Moyen-Âge
Agrégation 2023
N° 24, automne 2022
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1 Théodore de Banville, Petit Traité de poésie française...
1L’expression « formes fixes » a été inventée par Théodore de Banville dans son Petit Traité de poésie française. Après avoir passé en revue les règles de la versification et les formes utilisées par les poètes modernes, le théoricien commence son chapitre IX par la définition d’une nouvelle notion : « J’ai nommé poëmes traditionnels à forme fixe ceux pour lesquels la tradition a irrévocablement fixé le nombre de vers qu’ils doivent contenir et l’ordre dans lequel ces vers doivent être disposés. Ce groupe de poëmes est l’un de nos plus précieux trésors, car chacun d’eux forme un tout rhythmique, complet et parfait, et en même temps ils ont la grâce naïve et comme inconsciente des créations qu’ont faites les époques primitives1. »
2Peu connaisseur de la lyrique médiévale, Théodore de Banville se trompe dans ses généralités, tout en inventant une expression fort commode et globalement pertinente. Les poètes des xive et xve siècles ont effectivement cherché à « fix[er] le nombre […] et l’ordre » des vers pour « form[er] un tout [ry]thmique, complet et parfait ». Charles d’Orléans, dont Banville cite en exemple « Le temps a laissé son manteau2 », illustre avec pertinence le rondeau et François Villon pourrait parfaitement illustrer la ballade, même si Banville n’ose citer aucun de ses poèmes en exemple par souci de clarté pédagogique et sans doute par pudeur en contexte scolaire3. Les formes fixes décrites ensuite dans le Petit Traité de poésie française ne sont pas médiévales (le sonnet, le rondeau à rentrement, le triolet et la villanelle) ou ne sont pas bien comprises (le lai et le virelai). Le chapitre se termine par un exposé sur le chant royal, dont la mémoire a été mieux conservée mais dont les exemples sont de Clément Marot, que Banville connaît mieux.
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4 Voir § 1a, § 6m-n, § 6v, § 8d et § 24b, Eustache Desch...
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5 AD, § 24m, p. 634.
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6 Voir la chronologie proposée par James Laidlaw et Chri...
3La poésie de la fin du Moyen Âge pratique bien les formes fixes, sans les appeler ainsi. Dans son Art de dictier, Deschamps présente un certain nombre de formes poétiques en expliquant des subtilités métriques et en citant quelques exemples. Il donne plusieurs listes de ces formes dans la première partie de son traité consacrée aux arts libéraux et en conclusion4. La deuxième partie de son traité expose quatre formes seulement : la ballade avec neuf exemples, le virelai avec trois exemples, le rondeau avec sept exemples, et enfin le lai. Pour les définir, Deschamps fait référence aux pratiques de son époque en citant deux poèmes de Guillaume de Machaut et en commentant ce qui se passe dans les Puys. Il se fonde surtout sur sa propre expérience de poète accompli, puisque presque tous les exemples sont de lui. Il écrit son traité en 13925, lorsqu’il a environ 50 ans et compose de la poésie depuis plus de 25 ans6.
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7 Voir Daniel Poirion, Le Poète et le Prince. L’évolutio...
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8 La table des matières du BnF fr. 830 annonce (f°1v) « ...
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9 AD, § 6u, p. 590.
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10 AD, § 6w, p. 592.
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11 AD, § 7g-j, p. 592.
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12 AD, § 19d, p. 612.
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13 AD, § 1d, p. 582-584.
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14 AD, § 24h, p. 634.
4Les formes fixes se sont développées dans deux milieux concurrents : les concours bourgeois et les cours princières7. Dans l’un des deux manuscrits poétiques de Jean Froissart, poète de cour, les pièces couronnées dans les Puys sont mises à l’honneur8. Au contraire Deschamps rejette le milieu poétique bourgeois, présenté avec une nette distanciation temporelle et géographique dans son Art de dictier9. La récitation « devant le Prince du Puys » est évoquée à l’imparfait10, tandis que la lecture devant les « seigneurs et dames » est décrite au présent11. Le poète refuse ensuite d’expliquer le serventois « pour ce que c’est ouvrage qui se porte au Puis d’amours, et que nobles hommes n’ont pas acoustumé de ce faire12 ». Le traité s’ouvre sur la définition de « liberal » comme destiné à un « fils de noble homme et astrait de noble lignie13 » et il se ferme sur la dédicace à « un mien tresgrant et especial seigneur et maistre14 ». L’exposé de Deschamps sur les formes fixes reconnaît donc l’importance de la pratique poétique des concours bourgeois tout en s’en écartant, afin de présenter à la cour sa propre poésie.
Le lai
5Le lai est la dernière forme fixe présentée dans l’Art de dictier. Il est mis à l’honneur comme « une chose longue et malaisiee a faire et trouver » et bénéficie d’une explication précise par opposition à la forme brève du rondeau qui n’est pas décrite15 : le lai contient « xii couples », soit douze strophes, toutes différentes (« Et convient que la taille de chascune couple a deux paragrafes soient d’une rime toutes differens l’une couple a l’autre ») à l’exception de la douzième qui répète la forme de la première (« excepté tant seulement que la derreniere couple […] soit de pareille rime, et d’autant de vers, sanz redite, comme la premiere couple »)16.
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17 AD, § 23m et 23o, p. 632.
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18 AD, § 23p-q, p. 632.
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19 L’Art de dictier est copié dans deux manuscrits. Dans...
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20 AD, § 23h-i, p. 626.
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21 Ibid.
6La règle consiste à varier et répéter les formes strophiques. L’impératif de la variation est repris deux autres fois pour conclure la citation des trois premières strophes du Lai de departement17, tandis que l’obligation de l’égalité entre la première et la dernière strophe justifie la citation de la douzième strophe du même lai18. De plus, chaque strophe a une structure symétrique, c’est-à-dire qu’elle se coupe en deux parties égales. Le Lai de departement n’est pas cité en entier par souci de brièveté et d’équilibre avec les autres formes fixes19. Le poète s’en justifie : « je més cy iii couples d’un lay, et par ycelles, consideré et attendu ceste regle, l’en pourroit diversifier les autres couples, et faire jusqu'a xii, qui font xxiiii, par la maniere que dit est20 ». Il s’adresse ici à un poète apprenti, qui se servirait du début du texte donné en exemple pour composer son propre lai. Malgré son explication théorique très claire, Deschamps préfère renvoyer son lecteur aux textes eux-mêmes : « Et qui se doubteroit de ce non pouoir retenir, il ne faulroit que prandre un lay, car ilz sont assez communs21 ».
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22 Voir Clotilde Dauphant, La Poétique des Œuvres complè...
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23 Anthologie, pièce 52, p. 160-215.
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24 La section des lais dans le BnF fr. 830 (f°114c-139b)...
