Moyen-Âge
Agrégation 2023
N° 24, automne 2022

Sylvie Bazin-Tacchella

C’est tout neant des choses de ce monde.
Négation et restriction dans la poésie d’Eustache Deschamps

  • 1 Le titre de cet article renvoie au refrain de la ballad...

  • 2 Françoise Autrand, Charles V, Fayard, 1994, p. 47-48 : ...

  • 3 Eustache Deschamps, Anthologie, op. cit. L’édition lemm...

1Le pessimisme et la propension à souligner les malheurs du temps1 sont souvent soulignés par les critiques de Deschamps, mais aussi par les historiens2. Nous avons pour notre part été frappée de l’importance quantitative des tours négatifs ou exceptifs dans les refrains des ballades présentées dans l’Anthologie publiée par Clotilde Dauphant, au programme des agrégations de lettres et de grammaire pour la session 20233.

  • 4 Nous nous sommes limitée à la partie au programme de l’...

Contre les vens ne puet nulz de la mer ! (1)
Mais ne me plaing fors du païs de Flandres (4)
plus ne presteray livre quoy qui aviengne (5)
C’est tout noiant, par ma foy, ce me semble (6)
Vous n’estes pas sur Grant Pont a Paris (11)
Sanz veoir, oïr ne parler (15)
Ne dire sien fors que le sens de l’omme (21)
Saiges n’est pas qui en tel service entre (24)
Riens ne se puet comparer a Paris (30, 31)
Onques ne vy si maleureuse gent (33)
L’ordre sçavoir du lire n’est que bon (34)
Ne jamés jour la regle ne faurra (35)
S’il ne l’est hui, (qu’)il le sera demain (37)
Car je n’en voy a droit user nullui (41)
Je ne di pas quanque je pence (42)
Chascun ne quiert fors proufit sanz honeur (47)
Je ne vous sçay chose dire meilleur (48)
Nous n’arons paix aux Anglois de l’anneë (60)4

2Cette simple liste montre la variété des tours négatifs et restrictifs utilisés. L’adverbe ne apparaît seul ou accompagné de forclusifs, qui le précèdent ou le suivent. Il est de portée et de valeur variables. Nous aborderons tout d’abord la question du ne coordonnant, qui est lié à l’expression de la négativité, mais aussi plus largement à toute mise à distance de l’affirmation, puis celle des formes issues du non latin, ne et non, ce qui nous conduira à la distribution de leurs emplois respectifs dans le texte. Nous préciserons notamment comment se répartissent les emplois de ne seul et ne renforcé, en détaillant les différents outils utilisés. Nous nous intéresserons aux tours particuliers de l’exception ou restriction, qui s’ouvrent par la négation avant d’opérer le mouvement d’extraction qui les caractérise. Nous verrons enfin deux attestations isolées du ne faiblement négatif, dit explétif.

Le coordonnant ne

3Dans la partie au programme, on dénombre 52 attestations du coordonnant sous sa forme pleine ne et 7 sous la forme élidée n’. Ce coordonnant, du latin nec, ne doit pas être confondu avec la forme atone de l’adverbe de négation, ne, issue du latin non, qui est également susceptible de s’élider. Ces deux ne apparaissent d’ailleurs très souvent en cooccurrence, directement contigus ou à peu de distance :

Car il n’en est au jour d’ui nul en vïe / Tel comme il fut, ne ne sera des mois. (22, v. 21-22)
Ne ja ne doit, pour acquerir renon, / Celle laissier pour faire doubteus change (3, v. 5)

4Dans ces deux occurrences, le premier ne est le coordonnant et le second l’adverbe, mais l’inverse est également possible : « Nulz ne se doit ne hault ne bas fïer » (14, v. 7). Le coordonnant est souvent redoublé comme dans l’exemple précédent. La forme ny n’apparaît qu’à deux reprises dans l’Anthologie (hors programme) :

Et fruit ne fait au matin ny au soir. (115, v. 23)
Et n’espargniez or ny argent ! (192, v. 2)

5La forme moderne avec le vocalisme /i/ est très rare. Dans ces deux attestations, elle est suivie d’un mot à initiale vocalique, mais on trouve aussi dans le programme ne dans ce cas : ne ou bas lieu (14, v. 4), ne es froiz (56, v. 10). En fait, il y a discontinuité d’emploi entre la forme médiévale ne et la forme moderne ni, ce que résume bien Claude Buridant :

  • 5 Claude Buridant, Grammaire du français médiéval, Strasb...

Cette forme, sans doute due à la fermeture de ne en ni par l’influence de l’hiatus, apparaît à partir du premier quart du xiiie siècle pour se répandre en moyen français, où l’on passe alors de la coordination de virtualité à thème consonantique en n- à la coordination négative stricto sensu5.

  • 6 Christiane Marchello-Nizia, Histoire de la langue franç...

  • 7 Robert Martin et Marc Wilmet, Syntaxe du moyen français...

  • 8 Grande Grammaire historique du Français, éd. C. Marchel...

6Cependant, selon Christiane Marchello-Nizia, ni ne s’impose vraiment qu’au xvie siècle6 et Martin & Wilmet indiquent que la forme est encore très rare dans la période de référence de leur ouvrage (milieu xve siècle)7. Dans la base de la Grande Grammaire Historique du Français (GGHF)8, on ne dénombre que 134 attestations de ni/ny pour les xive et xve siècles, dont la très grande majorité se trouve chez un seul auteur de la fin du xve siècle, Commynes (109 attestations), alors que les autres attestations sont marginales, 16 pour le xive siècle et 9 pour le xve siècle. C’est la forme graphique ny qui domine largement pendant tout le xvie siècle : 1618 ny pour 418 ni dans le corpus de la GGHF.

  • 9 Ambroise Queffélec, La négation en ancien français, thè...

7Les emplois de la conjonction ne sont plus étendus que ceux du FM ni, car non seulement il coordonne en contexte négatif, mais également en « atmosphère non pleinement positive9 », en particulier dans des contextes virtuels, interrogatifs ou hypothétiques, comme le montrent les exemples suivants du programme :

  • subordonnées hypothétiques introduites par se

S’onques David ploura fort Absalon
Ne Jonathas que les Phillistïens
Avec Saül mistrent mors en Hebron,
Ne se Ecuba ploura les Troiens,
Donc doivent bien plourer les Crestïens (28, v. 1-5)

  • interrogative

Comment sera ses nobles corps assis,
Ne que sera sa riche sepulture ? (39, v. 10-11)

8Ne, d’emploi plus large que le ni du FM, pourra être traduit, avec une certaine latitude, selon le contexte positif ou négatif de gauche et de droite, par :

OU

De mes livres ne mes papiers avoir (5, v. 19) 

Le plus puissant puet l’autre deserter,
Si qu’il n’est roy, duc n’empereur de Romme
Qui en terre puist vray tiltre occuper (21, v. 5-7)

Mais raconter oÿ a un message
Qu’om trouveroit po gens d’armes ne page
Que l’en peüst deça faire passer (60, v. 34-35)

ET

Le bien commun orent en remembrance
Ne povreté n’orent pour lors despite. (27, v. 7-8)

Ne jamés jour la regle ne faurra (35, refrain)
Ne je ne sçay de quoy sert l’Escripture (41, v. 8)
Ne pour larrons n’est droiz que me reponde (54, v. 28)

NI

Sanz veoir, oïr ne parler (15, refrain)

Princes, ne puet avoir tresors
Au jour d’ui, ne terre acquester (15, v. 25-26)

En nature ne fut si grant estrif
Comme a present, ne si dure riote (17, v. 8-9)

grever ne decevoir (18, v. 26)

La forme pleine non de la négation

  • 10 La prédicativité est une notion qui renvoie à la capac...

  • 11 Parallèlement à oïl, le composé nen + il, qui correspo...

