XVIIe siècle
Agrégation 2023
N° 24, automne 2022

Céline Fournial

La Mort de Sénèque ou le drame de la parole

1Dans la tragédie de la conjuration qu’est La Mort de Sénèque, la parole revêt de multiples enjeux. Elle engage, cherche à convaincre ou à persuader, elle est action et vise à faire agir, elle permet aussi de flatter et de dissimuler la vérité et les intentions des personnages, que ce soient celles des conjurés ou celles du tyran et de son épouse. Les conjurés, conformément à l’étymologie du mot, sont liés par la parole donnée. Dans cette tragédie où la fonction conative du langage est prépondérante, il importe d’être le plus convaincant, pas forcément le plus vrai. D’ailleurs, contrairement aux autres tragédies de Tristan, tous les personnages de La Mort de Sénèque mentent et feignent. Dans cet espace dramatique où la parole est instrumentalisée et contredite, où elle varie selon les interlocuteurs et selon les circonstances, la défiance est constante et l’incertitude domine. Parole et vérité sont dissociées, les signes langagiers sont réversibles au point que les personnages, qui eux-mêmes se servent des ressources du langage pour dissimuler ou manipuler, hésitent sur le degré de vérité à accorder à la parole de leur interlocuteur et que le public, parfois laissé à sa perplexité et à sa propre interprétation, doute à son tour. La croyance et l’interprétation sont au cœur de l’intrigue et ont dès lors un rôle dramatique important. Il s’agira donc d’interroger les rapports entre langage et vérité dans La Mort de Sénèque et d’examiner le dispositif herméneutique que met en œuvre l’action tragique. Dans ce drame de la parole, le rapport à l’autre passe bien souvent par l’artifice d’un langage duplice, qui place le doute et la méfiance au centre de l’intrigue. Le dispositif dramaturgique favorise un scepticisme qui peut même toucher le spectateur. La vérité ne peut dès lors être révélée que par des signes non langagiers.

La tragédie de la conjuration : un jeu de dupes

  • 1 La Mariane, II, 1, v. 355-368, 375-376, 521-522, dans ...

  • 2 La Mort de Sénèque, I, 2, v. 177-344.

2Alors que dans La Mariane, les deux personnages principaux, Mariane et Hérode, ne feignent pas, expriment librement leurs émotions, leurs passions et s’adressent sur scène à leurs interlocuteurs sans passer par le mensonge ou la dissimulation – précisément Mariane revendique sa liberté de parole au nom de son rang1 –, il n’en est pas de même, il s’en faut de beaucoup, dans La Mort de Sénèque, où tous les personnages mentent, dissimulent, trahissent ou flattent, quel que soit leur rang ou leur degré d’héroïsme dans l’action tragique. Dès son entrée en scène, à l’acte I, Sénèque use de la feinte, successivement face à Néron et face à Rufus. Il flatte Néron dans une longue tirade2 qui multiplie les termes mélioratifs (« ta grâce », « ta main libérale », « ta gloire », « un si digne maître », « L’honneur de te servir m’a trop récompensé », « Les traits de ton esprit et ceux de ta mémoire / En cent occasions ont trop fait pour ma gloire », « ta grandeur », « ta bonté ») et qu’il contredit dès son retour sur scène à la scène 4 de l’acte II lors de son dialogue avec son neveu Lucain. Les termes d’éloge cèdent alors la place au blâme (« de honteux plaisirs », « sa cruauté secondant sa mollesse », « sa faiblesse », « leur avare esprit », « son cœur ingrat » ou encore « c’est un fléau des dieux »), avant que le philosophe n’encourage la conjuration et ne conseille d’en hâter l’exécution (v. 661-665), quoiqu’il se refuse à y prendre part. De même, ce qu’il avait dit à Rufus à la fin de l’acte I (« Il a trop de bonté, il me fait trop d’honneur », I, 2, v. 312) est encore contredit à l’acte II (v. 597-600). De fait, Sénèque refuse la parole franche à laquelle l’incite le capitaine des gardes et met un terme au dialogue par la pirouette rhétorique de l’interrogation oratoire à double entente :

Rufus

À parler librement, c’est un étrange maître.
Vous le connaissez bien.

Sénèque

Qui le peut mieux connaître ? (I, 2, v. 313-314)

3L’héroïne de la conjuration, Épicaris, se sert aussi des ressources du langage pour feindre. Celle qui prononce un discours véhément et très visuel pour haranguer les conjurés dès son entrée en scène à la scène 2 de l’acte II se définit comme celle qui sait maîtriser sa parole :

Ma langue n’eut jamais ce flux involontaire
Qui fait souvent parler alors qu’il faut se taire (II, 3, v. 509-510).

  • 3 III, 1, v. 752-754, 756, 767-770.

  • 4 « À ces mots tu pâlis » (IV, 3, v. 1290).