7Et pourtant, on peut douter que le lecteur soit entièrement satisfait de ce qu’il trouvera dans les textes, qu’il s’agisse de l’exemple cité dans l’Art de dictier ou des autres lais écrits aux xive et xve siècles. La définition est adaptée, voire oubliée, en fonction de la volonté du poète22. La règle la plus respectée est celle du nombre de strophes : la plupart des lais en comptent bien douze, sauf chez Christine de Pizan. La variation la plus notable est celle du Double Lai de fragilité humaine, chef-d’œuvre de trente-trois strophes, sans doute en écho au nombre d’années vécues par le Christ sur cette terre23. Le nombre douze est tellement associé à la forme du lai qu’il justifie le regroupement des lais par douzaine dans les recueils manuscrits24. La règle de l’identité des extrêmes – la dernière strophe doit reprendre la forme de la première – est un peu moins suivie par Machaut, Froissart et Deschamps, tandis que c’est la seule que respecte Christine de Pizan. Enfin, la règle de la symétrie, ou division des strophes en deux parties égales, est adaptée par les poètes. Dès Guillaume de Machaut, la strophe peut être divisée en trois ou en quatre parties égales ; Christine de Pizan le fait avec virtuosité.
8« Qu’est-ce qu’une forme fixe ? » se demandait Jacques Roubaud en titre de l’un de ses articles25. Le poète mathématicien, tout en centrant sa réflexion sur la ballade et le chant royal, cherche à cerner par une série d’interrogations ce qui fait la « fixité » d’une forme – puisque ce n’est ni la présence d’une particularité remarquable (comme un refrain), ni une définition intangible et universellement connue (jamais obtenue). La « question 8 » s’avère particulièrement pertinente pour le lai : « À quelle autorité donnera-t-on la préférence ? à la règle ou au corpus ?26 ». Le lai est en effet caractérisé par une définition relativement explicite et stable et un corpus hétérogène. Malgré ce que nous aurions tendance à appeler des « irrégularités » – voire des fautes à corriger – les poètes, les théoriciens et les rubricateurs semblent n’avoir aucun mal à identifier ce qu’ils intitulent « lais ».
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27 Anthologie, pièce 53, p. 262-276 et AD, § 23, p. 626-...
9Même le Lai de departement donné en exemple ne coïncide pas exactement avec les règles énoncées par Deschamps. Le plus gênant est que la deuxième demi-strophe de la première strophe compte sept vers et non pas huit. Cette irrégularité apparaît dans les quatre versions du lai, copié deux fois dans le BnF fr. 840 et dans le BnF fr. 6221, en entier et en exemple au sein de l’Art de dictier27. Elle empêche la symétrie de la première strophe mais aussi l’égalité entre la première et la dernière strophe. Par ailleurs, la citation des trois premières strophes est une habile façon pour Deschamps de prétendre à une variété systématique qui n’existe pourtant pas dans le Lai de departement entier. En effet, les strophes 2, 4, 6, 7, 8, 9 et 11 sont toutes constituées de deux dizains d’heptasyllabes en aabaabbaab.
10Ce qui compte pour Deschamps, ce n’est donc pas d’appliquer strictement des règles d’égalité ou de différence, mais d’entraîner le lecteur dans une vaste composition à la fois répétitive et variée. Les demi-strophes ou les strophes entières se font écho, même quand elles ne sont pas rigoureusement identiques. Le choix du thème est d’ailleurs lui-même binaire, puisque le lai reprend le topos du départ de l’amant à la guerre pour introduire une liste de conseils moraux énoncée par une figure aimée. Le début (strophes 1 à 3) et la fin du lai (strophes 11 et 12) sont donc amoureux, tandis que le centre (strophes 4 à 10) est moral. La variation métrique, sensible sans être poussée à l’extrême virtuosité, ne doit pas capter toute l’attention du lecteur mais plutôt guider son attention vers l’émotion lyrique créée par la séparation amoureuse et vers la soif de grandeur morale entretenue par le discours d'Espoir (vers 92-190) et de la dame (vers 195-203). On peut toutefois se demander si cette femme aimée dès l’enfance n’est pas la Raison ou la France – ce qui ferait de l’amant soit une figure du poète moraliste, sensible à un idéal vertueux, soit une figure du roi de France, appelé à être un modèle de chevalerie. La thématique amoureuse pourrait n’être alors qu’une apparence, un vernis courtois apposé aux marges du poème.
11L’exemple choisi dans l’Art de dictier s’avère une habile mystification du poète, puisque les quatre strophes illustrent un idéal formel de variation strophique et une omniprésence de l’amour que ne respecte pas le lai entier. En traitant le thème de la séparation amoureuse, cet extrait tronqué sert en fait de belle conclusion lyrique à l’art poétique.
Le rondeau
12Le rondeau est en tout point opposé au lai dans l’Art de dictier. Il apparaît en avant-dernière position, sans aucune mise en valeur ni la moindre explication. Il se singularise aussi par le choix des exemples, plus nombreux et plus variés ; cinq ont été écrits par Deschamps et deux par Machaut28. En l’absence de règle, ce sont eux qui montrent le fonctionnement de la forme fixe. Ils peuvent ainsi donner la fausse impression que le rondeau s’écrit toujours en décasyllabes, alors que le décasyllabe est le vers préféré par Deschamps dans ses rondeaux, mais non exclusif. Le BnF fr. 840 qui rassemble les œuvres complètes du poète contient 171 rondeaux de Deschamps : 123 sont en décasyllabes, 44 en octosyllabes et 5 en heptasyllabes29.
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30 L’Anthologie contient 6 rondeaux en AB, 15 en ABB et ...
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31 AD, § 6m, p. 590.
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32 AD, § 21a-g, p. 618-624.
13Par ailleurs, on trouve dans les exemples quatre refrains AB, deux refrains ABB et un refrain ABAB. Deschamps a choisi de privilégier dans son art poétique la forme la plus simple, appréciée par Machaut, mais qui est minoritaire dans son œuvre. Sur 171 rondeaux, on trouve en effet 45 refrains à deux vers AB, 119 refrains à trois vers de six formes différentes dont 109 en ABB, 6 refrains à quatre vers de quatre formes différentes et 1 refrain à cinq vers30. L’Art de dictier évoque en première partie les « rondeaulx cengles et doubles31 ». Les rubriques introduisant les exemples ne sont pas d’une précision rigoureuse : l’une annonce un « rondel sangle » à refrain de deux vers et une autre un « rondel double » à refrain de quatre vers, les autres se limitent à « rondel » ou « autre rondel »32. Si les choix des exemples ne correspondent pas exactement aux proportions des pièces écrites par Deschamps, le traité offre tout de même un écho fidèle à l’utilisation, par le poète, de refrains variés comptant deux, trois ou quatre vers.