9Le même adverbe latin, non, a donné, en fonction de sa nature accentuée ou non, deux formes différentes en AF : ne et non. Non est la négation prédicative, ne la négation non prédicative10. En d’autres termes, ne sert à nier le verbe conjugué à un mode personnel et ne peut fonctionner seul ; non, à l’inverse, peut fonctionner seul, ou être associé à un verbe vicaire dans la réponse négative, ou encore apparaître dans des tours elliptiques du verbe. Il ne faut pas confondre l’emploi de non dans la réponse négative du type non sui je / non faz je, et celui de ne + pronom prédicatif (nenil < nen + il)11. L’emploi de non ici compense le défaut de prédicativité du verbe vicaire, alors que dans le cas de nenil, c’est le pronom personnel qui est prédicatif. La négation pleine non n’apparaît qu’à 10 reprises dans la partie au programme (24 attestations dans toute l’Anthologie) et tous les emplois ne sont pas représentés.

a ) réponse négative : non comme « mot-phrase »

10Dans le discours direct :

Va vivre avant en un boscaige
Que marïer, com beste müe !
Non ! Avoir vueil le doulz ymaige. (132, v. 21-23).

b ) tours elliptiques

11veillent ou non (147, v. 27), vueillent ou non (186, v. 32) : ces deux exemples, hors programme, montrent l’emploi de la négation pleine dans des alternatives au présent du subjonctif.

12Voir également un tour elliptique qui précède la proposition complète avec laquelle il s’oppose : Que ma dame a, non mienne, et je suy siens. [« elle n’est pas à moi, alors que je lui appartiens »] (80, refrain).

c ) portant sur un élément autre que le verbe conjugué

13Non peut également nier, comme en français moderne, d’autres éléments que le verbe conjugué à un mode personnel :

  1. un nom : par non sens (3, v. 26).

  2. un adjectif : T’affinité / Non doubteuse (2, v. 17-18) – justice non crueuse (20, v. 10) – rupïeus, non pas gobes (43, v.25) – Tu es cité de touz biens non pareille (32, v. 4) – participe passé en emploi adjectival : avoir le doulz espart / Non desservi de dame qui profite (9, v. 21-22).

  3. un syntagme nominal : non par ypocrisie (48, v. 16).

  4. un verbe à un mode non personnel : Donner le vueil liëment, non pas vendre (5, v. 15) – Supplie a tous que leur souviengne / De mes livres non retenir, n’emprandre (5, v. 32-33). Voir également hors programme : Car non garder son corps par telz deffaulx / Font en mains lieux causer l’epidemïe (172, v. 35-36).

  • 12 Martin Riegel, Jean-Christophe Pellat, René Rioul, Gra...

14Sur les dix attestations présentes dans la partie au programme, on note seulement deux cas de renforcement par l’adverbe pas, sur lequel nous reviendrons plus loin. Comme en français moderne, non peut également porter sur une partie de la proposition en opposant deux constituants de même fonction : Donner le vueil liëment, non pas vendre (5, v. 15), traduit par Clotilde Dauphant « je le donnerai avec joie, sans le vendre », littéralement « je veux le donner avec joie, non pas le vendre ». On utiliserait plutôt à l’oral en français moderne l’adverbe pas dans ce cas : « pas le vendre »12.

  • 13 Voir la notice étymologique du TLFi qui distingue le c...

15Devant le substantif, non peut jouer le rôle d’un préfixe négatif et constituer avec lui une nouvelle unité lexicale : non-acceptation, non-agression, non-alignement, non-assistance, non-intervention… en français moderne. La productivité de la formation est marquée par l’existence d’une série importante de termes en opposition avec le substantif de base. Dans le cas de non-sens, il ne s’agit pas du maintien de la forme présente dans le texte, mais d’un emprunt ultérieur à l’anglais qui remonte lui-même au français13.

  • 14 Intolérable, illégal, impossible, irrépressible face à...

  • 15 Il reste non-recevoir dans fin de non-recevoir et le n...

16Les exemples dans le texte de non portant sur un adjectif sont nombreux. En français moderne, non est concurrencé par pas devant l’adjectif quand l’expression n’est pas lexicalisée et qu’elle peut être analysée comme une proposition elliptique du verbe : un type pas sympa, une blague pas drôle… En revanche, non joue encore le rôle de préfixe négatif en français moderne devant un adjectif pour désigner un groupe ou une collectivité opposée : chrétien vs non chrétien, noble vs non noble, initié vs non-initié, syndiqué vs non-syndiqué. Dans l’Anthologie, hors programme, on peut citer clers ou non clers (176, v. 22). En français, la dérivation de l’adjectif par non subit la concurrence du préfixe in- (var. -il, -im, ir-)14, ce qui n’est pas le cas du substantif. La formation d’un antonyme avec l’infinitif, vivante en ancien et moyen français, n’est plus productive en français moderne15 :

Certes je sçay mainte terre perdüe
Par non veoir. (184, v. 21-22)
« Je connais bien des terres qui ont été à leur perte par leur aveuglement »

17En français moderne, lorsque l’infinitif dépend d’un verbe conjugué, c’est la négation composée qui est utilisée et est placée en bloc devant l’infinitif : elle s’occupe pour ne pas penser (var. pour pas penser). Jusqu’au xviiie siècle, et au-delà, dans la littérature, les deux termes négatifs encadrent le verbe : pour ne me perdre pas (Corneille). Il faut faire attention quand on traduit à l’ordre des constituants et rapprocher les termes en dépendance qui peuvent être éloignés l’un de l’autre dans le texte d’origine :

Supplie a tous que des or leur souviengne
De mes livres non retenir, n’emprandre (5, v. 32-33)
« Je rappelle instamment à tous
de ne pas conserver mes livres ni tenter de le faire ».

18Hors programme de langue, on lit également du mal de non argent avoir (151, v. 2), « de la souffrance de ne pas avoir d’argent ». Alors qu’en français moderne, la négation composée ne… pas précède immédiatement le verbe à l’infinitif – hors infinitif dépendant de verbes tels que aller, falloir, devoir, penser, sembler dont la négation encadre le verbe principal (je ne pense pas venir vs je crains de ne pas venir) –, en moyen français, l’insertion d’un élément entre l’adverbe de négation non (élément prédicatif) et l’infinitif est tout à fait possible.

La négation atone ne

19La forme atone ne est beaucoup plus largement utilisée que la forme tonique. Dans les pièces 1 à 60 (sauf 52), on dénombre 168 occurrences de la forme pleine ne, et 95 de la forme élidée, soit au total 263 occurrences, nombre qu’on peut ramener à 216, si on enlève les reprises des refrains. Les emplois se répartissent de la manière suivante :

ne seul (nie pleinement)

99

45,8 %

ne + renforcement quantitatif (nul, rien…)

43

19,9 %

ne + pas, point, mie

34

15,8 %

ne + renforcement temporel (ja, oncque…)

22

10,2 %

ne… fors /que (exceptif)

16

7,4 %

ne explétif

2

0,9 %

Total

216

10  %

  • 16 Sophie Prévost, GGHF, p. 1254-1256. Les chiffres donné...

  • 17 « Dès l’ancien français, négation simple et négation r...

20L’emploi de ne seul pour nier le verbe conjugué représente encore près de la moitié des exemples de ne adverbe dans les pièces au programme. Si on confronte seulement les données correspondant à ne seul et ne suivi de pas, mie, point, les 133 attestations se répartissent de la manière suivante : 74,4 % pour ne seul et 25,6 % pour la négation renforcée16. La fréquence de la négation renforcée augmente dans les textes du xive siècle par rapport aux textes antérieurs, mais elle reste limitée et d’emploi plus contraint que la négation simple, alors que ce sera l’inverse après la seconde moitié du xviie siècle17.