4C’est aussi de la sorte que la décrit Procule : « Je suis rude et grossier ; elle adroite et subtile » (III, 1, v. 835), puis : « Si tu parles toujours tu gagneras ta cause » (v. 856). Épicaris ment avec aplomb face à Néron et à son accusateur, au point de faire douter l’empereur. La conjurée nie toute implication dans un complot et réfute toutes les accusations3. Surtout, face à l’empereur qui scrute les signes de sa culpabilité, elle affiche un visage aussi assuré que ses paroles, contrairement à Sévinus à l’acte suivant4, dans une maîtrise parfaite de l’art de la comédienne que commente Néron, lui qui pensait « surpren[dre] cet esprit » (III, 1, v. 739) : « Ah ! qu’elle est assurée en tenant ce langage » (v. 755). À cette fermeté tant verbale que physique, Épicaris adjoint une autre stratégie discursive, qui vise à discréditer la parole de Procule en la ridiculisant d’une part et en dévaluant ses prétendues motivations politiques d’autre part. Les accusations de Procule sont alors relues par Épicaris au prisme du dépit amoureux et la conjurée se sert de la raillerie comme d’une arme rhétorique (III, 1, v. 801-803, 806). Ainsi, après son coup d’éclat rhétorique de l’acte II, elle se montre encore experte dans le maniement de la parole, alors même que la tension dramatique est à son comble. Elle se moque de la bêtise de son accusateur qui se laisse prendre au piège du dialogue, qu’elle mène du reste en utilisant la modalité injonctive (v. 801, 806) et en posant elle-même les questions (v. 806, 818-821) :

Ô surprise plaisante !
Un aveu si naïf de tout soupçon m’exempte :
Il s’est trahi lui-même ; ô César, qu’en dis-tu ? (III, 1, v. 823-825) ;

5avant d’achever de ridiculiser son accusateur par une rime qui le condamne sans appel :

Ô témoin ridicule !
Pour me justifier il suffit de Procule. (III, 1, v. 851-852)

6Cette résistance brillante au cours d’une telle épreuve tragique et cet art de la parole mis au service de la conjuration favorisent la complicité du spectateur et participent à héroïser le personnage capable de faire preuve de finesse d’esprit et de maîtrise de sa parole, alors même que sa vie est en jeu.

7Tous les conjurés doivent masquer leurs intentions et mentir s’ils se trouvent en présence de l’empereur ou de traitres potentiels. Dans une forme de mise en abyme du jeu du comédien, ils jouent deux rôles, selon leurs interlocuteurs, celui de conjuré ou celui de serviteur fidèle de l’empereur. Le spectateur en voit donc plusieurs sur scène tenir deux discours antithétiques. Rufus, capitaine des gardes de Néron, est, plus encore que les autres conjurés, contraint à mentir et à dissimuler, au point même de devoir, sur ordre de Néron, menacer son complice (« prenant Sévinus au collet », IV, 3, p. 309) en lui enjoignant par trois fois de nommer les conjurés (v. 1333, 1335). Or cette dissociation entre l’énonciateur et son énoncé crée une péripétie dans ce drame de la parole : Sévinus ne comprend pas que Rufus doit tenir son rôle ordinaire en présence de Néron et tenir le discours que lui impose sa fonction, à la fois pour se sauver et pour préserver la conjuration. Loin d’y voir un jeu de comédien contraint, il s’en indigne et n’y voit qu’effronterie : « Ô l’impudence extrême ! » (v. 1335). Dès lors, Sévinus qui mentait et refusait de nommer les conjurés se met à menacer à son tour celui qui le presse et à le désigner comme comploteur : celui qui se sentait trahi devient traitre et ne comprend qu’à contre-temps les signes de Rufus qui démentaient ses paroles (v. 1342). Ce retournement de situation est d’ailleurs raconté à Sabine par Néron à la scène suivante :

En cette occasion, ce perfide flatteur
Voulait faire parler ce sage Sénateur,
Et pour se couvrir mieux, lui faisait des demandes
Avec une insolence et des rigueurs trop grandes,
Alors qu’importuné des propos de Rufus,
Sévinus l’a fait taire et l’a rendu confus. (IV, 4, v. 1353-1358)

8Précisément, Sévinus est celui qui ne sait pas tenir son rôle ni sa langue, ainsi que le décrit Sénèque à la scène 4 de l’acte II :

Si ses propos mal joints ne donnent des soupçons,
Il en pourra donner par toutes ses façons. (v. 659-660)

9Ce commentaire est programmatique de l’acte IV, où Sévinus ne résiste pas plus de cinq répliques face à Néron avant d’avouer le complot (IV, 3, v. 1291-1312), et pas plus de deux répliques avant d’accuser Rufus (IV, 3, v. 1328-1334). Le contraste avec Épicaris est d’autant plus fort que le spectateur a vu celle-ci à l’acte précédent rester ferme jusqu’au bout de sa longue scène face à Procule et Néron et aller à la torture sans rien céder.

  • 5 I, 1, v. 121-126.