14L’Art de dictier, dont aucun rondeau n’est abrégé, permet enfin de comprendre le phénomène de reprise médiane et finale des refrains. Les deux rondeaux écrits par Machaut présentent, tels qu’on les lit dans le traité, deux formes proches mais différentes : AB aA abAB pour l’exemple 18 et AB aA abA pour l’exemple 19. Seul le premier propose une parfaite adéquation entre la forme des couplets (a et ab) et la longueur des reprises (A et AB). Dans l’exemple 16, ni la reprise médiane ni la reprise finale ne coïncident avec la forme des couplets puisqu’on lit ABB abA abbA.
15Sans un mot, par la variété de ses exemples, Deschamps illustre dans son art poétique le grand mystère des rondeaux pour le lecteur moderne : la longueur des reprises, médiane et finale, n’est pas fixée33. Lorsque le lecteur est confronté, dans les recueils de rondeaux, à l’abréviation « etc. », il ne peut pas savoir d’emblée si la reprise sera de forme équivalente au couplet qui le précède. Cette variation semble aller jusqu’à l’ablation pure et simple de l’une des reprises. En effet, l’exemple 15 de l’Art de dictier n’a aucune reprise médiane, ni dans le BnF fr. 840 ni dans le BnF nafr. 6221. Le BnF fr. 840 présente pourtant un texte régulier sur le même incipit « Joyeusement, par un tresdoulx joïr » dans la section V, en ABAB abAetc. ababAetc.34. Il pourrait s’agir d’une erreur reproduite dans les deux versions du traité. Mais dans la section V, ce rondeau comporte à la fois une reprise médiane et un deuxième couplet différent… Ce n’est donc pas la bonne version du rondeau mal cité dans l’art poétique.
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35 Anthologie, pièce 103, p. 384.
16Dans la section V, le rondeau 662 est lui-même copié sans le moindre refrain, sous la forme abbababb35. On peut reconstituer une forme habituelle de rondeau en identifiant les premiers vers comme un refrain : « Jehans de Dormans, Doÿ et Cassinet, / Prenons congié de la douce contreë / A cuer dolent et a voix esploureë ! ». En répétant ces vers au milieu et à la fin du poème, on rétablit la forme ABB abA abbABB. Mais ne s’agit-il pas d’un simple dit, copié sans refrain et sans erreur ? Le motif de la « dance […] retournee » évoque la forme circulaire du rondeau qui n’est pourtant pas donnée au texte. Cette pièce peut s’interpréter, au choix du lecteur, comme un « rondel » (ainsi que le désigne la rubrique introductive) mal copié ou comme une variation irrégulière, mais intéressante, sur la forme fixe mais non figée du rondeau.
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36 Michel Zink voit dans le rondeau et le virelai une « ...
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37 C’est le sous-titre du volume Le Rondeau entre xiiie ...
17Bien plus que le lai, le rondeau est marqué par une structure circulaire36 puisque ce n’est pas seulement la forme, mais le texte même du début qui est repris à la fin. Cet encerclement conduit le texte d’une extrême simplicité à une complexité vertigineuse. Le lecteur est devant un rondeau comme devant une énigme. Lorsqu’un texte s’avère irrégulier par rapport aux autres, il peut conclure à la faute de copie, mais il doit aussi accepter l’éventualité d’une variation volontaire. « Forme lyrique en liberté surveillée37 », de très simple apparence mais de réalisation problématique, le rondeau, dans l’Art de dictier comme dans les différents corpus manuscrits, laisse au lecteur le soin d’inventer sa propre définition.
Le virelai
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38 AD, § 6n-o et 20a-f, p. 590 et 612.
18L’Art de dictier présente le virelai comme la forme la plus difficile à comprendre puisqu’il en donne deux définitions, dans son paragraphe sur la « musique naturele » puis dans un paragraphe spécifique38. Le lecteur peut être désorienté par la polysémie du mot « vers », qui signifie à la fois couplet (il est alors synonyme de « couple »), demi-couplet (dans l’expression « les deux vers après, le clos et l’ouvert ») et vers au sens moderne d’unité métrique (par exemple quand le refrain compte « iiii vers » ou « v » ou « vii »). Nous détaillerons ici l’exemple 10 pour comprendre les différentes parties du poème.
19Dans la structure musicale originelle, le virelai était construit sur trois phrases que nous appellerons αβγ. Dans le texte, Deschamps distingue « trois vers » ou « trois couples » qui sont « doubles » : il s’agit de trois couplets en deux parties. Deschamps appelle le premier « vers » ou « couple » le « refrain » : « Mort felonne et despiteuse, / Fausse, desloyal, crueuse, / Qui regnes sanz loy, » correspond à la phrase musicale α et « Je me plaing a Dieu de toy, / Car tu es trop perilleuse. » à la phrase musicale β. Deschamps désigne le deuxième « vers » ou « couple » comme « les deux vers aprés » ou « le clos et l’ouvert ». C’est un couplet libre, sur une forme différente de celle du refrain, qui peut être mis en musique sur une troisième phrase γ répétée avec une fin ouverte et une autre close : « Merveille est que ne marvoy, / Quant je voy / Morte la plus gracïeuse » correspond à la phrase musicale γ1 et « Et la mieudre en bonne foy / Qui, je croy, / Fust onques, ne plus joyeuse. » à la phrase musicale γ2. Deschamps appelle le troisième « vers » ou « couple » la « tierce ». Cette partie reprend la forme métrique du refrain et sa mélodie : « C’est par toy, fausse, crueuse ! / Ta venue est trop doubteuse, / Tu n’as point d’arroy ; » est à chanter sur la phrase musicale α et « Espargnier prince ne roy / Ne veulz, tant yes orgueilleuse. » sur la phrase musicale β.
20C’est en lien avec la structure musicale originelle (αβ γ1γ2 αβ αβ) que Deschamps précise que les « vers » ou « couplets » sont « doubles » et qu’il fait mentionner sur le manuscrit, en face du couplet libre, « l’ouvert » pour la première partie et « le clos » pour la seconde partie. Cependant, les virelais de Deschamps ne sont plus accompagnés de musique ; le lecteur n'a pas besoin – et il aurait bien du mal parfois à le faire – de distinguer la première et la seconde partie des différents couplets. Il lui suffit d’identifier le couplet refrain (ici sur les rimes aabba et les vers de 77577 syllabes) puis le couplet libre (ici sur les rimes bbabba et les vers de 737737) puis le troisième couplet reprenant la forme du refrain et pour finir le quatrième couplet qui reprend le texte du refrain.
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39 AD, § 7, p. 592 : la poésie et la musique sont « plus...
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40 AD, § 6, p. 588-592. Voir en particulier Philipp Jese...
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41 Paul Zumthor note dans une simple parenthèse que dans...
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42 C’est particulièrement frappant dans le livre de Phil...
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43 « La poésie ... ceste musique naturele. Essai d’exégè...