21Observons dans les pièces poétiques de Deschamps les différents contextes d’apparition de ne seul :

22(1) dans les subordonnées hypothétiques

  • introduites par se

Se sires n’est qui ait trop grant pouoir (5, v. 29)
S’il n’est sires trop fors (15, v. 27)
Que se pitié vers Dieu noz cuers n’encline (20, v. 26)
Se povres n’est, povreté le sermonne / S’il ne l’est hui, qu’il le sera demain (37, v. 7‑8)
Se recept n’a, bien doit gesir a plain (37, v. 14)
Nulz n’a estat se bien ne scet que monte (51, v. 9)
Se Reconfors / Et doulz Ennors / ne m’est piteus ? (53, v. 46-48)
Ne preist rien s’il ne payoit (53, v. 129)

  • autres systèmes marquant l’hypothèse

23Et puis qu’ainsi le feroit, / Ne doubtast qu’amez seroit (53, v. 118-119) : avec un subjonctif imparfait en proposition non régie, à valeur hypothétique (équivalent au conditionnel présent en français moderne), « à partir du moment où il agirait ainsi, il pourrait être certain d’être aimé… » – mais qu’il ne fust mençongiers / et qu’il ne fust grans parliers (53, v. 120, 123) « à condition qu’il ne raconte pas de mensonge, qu’il ne soit pas bavard ».

24(2) dans les subordonnées relatives (avec verbe au subjonctif ou à l’indicatif)

  • adjective : Pour moy le sçay […] Qui mon temps n’ay despendu en oiseuse (24, v. 21-22) – es froiz, qui n’ait courte duree (56, v. 10) – également 10, v. 27 – 20, v. 14.

  • indéfinie : Et que François, qui ne les feist casser, / Eussent bien ceste ville assiegeë (60, v. 37-38) : relative au subjonctif à valeur hypothétique, « si on ne les affaiblissait pas » – autre exemple : 38, v. 27.

25(3) autres subordonnées :

  • complétives au subjonctif dépendant de verbes impliquant une pesée critique, une volonté ou une prière :

Garde chascuns que son propre ne change (3, v. 22)
Or se gart lors qu’il ne soit indigens (43, v. 24)

Or vous suppli que ma requeste en vain
Que je vous faiz ne me soit refuseë (47, v. 20)

Prince, monstrez a ces jeunes enfans
Que leurs cuidiers ne les soit decevans (50, v. 32)

  • subordonnée circonstancielle à valeur finale :

Ou hault sommet de la haulte montaigne
Ne fait pas bon maison edifïer
Que li grans vens ne la gaste et souspraingne. (14, v. 1-3)

26(4) dans l’environnement du coordonnant ne :

ne ne sera des mois (22, v. 20)

Le bien commun orent en remembrance
Ne povreté n’orent pour lor despite. (27, v. 7-8)

Ne cil qui jamais seront
A toy seule comparer ne pourront. (31, v. 16-17)

je ne robe ne tuë (54, v. 17)
Car Envïe sur nous ne mort ne ruë (54, v. 26)

27(5) Devant le subjonctif en indépendante pour marquer l’ordre

Et que chascun pour sa vïe maçonne / Et qu’om ne soit d’oiseuse trop afin. (37, v. 10-11)

28(6) Devant l’impératif pour marquer la défense :

  • 18 On attendrait plutôt la transcription soiés comme il s...

Ne convoitiez de voz subgiez l’avoir (18, v. 16) – Ne soiës18 pareceus (18, v. 21)
Job, le psaultier n’oublïe (34, v. 8)

Poursuy, donne largement,
N’ait en toy chetiveté (53, v. 96-97)

29(7) Devant des verbes de modalité ou assimilés

pooir : Mais des biens Dieu, qui ne puelent tarder… (6, v. 17) – Quant je ne puis avoir un doulz regart (9, v. 7) – que l’en ne puet a creature oster (21, v. 18) – Car je voy bien que je ne puis durer (26, v. 3) – il ne puet perillier (32, v. 2, 7, 12) – Que povreté ne le puisse sousprandre (43, v. 20) – Rethorique ne puet richesce avoir (51, v. 12) – également 53, v. 22 – 55, v. 13 – 56, v. 9 – 60, v. 47

valoir : – C’est bien romflé ; vostre preschier n’i vault (19, v. 19)

devoir : A rude engin ne doit son sens estandre (19, v. 33)

voloir : et si ne veult entendre (19, v. 2)

savoir : Ne je ne sçay de quoy sert l’Escripture (41, v. 8) – mais n’en sçot la maniere (46, v. 5-6) – Je ne vous sçay dire chose meilleur (48, refrain) – je ne sçay homme armé (54, v. 35)

cesser : Jusqu’a xxx ans je ne cessay d’aprandre (43, v. 2)

chaloir : mais il ne lui en chaut (19, v. 6)ne me chaut qui amasse (25, v. 26)

sembler : Ne me sembloit qu’il fust homme en ce monde (50, v. 8)

30(8) Avec un substantif indéterminé :

Et si n’est homs qui vueille au povre aidier (14, v. 20) – Cilz trois derrain n’ont racine getteë (16, v. 22) En nature ne fut si grant estrif (17, v. 8) – Si qu’il n’est roy, duc n’empereur de Romme (21, v. 6) Je ne vous sçay dire chose meilleur (48, refrain) Rethorique ne puet richesce avoir ; / Astronomi n’ont estat ne puissance ; / […] Et Musique n’a au jour d’ui vray hoir (51, v. 12, 13, 15) – Juge ne craim qui me puist faire paine (54, v. 31) – Tirant ne craing ; je ne sçay homme armé (54, v. 35) – Plus aisé homme n’a dessoubz ciel et nüe (54, v. 49).

31(9) Ou locutions verbales (verbe + subst. non déterminé ou adjectif)

Ne pour larrons n’est droiz que me reponde (54, v. 28)

Locutions : faire annoy (42, v. 10) – avoir cure de (6, v. 3 – 41, v. 10 – 42, v. 14) – avoir lieu (8, v. 11 – 56, v. 14) – avoir merite (8, v. 11) – estre merveille (58, v. 19)

  • 19 S. Prévost (GGHF, op. cit., p. 1256) le reformule ains...

32En contexte virtuel ou en présence d’un élément simplement virtualisant dans le contexte, l’adverbe ne utilisé seul suffit à nier pleinement19. Dans certains cas, on trouve même ne seul en contexte pleinement actualisé, ce qui montre bien que ne seul est encore l’outil dominant et non marqué de la négation verbale :

Autrement ne m’assens / D’avoir a court un pié hors et l’autre ens (40, v. 20-21)
Car li corbauls le barat n’apperçoit (44, v. 9)
De vivre ainsi mon cuer ne se remuë (54, v. 39)
Porree au lart, pastez, la ne faillons (58, v. 46)
Nous n’arons paix aux Anglois de l’anneë (60, refrain)

  • 20 Voir Grammaire méthodique du français, op. cit., p. 41...

33Dans ces exemples, ne apparaît en proposition principale ou indépendante et porte sur un verbe à l’indicatif présent ou futur, à la 1e, 3e ou 4e personne. Il s’agit d’assertions sans marque d’incertitude ou pesée critique. La négation seule peut suffire, peut-être pour des raisons métriques, sans générer d’effet particulier. Cette domination de la négation seule se maintient jusqu’au milieu du xviie siècle, où l’on voit la tendance s’inverser. En français moderne, ne peut être employé seul, en concurrence avec la négation complète ne… pas, dans des structures particulières, en langue écrite, notamment après certains verbes d’aspect ou de modalité suivi d’un infinitif, après un si hypothétique ou encore en subordonnée relative ou consécutive après une principale négative ou interrogative20.