10Si Sabine, tout entière mue par sa haine de Sénèque dès la première scène de la tragédie, intrigue sans cesse pour sa mort et l’ajoute calomnieusement à la liste des conjurés à la dernière scène de l’acte IV, elle agit de la sorte conformément à son rôle-type de mauvaise conseillère. Néron use lui aussi du mensonge et de la feinte, lui qui prétend que « Jamais un Empereur ne parle par surprise » (III, 1, v. 763). Sénèque n’en est pas dupe, nous l’avons vu, et Épicaris décrit Néron au dernier acte comme un expert en l’art de la dissimulation, dès son accession à l’empire, en employant le lexique de la duplicité aux vers 1731-1735 : « hypocrite », « se couvrait faussement », « feignait », « cachant ». Dès la première scène, le couple impérial place la tragédie sous le signe de la parole feinte. Néron est aisément convaincu par les calomnies de Sabine5 de la nécessité de mettre à mort Sénèque et expose alors une stratégie discursive qui passe par la flatterie et les faux-semblants :

Mais pour le perdre mieux il faut le caresser,
Il faut lui tendre un piège avec tant d’artifice
Qu’on lui puisse imputer notre propre malice (v. 128-130),

11stratégie qu’il met en place dès l’arrivée de Sénèque tout en la donnant en spectacle à Sabine :

Vois si facilement on me peut abuser,
Et lequel de nous deux sait le mieux déguiser. (v. 171-172)

12Ces vers sont chargés d’ironie dramatique dans la mesure où, précisément, Néron vient de se laisser abuser par son épouse. En outre, il fait de cet art de la parole feinte une stratégie politique (v. 138-154), justifiée par l’instabilité de son pouvoir, qui implique d’agir à couvert, dans un État où du reste la feinte est générale : « Le Sénat qui me hait et feint de m’adorer » (v. 147). Sous un tyran, la parole est toujours contrainte par la peur, et le tyran n’en est pas exempté ; lui-même ne peut toujours parler ni agir « ouvertement » (v. 152) de peur d’être renversé.

13Dans un effet de boucle tragique, la tragédie s’ouvre par la joie de Néron d’avoir mis à mort Octavie, de sorte que celle

Qui blâmait en secret toutes [s]es actions
Ne fera plus mouvoir la langue envenimée (I, 1, v. 4-5),

14et s’achève par la condamnation à mort d’Épicaris qui sera de surcroît torturée pour ses paroles : « Ta langue pour ce mot sera bientôt coupée ! », lui lance Sabine (V, 3, v. 1719). Dans cet espace politique et tragique où la parole n’est que rarement libre, le doute et la défiance règnent, tandis que les valeurs se trouvent renversées, en témoignent les Arguments placés en tête des actes, dans lesquels le dramaturge évoque en termes mélioratifs la faculté de ses personnages à user des artifices du langage. Dans l’Argument du premier acte, Tristan justifie les stratégies discursives de Sénèque qui « sachant qu’on en voulait à sa vie pour avoir son bien, essaie de parer ce coup », puis « comme un sage consommé, ne se laisse point tâter en cet endroit, craignant les artifices de la Cour » (p. 248). De même, Tristan loue l’adresse d’Épicaris à nier son implication dans la conjuration en tête de l’acte III : « bien qu’elle se défende adroitement du crime » (p. 279). La parole feinte peut dès lors témoigner aussi bien de la corruption que de la sagesse et de la prudence du personnage.

Le pouvoir tyrannique ou l’ère du soupçon

15Au sein de cette tragédie du mensonge et de la feinte généralisés, les personnages se méfient bien souvent de leurs interlocuteurs. La parole peut rarement dire le vrai, dès lors les signes langagiers sont suspects et l’action tragique repose sur un scepticisme fondamental que pose du reste Sabine dès la première scène comme un principe de science politique dans un énoncé à valeur de vérité générale :

Pour s’assurer d’un trône, il faut être capable
De confondre parfois innocent et coupable,
Et ne discerner point ce qu’on doit immoler
Quand notre impunité nous peut faire ébranler. (I, 1, v. 37-40)

16Ces vers ont une valeur programmatique et définissent l’orientation de l’action tragique dès l’ouverture de la pièce. De fait, la condamnation à mort de Sénèque, victime innocente qui refuse catégoriquement de prendre part à la conjuration contre son « nourrisson » (v. 680) à la scène 4 de l’acte II, témoigne de cette absence de discernement érigée en principe de précaution. Assailli par des paroles contradictoires et dès lors incapable de distinguer le vrai du faux, Néron condamne et confond. La scène du procès d’Épicaris, qui ouvre l’acte III, est ainsi fondée sur plusieurs revirements du juge qu’est Néron. En effet, alors que la conjurée est déclarée coupable dès le début de la scène (III, 1, v. 731-734), elle convainc ensuite Néron lorsqu’elle fait de l’accusation de Procule une calomnie due au désir de vengeance d’un amoureux rebuté. L’empereur déclare alors : « Le fait est démenti, Procule est récusé » (v. 789). Il annonce même à l’accusateur qu’il saura se venger de lui, dans un retournement complet de situation (v. 827-833). Mais lorsque Procule prétend avoir feint d’aimer Épicaris afin qu’elle lui révèle les secrets du complot (v. 859-876) et qu’il soutient son accusation par des preuves éthiques (v. 893-896), l’empereur-juge est perplexe face aux tirades contradictoires. Lui qui voulait au début de la scène « [s’]éclaircir sur cette vérité » (v. 738) concède à la fin du dialogue, à la suite de l’accusateur lui-même (« La preuve me défaut, mais non la vérité », v. 898) qu’il ne dispose d’aucune preuve qui vienne accréditer les dires de Procule : « [La chose] peut être vraie et n’être point prouvée » (v. 904). Le cas semble donc indécidable et la vérité très incertaine. Mais, dans le doute, Néron applique la maxime de Sabine :

Oui, oui, quoi qu’il en soit, Procule en sera cru.
Le mal peut être grand, il y sera prévu (v. 905-906),

17avant de condamner Épicaris « à la gêne » (v. 908).