21Le virelai illustre concrètement la séparation entre musique et poésie que Deschamps évoque sur le plan théorique au début de son traité. Selon Deschamps, la poésie est à la fois indépendante et étroitement associée à la musique au sens moderne du terme39. On a beaucoup écrit sur la présentation des arts libéraux dans la première partie de l’Art de dictier et la place accordée à la poésie comme musique « naturele » et non « artificiele »40. Plusieurs critiques ont mentionné à juste titre que Deschamps n’oublie pas non plus la grammaire et la rhétorique comme arts du langage41. Mais dans ce débat, c’est presque toujours la première partie du traité qui est prise en compte42. Roger Dragonetti, lui, voit dans « les règles et les exemples proposés par Eustache Deschamps dans son Art de dictier » (c’est-à-dire la deuxième partie, pratique et non théorique) « un ensemble de moyens que le poète accorde à son être, comme on accorde un instrument pour y faire passer la musique »43. Au-delà de cette analogie qui fait de la poésie une autre musique, il faudrait ajouter que Deschamps est conscient de l’histoire musicale de la poésie lyrique, quoiqu’il ne l’explique pas clairement. Aucune règle n’est proposée par l’Art de dictier à propos de la mise en musique des poèmes à forme fixe. Mais Deschamps entretient encore la mémoire d’une composition musicale lorsqu’il identifie « l’ouvert » et « le clos » et le principe de « couple de deux vers » à propos des virelais, où chaque couplet correspondait à deux phrases mélodiques.
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44 Parmi 83 virelais, on compte 10 pièces à une strophe ...
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45 Anthologie, pièces 111, 112 et 113, p. 394-402.
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46 Voir les tableaux 17 et 18 dans La Poétique des Œuvre...
22La dernière difficulté, qui n’est pas mentionnée dans l’Art de dictier, est qu’un virelai peut compter une, deux ou trois strophes44. En effet, la structure décrite dans l’art poétique peut être répétée une ou deux fois. Les trois exemples cités dans l’Art de dictier sont des citations tronquées de virelais comptant chacun deux strophes45. Dans l’œuvre de Deschamps, le virelai est le lieu de la plus grande recherche métrique et de la plus grande variété. Malgré le choix fréquent du refrain à cinq vers en aabba et du couplet libre à six vers en bbabba ou aabaab, la variation du nombre de syllabes par vers, du nombre de vers par couplet et du nombre de strophes assure une impression globale de virtuosité formelle46.
23L’Art de dictier ne met pas vraiment en valeur le virelai, placé entre les serventois qui ne méritent « aucun exemple47 » et les rondeaux pour lesquels on ne trouve aucune définition. Deschamps reprend à Machaut la dénomination de « chançons baladees », qu’il justifie par la structure tripartite du poème48. La définition exacte et complexe du virelai lui donne pourtant une identité forte, qui l’associe aux autres formes fixes tout en l’en distinguant. Marqué par l’hétérométrie (comme le lai) et par un refrain initial (comme le rondeau), développé sur une longueur médiane (comme la ballade) qui suscite à la fois une impression de répétition et de variation, le virelai est particulièrement apte à l’expression lyrique – le poète y partage ses émotions les plus nobles dans la forme la plus sophistiquée.
La ballade
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49 On trouvera dans La Poétique des Œuvres complètes d’E...
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50 AD, § 12a, 12c-e, 12f et 14a-e, p. 600-604.
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51 Ian Laurie en fait la remarque dans « Deschamps and L...
24La présentation de la ballade est la plus longue dans l’Art de dictier. C’est aussi la forme fixe la plus pratiquée par Deschamps, et de loin : on compte 1153 ballades différentes dans le BnF fr. 84049. Deschamps ne juge pas utile d’expliquer dans son traité ce que tout le monde sait : la ballade compte trois ou cinq strophes toutes terminées par un refrain ; la strophe compte entre sept et douze vers et plus souvent huit ou dix, et ses vers comptent sept à dix syllabes. Il donne en revanche quelques règles qui lui semblent plus subtiles, sur le mélange des types de vers, sur le mélange des types de rimes et sur la forme de l’envoi, et prend le temps d’expliquer quelques exceptions : une strophe qui se termine par des rimes plates, un refrain qui dure deux vers. Il ajoute quelques remarques sur les rimes, « leonime » ou « sonnant », « equivoque » ou « retrograde »50, qui concernent des exemples de ballade sans être caractéristiques de cette forme. On ajoutera que la virtuose ballade « equivoque, retrograde et leonime » est un cas particulier qui suggère les potentialités créatrices de la musique « naturele » sans correspondre à la pratique courante du poète51.
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52 AD, § 11f, 12f, 13a, 15a, p. 600-606.
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53 AD, § 16a-b, p. 606.
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54 Voir le tableau 25 dans La Poétique des Œuvres complè...
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55 L’Anthologie contient 18 ballades hétérométriques sur...
25Sans exposé spécifique, la forme de la strophe est tout de même évoquée à plusieurs reprises par l’Art de dictier dans les rubriques52. À propos des chansons royales, Deschamps remarque qu’elles ont « cinq couples, chascune couple de x, xi ou xii vers53 ». Les exemples illustrent bien la pratique de Deschamps qui privilégie les nombre 8 et 10. Plus des trois-quarts des ballades de Deschamps utilisent l’une de ces quatre formes strophiques : le huitain octosyllabique ou décasyllabique ou le dizain octosyllabique ou décasyllabique54. L’art poétique n’oublie pas de citer d’autres formes : il s’agit de pièces hétérométriques, qui concernent un dixième des ballades de Deschamps55.
26Deschamps remarque que « encores puet l’en faire balades de vii vers, dont les deux vers sont tousjours de la rebriche, si comme il puet apparoir cy après56 ». Il cite ensuite l’exemple huit en entier, où les strophes comptent huit vers dont un refrain de deux vers. Nous n’avons pas conservé la terminologie de Deschamps, selon laquelle il s’agirait d’un septain – ou strophe de « vii vers ». L’allongement du refrain, dont Machaut a donné l’exemple, concerne 26 ballades de Deschamps57 ; l’Anthologie en reprend 7. Il a souvent pour conséquence l’irrégularité de l’envoi.
27La disposition des rimes fait l’objet de la toute première remarque sur les ballades dans l’Art de dictier : « Et premierement est assavoir que il est balade de huit vers, dont la rubriche est pareille en ryme au ver antesequent58 ». Cette remarque initiale sur la disposition finale en rimes plates a de quoi étonner car il s’agit d’une pratique très minoritaire pour l’auteur59. En effet, dans environ 9 ballades sur 10 de Deschamps, la strophe commence et se termine par des rimes croisées, ce qui correspond à ce que nous appelons le « type 1 », caractéristique de ce poète. En revanche Guillaume de Machaut marque une nette préférence pour le « type 2 », où la strophe commence par des rimes croisées mais se termine par des rimes plates, comme dans le premier exemple donné dans l’Art de dictier et dans moins de 5% des pièces de Deschamps. Des poètes comme Jean Froissart ou Christine de Pizan ont davantage varié le type de disposition de rimes dans leurs ballades.