Ne renforcé

34Au cours de l’évolution de la langue, se fait jour une tendance au renforcement de la négation du verbe conjugué par des adverbes sans apport notionnel, qui proviennent de substantifs exprimant la plus petite quantité possible dans différents domaines (le pas, le point, la mie, la goutte). Les étapes de cette évolution sont les suivantes :

  1. Les substantifs mie, point viennent renforcer la négation tout en conservant leur sémantisme et leur capacité à recevoir des compléments ;

  2. Ces substantifs ne sont plus régimes du verbe, mais deviennent des adverbes incidents au verbe tout en conservant le sens d’une parcelle, d’où le sens de « en rien, absolument pas » ;

  3. Les adverbes sont entièrement grammaticalisés et rejoignent pas dont la grammaticalisation semble avoir été plus précoce et plus radicale. Ils appartiennent à la négation composée et ne marquent plus une petite quantité. Il n’y a plus aucune référence au sémantisme de départ21.

35Sur les 34 exemples présents dans la partie au programme, pas est majoritaire avec 22 occurrences, ensuite on trouve 5 occurrences de mie. Ne… mot et de ne… point ne sont attestés qu’une seule fois :

Ne dïe mot pour les rappors / Mauvais (15, v. 13)
Il n’y ot point d’executant (10, v. 21)

MIE

le bien qui siens n’est mïe (3, v. 11)
Aage, au jugeur t’ame ne fuira mïe (7, v. 22)
Babiloine ne s’i comparast mïe (31, v. 12)
Ne lay mïe / L’Apocalipce, flour de theologie (34, v. 27-28)
et ne mesdittes mie (48, v. 7)

PAS

A l’Escluse ne fut pas ses faiz mendres (4, v. 14)
L’en n’y puet pas sa vïe retarder (6, v. 9)
Vous n’estes pas sur Grant Pont a Paris (11, refrain)

  • 22 Dans l’édition, il y a une coquille : edïfïer.

Ou hault sommet de la haulte montaigne
Ne fait pas bon maison edifïer22
Que li grant vens ne la gaste et souspraingne.
Ne ou bas lieu ne la doit pas lier (14, v. 1-4)

Ne doit pas homs a toutes vertus tendre (19, v. 12)
De cent n’en voy pas un guerredonner (24, v. 3)
Saiges n’est pas qui en tel service entre (24, refrain)
N’a pas long temps (33, v. 1)
En l’an n’a pas sa quenoille filleë (33, v. 12)
N’il n’est pas bon d’y toudis demourer (40, v. 12)
Je ne di pas quanque je pence (42, refrain)
Ne fu ce pas grant douçour… ? (53, v. 204)
De noz avoirs n’est pas grant plait en rüe (54, v. 27)
Paour n’ay pas que mon estat se müe (54, v. 37)
ce n’ay je pas esté (54, v. 45)
Car trois foiz l’an n’est pas de tondre droit. (55, v. 19)
Pour ce que loy n’y est pas modereë (56, v. 12)
Le mieulx joustant dehors n’aura pas lange (59, v. 37)
Que de ce ne se doit pas doubter (60, v. 46)

36L’ordre inverse, plus rarement attesté, est certainement plus expressif :

Mains languereus en sont en tele flote
Qui pas queru n’ont leur confortatif (17, v. 17-18)

Pour ce pas ne me terre (45, v. 21)
Pas ne doubte que soie empoisonné (54, v. 34)

37Dans la plupart des cas, la négation renforcée apparaît dans des contextes assertifs, pleinement actualisés. Cependant elle peut apparaître dans des contextes qui sont également ceux de la négation simple, ainsi nemie est attesté avec un subjonctif imparfait ou avec un impératif :

Babiloine ne s’i comparast mïe (31, v. 12)
et ne mesdittes mie (48, v. 7)

38Dans le corpus des attestations relevées dans le programme, ne… pas apparaît parfois aussi dans le voisinage du coordonnant ne, il peut nier un verbe de modalité ou encore une locution verbale, autant de cas où nous avons vu que la négation simple était usuelle :

Ou hault sommet de la haulte montaigne
Ne fait pas bon maison edifïer […]
Ne ou bas lieu ne la doit pas lier (14, v. 1-2, 4)

N’il n’est pas bon d’y toudis demourer (40, v. 12)
L’en n’y puet pas sa vïe retarder (6, v. 9)
Paour n’ay pas que mon estat se müe (54, v. 37)

  • 23 Frankwalt Möhren, Le Renforcement affectif de la négat...

39On peut signaler quelques tours isolés à valeur expressive23 :

  • 24 Dans le texte édité, une virgule aurait dû séparer les...

Je le regni ne le prise une mite24 (9, v. 26)
Si puis par ce conclure et vueil prouver / Qu’es biens mondains n’a vaillant une pomme (21, v. 21-22)
De mes cuidiers n'ay qui vaille ii gans (50, v. 35)
Et si n'ay fait qui vaille deux espis (126, v. 18)

  • 25 Cl. Buridant, op. cit., § 75, p. 136 : « Les expressio...

  • 26 Roger Bellon, « Le renforcement pittoresque de la néga...

40Particulièrement répandus dans les chansons de geste, on peut les trouver de façon plus sporadique dans d’autres genres textuels25. Les termes sont des compléments de prix de verbes comme valoir, prisier, monter, etc. Ils désignent le plus souvent des objets dérisoires ou nuls de la vie quotidienne26.

  • 27 Cl. Buridant, op. cit., § 593, p. 954 : « Ce tour étab...

41Dans la pièce 15, un autre tour à renforcement négatif, le tour ne… ne (plus) que, est à signaler : Et n’oië ne c’uns harens sors (15, v. 5), traduit par Clotilde Dauphant « qu’il n’entende pas mieux qu’un hareng saur », littéralement « qu’il n’entende pas plus qu’un hareng saur [n’entend] ». Cette analogie négative est bien décrite et illustrée par Claude Buridant27.

Les autres corrélations négatives

42Depuis les origines du français, comme en latin, l’adverbe qui nie le verbe peut être mis en corrélation avec un autre terme d’ordre quantitatif ou temporel. C’est le cas dans 65 des 216 attestations de l’adverbe ne. Sur l’axe quantitatif, il s’agit essentiellement des indéfinis (déterminants, pronoms ou adverbes) nus/nul, aucun, rien et neant et sur l’axe temporel, des adverbes ja, jamais et onques.

  • 28 L’indéfini se déclinait en ancien français, avec maint...

43L’indéfini nul est très fréquent chez Deschamps : 128 attestations sous 8 formes différentes dans toute l’Anthologie. Dans la partie au programme, on dénombre 43 attestations, sans tenir compte de la reprise du refrain de la pièce 41 qui offre la seule occurrence de la forme nullui28 : Car je n’en voy a droit user nullui. L’indéfini, issu du latin nullus, est utilisé soit comme pronom, soit comme déterminant. Le FM préfèrera le terme de personne, mais ce dernier est uniquement présent comme substantif dans l’Anthologie, avec 4 attestations dont une seule dans la partie au programme (37, v. 2 une estrange personne).

nulz/nul pronom

  • 29 Autres exemples dans la partie au programme : 20, v. 6...