18À la scène 4 de l’acte III, Néron se retrouve face à un nouveau cas de perplexité, lorsqu’il convoque Sévinus qui dément les accusations de son affranchi Milicus. Un personnage contredit l’autre et le dialogue est bloqué, comme le montrent les deux hémistiches antithétiques : à Néron qui déclare « Mais Milicus le dit », Sévinus réplique « Moi je dis le contraire » (III, 4, v. 1044), avant d’user, à l’instar de Procule, de la preuve éthique (v. 1045-1062). Mais cela ne suffit pas à emporter l’adhésion de Néron qui arbitre le dialogue et attend la réplique de Milicus (v. 1063). Or celui-ci annonce une preuve supplémentaire qui viendrait accréditer la preuve matérielle du poignard et qui mettrait un terme à la joute verbale en révélant la vérité :

César, ce sénateur saura bien se défendre,
S’il peut parer un trait dont je le vais surprendre ;
Nous le verrons au bout de sa subtilité,
Il ne te pourra plus cacher la vérité. (v. 1071-1074)

19Dans un effet de suspens qui clôt le troisième acte, Milicus met en spectacle la parole, en faisant appel au sens de la vue, et dramatise la révélation de la vérité. Lorsque Néron revient interroger Sévinus, il tient à la main un papier, comme l’indique la didascalie initiale de la scène 3 de l’acte IV, afin de confronter la parole écrite – et par là même donnée comme plus véridique – qu’il exhibe (« Aux dépositions que voici contre toi », IV, 3, v. 1286), et la parole orale de Sévinus qu’il oriente par un préambule qui fait croître la tension dramatique (v. 1280-1288) et déstabilise le sénateur au point que celui-ci passe rapidement aux aveux, ainsi que l’avait annoncé Milicus.

20L’opposition écrit/oral ressurgit à la scène suivante et permet à Sévinus de contourner son serment. Face aux instances et aux menaces de Néron et de Sabine qui veulent que le sénateur dénonce les autres conjurés, celui-ci cède tout en prétendant ne pas trahir sa parole :

Je ne saurais parler ; j’en ai donné ma foi.
Tout ce que je puis faire en un état si triste,
C’est de vous présenter seulement cette liste. (IV, 4, v. 1374-1376)

21Il joue sur les mots et substitue à une dénonciation orale qui ferait de lui un parjure une dénonciation écrite qui lui semble ne pas rompre son serment. Ces détours et ces arrangements avec la parole donnée revêtent en outre des enjeux dramatiques. En effet, Sabine profite de cette situation de parole empêchée pour ajouter calomnieusement Sénèque à la liste des conjurés, alors que celui-ci n’y figure pas et que Sévinus se refuse à parler des membres de la conjuration. La liste peut ainsi être commentée, manipulée, faussée sans contredit. Sabine théâtralise sa victoire en faisant dire aux mots écrits autre chose que ce qu’ils signifient :

César, lis ce papier, et vois si j’ai raison
Quand je tiens pour suspects et Sénèque et Pison.
Pour s’emparer du trône et pour t’ôter du monde,
Pison est chef de part et Lucain le seconde.
Voici de mes soupçons un manifeste aveu ;
Tu peux connaître ici l’oncle par le neveu. (v. 1377-1382)

22Dans cette tragédie où ne vaut que la raison du plus fort, la culpabilité du neveu implique l’oncle fatalement, sans autre forme de procès. D’ailleurs, Sabine revient à la charge quelques répliques plus loin :

Et Sénèque en ce lieu se doit-il oublier,
Lui qui sans se défendre et sans s’humilier
A dit à Natalis touchant cette menée
Que le sort de Pison était sa destinée ?
N’en dit-il pas assez pour t’apprendre aujourd’hui
Qu’il est de la partie et conspire avec lui ?
Sa trame en mots couverts est assez découverte ;
Qui vit avec Pison doit périr par sa perte. (v. 1405-1412)

23Ces paroles rapportées et cette maxime de circonstance laissent cependant Néron dubitatif quant à la culpabilité de son précepteur :

Mais a-t-il dit ces mots ? Il faut qu’on lui demande.
[…]
Il en faut sur le champ savoir la vérité. (v. 1415, 1418)

24Or l’enquête annoncée à la toute fin de l’acte IV fait l’objet d’une ellipse puisque, dès la première scène de l’acte V, le centenier fait savoir à Sénèque que l’empereur réclame sa mort. Le choix de l’ellipse, de même que le procédé du discours indirect de Sénèque à Natalis mais qui n’a pas d’autre existence sur scène que dans la tirade de Sabine, laissent le spectateur lui-même dans le doute : l’enquête a-t-elle été menée et auquel cas à quoi a-t-elle abouti ? ou Sénèque a-t-il été simplement condamné par la mise en applications des maximes de Sabine ? Le discours rapporté par Sabine a-t-il été forgé de toutes pièces par celle-ci pour assouvir sa haine du philosophe ?