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60 AD, § 8f et 11g, p. 594 et 600.
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61 AD, § 11e, p. 598.
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62 Voir le tableau 36 dans La Poétique des Œuvres complè...
28L’hétérométrie est un autre domaine où l’on constate la relative monotonie des ballades de Deschamps. Contrairement aux poètes virtuoses que sont Guillaume de Machaut et Christine de Pizan, Deschamps n’utilise qu’un nombre limité de formes pour constituer ses ballades. Il évoque à deux reprises dans son art poétique la question de l’hétérométrie dans la ballade et en donne trois exemples, ce qui dépasse la proportion de pièces hétérométriques dans le manuscrit de ses œuvres complètes. Le verbe « couper » sert à décrire ces strophes60, selon une règle qui ne correspond ni à la pratique de Deschamps ni à l’exemple qui suit : « Et se il y a aucun ver coppé qui soit de cinq piez, cellui qui vient aprés doit estre de dix61 ». Le seul modèle de strophe hétérométrique chez Deschamps consiste plutôt à associer à des décasyllabes un seul heptasyllabe, qui apparaît systématiquement avec la troisième rime de la strophe62.
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63 Recueil d’arts de seconde rhétorique, op. cit., p. 25...
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64 AD, § 11c-d, p. 598.
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65 AD, § 13a-d, p. 602.
29La question du rythme n’est pas terminée avec ces remarques sur la longueur des vers. Tous les traités de la fin du Moyen Âge et du xvie siècle sont sensibles au rôle de la rime féminine. On peut citer, par exemple, un Traité de rhétorique anonyme édité par Langlois, selon lequel « Le feminin est le plus ample / D’un pied que l’autre en la rimée63 ». Deschamps lui-même commente la conséquence de la rime féminine sur le nombre de syllabes prononcé. Il fait d’abord une remarque confuse sur la première ballade citée en exemple, dont les vers comptent « xi piez » ou « dix piez »64. Puis il énonce une règle à propos du quatrième exemple : « Et se doit on tousjours garder en faisant balade, qui puet, que les vers ne soient pas de mesmes piez, mais doivent estre de ix ou de x, de vii ou de viii ou de ix, selon ce qu’il plaist au faiseur, sanz les faire touz egaulx, car la balade n’en est pas si plaisant ne de si bonne façon65 ».
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66 La Poétique des Œuvres complètes d’Eustache Deschamps...
30Cette règle, énoncée à propos des ballades, consiste à mélanger des rimes masculines et féminines pour apporter une certaine variation rythmique dans la strophe. Or nos recherches statistiques sur la poésie de la fin du Moyen Âge nous ont permis de constater que les autres formes fixes ne sont effectivement pas concernées par ce mélange de rimes : par exemple, un auteur de rondeaux utilisera indifféremment deux rimes masculines ou deux rimes féminines ou une rime masculine et une rime féminine. En revanche, les auteurs de ballades connaissent et pratiquent cette règle : une écrasante majorité des ballades mélange les rimes masculines et féminines, tandis qu’un dixième des pièces seulement présente des rimes exclusivement masculines ; l’usage de rimes exclusivement féminines est, lui, absolument exceptionnel66.
31Nous avons inventé une terminologie pour rendre compte de ce phénomène métrique67. Nous désignons par hétérométrie forte le mélange de types de vers, c’est-à-dire chez Deschamps l’apparition d’un heptasyllabe au milieu de décasyllabes. Il y a un net écart rythmique entre un seul heptasyllabe (qui compte, en fonction des rimes, sept ou huit syllabes) et une dizaine de décasyllabes (qui comptent dix ou onze syllabes). L’hétérométrie forte concerne un dixième des ballades de Deschamps. Dans les trois-quarts des ballades de Deschamps, on ne constate pas un mélange de types de vers mais un mélange de types de rimes. La strophe ne contient alors qu’un seul type de vers, qu’il s’agisse d’un octosyllabe, d’un décasyllabe, ou plus rarement d’un heptasyllabe, mais elle mêle des rimes masculines et féminines : les vers comptent donc sept et huit syllabes, ou huit et neuf syllabes, ou encore dix et onze syllabes. Nous désignons par hétérométrie faible cette douce variation rythmique, nécessaire, selon Deschamps, pour que la ballade soit « plaisant » et de « bonne façon »68. Nous appelons isométrie pure l’utilisation d’un seul type de rime et d’un seul type de vers. Plus d’un dixième des ballades de Deschamps sont construites exclusivement sur des rimes masculines : l’isométrie masculine n’a donc rien d’exceptionnel. En revanche, on commentera avec un intérêt tout particulier les ballades à un seul type de vers et à rimes toutes féminines.
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69 Anthologie, p. 554-556.
32On peut prendre comme exemple la pièce 174 de l’Anthologie, écrite sur un très banal huitain octosyllabique69. Ce n’est qu’à l’apparition de la troisième rime, vers la fin de la première strophe, que l’impression d’étrangeté commencera à se faire sentir et c’est à la fin de la pièce que l’auditeur sera frappé de l’uniformité rythmique de ces vers impairs, qui comptent tous neuf syllabes. La prosopopée de Raison est ainsi soutenue par l’accumulation dérangeante (pas du tout « plaisante ») de vers uniquement féminins. Ce poème fait l’éloge de l’« atemprance » (v. 34) et formule un ordre moral qui vaut aussi sur le plan métrique : « faire […] Ne trop ne po » (v. 34-35). Les jeunes, les femmes, les moines, tous finissent par s’écarter de la règle – comme la ballade, elle, semble s’écarter des limites attendues.
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70 AD, § 16a-f, p. 606.
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71 Le BnF nafr. 6221 cite les exemples de ballade en ent...
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72 Voir le tableau 59 dans La Poétique des Œuvres complè...
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33Dans la ballade, l’envoi constitue une strophe conclusive, qui reprend le schéma strophique principal tout en l’abrégeant70. Chez Deschamps, l’envoi est facultatif pour la ballade qui compte trois strophes ; il est obligatoire pour les chants royaux qui comptent cinq strophes. Parmi les exemples cités dans l’Art de dictier, tout du moins dans la version du BnF fr. 840, on compte deux envois pour neuf exemples71. Mais dans l’ensemble de son œuvre, les deux tiers des ballades à trois strophes ont un envoi72. D’autres poètes ont pratiqué les ballades avec et sans envoi, que cela soit à titre exceptionnel ou de façon plus régulière73.
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74 Voir le tableau 61 dans La Poétique des Œuvres complè...
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75 Voir le tableau 47 dans La Poétique des Œuvres complè...