Contre les vens ne puet nulz de la mer ! (1, refrain)
Que nulz desormais requerir m’empraingne (5, v. 18)
A quoy nul ne doit tendre (5, v. 23)
De ce serment ne me doit nulz reprandre (5, v. 25)
Si qu’en la fin n’en soit nul diffamez ! (11, v. 15)
Nulz ne se doit ne hault ne bas fïer (14, v. 7)
Ne se doit nulz tenir pour mendïer (14, v. 18)
Si que nul ne pourra / vostre regne grever ne decevoir (18, v. 25-26)29

nul déterminant

Car le certain nul temps ne se varïe (3, v. 9)
Que de nul mal ne se face reprandre (19, v. 14)
Qui a nul prince en tel cas ne proufite (27, v. 17)
A toy ne soit nulle autre compareë (31, v. 11)
Au peuple ne font nul desroy (42, v. 12)
Estre ne puet nulz plus mortelz perils (46, v. 29)
Et au besoing nulle rien ne reçoit (55, v. 55)
Et quant peuples la nul temps ne s’effreë (56, v. 39)
Que nulz pecheurs ne doit estre escondis (57, v. 3)

aucun, aucunement

Princes, ne puet avoir tresors
Au jour d’ui, ne terre acquester
Aucuns, s’il n’est sires trop fors,
Sanz veoir, oïr ne parler. (15, v. 25-27)

Poursuy, donne largement,
N’ait en toy chetiveté,
Lascheté,
N’avarice aucunement ! (54, v. 96-99)

neant/noiant

Neant plus entreprandre
Ne devez vous a rude cuer l’assaut. (19, v. 25-26)

Au paraler / C’est tout neant (45, v. 28-29)

Rien

qui rien n’a (37, v. 4)
or n’est ce monde riens (28, v. 15)
Riens ne se puet comparer a Paris (30 et 31, refrain)
Qu’om ne voit riens (40, v. 9)
Rien n’est du bien d’autrui (41, v. 13)
rien n’ay acquis (45, v. 22)
Ne preist riens s’il ne payoit (53, v. 129)
Je n’ay riens offensé (54, v. 32)
Riens ne demeure ou pal (55, v. 33)

44On peut également signaler un exemple de rien, précédé du déterminant nul, en emploi nominal : au besoing nulle rien ne reçoit (55, v. 55).

45La concurrence entre les deux graphies rien/riens signale une tendance à l’invariabilité ancienne : il y avait déjà en ancien français une hésitation entre la forme du CSS marquée par -s et le CRS avec un -s dit adverbial.

46Certains de ces termes, employés seuls, conformément à leur valeur originelle pour rien (latin rem, « chose ») et pour aucun (< *alicunus, résultat du croisement de aliquem et unum, employé comme pronom « quelqu’un », ou déterminant « quelque, un certain »), possèdent une valeur positive, dont il faut rendre compte dans la traduction. C’est le cas de rien dans les exemples suivants :

S’on lui dit : « Vois tu riens ? – Je dors. »
Sinon pour lui vueille cesser
De rien dire (15, v. 21-23)

Prins ont en moy, sanz riens mettre du leur (47, v. 14)

  • 30 DMF, article rien : R. Martin évoque ce cas rare d’emp...

47Dans ces trois occurrences, rien possède un sens positif : « quelque chose », « quoi que ce soit ». Dans l’exemple Gramaire est rien (51, v. 11), l’analyse est différente, car le terme est négatif dans le contexte de présentation de l’inutilité des arts libéraux face au pouvoir de l’argent ; mais l’inanité est assertée, d’où l’absence de l’outil ne30. L’hypothèse d’une omission volontaire du ne pour des raisons métriques n’est pas à éliminer totalement, mais elle nous paraît moins probable.

48C’est également le cas de l’indéfini aucun dans l’Anthologie :

Mais comme chas et chiens
Tiennent aucun presentement la foy (28, v. 25-26)

  • 31 Voir également aucunement « en quoi que ce soit » (15,...

L’un pié dedenz, s’aucun besoing lui sourt (40, v. 15)
L’autre dehors, s’aucun mal y acourt (40, v. 17)31

49L’indéfini nul peut également être utilisé en dehors d’un contexte négatif, de façon exceptionnelle, avec le sens de « personne » :

S’il oit de nul le parlement
De toulte, d’injure ou de tors,
Face com le saige serpent. (15, v. 9-10)

Tant de perilz sont a suïr la court
Qu’a grant peine s’en pourroit nul garder. (40, v. 1-2)

50Dans ces deux exemples, le contexte est hypothétique qu’il s’agisse de l’emploi en subordonnée introduite par se ou d’une consécutive au conditionnel. Le cas suivant est plus ambigu :

[…] Pour ce’a tous faiz sçavoir
Que nulz desormais requerir m’emprangne
De mes livres ne mes papiers avoir :
Plus ne presteray livre quoy qui advienne (5, v. 17-20)

  • 32 Je remercie ici Cécile Rochelois et Charlotte Guiot de...

51S’agit-il d’une erreur de copie (m’ au lieu de n’) et faut-il comprendre nulz… ne : « que personne désormais n’ose me demander mes livres ou mes papiers » (trad. Cl. Dauphant) ? Ou bien peut-on considérer en prenant en compte l’ensemble de la séquence, refrain compris, que la conjonction que possède une valeur hypothétique « pour peu que » et nulz une valeur positive « quelqu’un » : « Pour cette raison, je porte à la connaissance de tous au cas où quelqu’un voudrait me demander d’avoir mes livres ou de mes papiers, que je ne prêterai plus de livre, quoi qu’il advienne32 ».

  • 33 Dans la lyrique courtoise, la riens que jo aim pour dé...

52Les différents indéfinis utilisés comme renforcement de la négation selon l’axe de la totalité en français moderne sont déjà présents à l’époque de Deschamps. Ils peuvent être regroupés en micro-systèmes : pour l’animé, noient et rien, pour l’inanimé, nul et aucun, comportant chacun un élément originellement positif (rien et aucun) et un autre originellement négatif (noient et nul). Noient et rien peuvent tous deux fonctionner comme substantifs : rien signifie alors « chose », voire « créature33 » ; noient « ce qui n’a pas d’existence, néant », ainsi que « chose ou être sans valeur ». Les deux termes sont souvent employés comme pronoms indéfinis, sans déterminant, au sens de « quoi que ce soit », « quelque chose », en contexte positif ou négatif, ou comme adverbes, avec ou sans négation. Dans les exemples tirés de l’Anthologie, rien est beaucoup plus fréquent que noient, il est surtout très souvent employé comme pronom indéfini, dans la mesure où il fonctionne comme sujet ou régime au sens large du verbe pivot. La traduction par rien… ne permet certes de conserver la concision du texte poétique, mais c’est au détriment de l’expressivité et du changement de valeur de l’outil :

Riens ne se puet comparer a Paris (30 et 31, refrain) : « aucun lieu ne peut être comparé à Paris ».

Riens ne demeure ou pal (55, v. 33) : « plus aucune bête ne se trouve dans l’enclos ».

  • 34 Voir les analyses de R. Martin et M. Wilmet, op. cit.,...

Rien et neant/noient ont en commun de présenter une riche palette d’emplois et de valeurs sur l’axe de la négativité34, comme renforcement d’un ne :

Neant plus entreprandre
Ne devez vous a rude cuer l’assaut (19, v. 25).

Je n’ay riens offensé (54, v. 32) : on peut hésiter dans l’interprétation entre « je n’ai nullement commis d’offense » et « je n’ai pas commis d’offense en quoi que ce soit ».

53ou employés seuls :

C’est tout noiant/neant, par ma foy, ce me semble (6, refrain)

Au paraler / C’est tout neant, pour ce vueil demander (45, v. 29) : « Finalement tout est néant, c’est pourquoi je demande : que m’apporte de plus ce que j’ai vu ? »

  • 35 Voir supra l’analyse de cet exemple.

Gramaire est rien (51, v. 11) : « Grammaire est sans valeur, ne compte pas35 ».

  • 36 C. Marchello-Nizia, op. cit., p. 145.

54Ne… rien est beaucoup plus fréquent en moyen français que ne… neant, peut-être parce que ce dernier pouvait apparaître comme redondant36.

  • 37 S. Prévost, GGHF, p. 1263-1264 : « Ce n’est qu’à parti...

55Nul restera très fréquent jusqu’au milieu du xvie siècle, puis cédera progressivement la place à aucun, ne se conservant qu’en registre soutenu. Aucun, déterminant ou pronom, a pendant la période médiévale, une valeur indéfinie positive, comme le montrent les exemples du texte. Il commence seulement à prendre une valeur pleinement négative, qui ne l’emportera qu’à la fin du xvie siècle37.