25Tristan étend le doute au spectateur en refusant parfois de l’éclairer totalement, par ses choix dramaturgiques. Ainsi, alors que le monologue est par excellence le type de discours où la vérité s’exprime, où les intentions se dévoilent librement au public, La Mort de Sénèque ne comporte qu’un seul monologue, assez bref du reste puisqu’il s’agit de quelques stances prononcées par Sénèque qui se prépare à la mort au début de l’acte V. Tristan évacue en outre de sa pièce le personnage du confident, alors que ce personnage-type apparaît dans toutes ses autres tragédies. Nul rapport de confiance entre le précepteur et son élève, contrairement à ce qui s’observe dans Osman. Dans La Mort de Sénèque, nous l’avons vu, l’échange de paroles entre Néron et Sénèque est d’emblée placé sous le signe de la feinte. Si Sénèque et Pauline peuvent parler librement au cours de la première scène de l’acte V, leur dialogue porte sur la constance face à la mort et l’instinct de survie ; or, précisément, les personnages divergent quant à la nécessité de mentir en cas de péril de mort (V, 1, v. 1485-1490), ce que le philosophe condamne d’un point de vue moral (v. 1491-1496). À l’orée du dernier acte, ce dialogue apparaît comme le miroir inversé du dialogue inaugural entre Sabine et Néron qui promeut la feinte et la dissimulation et au cours duquel l’empereur est d’emblée manipulé par les mots trompeurs de son épouse. Le dialogue entre Épicaris et Lucain, à la scène 3 de l’acte II, porte aussi sur les dangers de la parole (v. 493-507) et Lucain, participant à la mise en œuvre d’un scepticisme généralisé, explique à la conjurée qu’il faut toujours se méfier et ne faire guère confiance à son interlocuteur :

Il faut bien discerner en ces occasions
Les Romains généreux d’avec les espions :
Il s’en trouve beaucoup discourant des affaires
Avec les gens d’honneur, qui sont des mercenaires,
Des lâches qu’à prix fait Sabine fait agir
Et qu’un art si honteux n’a jamais fait rougir. (v. 511-516)

  • 6 II, 3, v. 579-580 ; II, 5, v. 711.

26Le doute et la défiance doivent donc présider à l’échange de paroles. Enfin, lorsque Lucain confie à son oncle Sénèque le projet de conjuration et le nom des conjurés, il s’agit moins d’une scène de confidence que d’un préambule visant à enrôler le philosophe, comme il le dit à Épicaris à la fin de la scène précédente et au début de la scène suivante6. Cette confidence a de fait une visée perlocutoire puisqu’elle prélude à une question de Lucain qui énonce une thèse implicite : « Mais pourrez-vous savoir ce parti sans en être ? » (II, 4, v. 666). Être informé d’un complot implique d’y prendre part, l’interrogation sur la possibilité masque l’expression d’une implication, au sens courant et au sens logique du terme. La stratégie argumentative de Lucain se trouve ainsi dévoilée : le début du dialogue était déjà une manière d’engager Sénèque.

27Dans cette tragédie de la conjuration, la fonction expressive du langage cède devant la fonction conative. Dès lors, lorsque Sabine fait irruption sur scène à l’acte III et exprime l’effroi que lui a causé son rêve (III, 2, v. 911-913), le spectateur peut douter de ce personnage expert en tromperie et se demander s’il ne s’agit pas de susciter la crainte de Néron pour mieux préparer l’entrée en scène de Milicus qu’elle amène avec elle, d’autant que son rêve révèle une conjuration qui a déjà été éventée par Procule et que Néron ironise en ces termes :

Nos plus grands ennemis feront peu de progrès
Si les Dieux de la sorte éventent leurs secrets. (v. 917-918)

28De même, à la scène précédente, si le spectateur sait qu’Épicaris prend une part active dans la conjuration contre Néron, il n’a aucun moyen de savoir si Procule la dénonce par dépit amoureux, comme elle l’explique, ou s’il a feint l’amour pour obtenir d’elle des informations, comme il le prétend. La fin de l’acte III laisse Sévinus comme le public dans l’attente du retour de Néron : l’interrogatoire de Natalis est soustrait aux yeux du spectateur, si bien que celui-ci peut se demander si le papier que tient Néron à la scène 3 de l’acte IV contient bien la déposition de Natalis ou s’il ne s’agit que d’un leurre efficace pour conduire Sévinus à l’aveu. De surcroît, c’est le témoignage du même Natalis qui est allégué par Sabine à la scène suivante pour accuser Sénèque (IV, 4, v. 1406-1408), alors même que les propos du philosophe à son neveu à la scène 4 de l’acte II contredisent la véracité de ces paroles rapportées (II, 4, v. 695-702). Il se pourrait bien que le personnage fantomatique de Natalis, cité mais non produit sur scène, soit un expédient commode pour qui cherche à accuser.

  • 7 Citons notamment les vers 535-537, 639-640, 1407-1408.

  • 8 Par exemple, à la fin de la première scène de l’acte I...

29Les paroles rapportées à plusieurs reprises dans cette tragédie7 ne sont pas toujours vérifiables et sont parfois contredites. La vérité demeure souvent incertaine sur cette scène et c’est dès lors la croyance, voire le doute, qui préside à l’action tragique et aux choix dramatiques8. Pour les personnages, il s’agit de faire croire à leur parole, comme en témoigne la répétition de ce verbe, que ce soit à la modalité injonctive dans la bouche de Procule (« Crois-moi, tiens pour certain ce que j’en conjecture », III, 1, v. 891) ou à la modalité interrogative dans celle de Sévinus (« Doit-on croire un esclave ou bien un Sénateur ? […] Saurais-je appréhender qu’un Prince tel que toi / Ou croie à sa parole, ou doute de ma foi ? », III, 4, v. 1046, 1057-1058). La faculté de la parole à tromper est pleinement exploitée dans cette tragédie où la parole ne peut s’exprimer librement, où les mots des uns s’opposent à ceux des autres et où la parole est suspecte et insuffisante. Dès lors, la révélation de la vérité ne conditionne pas l’orientation de l’action tragique. Les personnages sont conduits à interroger le sens, à interpréter et à agir en conséquence.