34La forme des envois ne correspond pas à la règle énoncée dans l’Art de dictier, selon laquelle un envoi compte (hors refrain) autant de vers que la pièce compte de strophes74. En fait, plus de la moitié des ballades de Deschamps à trois strophes ont un envoi de six vers, tandis qu’un petit sixième des chansons royales à cinq strophes ont un envoi de quatre vers. Il existe une plus grande corrélation entre le nombre de vers et le nombre de rimes, c’est-à-dire que l’envoi a tendance à s’allonger lorsque le nombre de rimes augmente, mais là encore on ne peut énoncer de règle universelle. L’essentiel des envois prend deux formes, xrxR ou xxrxxR, r étant la rime du refrain R et x une autre rime75. On constate que l’envoi ne reprend pas toujours la fin de la forme strophique principale.
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76 À propos des « chançons royaulx », Deschamps note qu’...
35Par son art poétique, mais surtout par son abondante pratique, Deschamps a révolutionné les formes fixes héritées des Puys et pratiquées par quelques auteurs de cour avant lui au xive siècle. Il a en effet fusionné deux formes fixes : la ballade, à trois strophes et refrain mais sans envoi, et le chant royal, à cinq strophes et envoi mais sans refrain. Plus largement, Deschamps a englobé dans un genre unique ce qui s’appelait, dans les concours, la ballade, l’amoureuse, la sotte chanson, le serventois ou le chant royal, en assimilant en même temps la pastourelle. Il évoque en passant ces différents sous-genres76, pour insister au contraire sur l’unité de la « ballade » à laquelle il consacre la première, et la plus longue partie, de son exposé sur les formes fixes.
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77 L’œuvre de Deschamps illustre cette remarque de l’Art...
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78 Ian Laurie montre que les thèmes non amoureux sont tr...
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79 Selon Michel Zink, dans la ballade « l’unique vers re...
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80 Le Poète et le Prince, op. cit., p. 389.
36Désormais la ballade est un genre à tout faire. Sa strophe d’une petite dizaine de vers offre un nombre important de variations sur le plan du rythme et des rimes. Sa malléabilité est aussi thématique puisque la ballade peut évoquer tout sujet, grave ou léger, amoureux ou moral, religieux ou profane77. Cette ouverture se constate dans le BnF fr. 840 pour toutes les formes fixes, mais les nouveaux thèmes semblent encore plus variés et plus approfondis dans les ballades78. Les dimensions moyennes de la ballade – par comparaison avec le bref rondeau et le long lai – permettent en effet de donner une certaine ampleur à l’argumentation, sans renoncer à l’art de l’allusion et à l’effet de pointe apporté par le refrain79. La « création lyrique » peut ainsi « combiner le mouvement objectif, défini par la structure de la strophe, avec le mouvement subjectif de la pensée et de la phrase », selon « bien des nuances », écrit Daniel Poirion80.
Conclusion
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81 « Qu’est-ce qu’une forme fixe ? », art. cit., p. 16.
37Un poème « pas plus qu’un nuage, n’est lui-même fixe », « tant qu’il existe dans le champ vivant de la poésie »81. Cette image de Jacques Roubaud s’applique à toutes les formes évoquées par Deschamps dans son Art de dictier. L’énoncé de règles, ni exhaustives ni suffisantes pour décrire l’ensemble des pièces de l’auteur, ne coïncide même pas exactement avec les exemples présentés, mais rend pourtant visible et compréhensible l’existence d’un cadre dans lequel le poète pratique son art. Le lecteur est ainsi invité à admirer des formes fixes mais non figées, voire à les décliner lui-même à sa guise, selon son « sentement ».
Notes
1 Théodore de Banville, Petit Traité de poésie française, Paris, A. Le Clère, 1872, p. 163.
2 Ibid., p. 163-164.
3 « J’ai craint de créer à l’écolier des difficultés, en lui citant des Ballades où le vieux langage, les rimes parfois pauvres ou étranges au point de vue moderne et les hiatus l’empêcheraient peut-être de voir clairement le dessin du poëme. Mais François Villon fut et reste le roi, l’ouvrier invincible, le maître absolu de la Ballade. » (Ibid., p. 168).
4 Voir § 1a, § 6m-n, § 6v, § 8d et § 24b, Eustache Deschamps, Anthologie, Clotilde Dauphant (éd. et trad.), Paris, Le Livre de Poche, coll. « Lettres gothiques » [désormais « Anthologie »], pièce 187 [désormais AD], p. 582-635. Les critiques étrangers utilisent généralement l’édition, avec une traduction anglaise, de Deborah Sinnreich-Levi (Eustache Deschamps, L’Art de Dictier, East Lansing, Colleagues Press, 1994) ; on y trouvera une introduction intéressante sur la tradition vernaculaire des arts poétiques (p. 15-29) ; mais l’édition présente des erreurs, par exemple la lettre capitale B est mal lue. Mieux vaut se reporter aux Œuvres complètes d’Eustache Deschamps, Marquis de Queux de Saint-Hilaire et Gaston Raynaud (éd.), Paris, Didot, SATF, 1878-1903, t. VII, p. 266-292.
5 AD, § 24m, p. 634.
6 Voir la chronologie proposée par James Laidlaw et Christine Scollen-Jimack (Eustache Deschamps. Ca 1340-1404 : anthologie thématique, Paris, Classiques Garnier, 2017, p. 23). Deschamps est né avant 1344. Son premier ouvrage daté a été écrit en 1368 : c’est la Charte des Fumeux (Anthologie, pièce 188, p. 636-648).
7 Voir Daniel Poirion, Le Poète et le Prince. L’évolution du lyrisme courtois de Guillaume de Machaut à Charles d’Orléans, Paris, PUF, 1965 ; Genève, Slatkine Reprints, 1978, p. 156 ; le critique montre lui-même un certain dédain pour les bourgeois « poètes du dimanche » et la « grande foire poétique des puys » par opposition à la « parole aristocratique » qui « gardera la dignité du chant courtois ».
8 La table des matières du BnF fr. 830 annonce (f°1v) « chançons royaus amoureuses et serventois de Nostre Dame couronnees en pluiseur villes ».
9 AD, § 6u, p. 590.
10 AD, § 6w, p. 592.
11 AD, § 7g-j, p. 592.
12 AD, § 19d, p. 612.
13 AD, § 1d, p. 582-584.
14 AD, § 24h, p. 634.
15 AD, § 23b-g, p. 626.
16 Le Doctrinal de la seconde rhétorique de Baudet Herenc explique de manière similaire que le lai « doibt estre de douze couplès, dont le premier et le derrenier couplet sont d’une façon et d’une consonance, et les .x. aultres couplès sont chacun par soy de fasson » : Recueil d’arts de seconde rhétorique, Ernest Langlois (éd.), Paris, Imprimerie nationale, 1902 ; Genève, Slatkine Reprints, 1974, p. 166.