56Employés en corrélation avec la négation, certains adverbes temporels, ja, mes, onc/onques, renforcent la négation sur le plan temporel. Mais ils ont la particularité en ancien et moyen français de préciser le sens de l’orientation temporelle.

57Ne…onques, souvent utilisé avec le passé simple, offre encore une orientation rétrospective :

Onques d’amour ne parla en folïe (22, v. 9)
Qui onques jour n’ouvras de tirannïe (31, v. 2)
Paris sanz per, qui n’os onques pareille (32, v. 1, 6, 11)
Onques ne vi si maleureuse gent (33, refrain)

58tandis que ne…ja, souvent associé au présent ou au futur, est tourné vers l’avenir :

ne ja ne doit, pour acquerir renon, / Celle laissier pour faire doubteus change (3, v. 5)
ja ne se doit vanter (21, v. 23)

59Ne… mes signifie « ne… plus ». Quelques exemples apparaissent dans l’Anthologie :

Je ne sçay mais a quelle heure venir (71, v. 17)
Sanz conduit ne sçay mes aler (169, v. 9)

60Mais ne… plus est déjà beaucoup plus répandu :

  • 38 Dans l’exemple Plus ne convient qu’om reë (55, v. 35),...

Et voit trop bien que plus ne le sera (4, v. 4)
Plus ne prest(e)ray livre quoy qui adviengne (5, refrain)
Plus ne me chault de vivre longuement (8, v. 7)
Si ne vueil plus au monde estre manent (8, v. 23)
Mais ly menteur et ly flateour / N’y osent plus faire demour. (42, v. 29)
Plus n’emporte homs qui du monde desvï[e] (48, v. 27)
Et que treves ne doivent plus durer (60, 27)38

  • 39 Dès le xive siècle, la forme discontinue tend à être r...

61Ne… jamais, qui résulte de l’amalgame des deux adverbes39 ja et mais, alterne déjà avec la corrélation ne… ja :

Princes, jamais mes cuers ne l’amera (4, v. 25)
Qu’a faire prest ne doy jamés entendre (5, v. 4)
Que jamais nul ne m’en sera ostez (5, v. 23)
Ne croire menteurs jamais (53, v. 181)

62On trouve également ne onques… mes dans le refrain de la pièce 165 de l’Anthologie : Onques mes homs n’ot si foible merrien.

63En français moderne, il y a eu appauvrissement puisque ne subsiste que ne… jamais (quelle que soit l’orientation temporelle de la négation) ; l’adverbe mes a été remplacé par plus. Seule trace de la valeur ancienne, l’expression n’en pouvoir mais.

Les tours exceptifs

  • 40 « Au milieu du xive s. se développe une construction a...

64Les tours exceptifs sont fréquents dans le texte au programme. Ils sont habituellement analysés comme deux mouvements successifs : d’abord la négation d’un procès, d’un état ou d’une notion, puis l’extraction d’un élément de ce mouvement à l’aide d’un signe inverseur fors (que) ou que seul. La construction exceptive se […] non, usuelle en AF, qu’on peut analyser comme une subordonnée hypothétique elliptique du verbe et dans laquelle l’emploi de la forme prédicative compense l’absence de verbe, n’apparaît pas dans l’Anthologie. En revanche, on note deux attestations de l’adverbe sinon, résultat précoce de la grammaticalisation du tour se […] non40 :

Sinon pour lui vueille cesser (15, v. 22)
Sinon je muir (107, v. 8)

  • 41 Voir infra.

65Mais ce sont d’autres tours, fors (de/que) ou ne que, qui expriment l’exception dans l’œuvre au programme41 :

Ne fors (de/que)42

Mais ne me plaing fors du païs de Flandres (4, refrain)
Car je n’y voy fors [que] dueil et tourment (8, v. 2)

Rien n’ay acquis […]
Fors que renom, c’est le vent de soulerre. (45, v. 22-23)

Chascun ne quiert fors proufit sanz honeur (47, refrain)
Car ilz ne font fors l’un l’autre assoter (60, v. 16)

Ne… que43

Amer n’est que hasart (9, v. 15)

Car chascun jour ne fait que destourner
Malebouche le bien de mon cuer art. (9, v. 9-10)

  • 44 Ici le tour restrictif (ne… que bon) conduit à un renf...

Ce qu’on lui dit, n’est que riote et plés (19, v. 28)
Ne germera que chose perileuse (20, v. 21)
vostre vïe / Qui chascun jour ne fait que defenir (25, v. 2)
L’ordre sçavoir du lire n’est que bon (34, refrain)44
La rayne lors, qui ne pensa qu’a honte (46, v. 10)
En ton jardin ne seroyë qu’ortïe (49, v. 32)

Ne puis n’oy ailleurs plaisance
Que vray amour de sa lance. (53, v. 71)

N’y dictes que choses belles (53, v. 154)

  • 45 Littéralement : « Noble Lion, celui qui ne tondrait so...

Noble Lïon, qui bien s’adviseroit
Que par raison son bestail ne tondroit
Quant il seroit lieux et temps et mestiers. (55, v. 51-53)45

  • 46 Voir Olivier Soutet, Études d’ancien et de moyen franç...

66Le très fort développement de la structure ne… que au détriment des tours plus anciens montre la montée en force de que au détriment de morphèmes plus spécifiques46.

Rareté du ne explétif 

67La question de ce ne faiblement négatif est bien résumée dans la GGHF :

  • 47 S. Prévost, GGHF, op. cit., p. 1262.

En FMod, dans certaines propositions subordonnées (complétives derrière certains verbes, entre autres de crainte, de défense, d’éviction, et certaines circonstancielles, en particulier celles marquant l’antériorité, la comparaison d’inégalité, l’exclusion ou l’imminence contrecarrée) n’a pas une valeur négative, mais est simplement porteur d’une charge virtualisante, liée au contexte sémantique de l’énoncé. La présence de ne, qui relève d’un registre soutenu, est facultative (on parle de ne explétif), et n’est pas compatible avec pas, qui modifie le sens de la proposition en en inversant la valeur positive47.

68Il peut apparaître dès que le prédicat oscille entre le négatif et le positif, c’est le cas dans le texte au programme, dans deux exemples, après une locution du type de peur que qui introduit une proposition de but négatif (qui est l’équivalent d’une complétive dépendant d’un verbe de crainte) :

Ceuls qui les [les richesses] ont sont de tristesce plains,
De grant paour qu’on ne leur tolle ou emble. (6, v. 5-6)

69et dans une tournure comparative :

De tous les biens de ceste mortel vïe
A plus qu’autres citez n’ont (30, v. 15-16)

70Ce ne explétif, qui apparaît dès les premiers textes, n’est jamais employé systématiquement dans les contextes évoqués précédemment.

71On peut s’essayer à tirer quelques enseignements des analyses qui précèdent et ce, malgré leur caractère partiel. Au plan de l’histoire de la négation, les poésies de Deschamps montrent le maintien de l’expression dominante de la négation pleine par ne seul, tout en offrant un tableau varié et fourni des tours renforcés avec ou sans apport notionnel, quantitatif ou temporel. Les principaux outils de l’ancien français sont encore usités et le remplacement de nul par aucun, ou de fors par d’autres tours aura lieu plus tard, au xvie siècle.

72Mais l’étude de ne, rien ou noient soulève aussi des questions sur la manière de comprendre et de traduire la poésie de Deschamps. Il n’est pas toujours facile de situer exactement tel ou tel énoncé sur l’axe de la négativité et de choisir entre une négativité abstraite en quelque sorte (« ne… rien ») et une négativité plus concrète, qui porte sur des éléments précis évoqués dans le contexte. Si on se place sur le plan de l’efficacité rhétorique, comme les tours composés du type ne… pas ne sont pas encore devenus majoritaires, leur utilisation est une marque d’emphase qui peut d’ailleurs être renforcée par la place rythmique en attaque de vers ou par l’antéposition du forclusif. Il faudrait en rendre compte dans la traduction.