Des signes à interpréter

  • 9 III, 1, v. 825-838.

  • 10 Néron s’interroge : « Ce zèle qu’il témoigne avecque ...

30Dans ce drame de la parole, à la fois agissante et en crise de confiance, le crédit à accorder aux mots est bien souvent laissé en suspens. Les signes sont réversibles au cours de l’action tragique. Le bref dialogue de Sénèque et Rufus qui clôt l’acte I et que le philosophe a prudemment écourté est réinterprété a posteriori par celui-ci, à la lumière apportée par la scène 4 de l’acte II où il apprend que Rufus fait partie des conjurés (v. 644-646). Les intentions des dénonciateurs sont interrogées, que ce soient celles de Procule9 ou celles de Milicus10. Les comportements sont interprétés, en témoigne le commentaire de Sabine lorsque Néron lui dit que Sénèque « n’étanche sa soif qu’au courant des fontaines » et « Ne mange que des fruits qu’il cueille de sa main » (I, 1, v. 158, 160) : « Son crime se fait voir par cette défiance » (v. 161). Elle qui prétend ne voir que tromperie dans les paroles du philosophe (v. 56-60), cherche des indices de sa culpabilité dans les signes non linguistiques. Loin d’y voir une marque de la crainte d’être empoisonné, elle en fait la preuve manifeste de son crime, faisant de la victime le coupable.

31Conscients du soupçon généralisé qui règne à la cour de Néron, les conjurés choisissent pour comploter un lieu insoupçonnable tant il est invraisemblable qu’un complot soit fomenté dans les jardins sur lesquels donnent la Domus aurea. Pison se félicite de ces signes trompeurs dès son entrée en scène à l’acte II :

Nous ne pouvions choisir un endroit moins suspect
Pour parler de Néron que ce lieu de respect ;
Qui pourrait soupçonner qu’au jardin de Mécène
On vînt délibérer de sa perte prochaine,
Nous voyant éclairés des yeux d’un colonel
Qui ne peut consentir à rien de criminel ? (II, 1, v. 315-320)

32Pour les conjurés comme pour leur cible – quoique leurs intentions et leurs motivations soient fort différentes – il importe de donner à lire des signes trompeurs capables de dissimuler le crime ou son projet. C’est bien ce qu’explique Néron à Sabine dès le début de la pièce :

Il faut lui [à Sénèque] tendre un piège avec tant d’artifice
Qu’on lui puisse imputer notre propre malice ;
D’un filet si subtil il faut l’envelopper
Qu’il s’y perde lui-même en pensant échapper
Et que les gens de bien déçus par l’apparence
En le voyant périr blâment son imprudence. (I, 1, v. 129-134, nous soulignons)

33Précisément, la résistance héroïque d’Épicaris à la torture produit un nouveau retournement de situation, comme le rapporte Rufus à Pison :

Par un ordre cruel on vient de la gêner,
Cette illustre beauté dont l’âme est si fidèle,
Et par mille tourments on n’a rien tiré d’elle.
Son merveilleux esprit, de son cœur soutenu,
A dénié le fait ; mais d’un air ingénu,
D’une grâce et d’un front qui peuvent tout confondre,
Et déjà son témoin ne sait plus que répondre :
Elle a tout renversé sur son accusateur,
Et Procule à Néron paraît un imposteur.
Suivant la vérité, le Tyran prend le change (IV, 2, v. 1130-1139).

34Rufus joue du double sens de « confondre » mais aussi de « prendre le change » ; cette expression issue du lexique de la vénerie dégrade l’empereur et le montre perdu parmi les signes contradictoires, tout en signifiant aussi qu’il se laisse abuser.

  • 11 II, 3, v. 489-492 ; II, 4, v. 617-622.

35La réversibilité des signes et du sens touche également l’interprétation que les personnages donnent aux événements qui constituent l’action tragique. L’interprétation varie selon les protagonistes et les situations et engage plus généralement le sens de la tragédie pour le spectateur. Ainsi Lucain estime-t-il que les conjurés sont les agents de puissances supérieures qui leur ont inspiré ce projet de conjuration11, alors que Pison, au contraire, lorsqu’il apprend l’arrestation d’Épicaris, estime que toutes les puissances fatales et transcendantes s’opposent à eux et que, par un paradoxe apparemment impénétrable, les dieux entraveraient l’action de leurs propres vengeurs :

Rome est abandonnée, et son lâche Génie
Contre les gens de bien maintient la tyrannie.
Le sort nous est contraire, et le Ciel en courroux,
Pour conserver Néron, prend parti contre nous ;
Le tyran désormais prendra toute licence
D’accabler la vertu, d’opprimer l’innocence,
Qui voudra s’opposer à sa brutalité
Après cette faveur de la fatalité ?
Ô malheureux destins que le Ciel et la Terre,
Les hommes et les Dieux nous déclarent la guerre
À la veille du jour que nous armons nos mains
Pour venger l’univers, les Dieux et les humains ! (IV, 1, v. 1079-1090)

36Sénèque énonce une explication à la scène 4 de l’acte II ; il voit en Néron un châtiment divin contre les Romains qui durera tant que les dieux n’auront pas éteint leur colère :

C’est un fléau des Dieux ;
C’est la punition de mes fautes passées :
C’est un présent fatal de leurs mains courroucées
Qu’ils pourront retirer selon notre souhait
Quand leur juste courroux se sera satisfait. (II, 4, v. 612-616)

  • 12 Sur le motif du songe chez Tristan, voir notamment Sa...

