’épitase est donc, sans surprise, le moment où les discours se font dynamiques, recourant au délibératif (débats contradictoires, conseils) et au judiciaire lorsqu’apparaît la faute (détestation, accusation, demande de châtiment). Il faudrait analyser de près leur agencement, mais contentons-nous de deux remarques. L’on voit d’abord qu’il existe dans l’assemblage des discours un désir manifeste d’alternance entre des moments délibératifs – où l’on fait valoir des idées par le biais des stichomythies et des vers sentencieux – et des moments judiciaires – qui jugent, accusent ou condamnent. Cette alternance permet de faire varier la tension du texte, et par là même de transformer les passions des « escoutans ». Et cette alternance correspond peut-être à l’énumération de Jean de La Taille : « Qu[e la tragédie] soit bien entre-lassee, meslee, entrecouppee, reprise ». Entrelasser et mêler les types de discours est une nécessité pour « tourner » les esprits des spectateurs.
24Au terme de cette analyse, l’argument semble bien chez Garnier le lieu privilégié de l’économie de la tragédie, au sens où il expose l’intention de l’auteur et la distribution de la matière qui y correspond. Il révèle surtout que la tragédie est agencement de types de discours dont l’alternance vise un effet sur le spectateur. C’est en ce sens que la tragédie de la Renaissance est pleinement rhétorique, par le travail de l’inventio et de la dispositio, et non seulement par celui de l’elocutio, du style, auquel on la réduit trop souvent.
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32 Voir deux articles importants d’Emmanuel Buron : « La ...
25Mais la rhétorique ici n’est pas séparable de la dramaturgie. On peut faire l’hypothèse que le type de discours détermine ce que nous appellerions des scènes et que le théâtre de Garnier ne note pas. Emmanuel Buron a déjà signalé que les listes intercalaires de personnages au sein des actes soulignent des configurations pragmatiques32. L’enchaînement de ce qu’il appelle « tableaux », mais qui correspond plutôt à des échanges ou dialogues, n’est-il pas aussi commandé par le travail de l’entrelassement rhétorique ?
Notes
1 J. de La Taille, Tragédies, éd. E. Forsyth, Paris, Société des Textes Français Modernes, 1998, p. 6-7.
2 « Oeconomia quoque in iis diligentior quam in plerisque nouorum erit, qui omnium operum solam uirtutem sententias putauerunt. » (Quintilien, Institution oratoire, I, 8, 9, texte établi par J. Cousin, Paris, Les Belles Lettres, C.U.F, tome I, 1975 ; la traduction citée est celle du De l’institution de l’orateur, traduit par Monsieur l’abbé Gedoyn, Paris, Grégoire Dupuis, 1718.
3 « Hermagoras iudicium, partitionem, ordinem quaeque sunt elocutionis subicit oeconomiae, quae Graece appellata ex cura rerum domesticarum et hic per abusionem posita nomine Latino caret. » (ibid., III, 3, 9).
4 Voir Francis Goyet, Le Sublime du « lieu commun ». L’invention rhétorique dans l’Antiquité et à la Renaissance [1996], Paris, Classiques Garnier, 2018, p. 75.
5 Voir Aelii Donati [...] commentum, Hyperdonat – Collection d’éditions numériques de commentaires anciens avec traduction, commentaire et annotation critique (en ligne : http://hyperdonat.tge-adonis.fr, page consultée le 19 novembre 2019) où oiconomia est traduit par agencement ; et la communication de Christian Nicolas au récent colloque Pensée et pratique de l’intrigue comique (Italie, France, xvie-xviiie siècles) qui s’est tenu à Grenoble les 23-24 mai 2019 (à paraître sur fabula.org en 2020).
6 Th. Sébillet, Art poétique français, dans Traités de poétique et de rhétorique de la Renaissance, éd. F. Goyet, Paris, Librairie générale française, 1990, p. 59.
7 Le dictionnaire de F. Gaffiot donne plusieurs exemples tirés d’Ovide : « deducitur argumentum in tela », un sujet est tissé sur la toile ; et d’Horace : « tenui deducta poemata filo », des poèmes tissés d’un fil ténu.