73Enfin, sur le plan thématique, il est tentant de mettre en relation l’expression grammaticale de la négation avec la propension du poète à critiquer, rabaisser ou dénigrer. Mais il faut se méfier des généralisations hâtives, car la langue est malléable et polymorphe. Certes, Rien sert à dire avec force la vanité du monde, or n’est ce monde riens (28, v. 15), mais il peut aussi participer de l’écriture de l’éloge quand il conclut la comparaison, comme dans le refrain des ballades redoublées, Riens ne se puet comparer a Paris (30 et 31).

Notes

1 Le titre de cet article renvoie au refrain de la ballade Las ! Que j’ay veü de tribulacïon, 154 (MCXXIV), Eustache Deschamps, Anthologie, éd. Clotilde Dauphant, Le Livre de Poche, « Lettres gothiques », Paris, 2014, p. 500-502. Nous ferons référence aux pièces de Deschamps en suivant la numérotation de cette anthologie.

2 Françoise Autrand, Charles V, Fayard, 1994, p. 47-48 : « Il est vrai que les hommes du xive siècle ont gémi sur leur temps. D’un texte à l’autre, les mêmes plaintes reviennent : tout va mal. Tout va de mal en pis. […] À la fin du xive siècle, le poète Eustache des Champs, toujours appelé à la rescousse par les historiens du pessimisme, dit tout cela… ».

3 Eustache Deschamps, Anthologie, op. cit. L’édition lemmatisée, accessible en ligne, que nous avons préparée à l’ATILF, avec Gilles Souvay et Corinne Denoyelle, permet une interrogation par forme ou par lemme en lien avec le DMF, particulièrement utile pour les études de langue : http://www.atilf.fr/dmf/EustacheDeschampsAnthologie

4 Nous nous sommes limitée à la partie au programme de l’agrégation de lettres modernes pour l’épreuve de langue antérieure à 1500, mais dans le reste de l’anthologie, les exemples sont tout aussi nombreux avec 23 refrains négatifs ou exceptifs. Il faudrait bien sûr élargir l’enquête aux œuvres complètes.

5 Claude Buridant, Grammaire du français médiéval, Strasbourg, ELiPhi, 2019, § 499, p. 825-828.

6 Christiane Marchello-Nizia, Histoire de la langue française aux xive et xve siècles, Paris, Bordas, 1979, p. 285.

7 Robert Martin et Marc Wilmet, Syntaxe du moyen français, Bordeaux, Sobodi, 1980, p. 275, § 466. Période de référence : 1455-1465.

8 Grande Grammaire historique du Français, éd. C. Marchello-Nizia, B. Combettes, S. Prévost, T. Scheer, De Gruyter Mouton, 2020, 2 volumes (GGHF).

9 Ambroise Queffélec, La négation en ancien français, thèse d’état, Paris IV, 1985, sous la dir. de Gérard Moignet, puis R. Martin. A. Queffélec a publié à la suite de cette thèse restée inédite un certain nombre de contributions sur les tournures négatives, parmi lesquelles « La mie, la goutte et l’aillie. Essai sur l’intégration des lexèmes du boire et du manger dans le processus de renforcement de la négation en ancien français », Manger et boire au moyen âge, Nice, Les Belles Lettres, 1984, p. 345-360 ; « L’impératif négatif en ancien français », Razo, Cahiers du centre d’Etudes médiévales de Nice, vol. 5 (1985), p. 95-105 ; « Les réponses négatives averbales à pronom sujet en ancien français », Par les Mots et les Textes ; Mélange de langue, de littérature et d’histoire des sciences médiévales offerts à Claude Thomasset, éd. D. James-Raoul et O. Soutet, 2005, p. 609-622. Ces articles ont été repris dans le volume d’hommage à A. Queffélec, publié par R. Bellon, Études de linguistique médiévale, Peter Lang, 2015, p. 147-163, 165-176, 195-208. On peut ajouter « la négative explétive en ancien français : une approche psycho-mécanique », La linguistique génétique : histoire et théories, Lille, Presses universitaires de Lille, 1988, p. 419-449.

10 La prédicativité est une notion qui renvoie à la capacité d’autonomie syntaxique d’un élément, à la capacité de constituer une phrase. Elle désigne un caractère linguistique attaché à certaines parties de la langue, l’aptitude, en discours, à la fonction de prédicat. « Sont prédicatives les parties de la langue qui nomment les notions, c’est-à-dire les substantifs et les adjectifs, et celle qui nomme les comportements, c’est-à-dire les verbes, sauf certains d’entre eux en emploi d’auxiliaire. Une prédicativité réduite s’attache à certains verbes en fonction de suppléance ou de verbe suppléant : cf. en afr. non sui je, non ai je, non faz je, etc., où la prédicativité de la négation compense un déficit de prédicativité du verbe. » (G. Moignet, Grammaire de l’ancien français, Paris, Klincksieck, 1973, p. 379).

11 Parallèlement à oïl, le composé nen + il, qui correspondait à la 3e personne, s’est imposé indépendamment de la personne de l’allocutaire, sous diverses formes, et a perduré jusqu’au xvie siècle. L’Anthologie comporte 7 attestations de nennil / nenil, dont une seule dans la partie au programme. Il s’agit d’un dialogue fictif : « Pourrez vous bien le cours du firmament /Faire muer ? eauë devenir cendre  / Et d’un pourcel creer une jument / Et faire Dieu en la terre descendre ? / – Certes nenil. – Neant plus entreprandre / Ne devez vous a rude cuer l’assaut. » (19, v. 25).

12 Martin Riegel, Jean-Christophe Pellat, René Rioul, Grammaire méthodique du français, Paris, PUF, 1994, p. 416 : « Dans ces emplois, non subit la concurrence de pas, plus familier ».

13 Voir la notice étymologique du TLFi qui distingue le composé nonsens de l’ancien français, au sens de « déraison, sottise » de non-sens (1672), emprunt à l’anglais nonsense, de même origine, attesté depuis 1614, pour désigner toute chose, acte, écrit ou parole absurde, stupide ou n'ayant pas de sens. C’est déjà ce sens chez Deschamps.

14 Intolérable, illégal, impossible, irrépressible face à non négociable, ou en concurrence non recevable / irrecevable, non compréhensible / incompréhensible, non acceptable / inacceptable.

15 Il reste non-recevoir dans fin de non-recevoir et le nonchaloir, cher à Charles d’Orléans, devenu littéraire et archaïque, mais dont la soudure indique l’ancienneté (TLFi).

16 Sophie Prévost, GGHF, p. 1254-1256. Les chiffres donnés sur le corpus étendu de la GGHF sont similaires à ceux de notre petit sondage : dans le Remède de Fortune de Machaut (1341) 81 % de tours négatifs avec ne seul et dans la Cité des Dames de Christine de Pizan (1405), 75 %.

17 « Dès l’ancien français, négation simple et négation renforcée tendent à apparaître dans des contextes linguistiques différents, leur répartition ayant évolué en fonction du caractère “marqué” des deux variantes. Tant que la négation complexe reste marginale, elle est exclue de certains contextes, et à l’inverse, dès lors qu’elle s’impose comme forme non marquée, ce sont les contextes d’emploi de la négation simple qui deviennent de plus en plus contraints. » (Ibid., p. 1256).