17 AD, § 23m et 23o, p. 632.
18 AD, § 23p-q, p. 632.
19 L’Art de dictier est copié dans deux manuscrits. Dans le BnF fr. 840, les exemples de ballades (f°396c-398a) sont réduits à la première strophe, suivie de l’envoi pour le 7e et le 9e ; les trois premières strophes du lai puis la douzième sont citées en entier (f°399d-400b). Dans le BnF nafr. 6221, les ballades sont citées en entier (f°30a-31c) sauf pour l’exemple 7 où un blanc est laissé entre la première strophe et l’envoi ; en revanche, la citation du lai est tronquée après une strophe et demi (f°32c), avec un renvoi au texte complet dans une autre partie du manuscrit.
20 AD, § 23h-i, p. 626.
21 Ibid.
22 Voir Clotilde Dauphant, La Poétique des Œuvres complètes d’Eustache Deschamps (ms. BnF fr. 840). Composition et variation formelle, Paris, Champion, 2015, tableau 11, p. 147. À propos du lai chez Deschamps, voir p. 146-160.
23 Anthologie, pièce 52, p. 160-215.
24 La section des lais dans le BnF fr. 830 (f°114c-139b) compte douze pièces de Froissart. Celle du BnF fr. 840 (f°67v-102r) compte douze pièces de Deschamps (numérotées 304 à 314 et 309bis dans les Œuvres complètes d’Eustache Deschamps, op. cit.).
25 Les Formes fixes dans la poésie du Moyen Âge roman (1100-1500), actes du colloque international (22-23 mai 1997), Atalaya, 8, automne 1997, p. 7-20.
26 Ibid., p. 11.
27 Anthologie, pièce 53, p. 262-276 et AD, § 23, p. 626-632.
28 AD, § 21, p. 618-624.
29 L’Anthologie contient 25 rondeaux dont 20 en décasyllabes, 4 en octosyllabes et 1 en heptasyllabes. À propos du rondeau chez Deschamps, voir Clotilde Dauphant, La Poétique des Œuvres complètes d’Eustache Deschamps, op. cit., p. 162-181. Sur le rondeau en général, voir Mathias Sieffert, « Mathias Sieffert, L’Écriture de la voix. Poétique du rondeau sans musique à la fin du Moyen Âge (1350-1465) », Perspectives médiévales [en ligne], 40, 2019 : https://journals.openedition.org/peme/19093.
30 L’Anthologie contient 6 rondeaux en AB, 15 en ABB et quatre formes plus originales à refrain de trois, quatre ou cinq vers.
31 AD, § 6m, p. 590.
32 AD, § 21a-g, p. 618-624.
33 Voir Clotilde Dauphant, « Le rondeau, une forme incomplète : la présentation des rondeaux d’Eustache Deschamps dans le BnF fr. 840 », Le Rondeau entre xiiie et xvie siècles, Jacqueline Cerquiglini-Toulet, Clotilde Dauphant et Sylvie Lefèvre (dir.), Paris, Champion, 2021, p. 59-94.
34 Anthologie, pièce 91, p. 372.
35 Anthologie, pièce 103, p. 384.
36 Michel Zink voit dans le rondeau et le virelai une « poésie de la volute » : « Le lyrisme en rond. Esthétique et séduction des poèmes à forme fixe au Moyen Âge », Cahiers de l’association internationale des études françaises, 32, mai 1980, p. 71-90, cit. p. 90.
37 C’est le sous-titre du volume Le Rondeau entre xiiie et xvie siècles, op. cit.
38 AD, § 6n-o et 20a-f, p. 590 et 612.
39 AD, § 7, p. 592 : la poésie et la musique sont « plus anobliz et mieulx seans » et « delectables et embellies » lorsqu’elles sont pratiquées ensemble (§ 7d-e), même si les poèmes sont « moult voulentiers oïs, ou le chant de la musique artificiele n’aroit pas tousjours lieu » (§ 7g-h).
40 AD, § 6, p. 588-592. Voir en particulier Philipp Jeserich, Musica naturalis. Tradition und Kontinuität spekulativ-metaphysischer Musiktheorie in der Poetik des französischen Spätmittelalters, Stuttgart, Steiner, 2008.
41 Paul Zumthor note dans une simple parenthèse que dans le titre du traité « dictier dénote une opération rhétorique, latin dictari » (Essai de poétique médiévale, Paris, Seuil, 1972 ; rééd., 2000, p. 320). Michèle Gally associe l’importance de la rhétorique à l’influence de Machaut, qui « affirme la nécessaire collaboration de la rhétorique et de la musique dans la fable allégorique de son Prologue » (« Présentation », Oc, oïl, si. Les langues de la poésie entre grammaire et musique, Fayard, 2010, p. 7-40, ici p. 26). Voir aussi Ludmilla Evdokimova, « Rhétorique et poésie dans l’Art de dictier », Autour d’Eustache Deschamps, actes du colloque du Centre d’études médiévales de l’Université de Picadie - Jules Verne à Amiens (5-8 novembre 1998), Danielle Buschinger (dir.), Amiens, Presses du Centre d’études médiévales de l’Univ. de Picardie, 1999, p. 93-102.
42 C’est particulièrement frappant dans le livre de Philipp Jeserich (Musica naturalis, op. cit.). Le traité est étudié à deux reprises (p. 28-51 et 350-388), pour sa première partie théorique exclusivement. La deuxième étude de l’Art de dictier s’ouvre brièvement à l’œuvre de Machaut et à quelques poèmes de Deschamps (surtout les deux ballades pour la mort de Machaut) mais n’aborde jamais la présentation des formes fixes dans le traité.
43 « La poésie ... ceste musique naturele. Essai d’exégèse d’un passage de l’Art de dictier d’Eustache Deschamps », Fin du Moyen Âge et Renaissance. Mélanges de philologie française offerts à Robert Guiette, Anvers, De Nederlandsche Boekhandel, 1961, p. 49-64, cit. p. 57.
44 Parmi 83 virelais, on compte 10 pièces à une strophe (deux sont cités dans l’Anthologie, n°89 et 90), 51 à deux strophes (cinq dans l’Anthologie), 21 à trois strophes (trois dans l’Anthologie) et 1 irrégulière (n°86 dans l’Anthologie). Sur les virelais chez Deschamps, voir Clotilde Dauphant, La Poétique des Œuvres complètes d’Eustache Deschamps, op. cit., p. 181-194.
45 Anthologie, pièces 111, 112 et 113, p. 394-402.
46 Voir les tableaux 17 et 18 dans La Poétique des Œuvres complètes d’Eustache Deschamps, op. cit., p. 185 et 186.
47 AD, § 19d, p. 612.
48 AD, § 20a, p. 612.
49 On trouvera dans La Poétique des Œuvres complètes d’Eustache Deschamps (op. cit.) une présentation des ballades de Deschamps (p. 205-214) puis des chapitres consacrés aux formes strophiques (p. 239-305), à l’envoi et au refrain (p. 307-354), aux différents sous-genres (p. 357-407) et aux pièces irrégulières (p. 409-489).