8 Robert Garnier, Hippolyte (1573), La Troade (1579), éd. J.-D. Beaudin, Paris, Classiques Garnier, 2019, p. 28.
9 Ibid., respectivement p. 61-72 pour Hippolyte et p. 377-384 pour La Troade.
10 Il est heureusement donné par J.-D. Beaudin dans Garnier, Hippolyte, op. cit., p. 183-184.
11 Voir Les Psaumes en vers français avec leurs mélodies. Fac-similé de l’édition genevoise de Michel Blanchier, 1562, introduction de P. Pidoux, Genève, Droz, 1986.
12 Terentius in quem triplex edita [...], éd. Pierre Daventès (Antesignanus), Lyon, Mathias Bonhomme, 1560, vol. 3, « Praefatio », non pag.
13 Voir Ch. Deloince-Louette, « Entre rhétorique et dramaturgie : la lecture de Térence par Mélanchthon », Exercices de rhétorique [En ligne], 10 | 2017, URL : http://journals.openedition.org/rhetorique/564. Page consultée le 19 novembre 2019.
14 Sur cette question, voir les pages éclairantes de V. Lochert, L’Écriture du spectacle. Les didascalies dans le théâtre européen aux xvie et xviie siècles, Genève, Droz, 2009, p. 369-397.
15 J’utilise l’édition des Senecae Tragoediae, parue à Bâle chez H. Petri en 1563 qui regroupe les arguments au début de l’ouvrage. Ces arguments sont parus pour la première fois dans l’édition de Venise, in aedibus Aldi et Andreae Soceri, 1517, où ils sont regroupés en fin de volume. Je souligne les articulations de l’argument par le romain dans le texte latin en italique et l’italique dans la traduction en romain. La traduction est mienne.
16 Cette mention d’Égée vient du fait que Thésée, chez Sénèque, implore son père, sans autre précision. Mais elle pourrait expliquer la présence d’Égée à l’ouverture de la pièce de Garnier.
17 J.-C. Scaliger, Poetices libri septem, I, 9, éd. Luc Deitz, Frommann-Holzboog, Stuttgart-Bad Cannstatt, 1994, vol. I, p. 150-152 : « Verae et primariae [partes comoediae] sunt quattuor : protasis, epitasis, catastasis, catastrophe. Scio a nonnullis tres tantum enumeratas : nos autem ad subtiliora semper animum appulimus. Harum partium communes portiones maiores actus dicuntur, verum non penitus neque semper. Actus enim quintus interdum non est pars catastrophes, sed aequalis ei, simul cum ea sortitur et initium et finem. Eodem modo et protasis actum primum tam totum comprehendit quam ab eo tota complectitur. Praeterea protasis non semper in primo ; in secundo enim actu est apud Plautum in Milite glorioso. Actuum autem portiones minores sunt, quas scaenas vocant. Par ratio et in tragoediis. » (« Les parties véritables et principales de la comédie sont au nombre de quatre : la protase, l’épitase, la catastase, la catastrophe. Je sais bien que quelques uns n’en comptent que trois, mais nous cherchons toujours la précision. Les grandes sections que partagent ces parties sont dites actes, mais pas entièrement et pas toujours. Car le cinquième acte n’est pas une partie de la catastophe, mais lui correspond tout entier, il en fixe le début et la fin. De la même façon, la protase comprend le premier acte dans son entier autant qu’elle est dans son entier embrassée par lui. En outre la protase n’est pas toujours dans le premier acte : elle est dans le second pour le Miles gloriosus de Plaute. Les petites sections des actes s’appellent les scènes. Les tragédies se construisent de la même façon. » (Ma traduction.) Au siècle suivant, G. Vossius (Poeticarum Institutionum libri tres, Amsterdam, Louis Elzevir, 1647, II, v « De partibus fabulae, ratione quantitatis ») utilise encore les mêmes termes.
18 Contrairement aux éditions modernes du théâtre de Sénèque, les éditions humanistes imposent en effet au texte un découpage en actes.