18 On attendrait plutôt la transcription soiés comme il s’agit d’une 5e personne.

19 S. Prévost (GGHF, op. cit., p. 1256) le reformule ainsi : « la négation renforcée dénote donc une certaine emphase, peu propice à son emploi dans certains contextes, en particulier ceux qui présentent une dimension virtualisante. »

20 Voir Grammaire méthodique du français, op. cit., p. 418-419 (chapitre XI, 5.2.4.2).

21 Voir les analyses détaillées de Cl. Buridant, op. cit., § 656-658, p. 1037-1041.

22 Dans l’édition, il y a une coquille : edïfïer.

23 Frankwalt Möhren, Le Renforcement affectif de la négation par l’expression d’une valeur minimale en ancien français, Tübingen, Max Niemeyer Verlag, 1980.

24 Dans le texte édité, une virgule aurait dû séparer les deux propositions juxtaposées (je le regni, (je) ne le prise une mite), ce qui évite de lire ne comme coordonnant. On pourrait aussi supposer que ce ne seul correspond en réalité à deux ne successifs : ne coordonnant + ne adverbe de négation.

25 Cl. Buridant, op. cit., § 75, p. 136 : « Les expressions d’une valeur minimale, normalement employées dans des phrases négatives, sont à distinguer des renforcements grammaticalisés de la négation comme mie, pas, point, goutte, chose, rien, etc. […] : elles prolongent la négation verbale sur un complément ayant sa pleine valeur sémantique que marquent :
– le cumul possible avec ces mêmes renforcements grammaticaux pas, mie, point ;
– la présence de l’article indéfini (éventuellement défini) ou nombre un, qui intensifie la négation et lui donne sa force affective, et occasionnellement du numéral deux (ne valoir deus X). »

26 Roger Bellon, « Le renforcement pittoresque de la négation dans Aliscans », Études de linguistique médiévale. Hommage à Ambroise Jean-Marc Queffélec, Peter Lang, 2015, p. 39-60.

27 Cl. Buridant, op. cit., § 593, p. 954 : « Ce tour établit un rapport entre une allégation négative dans le premier terme et une allégation de sens négatif dans le second terme par l’inconcevabilité de sa réalisation : l’ensemble signifie que le procès du premier terme est aussi inconcevable que celui évoqué dans le second, donné comme étalon de l’impossible, et constitue donc un renforcement de la négation première. La mise en parallèle de deux procès ne se réalisant pas peut rendre plus superflu. »

28 L’indéfini se déclinait en ancien français, avec maintien d’une forme de datif au singulier : nus, nul, nului / nule, -e, -i, -es. Voir également autre, autrui. La forme nullui / nului n’est plus attestée qu’une dizaine de fois au xve siècle dans le corpus de la GGHF et disparaît après 1460.

29 Autres exemples dans la partie au programme : 20, v. 6 ; 21, v. 15 ; 22, v. 17 ; 23, v. 22 ; 24, v. 28 ; 28, v. 17 ; 51, v. 9.

30 DMF, article rien : R. Martin évoque ce cas rare d’emploi de rien, pronom indéfini, sans ne, avec valeur pleinement négative, avec estre et faire. Ici rien rejoint noient, qui possède dès l’origine un sémantisme négatif, tous deux pouvant être utilisés seuls. Tous les développements des grammaires sur l’évolution de rien en diachronie s’appuient sur la thèse de R. Martin, Le mot « rien » et ses concurrents en français (du xive siècle à l’époque contemporaine), Paris, Klincksieck, 1966.

31 Voir également aucunement « en quoi que ce soit » (15, v. 17 ; 41, v. 13) et la locution aucune fois « parfois » (22, v. 5), employés sans négation.

32 Je remercie ici Cécile Rochelois et Charlotte Guiot de m’avoir fourni leur relevé exhaustif des tournures négatives dans le programme d’agrégation et de m’avoir signalé ce cas particulier avec les deux hypothèses interprétatives. À l’appui de la première, le caractère inhabituel de l’emploi positif de nul en moyen français (voir C. Marchello-Nizia, op. cit., p. 181-182) ; à l’appui de la seconde, le contexte non pleinement affirmatif, « contexte à polarité négative faible », ici hypothétique, peut expliquer l’emploi de nul avec une valeur positive (voir GGHF, op. cit., p. 1685-1686).

33 Dans la lyrique courtoise, la riens que jo aim pour désigner la femme aimée.

34 Voir les analyses de R. Martin et M. Wilmet, op. cit., § 22 et 27, p. 29 et 33 ; Cl. Buridant, op. cit., § 663, p. 1048-1050.

35 Voir supra l’analyse de cet exemple.

36 C. Marchello-Nizia, op. cit., p. 145.

37 S. Prévost, GGHF, p. 1263-1264 : « Ce n’est qu’à partir du MF que la valeur pleinement négative commence à prévaloir, dans certains contextes négatifs […] mais aucun négatif continue d’être largement devancé par nul jusqu’au milieu du xvie s., ne supplantant ce dernier qu’à la fin de ce siècle. » Seul d’aucuns continue d’avoir une valeur positive en français moderne.

38 Dans l’exemple Plus ne convient qu’om reë (55, v. 35), on peut hésiter pour plus entre une valeur quantitative, « il n’y a plus rien à tondre », ou une valeur temporelle, « il ne convient plus de tondre ».

39 Dès le xive siècle, la forme discontinue tend à être remplacée par la forme soudée (Ibid., p. 1265).

40 « Au milieu du xive s. se développe une construction alternative, qui détrônera [se… non] dès le xve s., dans laquelle l’élément excepté n’est plus enchâssé entre se / si et non, désormais juxtaposés et qui dès cette époque tendent à se souder (ce qui correspond, fait assez rare, à la grammaticalisation d’une proposition entière en un adverbe ou une préposition), les deux formes, disjointe et soudée, restant en concurrence jusqu’au xvie s. avant que la première ne disparaisse (dernière occurrence à la fin du xviiie s.). » (Ibid., p. 1266).

41 Voir infra.

42 Fors (de), « à l’extérieur », « excepté », utilisé seul devant un syntagme nominal ou pronominal et fors que devant une proposition, sont attestés jusqu’à la fin du xvie siècle, mais fors est concurrencé par hors / hormis, de même sens, dès le xiiie siècle. Fors que subira également la concurrence de ne… que à partir du xive siècle.

43 Le tour, issu du latin non… quam, marque d’abord une restriction numérique avant de s’étendre à toute sorte de restriction. Attesté depuis le début du xiie siècle, il reste largement concurrencé par les autres tours, avant de les supplanter progressivement à partir du xive siècle.

44 Ici le tour restrictif (ne… que bon) conduit à un renforcement de l’assertion : littéralement « connaître l’ordre de lecture des livres n’est que bon », d’où « il vaut mieux lire les livres dans l’ordre ».

45 Littéralement : « Noble Lion, celui qui ne tondrait son bétail que de façon raisonnable, au moment opportun, serait bien avisé ».

46 Voir Olivier Soutet, Études d’ancien et de moyen français, Paris, PUF, 1992, p. 85.

47 S. Prévost, GGHF, op. cit., p. 1262.

Pour citer cet article

Sylvie Bazin-Tacchella, «C’est tout neant des choses de ce monde.», Op. cit., revue des littératures et des arts [En ligne], « Agrégation 2023 », n° 24, automne 2022 , mis à jour le : 13/12/2022, URL : https://revues.univ-pau.fr:443/opcit/index.php?id=744.

Quelques mots à propos de :  Sylvie Bazin-Tacchella

Sylvie Bazin-Tacchella est professeur d’histoire de la langue à l’Université de Lorraine et spécialiste des premiers textes médicaux en français (xive-xvie siècles), notamment les traités de peste, les réceptaires médicaux et les chirurgies. Responsable du Dictionnaire du Moyen Français au laboratoire ATILF, elle est aussi l’auteur de l’Initiation à l’ancien français (Hachette, 2001), bien connue des étudiants de lettres et a rédigé dans la nouvelle Grande Grammaire historique du français (De Gruyter, 2020) le chapitre consacré à la morphologie du verbe.

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