50 AD, § 12a, 12c-e, 12f et 14a-e, p. 600-604.
51 Ian Laurie en fait la remarque dans « Deschamps and Lyric as Natural Music », The Modern Language Review, LIX, 1964, p. 561-570, ici p. 563. Il cite comme tout à fait exceptionnelles, dans les Œuvres complètes d’Eustache Deschamps (op. cit.), les ballades 9 (qui correspond à la pièce n°2 de l’Anthologie), 18, 461 et 477 (qui correspond à la pièce n°73 de l’Anthologie et à l’exemple 6 de l’Art de dictier) et les rondeaux 618, 930 et 931 (qui correspond à la pièce n°133 de l’Anthologie).
52 AD, § 11f, 12f, 13a, 15a, p. 600-606.
53 AD, § 16a-b, p. 606.
54 Voir le tableau 25 dans La Poétique des Œuvres complètes d’Eustache Deschamps, op. cit., p. 241. L’Anthologie contient 10 ballades en huitain octosyllabique (sur 92, dont l’exemple 7 de l’Art de dictier) et 50 en huitain décasyllabique (sur 379, dont les exemples 2-6-8), 20 ballades en dizain octosyllabique (sur 169, dont l’exemple 5) et 45 en dizain décasyllabique (sur 295, dont l’exemple 4).
55 L’Anthologie contient 18 ballades hétérométriques sur 114 de Deschamps, dont les exemples 1-3-9 de l’Art de dictier.
56 AD, § 17b, p. 608.
57 Voir le tableau 50 dans La Poétique des Œuvres complètes d’Eustache Deschamps, op. cit., p. 349.
58 AD, § 11b, p. 598.
59 Voir les tableaux 31-32 dans La Poétique des Œuvres complètes d’Eustache Deschamps, op. cit., p. 257.
60 AD, § 8f et 11g, p. 594 et 600.
61 AD, § 11e, p. 598.
62 Voir le tableau 36 dans La Poétique des Œuvres complètes d’Eustache Deschamps, op. cit., p. 270.
63 Recueil d’arts de seconde rhétorique, op. cit., p. 254. Baudet Herenc constate que dans les lais « la plus longue ligne ne passe point .ix. sillabes, qui est feminine, et la masculine de .viij. sillabes […]. La feminine toudis a une sillabe plus longue que la masculine. » (Ibid., p. 166). Dans l’Art de dictier, pour cette même raison, la septième ballade citée en exemple est décrite comme une « balade de ix et de viii piez » : AD, § 15a, p. 606.
64 AD, § 11c-d, p. 598.
65 AD, § 13a-d, p. 602.
66 La Poétique des Œuvres complètes d’Eustache Deschamps, op. cit., p. 274-304. Voir aussi Clotilde Dauphant, « Le genre des rimes dans le Livre du duc des vrais amants », Fabula / Les colloques, L’auctorialité féminine dans les fictions courtoises, des trobairitz à Christine de Pizan, URL : https://www.fabula.org/colloques/document6263.php.
67 Clotilde Dauphant, « L’hétérométrie "faible", l’hétérométrie "forte" et l’isométrie "pure" : les trois types de strophes dans la ballade française à la fin du Moyen Âge », Formes strophiques simples. Simple Strophic Patterns, Levente Seláf, Patrizia Noel Aziz Hanna et Joost van Driel (dir.), Budapest, Akadémiai Kiadó, 2010, p. 171-191.
68 AD, § 6d, p. 602.
69 Anthologie, p. 554-556.
70 AD, § 16a-f, p. 606.
71 Le BnF nafr. 6221 cite les exemples de ballade en entier, et donc aussi les envois des exemples 4 et 5.
72 Voir le tableau 59 dans La Poétique des Œuvres complètes d’Eustache Deschamps, p. 398.
73 La Poétique des Œuvres complètes d’Eustache Deschamps, op. cit., p. 399-402 : Michault Taillevent, François Villon, Geoffrey Chaucer, Charles d’Orléans, John Gower, Oton de Grandson et Christine de Pizan.
74 Voir le tableau 61 dans La Poétique des Œuvres complètes d’Eustache Deschamps, op. cit., p. 403.
75 Voir le tableau 47 dans La Poétique des Œuvres complètes d’Eustache Deschamps, op. cit., p. 309. L’Anthologie contient 37 ballades avec envoi xrxR (sur 276) et 61 ballades avec envoi xxrxxR (sur 480).
76 À propos des « chançons royaulx », Deschamps note qu’ils « estoient de cinq couples, chascune couple de x, xi ou xii vers ; et de tant se puelent bien faire, et non pas de plus, par droitte regle » (§ 16a-b). Les serventois leur sont associés : « Serventois sont faiz de cinq couples comme les chançons royaulx » (§ 19b).
77 L’œuvre de Deschamps illustre cette remarque de l’Art de dictier « que ceste musique naturele se face de volunté amoureuse a la louenge des dames et en autres manieres selon les materes et le sentement de ceuls qui en ceste musique s’appliquent » (AD, § 6p-q, p. 590).
78 Ian Laurie montre que les thèmes non amoureux sont très rares dans les rondeaux des xiiie et xive siècles avant Deschamps, un peu moins dans les ballades (« Deschamps and Lyric as Natural Music », art. cit., p. 570). Dans sa synthèse sur « La poésie de circonstance » (La Littérature française aux xive et xve siècles, Daniel Poirion (dir.), Grundriβ der romanischen Literaturen des Mittelalters, t. VIII/1, Heidelberg, Carl Winter Universitätsverlag, 1988, p. 111-138, cit. p. 122), Claude Thiry note que la ballade est la forme fixe la plus apte « à véhiculer l’événement historique précis et politisé », mais que les autres évoquent elles aussi des circonstances à la fin du Moyen Âge, sur un ton plus noble et général (pour le lai et le chant royal) ou « en mode mineur » (pour le rondeau et le virelai).
79 Selon Michel Zink, dans la ballade « l’unique vers refrain séduit l’esprit comme une citation bien trouvée, chaque fois adaptée de façon ingénieuse au contexte » tandis que les strophes relativement longues « permettent au discours poétique de se déployer et de mettre en évidence ses articulations » (« Le lyrisme en rond », art. cit., p. 88).
80 Le Poète et le Prince, op. cit., p. 389.
81 « Qu’est-ce qu’une forme fixe ? », art. cit., p. 16.
Pour citer cet article
Quelques mots à propos de : Clotilde Dauphant
Clotilde Dauphant est maîtresse de conférences en littérature médiévale à Sorbonne Université et membre de l’EA4349. Spécialiste de la poésie lyrique française de la fin du Moyen Âge, elle a publié sa thèse sur La Poétique des œuvres complètes d’Eustache Deschamps (ms BnF fr. 840) chez Champion en 2015.