19 Le début : « Theseus filius quidem erat Aethrae et Neptuni, rex uero Atheniensium. Ducens uero unam Amazonum Hippolyten, Hippolytum genuit pulchritudineque et modestia excellentem. » (« Thésée était fils d’Aethra et de Neptune, et roi des Athéniens. Ayant épousé une des Amazones, Hippolytè, il engendra Hippolyte, qui l’emportait par sa beauté et sa retenue. ») Et la fin : « Diana uero facta singula enarrans Theseo, ipsam quidem Phaedram non incusauit, hunc uero consolabatur, filio et muliere orbatum. Hippolyto autem festum solenne iussit institui. » (« Mais Diane racontant les faits un à un à Thésée, n’accusa pas Phèdre elle-même mais le consola, lui qui avait perdu son fils et sa femme, et ordonna qu’on institue une fête solennelle pour Hippolyte »). J’utilise l’édition suivante : Euripidis […] tragoediae xviii, Dorotheo Camillo interprete, Berne, Mathias Apiarius, 1550.
20 « Thesee, fils d’Egee Roy des Atheniens, retourné de l’isle de Crete espousa en secondes nopces Phedre fille de Minos, qui en estoit Roy. Il fut requis par Pirithois son singulier amy, de l’accompagner à l’entreprise qu’il avoit faite de descendre aux enfers, pour enlever Proserpine. […] Ce pendant Phedre devint esprise de l’amour d’Hippolyte […]. » (Hippolyte, « Suget de ceste tragedie », op. cit., p. 70. Je souligne.)
21 Senecae tragoediae, op. cit., non pag. Les arguments des tragédies se trouvent regroupés au début de l’ouvrage.
22 Euripidis […] tragoediae, Troades, op. cit., non pag. L’argument est donné avant chaque tragédie. La traduction est mienne.
23 Le verbe parentare signifie célébrer les funérailles pour ses proches.
24 La Troade, op. cit., p. 382.
25 Ibid. Il faut souligner que le retard apporté au départ est constamment rappelé dans la tragédie (par ex. v. 2163 sq.) jusqu’à la catastrophe, où Hécube en tire argument pour hâter sa vengeance : « Entrez, tout y est seur, depeschez, car les Grecs / Desirent faire voile, et seront bien tost prests. » (Ibid., v. 2437-2438, p. 494). C’est aussi une manière de renforcer la suture entre les deux modèles grecs.
26 Ibid., p. 382-383.
27 Rappelons que tout cela doit être visible sur scène, où les Troyennes ont apporté le corps de Polydore (La Troade, v. 2213-2214 et v. 2242, op. cit., respectivement p. 483 et 485).
28 On aura remarqué que l’argument, « summa rerum », ne parle pas du chœur.
29 Emmanuel Buron dans Le Théâtre français du Moyen Âge et de la Renaissance, éd. O. Halévy, G. Parussa, D. Smith, Paris, L’avant-scène théâtre, 2014, p. 402. Voir aussi Ch. Delmas, La Tragédie de l’âge classique (1553-1770), Paris, Le Seuil, 1994, p. 108.
30 G. J. Vossius, Rhetorices contractae sive Partitionum oratoriarum libri quinque [1621], Leipzig, Christian Kirchner, 1660, livre II, chapitres xvi à xxvii. Pour une présentation de cette typologie, voir F. Goyet, « Le problème de la typologie des discours », Exercices de rhétorique [En ligne] 1 | 2013 (URL : http://journals.openedition.org/rhetorique/122. Page consultée le 19 novembre 2019).
31 « Ce qui fait toutefois que je me reconforte / Et m’allaite d’espoir, que quelques-uns encor / Pourront estre punis comme Polymestor. » (La Troade, v. 2664-2666, op. cit., p. 503).
32 Voir deux articles importants d’Emmanuel Buron : « La dramaturgie d’Hippolyte et Les Juifves » dans Lectures de Robert Garnier. Hippolyte, Les Juifves, éd. E. Buron, Rennes, Presses de l’Université de Rennes, 2000, p. 53-69 ; et « La présentation typographique des tragédies humanistes », dans Le Texte en scène. Littérature, théâtre et théâtralité à la Renaissance, éd. Concetta Cavallini et Philippe Desan, Paris, Classiques Garnier, 2016, p. 253-272, surtout p. 265 sq.
Pour citer cet article
Quelques mots à propos de : Christiane Deloince-Louette
Maître de conférences en littérature française du XVIe siècle à l’Université Grenoble Alpes (UGA) et membre de la composante Rhétorique de l’Antiquité à la Révolution (RARE) de l’UMR 5316 Litt&Arts, Christiane Deloince-Louette travaille essentiellement sur la réception des auteurs antiques à la Renaissance et les usages critiques et poétiques de la rhétorique au XVIe siècle.