  • 13 Sur la question de la transcendance, voir Alain Génet...

  • 14 Comme l’écrit Jacques Scherer, la tragédie « présente...

37Enfin, si Néron ironise sur les avertissements divins communiqués en songe à Sabine12, il ressent, à la suite du récit de la mort de Sénèque, des remords cuisants qu’il assimile à une vengeance divine terrifiante en train de s’abattre sur lui (V, 4, v. 1851-1854). Tristan favorise l’ambivalence en ménageant une place à diverses interprétations sans trancher et en représentant plutôt la quête d’un sens que la révélation d’une vérité absolue : le sens transcendant n’apparaît que dans la subjectivité d’interprétations tout humaines et relatives13, tandis que les ressorts et les revirements de l’action tragique ont bien une explication humaine, celle des passions, de la faiblesse et de la corruption humaines14.

38Dans cette tragédie de la duplicité demeure cependant la valeur des actes, dans les situations paroxystiques que ménage l’action tragique, seuls capables d’accréditer les paroles et de révéler les personnages à eux-mêmes et aux autres. Épicaris déclare hautement dès sa première scène qu’« il est temps d’agir plutôt que de parler » (II, 2, v. 407). Ainsi, le dialogue amoureux que Lucain tente d’engager avec elle à la scène 3 de l’acte II est reporté à plus tard par la conjurée dont l’amour se mérite et qui attend donc que celui qui l’aime prouve qu’il est digne d’elle par sa conduite dans l’exécution de la conjuration :

Et si tu m’aimes bien nous allons voir le jour
Où tu peux te montrer digne de mon amour (v. 963-964).

39Au début de l’acte V, lorsque Sévinus lui apprend que Lucain dénonce ses camarades conjurés pour se sauver, elle fait de cette attitude une preuve a posteriori de son indifférence envers son prétendu amant : « Ce trait fait assez voir qu’il n’eut jamais mon cœur » (V, 1, v. 1698). Ce jour critique – dans tous les sens du terme – révèle l’être aux yeux de tous et permet de discerner là où régnait le doute. C’est ainsi qu’Épicaris se distingue comme une véritable héroïne, alors que la plupart des conjurés révèlent leur lâcheté face au péril et à la mort, comme le souligne Tristan dans l’Argument du dernier acte : « cette fille courageuse à toute épreuve, après avoir supporté la gêne sans rien dire, à la honte des plus grands d’entre les Romains, qui accusent jusques à leurs plus proches, garde le silence jusqu’au bout » (p. 315). Précisément, si elle garde le silence en ne révélant aucun nom des conjurés, l’affranchie se révèle aux yeux de tous comme une véritable héroïne par sa liberté de parole face au couple tyrannique, lorsque le secret de la conjuration a déjà été éventé par d’autres et qu’elle n’a plus que sa vie à préserver. Loin d’user des artifices d’une parole flatteuse, elle ne dissimule plus rien de sa haine et de son horreur des criminels impériaux, dans un crescendo dramatique qui la mène volontairement à la mort et où elle semble même chercher à augmenter son supplice (V, 3, v. 1709-1748). L’héroïne se fait ainsi la martyre et le martyre des tyrans. Étymologiquement, le martyre est le témoignage, la preuve. Par sa mort, Épicaris donne une preuve sensible et indubitable de la cruauté du tyran et du bien-fondé de la conjuration, mais elle se révèle aussi aux yeux de tous comme une héroïne hors du commun, sublimée par sa constance inaccessible à la peur : « Tyran, je t’apprendrai que je sais bien mourir » (v. 1750). Sénèque lui aussi voit dans sa mort la seule preuve capable de réfuter les calomnies dont il fait l’objet (V, 1, v. 1503-1514), et déclare : « l’arrêt de ma mort s’en va les démentir » (V, 1, v. 1510). Ce pouvoir de vérité de la mort dans un espace dramatique où les mots sont fondamentalement suspects et menteurs explique le paradoxe d’une mort à la fois imposée et recherchée par les victimes héroïques qui offrent leur sacrifice en témoignage.

  • 15 Ibid., p. 1343.

  • 16 La Mariane, IV, 5, v. 1316.

40Dans cette tragédie où le rapport entre parole et vérité est problématique et instable, où le complice peut devenir un traitre, où la parole peut être rapportée et déformée, le langage est instrumentalisé, la parole est un outil de manipulation destiné à agir sur l’interlocuteur, le faire agir et surtout arriver à ses fins. « C’est par leur parole et au moment où ils la profèrent que ceux qui sont interrogés décident de leur vie ou de leur mort. Et c’est de cette extrême tension du langage que naît la poésie théâtrale15 ». Le pouvoir tyrannique impose le règne du soupçon et de la défiance. En outre, une action tragique qui se noue autour du complot et de la calomnie et tisse ces deux fils d’intrigue porte à la scène un dispositif dramatique où l’interprétation des signes est à la fois nécessaire et fluctuante. Si les dialogues et plus largement les rapports à autrui sont travaillés par la défiance et la feinte qui s’imposent comme une donnée de l’exposition, Tristan communique le doute au spectateur en se gardant parfois de l’éclairer par les choix dramaturgiques qu’il opère. Dès lors, le pouvoir de révélation de l’action tragique ne passe pas tant par les mots que par les actes. D’ailleurs, sur le plan de l’action humaine, la conjuration a échoué et les héros semblent aussi avoir échoué, tous deux mis à mort par le tyran. La parole d’Épicaris, pourtant si adroite et maîtrisée, pas plus que l’éducation prodiguée par Sénèque ou ses discours, qui vont du reste jusqu’à tenter les effets de la flatterie, ne leur ont permis de mener à bien leur projet initial respectif, ce qui les conduit à le réorienter en direction d’une mort « à la fois contrainte et volontaire16 » – pour reprendre les mots de Mariane. C’est bien leur cheminement vers la mort que représente la tragédie et qui, bien plus que les mots, accrédite leur parole, donne sens à leur parcours et les héroïse.

Notes

1 La Mariane, II, 1, v. 355-368, 375-376, 521-522, dans Tristan L’Hermite, Les Tragédies, éd. R. Guichemerre, Paris, Champion Classiques, 2009. Toutes les références aux tragédies de Tristan renverront à cette édition.

2 La Mort de Sénèque, I, 2, v. 177-344.

3 III, 1, v. 752-754, 756, 767-770.

4 « À ces mots tu pâlis » (IV, 3, v. 1290).

5 I, 1, v. 121-126.

6 II, 3, v. 579-580 ; II, 5, v. 711.

7 Citons notamment les vers 535-537, 639-640, 1407-1408.

8 Par exemple, à la fin de la première scène de l’acte III, Néron, toujours incertain, déclare : « quoi qu’il en soit, Procule en sera cru » (III, 1, v. 905). Dès la première scène de la tragédie, Néron réfute d’abord les accusations portées par Sabine contre Sénèque en alléguant la croyance commune : « Sénèque n’en fut pas, au moins nul ne le croit » (I, 1, v. 55).

9 III, 1, v. 825-838.

10 Néron s’interroge : « Ce zèle qu’il témoigne avecque tant d’ardeur, / Est-ce pour mon salut ou bien pour sa grandeur ? » (III, 2, v. 973-974).

11 II, 3, v. 489-492 ; II, 4, v. 617-622.

12 Sur le motif du songe chez Tristan, voir notamment Sandrine Berrégard, Tristan L’Hermite, « héritier » et « précurseur », Tübingen, G. Narr, coll. Biblio 17, 2006 p. 158-160 ; Jacques Morel, « La place de Tristan L’Hermite dans la tradition du songe héroïque », Cahiers Tristan L’Hermite, n° 3, 1981, p. 5-10 ; Véronique Adam, « Formes et reflets du songe chez Tristan L’Hermite », Cahiers Tristan L’Hermite, n° 22, 2000, p. 47-61 ; Daniela Dalla Valle, « Les songes tragiques de Tristan », ibid., p. 62-78.

13 Sur la question de la transcendance, voir Alain Génetiot, « Une tragédie de la grâce ? Enjeux spirituels dans La Mariane, La Mort de Sénèque et Osman », Cahiers Tristan L’Hermite, Hors série agrégation 2023, 2022, p. 69-89 ; Charles Mazouer, « La vision tragique dans La Mariane, La Mort de Sénèque et La Mort de Chrispe de Tristan », Cahiers Tristan L’Hermite, n° 22, 2000, p. 5-16.

14 Comme l’écrit Jacques Scherer, la tragédie « présente un mécanisme, implacable mais irrémédiablement contingent, qui est celui du drame historique : l’histoire broie les hommes » (« Notice » de La Mort de Sénèque, dans Théâtre du xviie siècle, t. II, éd. Jacques Scherer et Jacques Truchet, Paris, Gallimard, coll. Bibliothèque de la Pléiade, 1986, p. 1342).

15 Ibid., p. 1343.

16 La Mariane, IV, 5, v. 1316.

Pour citer cet article

Céline Fournial, «La Mort de Sénèque ou le drame de la parole», Op. cit., revue des littératures et des arts [En ligne], « Agrégation 2023 », n° 24, automne 2022 , mis à jour le : 17/12/2022, URL : https://revues.univ-pau.fr:443/opcit/index.php?id=738.

Quelques mots à propos de :  Céline Fournial

Céline Fournial est maîtresse de conférences en langue et littérature françaises à l’Université Clermont Auvergne. Spécialiste du théâtre français des xvie et xviie siècles, elle s’intéresse notamment aux différentes pratiques d’imitation créatrice et participe à plusieurs éditions critiques de textes dramatiques et théoriques du xviie siècle (Les Idées du théâtre, Hardy, Du Ryer, Campistron).

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